Naissance des pieuvres

film français de Céline Sciamma, sorti en 2007
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Naissance des pieuvres
Description de cette image, également commentée ci-après
Compétition de natation synchronisée, sport pratiqué par l'un des personnages principaux.
Réalisation Céline Sciamma
Scénario Céline Sciamma
Acteurs principaux
Sociétés de production Lilies Films
Pays de production Drapeau de la France France
Genre Drame
Durée 85 minutes
Sortie 2007

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Naissance des pieuvres est un film dramatique français écrit et réalisé par Céline Sciamma, sorti en 2007.

Il s'agit du premier long-métrage de la réalisatrice, basé sur son scénario de fin d'étude à la Fémis.

Synopsis modifier

Pendant l'été de leurs quinze ans, trois adolescentes vivent difficilement l'éclosion de leur sexualité[1]. Marie traîne souvent avec Anne qui est complexée sur son physique et espère être aimée de François, membre de l'équipe de water-polo. Au club de natation synchronisée, pendant qu'Anne entraîne les poussines, Marie observe avec une curiosité troublée Floriane, la capitaine de l'équipe minime.

En échange de l'entrée dans la piscine pendant les entraînements, Marie tient la chandelle à Floriane pour que celle-ci puisse voir François le soir. Cependant, malgré une réputation de fille facile, Floriane appréhende sa première fois et finit par s'en confier à Marie[2].

Fiche technique modifier

Distribution modifier

Production modifier

Genèse et développement modifier

Naissance des pieuvres est le premier film de Céline Sciamma. Il est basé sur le scénario d'examen de fin d'études de la Fémis passé par Sciamma, et que Xavier Beauvois, alors membre du jury, a encouragé à développer pour un long métrage[4].

Selon la réalisatrice, le titre bizarre du film s'explique ainsi : « Pour moi, la pieuvre est ce monstre qui grandit dans notre ventre quand nous tombons amoureux, cet animal maritime qui lâche son encre en nous. C’est ce qui arrive à mes personnages dans le film, trois adolescentes, Marie, Anne et Floriane. Et justement, la pieuvre a pour particularité d’avoir trois cœurs. » La « naissance des pieuvres », c'est donc la naissance de l'amour à l'âge de l'adolescence[5].

Bande originale modifier

La bande originale du film est composée de musiques écrites pour le film :

Le thème principal, illustrant également la bande-annonce du film, est cependant une reprise du titre Trahison de l'album OK Cowboy (2005) de Vitalic, non présente dans la BOF. Le morceau dans la discothèque est The First Rebirth, de Jones & Stephenson[6].

Thèmes modifier

La condition féminine et l’hétéropatriarcat modifier

Le film de C. Sciamma dépeint le système hétéropatriarcal ainsi qu'une vision de la condition féminine. Pour commencer, la piscine qui est au centre de l’œuvre symbolise l’hétéropatriarcat en disciplinant le corps des nageuses et en faisant correspondre leurs attitudes et physiques avec une féminité normative. Cela passe notamment par la disciplinarisation de leur corps sur lesquels sont imposés des “mouvements calculés et répétitifs”[7]mais aussi par l’inspection minutieuse de la coach lorsqu’elle juge si les aisselles des danseuses sont bien épilées ou non. Z. Green[7] avance même dans son travail que leurs performances sont construites pour le male gaze[7]. (Cela est tout de même paradoxal car c’est cet environnement qui attire le regard de Marie et qui lui permet d’exprimer son désir queer en se confrontant à la réalité hétéronormative des normes de genre.) Si l’on se penche davantage sur la représentation des nageuses qui est faite pendant le film, celles-ci sont comparables à des poupées ou même des soldats[8] qui doivent cacher les efforts qu’elles font en dessous de l’eau et prétendre que ce qu’elles montrent comme performance parfaite à l’extérieur représente aussi leur intérieur[8]. Cela peut faire penser aux efforts constants que les femmes doivent employer afin de correspondre aux normes de féminité dominantes et de s’intégrer au système hétéropatriarcal. Par ailleurs, on remarque que le lieu de la piscine est scindé en deux entre les garçons qui jouent au waterpolo et les filles qui font de la natation synchronisée (summum de la performance de la féminité) renforçant la binarité de genre et impliquant un choix pressant entre ces deux disciplines[9]. Cela nécessite de performer soit la masculinité, soit la féminité[7]. Finalement, l’hétéropatriarcat règne dans la vie des filles tout le long du film et cela est particulièrement visible lorsque Floriane se confie sur des expériences qui lui sont arrivées et qui pourraient être qualifiées d’agressions. Pour conclure, l’article de Louane Morin[10], avance que ces dynamiques de genre et l’imposition des normes de féminité sont concentrées dans le personnage de Floriane qui présente un rôle sur lequel sont concentré des présuppositions sexistes. En effet, celle-ci est dépeinte comme une fille facile par ses coéquipières et plutôt que de combattre ces insultes, elle ne les rejette pas et assume sa perception d’elle-même ainsi. D’ailleurs, elle se vente même de ses relations avec les garçons de waterpolo mais aussi avec des hommes plus âgés. Finalement Louane Morin[10] avance que Floriane est terrifiée de ne pas vivre à la hauteur de sa réputation soit celle de ne pas répondre aux besoins sexuels de ses partenaires, même si ce n’est pas ce qu’elle désire forcément. Par conséquent le film par sa représentation du milieu de la piscine, des nageuses et des stéréotypes projetés contre Floriane dépeint des normes de féminité imposées aux nageuses ainsi que la présence de l'hétéropatriarcat dans l'environnement dans lequel elles évoluent.

