La ligne de couleur (en anglais the color line) désigne la séparation qui est faite dans le racisme entre les gens blancs et tous les autres, dès lors considérés comme « gens de couleur ». Ce concept a été popularisé par W. E. B. Du Bois, pour décrire le régime de séparation entre gens noirs et blancs dans les États-Unis qui perdure bien après la fin de l'esclavage[1]. W. E. B. Du Bois a fameusement déclaré :

Caricature renversant ironiquement l'idée de la ligne de couleur: ici, c'est le blanc opposé au droit de vote universel qui est présenté comme inférieur intellectuellement.

« Le problème du XXe siècle est celui de la ligne de couleur[2]. »

La configuration de la ligne de couleur se retrouve généralement dans toutes les colonies américaines selon Frédéric Régent, y compris dans les Antilles françaises où la hiérarchie sociale séparait la caste des blancs de celle des mulâtres et de toutes les autres personnes de couleur, au premier rang desquelles les gens noirs[3].

La ligne de couleur, malgré les efforts de théorisation et de systématisation du racialisme, ne signifie pas que la racisation soit un processus net et absolu. Bien au contraire, la ligne de couleur ne cesse de se déplacer et n'est pas dénuée d’ambiguïté, comme l'illustrent par exemple la relation et la représentation des gens juifs vis-à-vis de la blanchité au long de l'histoire moderne: la judéité fut tantôt rapprochée de la noirceur, tantôt rangée du côté de la blancheur, selon Enzo Traverso[4]. De même dans le cas des Irlando-Américains, qui ont initialement été considéré comme de « de couleur » par les autorités étasuniennes avant de passer du côté blanc de la ligne de couleur, selon Robert Nowatzki[5],[6]. Il convient néanmoins de nuancer cette racialisation des Irlandais, qui ne signifie pas qu'ils aient été opprimé de la même manière que les gens noirs, selon Patrick R. O'Malley[7]. Selon Jennifer Lee et Frank D. Bean, la ligne de couleur aux États-Unis évolue aujourd'hui par rapport à l'attention portée à l'immigration, mais continue de rejeter particulièrement les personnes noires dans l'altérité[8].

Selon Sarah Burnautzki, la ligne de couleur joue aujourd'hui encore un rôle dans la façon dont on distingue la littérature française, imaginée comme blanche, et la littérature francophone imaginée comme de couleur[9]. De même, selon Sara Le Menestrel, dans les distinctions qu'on trace en Louisiane entre musique dite française, c'est-à-dire comprise comme blanche, et celles dites cajun, créoles ou zydeco, rejetées au-delà de la ligne de couleur[10].

En 2015, Silyane Larcher a critiqué une interprétation trop naturaliste du concept de ligne de couleur au sein de l'antiracisme en France[11].

Références modifier

  1. Whitney Battle-Baptiste, Britt Rusert, Julia Burtin Zortea et William Edward Burghardt Du Bois, La ligne de couleur de W. E. B. Du Bois: représenter l'Amérique noire au tournant du XXe siècle, Paris, Éditions B42, coll. « Culture », (ISBN 978-2-490-07722-9)
  2. Sanda Mayzaw Lwin, « Une romance à message : Dark Princess de W.E.B. Du Bois et l’enjeu de la « ligne de couleur » », dans Refaire l’Amérique : Imaginaire et histoire des États-Unis, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, coll. « Monde anglophone », , 177–198 p. (ISBN 978-2-87854-870-9, lire en ligne)
  3. Frédéric Régent, « De la catégorisation des populations coloniales à leur racialisation : l’exemple des colonies des Antilles françaises » dans Bernard Grunberg (dir.). Les esclavages en Amérique coloniale. C.H.A.C., n°6. Paris, L’Harmattan, 2013, p. 99-116.
  4. Enzo Traverso, « 27. Les juifs et la « ligne de couleur » », dans De quelle couleur sont les blancs ?, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », , 253–261 p. (ISBN 978-2-7071-7558-8, lire en ligne)
  5. (en) Robert Nowatzki, « Blurring the Color Line: Black Freedom, Passing, Abolitionism, and Irish Ethnicity in Frank J. Webb's The Garies and Their Friends », Studies in American Fiction, vol. 33, no 1,‎ , p. 29–58 (ISSN 2158-5806, DOI 10.1353/saf.2005.0013, lire en ligne, consulté le )
  6. (en) Angeline D. Morrison, « Irish and white-ish mixed “race” identity and the scopic regime of whiteness », Women's Studies International Forum, representing Migrant Women in Ireland and the E.U., vol. 27, no 4,‎ , p. 385–396 (ISSN 0277-5395, DOI 10.1016/j.wsif.2004.10.007, lire en ligne, consulté le )
  7. (en) Patrick R. O'Malley, « Irish Whiteness and the Nineteenth-Century Construction of Race », Victorian Literature and Culture, vol. 51, no 2,‎ , p. 167–198 (ISSN 1060-1503 et 1470-1553, DOI 10.1017/S1060150322000067, lire en ligne, consulté le )
  8. (en) J. Lee et F. D. Bean, « Reinventing the Color Line Immigration and America's New Racial/Ethnic Divide », Social Forces, vol. 86, no 2,‎ , p. 561–586 (ISSN 0037-7732 et 1534-7605, DOI 10.1093/sf/86.2.561, lire en ligne, consulté le )
  9. Sarah Burnautzki, Les Frontières racialisées de la littérature française: Contrôle au faciès et stratégies de passage, Honoré Champion, (ISBN 978-2-7453-3346-9 et 978-2-7453-3476-3, lire en ligne)
  10. Sara Le Menestrel, « French music, Cajun, Creole, Zydeco: Ligne de couleur et hiérarchies sociales dans la musique franco-louisianaise », Civilisations, vol. 53, nos 1/2,‎ , p. 119–147 (ISSN 0009-8140, JSTOR 41229716, lire en ligne, consulté le )
  11. Silyane Larcher, « Troubles dans la « race ». De quelques fractures et points aveugles de l'antiracisme français contemporain », L’homme et la société, no 198,‎ , p. 213–229,282-283 (ISSN 0018-4306, lire en ligne, consulté le )

Bibliographie modifier

  • (en) Ray Stannard Baker, Following the Color Line, DigiCat, (lire en ligne)

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier