François Mitterrand pendant la Seconde Guerre mondiale

Le parcours de François Mitterrand pendant la Seconde Guerre mondiale fait l'objet d'une importante controverse dans les années 1980 et 1990.

La défaite modifier

Incorporé en septembre 1939 avec le grade de sergent-chef au 23e régiment d'infanterie coloniale, 7e compagnie du capitaine Xavier Louis, François Mitterrand sert sur la ligne Maginot à proximité de Montmédy. Le , il est blessé par un éclat d'obus au Mort-d'Homme près de Verdun puis capturé par les Allemands à l'hôpital de Lunéville[1],[2].

Prisonnier au Stalag IX-A de Trutzhain près de Schwalmstadt, avec le matricule 27716, il participe à la rédaction de la revue du camp L'Éphémère ; un portrait illustré lui est consacré dans l'album Doux séjour en 1941[3]. Après une tentative ratée le , il s'évade à nouveau du Stalag en  ; repris à Metz, il s'évade du camp de Boulay le et gagne Nancy avant de rejoindre la zone libre[2],[4],[5],[6].

De Vichy à la résistance modifier

Année 1942 modifier

 
Membres du Commissariat général au reclassement des prisonniers de guerre, François Mitterrand (à droite) et Marcel Barrois (au centre) sont reçus en audience par le maréchal Pétain le .

Sous le régime de Vichy, il travaille de janvier à à la Légion française des combattants et des volontaires de la révolution nationale (fédération des associations d'anciens combattants qui reprend la propagande pétainiste) en tant que contractuel[7], puis au Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre[8]. Il publie en décembre (no 5) un article, Pèlerinage en Thuringe, sur sa captivité dans le périodique doctrinal du régime France, revue de l'État nouveau, texte qui ne fait pas allusion à Pétain ou à la Révolution nationale, mais qui vaut à Mitterrand de voir son nom figurer à côté de celui du maréchal dans le sommaire[9].

À la même époque, il ne fait pas mystère de son profond respect pour le maréchal Pétain. Il écrit ainsi à sa sœur, le  : « J'ai vu le maréchal au théâtre […] il est magnifique d'allure, son visage est celui d'une statue de marbre. »

Dans une lettre du , il avoue encore n'être pas particulièrement inquiet du retour aux affaires, intervenu quelques jours auparavant, de Pierre Laval qui doit selon lui faire ses preuves, mais il condamne la fonctionnarisation de la Légion française des combattants (LFC), lui préférant le modèle du Service d'ordre légionnaire (SOL), que vient de mettre en place Joseph Darnand[10].

Pourtant, dès le printemps 1942, sous l'influence d'anciens évadés (Jean Roussel, Max Varenne et le Dr Guy Fric), son basculement vers les rangs de la Résistance était en cours. En avril, il provoque, avec Guy Fric, un chahut lors d'une réunion publique du savant Georges Claude, un ardent collaborateur. À partir de la mi-1942, il fournit de faux papiers pour faciliter des évasions de prisonniers en Allemagne[11]. Il participe aux réunions du château de Montmaur, le puis le , jetant les premières bases de son futur réseau de Résistance[12]. Dès le mois de septembre, il prend contact avec la France libre, mais les relations personnelles avec Michel Cailliau, neveu du général de Gaulle, sont exécrables[13]. D'autres gaullistes, rencontrés par la suite, auront une bien meilleure impression de François Mitterrand, à l'instar de Philippe Dechartre, de son vrai nom Jean Duprat-Geneau, adjoint de Michel Cailliau.

Le , François Mitterrand est reçu par le maréchal Pétain avec plusieurs responsables du Comité d'entraide aux prisonniers rapatriés de l'Allier, parmi lesquels le résistant Marcel Barrois[14].

Fin 1942, il retrouve un ami d'avant-guerre, Pierre de Bénouville, résistant lié à Combat et au Noyautage des administrations publiques (NAP)[15].

Année 1943 modifier

Création et développement du RNPG (janvier-juillet) modifier

François Mitterrand démissionne du Commissariat en , après le remplacement de Maurice Pinot, un vichysto-résistant[16], par André Masson, un partisan de la collaboration. Il conserve cependant un poste à la tête des centres d'entraides.

