Ignosticisme
L'ignosticisme ou igthéisme est la position philosophique qui considère que toutes les positions théologiques s'avancent trop quant au concept de Dieu et d'autres concepts théologiques, incluant par exemple la foi, la vie après la mort, la damnation, la rédemption, le pêché ou l'âme.
L'ignosticisme consiste à dire qu'une définition cohérente d'un terme religieux ou théologique donné doit être présentée avant que les questions portant sur la nature ou l'existence du concept puissent être discutées. De plus, si la définition donnée n'est pas réfutable, l'ignostique considère que la question de l'existence ou nature du concept ainsi défini est dépourvue de sens, puisque le terme ne veut rien dire concrètement. Par exemple, le terme "Dieu" ne se réfère pas à quoi que ce soit qui puisse exister ou non, en conséquence de quoi le terme "Dieu" n'a littéralement pas de sens.
Certains philosophes considèrent l'ignosticisme comme une variation de l'agnosticisme ou de l'athéisme[1], alors que d'autres le considèrent comme une position distincte.
Rapport aux autres positions sur Dieu
modifierL'ignosticisme et le non-cognitivisme théologique sont généralement synonymes[2], mais la relation de l'ignosticisme à d'autres courants non-théistes est moins claire. Alors que Paul Kurtz pense que l'ignosticisme est compatible avec l'athéisme faible et l'agnosticisme[3], d'autres philosophes le considèrent comme distinct.
Le terme ignosticisme a été forgé dans les années 1960 par Sherwin Wine, un rabbin et un des pères fondateur du judaïsme humaniste. Le terme igthéisme lui a été proposé par l'humaniste séculier Paul Kurtz en 1992 dans son livre The New Skepticism[4].
Dans un chapitre de son livre Language, Truth, and Logic, en 1936, Alfred Jules Ayer argumente qu'il n'est pas possible de parler de l'existence de Dieu, ou même de la probabilité de son existence, puisque le concept lui-même est invérifiable et par conséquent dépourvu de sens[5].
Tout comme Ayer Theodore Drange voit l'athéisme et l'agnosticisme comme des positions qui acceptent la phrase "Dieu existe" comme ayant un sens: les athées la jugent comme "fausse ou probablement fausse" alors que les agnostiques la considèrent comme non-tranchée pour l'instant[6]. Si on accepte les définitions de Drange, les ignostiques ne seraient ni athées ni agnostiques. Une maxime simplifiée sur le sujet dit: "Un athée dirait, 'Je ne pense pas que Dieu existe'; un agnostique dirait, 'Je ne sais pas si Dieu existe ou non'; et un ignostique dirait, 'Je ne vois pas ce que vous voulez dire quand vous dites "Dieu existe"."
Bien qu'il se déclare lui-même athée, Sam Harris a exprimé sa frustration à être étiqueté "athée" et emploie souvent des arguments ignostiques critiquant l'ambiguïté et l'incohérence des définitions de "Dieu". Harris considère le terme et concept d'athée comme aussi absurde que d'avoir à se qualifier de non-raciste ou non-croyant en Zeus[7]. Dans cette optique, Harris estime que débattre de l'existence de Dieu est à la fois absurde et non-scientifique, bien qu'un mal nécessaire lorsqu'on se fait l'avocat de la raison et de la science.
L'ignosticisme ne doit pas être confondu avec l'apathéisme (conjonction des termes apathique et athée, aussi appelé athéisme pratique), soit une posture apathique face à l'existence de Dieu. Un "athée apathique" pourrait voir la déclaration "Dieu existe" comme insignifiante; mais il pourrait aussi la voir comme sensée, voire peut-être vraie[8].
Le sens du mot "Dieu" dépendant de la posture philosophique
modifierDrange souligne que toute réponse sur la question "Est-ce que Dieu existe" est faite relativement à un concept particulier de ce que représente "Dieu", qui peut recouvrir des définitions très variées et mutuellement exclusives.
« Puisque le mot "Dieu" a tellement de sens différents, il est possible que la phrase "Dieu existe" exprime une multitude de propositions différentes. Nous devons nous focaliser sur chacune de ces propositions séparément. … Pour chaque sens différent du terme "Dieu", on va trouver des théistes, athées et agnostiques relativement à ce concept de Dieu[6] »
Puisque dieu signifie des choses très différentes selon les personnes, quand le mot est exprimé, un ignostique peut chercher à déterminer s'il est question d'un vieillard à barbe blanche ou d'un Grand Architecte, conception d'un théologien par exemple. La première conception est généralement pourvue d'un sens simple et cohérent, basé sur une conception anthropomorphique de dieu[9], et de ce fait est considérée comme peu crédible. De nombreux philosophes et théologiens ont rejeté cette conception de dieu tout en affirmant leur croyance dans une autre conception plus abstraite, notamment St. Augustin, Moïse Maïmonide, Thomas d'Aquin, Spinoza ou Søren Kierkegaard.
Voir aussi
modifierNotes et références
modifier- « The Argument From Non-Cognitivism » (consulté le )
- Conifer, Non-cognitivisme théologique: "Le non-cognitivisme théologique est habituellement considéré comme étant la position soutenant que la phrase "Dieu existe" est cognitivement dépourvue de sens."
- Kurtz, New Skepticism, 220: "À la fois l'athéisme et l'agnosticisme sont cohérent avec l'igthéisme, qui considère la croyance en un être transcendant et métaphysique essentiellement incohérent et inintelligible."
- « isms of the week: Agnosticism and Ignosticism » (consulté le )
- Ayer, Language, 115: "Il ne peut y avoir aucun moyen de prouver que l'existence d'un dieu… soit même prouvable.… Car si l'existence d'un tel dieu était probable, dans ce cas la proposition qu'il existe serait une hypothèse empirique. Et dans ce cas il serait possible d'en déduire, avec l'aide d'autres hypothèses empiriques, certaines propositions expérimentales qui n'étaient pas déductibles sur la base de ces hypothèses seules. Mais il s'avère en fait que ce n'est pas possible."
- Drange, Atheism
- [vidéo] « Sam Harris on the "dangers" of "atheism" », sur YouTube
- Rauch, Let It Be: "… many apatheists are believers… Even regular churchgoers can, and often do, rank quite high on the apatheism scale."
- Hanisch, Drawings.
Bibliographie
modifier- (en) Karen Armstrong, A History of God, New York, Alfred A. Knopf, (ISBN 0-679-42600-0) ;
- (en) Alfred Jules Ayer, Language, Truth and Logic, New York, Dover Publications, (1re éd. 1936) (ISBN 0-486-20010-8, LCCN 52860), « Critique of Ethics and Theology » ;
- Steven J. Conifer, « Theological Noncognitivism Examined », The Interlocutor, vol. 4, (lire en ligne, consulté le ) ;
- Cousens, Myrna Bonnie, ed., « "God" »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?) (consulté le ), Guide to Humanistic Judaism, Society for Humanistic Judaism ;
- Theodore Drange, « Atheism, Agnosticism, Noncognitivism », Internet Infidels, (consulté le ) ;
- Helmut Hanisch, « Children's and Young People's Drawings of God », (consulté le ) ;
- (en) Paul Kurtz, The New Skepticism : Inquiry and Reliable Knowledge, Buffalo, Prometheus Books, , 371 p. (ISBN 0-87975-766-3) ;
- Jonathan Rauch, « Let It Be », The Atlantic Monthly, vol. 291, no 4, (lire en ligne, consulté le ) ;
- Irving Spiegel, « Jewish 'Ignostic' Stirs Convention; Dropping of 'God' in Service Deplored and Condoned », The New York Times, , p. 62.