L'hétérosexualité compulsive et l'ambiguïté du désir queer de Floriane modifier

Floriane, la cheffe de l’équipe de natation synchronisée va pendant le film avoir une attitude paradoxale envers son hétérosexualité présumée. D’abord, elle est présentée comme un idéal de la féminité hétéronormative[8] qui est l’objet du désir des hommes. Cela est visible dans une des premières scène qui la montre comme bourgeonnante au centre de la fleur que ses coéquipières réalisent avec leur corps lors d’un numéro de natation synchronisée. Cette métaphore de la fleur bourgeonnante la symbolise comme objet d’un désir sexuel[8]. Désirs qui attirent la hantise de ses coéquipières mais aussi l’œil de Marie. A partir de ce moment, les personnages de Floriane et Marie commencent à se fréquenter, Marie car elle est attirée par Floriane, et Floriane car elle se sert de Marie pour voir son petit-copain. Naît alors une relation ambiguë entre les deux jeunes filles qui rappelle le concept d’hétérosexualité compulsive développée par A. Rich. Plusieurs scènes illustrent cette idée. Premièrement, la nature de la relation entre les deux filles à ses débuts : Floriane utilise Marie pour qu’elle l’emmène voir son petit-copain or on remarque que c’est vite l’occasion pour elle de se rapprocher de Marie en touchant son maillot de bain, la regarder de manière insistante, lui caresser les cheveux ou encore lui donner une de ses médailles[8]. Ainsi, une relation ambiguë se crée entre les deux filles sans que Floriane abandonne son intérêt pour son petit-copain et exprime toujours le besoin qu’il "prenne" sa virginité. Cela rentre complètement dans le concept d’hétérosexualité compulsive : Floriane est clairement attirée par Marie mais elle se sent obligée de répondre aux besoins sexuels de son petit-copain. Le travail de la caméra sur ce sujet est aussi intéressant comme le remarque M.C.Jonet[8] : dans une scène où Floriane mange sa banane (répondant aux injonctions du mâle gaze), la caméra suit le regard de cette dernière pour aller vers ses coéquipières puis vers Marie, dépeignant un moment homo-érotique. Après cette prise de vue, Floriane vient s’asseoir près de Marie, lui demande une faveur et écrit de manière sensuelle son adresse sur la main de Marie pour qu’elle l’a rejoigne plus tard. Cette tension entre hétérosexualité compulsive et désir queer est, par ailleurs, symbolisée par une scène de danse dans laquelle Florianne s’approche sensiblement de Marie, fait mine de l’embrasser (la musique devenant intense), pour finalement que celle-ci quitte le cadre pour rejoindre un homme (la musique redevenant douce). Cette scène pour Z. Green[7] représente l’affection queer qui est suivi directement d’un rejet de la part de Floriane pour rejoindre une relation hétérosexuelle. Cela caractérisera leur relation tout le long du film. Finalement, l’hétérosexualité compulsive et l’ambiguïté du désir queer de Floriane pour Marie est à son comble lorsque Floriane demande à Marie de prendre sa virginité en lui confiant au départ qu’elle a envie que ce soit elle spécifiquement, pour finalement lui dire “Comme ça tu t’en débarrasses”. Cela a en fait pour fonction qu’elle puisse coucher avec son petit copain. Pour résumer, même si il y a un réel désir entre les deux jeunes filles, Floriane est conditionnée par l’hétéronormativité qui est un obstacle à son désir queer pour Marie.