Au printemps, parrainé par deux anciens « cagoulards » (Gabriel Jeantet, membre du cabinet du maréchal Pétain, et Simon Arbellot), il est décoré de la francisque[17],[18],[19]. Pour obtenir cette décoration, il faut en faire la demande en remplissant un formulaire indiquant : « Je fais don de ma personne au maréchal Pétain, comme il a fait don de la sienne à la France. Je m'engage à servir ses disciples et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre[20]. » À propos de cette décoration, Jean Pierre-Bloch, chef de la section non militaire du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA) à l'époque, écrit : « C'était sur notre ordre que François Mitterrand était resté dans les services de prisonniers de Vichy. Lorsqu'il avait été proposé pour la francisque, nous avions été parfaitement tenus au courant ; nous lui avions conseillé d'accepter cette « distinction » pour ne pas se dévoiler[21]. » Cependant, après la parution du livre de Pierre Péan, en 1994, certains à l'instar de Pierre Moscovici sembleront découvrir la réalité de cette décoration et le reprocheront à François Mitterrand.[réf. nécessaire]

En janvier puis à partir du printemps, il se rapproche de la puissante Organisation de résistance de l'Armée (ORA), en cours de formation. Celle-ci finance le réseau Mitterrand-Pinot fondé en février : le Rassemblement national des prisonniers de guerre. Plusieurs membres du réseau Mitterrand-Pinot sont, en pratique, membres de l'ORA. François Mitterrand lui-même est considéré par le service Action de l'organisation comme un de ses membres. Plusieurs actions sont décidées en commun entre des dirigeants de l'ORA et des dirigeants du RNPG et exécutées par des militants des deux mouvements[22].

En mars, Mitterrand rencontre Henri Frenay et le convainc aisément de travailler avec lui. Grâce à Frenay, la Résistance intérieure soutient François Mitterrand contre Michel Cailliau[23]. Cependant, la date du , lors de sa rencontre avec le gaulliste Philippe Dechartre, a été considérée par Patrick Rotman comme la date de sa rupture définitive avec ses anciens protecteurs de Vichy[24].

L'activité du RNPG se déplace, au cours de l'année 1943, de la fourniture de faux papiers vers la fourniture de renseignements à la France libre. Selon Pierre de Bénouville, « François Mitterrand avait réussi à mettre sur pied un véritable réseau de renseignement dans les camps. Grâce aux prisonniers de guerre, nous avons pu prendre connaissances d'informations, parfois décisives, sur ce qui se passait derrière les frontières[25]. »

La clandestinité : Alger, Londres (juillet-décembre 1943) modifier

Le 10 juillet, François Mitterrand et le militant communiste Piatzook sont les auteurs d'un coup d'éclat lors d'une grande réunion publique à Paris, salle Wagram, consacrée à la « relève » des prisonniers par les ouvriers. Au moment où André Masson flétrit la « trahison des gaullistes », François Mitterrand l'interpelle de la salle et lui dénie le droit de parler au nom des prisonniers de guerre, qualifiant la relève d'escroquerie. François Mitterrand n'est pas arrêté, sa fuite ayant été facilitée par Piatzook[26].

Quatre mois plus tard, le Sicherheitsdienst (SD) perquisitionne au domicile de François Mitterrand, absent. Deux de ses amis sont arrêtés, déportés ; l'un ne revient pas du camp de concentration. Peu après, il est sauvé d'une arrestation par la Gestapo[27] par la femme du colonel Pfister, dirigeant de l'Organisation de résistance de l'Armée.

Sous le nom de code « Morland » (il utilise aussi les pseudonymes de Purgon, Monnier, Laroche, capitaine François, Arnaud et Albre), François Mitterrand est exfiltré par avion pour Londres le puis se rend à Alger où il est reçu par le général de Gaulle. La rencontre laisse un très mauvais souvenir aux deux hommes. De Gaulle déclare : « Vous avez fait du bon travail, Mitterrand, mais je veux qu'on mette de l'ordre dans tout ça. Pourquoi un mouvement de prisonniers de guerre d'ailleurs ? Pendant qu'on y est, on pourrait faire aussi un mouvement Résistance des Bretons, d'épiciers ou de charcutiers, hein ?[28] » (variante : « Pourquoi pas celui des coiffeurs ? »).

Le général demande que les organisations de prisonniers fusionnent sous l'égide de MRPGD, seule condition pour recevoir matériel et argent. Mais Mitterrand refuse la tutelle du mouvement de Michel Cailliau.

Finalement, de Gaulle accepte les conditions de François Mitterrand. Le , Henri Frenay écrit à Michel Cailliau qu'il se « porte personnellement garant » de François Mitterrand, et que le général de Gaulle partage son point de vue[29].

Dès le , le Bureau central de renseignements et d'action fait de François Mitterrand un chargé de mission de première classe[30]. Dans ses Mémoires de guerre, tome 2, page 169, de Gaulle cite nommément Mitterrand parmi ces chargés de mission qui le tiennent informés de tout. En , à la demande de Mitterrand, Jacques Paris et Jean Munier exécutent le franciste Henri Marlin (qui s'apprêtait à lancer des actions commandos contre les maquis), à la suite de quoi Paris et Munier trouveront refuge chez le père de Mitterrand.

Année 1944 modifier

Après un deuxième passage à Londres, il revient le en France diriger le Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (réseau de résistance), sous le pseudonyme de François Morland. D'après ses mémoires, il a lui-même organisé ce mouvement avec ses proches durant la période où officiellement il travaillait pour le régime de Vichy, ce qui lui permettait de tout connaître des prisonniers de retour en France.

Il participe à la Libération de Paris en . Il rencontre Danielle Gouze, âgée de dix-sept ans, alors qu'il anime le réseau de résistance en Bourgogne. Ils se marient en octobre à Paris.

Participant à la demande du général Lewis à la libération des camps nazis, il découvre par hasard Robert Antelme — l'époux de Marguerite Duras — qu'il sauve du typhus. Il est nommé par Charles de Gaulle secrétaire général aux Prisonniers de guerre dans le gouvernement des secrétaires généraux, qui assure pendant quelques semaines l'intérim, à Paris, du gouvernement provisoire.

L'ascension de la roche de Solutré effectuée chaque année depuis 1946, témoigne de l'attachement de François Mitterrand à ses amis résistants.

Développements ultérieurs modifier

  • En 1984, François Mitterrand fut accusé de collaboration avec le régime de Vichy par les députés François d'Aubert, Alain Madelin et Jacques Toubon. Mitterrand reçut le soutien du général Pierre de Bénouville, ancien résistant et député RPR qui contesta les accusations. Les trois députés furent sanctionnés par la censure simple et d'un mois de privation d'indemnités parlementaires, pour atteinte à l'honneur du président.
  • François Mitterrand refusera de présenter des excuses au nom de l'État français concernant le sort des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, car pour lui, pas plus que pour tous ses prédécesseurs depuis le gouvernement provisoire[réf. nécessaire], Vichy n'était pas l'État français mais une autorité de fait (c'est l'expression utilisée dans tous les textes législatifs faisant allusion aux lois de Vichy, jusqu'aux années 1990). Le , François Mitterrand déclare en revanche que la participation du régime de Vichy aux déportations relève de l'évidence. Le décret de instaure le « journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait du gouvernement de Vichy (1940-1944) » et le monument inauguré à cette occasion mentionne bien que ce sont des Français, et non des soldats allemands, qui ont raflé les Juifs. La déclaration de Jacques Chirac, le , a complété cette reconnaissance. La loi du , votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, conclura le débat en reprenant cette « reconnaissance officielle et solennelle des crimes de l'État français ».