L'oralité : le symbole du désir queer de Marie modifier

L’oralité a été analysée par M.C.Jonet [8] et M.C.L.G Green[11] comme symbole du désir queer entre Floriane et Marie. Cela est visible dans plusieurs scènes notamment lorsque Floriane laisse la trace d’un baiser contre la baie-vitrée de Marie et que celle-ci presse ses lèvres vers la trace de rouge à lèvre laissée par Floriane. Cela permet à Marie d’exprimer son désir mais aussi de montrer le potentiel amoureux inachevé entre elles[8]. Le thème de l’oralité est aussi présent dans le film sous la forme de l’ingestion. Au milieu du film, Marie vole la poubelle de Floriane et retrouve les débris d’une pomme et y croque dedans. Cela pourrait montrer l’intérêt obsédant qu’a Marie pour Floriane mais aussi la présence d’une énergie sexuelle renforcée par le fait que Marie mette sa main devant sa bouche après avoir avalé le morceau de pomme. Cela montre la connexion de l’acte avec sa bouche et surtout le fait que Marie veuille "toucher ce que la bouche de Floriane a touché"[8]. Par ailleurs, selon M.C.L.G. Green[11] l’eau joue un rôle important pour l’oralité comme symbole du désir queer. Celle-ci est présente dans les douches, dans la piscine et dans les crachats, des éléments qui lient Marie et Floriane. Pour exemplifier cela, nous pouvons prendre l’exemple de la prise de vue de Marie dans la douche qui a les yeux fermées après avoir regardée les filles s’exercer à la nation synchronisée. Celle-ci sort sa langue pour goûter à l’eau et la recrache. Selon Z. Green[7], en goûtant l’eau cela connecte Marie et Floriane, leurs corps ayant tous les deux touchés à la même eau. D’ailleurs, plus tard, les deux filles prennent une douche ensemble. Finalement selon S. Belot[12] l’eau qui est associée à l’oralité dans le film montre l’ampleur et l’intensité du désir de Marie pour Floriane

Distinctions modifier

Notes et références modifier

  1. « Naissance des pieuvres » (fiche film), sur Allociné.
  2. Naissance des pieuvres sur le site Ciné-Ressources (Cinémathèque française).
  3. « Jeunes filles en eaux troubles », Le Journal du dimanche, 15 août 2007.
  4. «Pieuvres» par trois par Bruno Icher dans Libération du 15 août 2007.
  5. [1]
  6. https://www.imdb.com/title/tt0869977/soundtrack
  7. a b c d e et f (en) Zach Green, Haptic Aesthetics and Queer Space in the New Queer Coming of Age Film, CALGARY, ALBERTA, Zach Green 2020, , 82 p. (lire en ligne), p. 32
  8. a b c d e f g h et i (en) M. Catherine Jonet, « Desire and queer adolescence : Céline Sciamma’s Naissance des Pieuvres », The Journal of Popular Culture, vol. 50, no 2,‎ (lire en ligne)
  9. « Naissance des pieuvres, un film qui nous plonge dans la dure réalité de l’adolescence », sur Cinéscover, (consulté le )
  10. a et b « Water Lilies : The Lesbian Empty and Feminist Abandonment », sur www.trentarthur.ca (consulté le )
  11. a et b (en) https://etheses.whiterose.ac.uk/32465/1/MadeleineGauciGreen_MAR2022.pdf, The Nature of Queer Desire in Céline Sciamma’s Filmography, The University of Leeds, , 135 p., p. 15-17
  12. (en) Sophie Belot, « Céline Sciamma's La Naissance des pieuvres (2007): Seduction and be-coming », Studies in French Cinema, vol. 12, no 2,‎ https://doi.org/10.1386/sfc.12.2.169_1, p. 169-184
  13. Le DVD du week-end : "Naissance des pieuvres" et "Tout est pardonné" dans Télérama du 11 avril 2008.

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Patrick Glâtre, Val-d'Oise, terre de tournage, Cergy-Pontoise, Comité du Tourisme et des Loisirs du Val-d'Oise, , 118 p., p. 29

Article connexe modifier

Liens externes modifier

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