Notes et références modifier

Notes modifier

Références modifier

  1. Philippe Foro, « Charles de Gaulle et François Mitterrand : regards croisés sur l'Allemagne à partir de leur expérience de la captivité », dans : Sylvie Caucanas/Rémy Cazals/Pascal Payen (Dir.), Les prisonniers de guerre dans l'Histoire. Contacts entre peuples et cultures, Privat, Toulouse, 2003, p. 279.
  2. a et b Jérome Estrada, 1940-1945 Vivre sosu l'occupation (Hors-série de l'Est Républicain), Nancy, L'Est Républicain, , 120 p., p. 37
  3. collectif, « Jacques-Biget », sur academie-angoumois.org (consulté le )
  4. La genèse d'un chef L'Express, Michel Legris,
  5. Éric Dupin, « Une vie de pouvoir : De la droite à la gauche, la constance d'une ambition », Libération, Paris, SARL Libération,‎ (ISSN 0335-1793, lire en ligne, consulté le ).
  6. Gedenkstätte und Museum Trutzhain, « Mémorial et Musée Trutzhain : Histoire » (consulté le ).
  7. Son commandant est Favre de Thierrens, un espion des services secrets de Londres ce dernier avait d'ailleurs accueilli Mitterrand en lui disant ceci « cela vous paraitra sans doute bizarre, mais je ne vous demande d'écrire que du tout faux » ce qui tenterait à prouver que l'espion anglais Thierrens lui faisait suffisamment confiance pour lui dire de tromper les services allemands.
  8. Le Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre occupait alors le « Castel français », un hôtel particulier au 1, rue Hubert-Colombier dans le Vieux Vichy.
  9. Cet article sera repris dans Politique I, en 1978.
  10. Reprise par Pierre Péan dans son livre.
  11. Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand ou la Tentation de l'histoire, Paris, Éditions du Seuil, , 333 p. (ISBN 978-2-02-004591-9), p. 43-44
  12. Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, op. cit., p. 75/79 et Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand, une vie, éd. du Seuil, « Points », 1996, p. 77/79
  13. Pierre Péan, Une jeunesse française, op. cit., p. 217/218 et Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, op. cit., p. 81
  14. La photographie de cette rencontre illustrera la couverture du livre de Pierre Péan en 1994. Marcel Barrois est le troisième personnage, à l'arrière-plan. Barrois est mort en déportation au printemps 1944.
  15. Pierre de Bénouville est aussi un ancien proche de La Cagoule et un futur député gaulliste.
  16. Cette expression a été utilisée par les historiens Jean-Pierre Azéma et Olivier Wieviorka, en 1997, dans Vichy, 1940-1944, éditions Perrin, Paris, 1997 ; rééd. Perrin, coll. « Tempus », 2000 et 2004, 374 p. (ISBN 978-2-262-02229-7), p. 355-357, pour désigner ceux qui ont cru en Pétain jusqu'en 1943, et ont rompu avec Vichy, parfois progressivement, mais « sans esprit de retour ». Depuis l'expression a été assez souvent reprise par Azéma et Denis Peschanski, « Les vichysto-résistants », communication au colloque « Guerre, collaboration, résistance : un demi-siècle d’historiographie française », Tel-Aviv, du 17 au , par Robert Belot, La Résistance sans de Gaulle, éditions Fayard, 2006, 668 p. (ISBN 2-213-62954-4) et par Henry Rousso, L'Express no 2871 du .
  17. Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand ou la tentation de l'histoire, op. cit., p. 49, indique : « Au printemps de 1943, Jean Pierre-Bloch, l'un des adjoints du colonel Passy au BCRA (Bureau central de renseignement et d'action) […] avait demandé aux hommes de la Résistance intérieure […] d'accepter les décorations que Vichy distribuait, alors, abondamment […]. « Rejeter une décoration, dit Jean Pierre-Bloch, c'était se faire repérer. » Ses instructions étaient simples : « Ne vous démasquez pas, soyez complices, jouez le jeu. »
  18. Dans son ouvrage, (C’était François Mitterrand paru chez Fayard, novembre 2005) Jacques Attali revient sur les rapports entretenus par François Mitterrand avec certains anciens fonctionnaires ayant travaillé sous Vichy (Jean-Paul Martin, René Bousquet).
  19. La gerbe déposé sur la tombe du maréchal Pétain de 1987 à 1991 fut aussi l'objet d'une intense controverse.
  20. « François Mitterrand a-t-il été pétainiste pendant la Seconde guerre mondiale ? », sur politique.net (consulté le ).
  21. De Gaulle ou le temps des méprises, éditions de La Table Ronde, 1969, p. 216-218.
  22. Les rapports ORA/RNPG sont décrits dans Pierre Péan, op. cit., p. 302 et sqq.
  23. Pierre Péan, op. cit., p. 309/310
  24. « Patrick Rotman et Jean Lacouture, le roman du pouvoir »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), L'Express, ???
  25. Cité dans Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand, une vie, p. 94.
  26. Cet évènement est relaté le par Maurice Schumann, la voix de la France libre, sur les ondes de la BBC, lors d'une émission spéciale
  27. Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, op. cit., p. 97 et 99
  28. Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand, une vie, éd. du Seuil, 1996, p. 100
  29. Lettre reproduite intégralement par Pierre Péan dans son livre, p. 364/365
  30. Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, t. 1, p. 102

Bibliographie modifier

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier