Diolkos
Le diolkos ou diolcos, du grec δίολκος, de διά (dia) « à travers » et ὁλκός (holkós) « portage », est un portage, un chemin guidé dallé, grâce auquel des navires pouvaient traverser l'isthme de Corinthe par voie terrestre. La chaussée, qui devait s'étendre sur 6 à 8 kilomètres, comportait une sorte de rail rudimentaire[1]. Il fut exploité de 600 av. J.-C. environ jusqu'au Ier siècle apr. J.-C.[2],[3],[4],[5],[6].
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Fonction
modifierLe diolkos évitait aux navires qui devaient se rendre de la mer Ionienne à la mer Égée un dangereux périple autour de la péninsule du Péloponnèse, dont les trois caps ont une réputation de coups de vent, en particulier le cap Ténare, appelé aussi cap Matapan, au sud, et le cap Malée, au sud-est[4],[7],[8]. Le golfe de Corinthe et le golfe Saronique ont, quant à eux, des eaux relativement calmes. Le passage terrestre de l'isthme, une bande de terre de 6,4 kilomètres de large à son point le plus étroit, offrait de plus une route beaucoup plus courte vers Athènes pour les navires à voile depuis la côte ionienne.
Histoire
modifierLa littérature ancienne est muette sur la date de construction du diolkos. Pour Thucydide (460-395 av. J.-C.), le diolkos semble chose déjà ancienne[9]. Les inscriptions et la céramique trouvées sur le site indiquent une date de construction et d'exploitation remontant au moins à la fin du VIIe -début du VIe siècle av. J.-C., époque où Périandre dirigeait Corinthe[2],[3],[4],[5],[6]. Le diolkos serait resté en service de manière régulière au moins jusqu'au milieu du Ier siècle apr. J.-C., après quoi on ne dispose plus de références écrites[6]. Il est possible que le chemin ait été mis hors d'usage par la tentative avortée de Néron de creusement d'un canal, en 67[10],[6]. Des transports de vaisseaux de guerre à travers l'isthme, beaucoup plus tardifs, de la fin du IXe au milieu du XIIe siècle[11],[12], ne semblent pas pouvoir être rattachés au diolkos, après un tel écart dans le temps[11], [13].
Intérêt stratégique
modifierLe diolkos a joué un rôle important dans la guerre navale. Les historiens grecs l'évoquent à plusieurs reprises, entre les Ve et Ier siècles av. J.-C., lorsque des vaisseaux de guerre ont été transportés à travers l'isthme de manière à accélérer une opération navale[14],[11],[15]. En 428 av. J.-C., les Spartiates avaient prévu de transporter leurs navires vers le golfe Saronique par le diolkos afin de menacer Athènes[16], et plus tard lors de la guerre du Péloponnèse, ils transportèrent toute une escadre sur le diolkos pour atteindre plus rapidement un théâtre d'opérations au large de Chios (411 av. J.-C.)[17]. En 220 av. J.-C., Démétrios de Pharos fit haler par ses hommes une flotte d'une cinquantaine de navires à travers l'isthme vers le golfe de Corinthe[18]. Trois ans plus tard, une flotte macédonienne de 38 navires y fut hissée par Philippe V, tandis que ses plus grands vaisseaux contournaient le cap Malée[19]. Après sa victoire à Actium, en -31, Octave fit route aussi vite que possible contre Marc Antoine en ordonnant de faire passer à travers l'isthme une partie de ses 260 liburnes[20]. En l'an 868 de notre ère enfin, l'amiral byzantin Nicétas Oryphas fit haler toute sa flotte de cent dromons à travers l'isthme pour une opération rapidement exécutée[12], mais probablement par un chemin autre que l'ancien diolkos[13],[11].
Usage commercial
modifierMalgré les mentions fréquentes du diolkos dans le cadre d'opérations militaires, les historiens modernes reconnaissent que le rôle principal de ce chemin a dû être le transport de marchandises, compte tenu du fait que les navires de guerre n'ont pu en avoir usage très souvent, et que l'historiographie ancienne a toujours été plus intéressée par les récits de guerres que par des exposés sur des activités commerciales[3],[21],[22],[23],[24]. Pline et Strabon décrivent le diolkos en temps de paix comme assurant un service régulier de transport de marchandises[3]. Coïncidant avec la montée de l'architecture monumentale en Grèce, la construction du diolkos a pu servir en particulier pour le transport d'est en ouest de matériaux lourds, comme le marbre, le bois de construction et divers monolithes[25],[5],[26]. On ne sait pas quels bénéfices Corinthe a pu tirer des droits de péage liés au diolkos, qui se trouvait sur son territoire, mais le fait que le chemin ait été utilisé et entretenu longtemps après sa construction indique qu'il est resté pour les navires marchands une alternative attrayante à la route maritime contournant le Péloponnèse pendant une bonne partie de l'Antiquité[27].
Structure
modifierTrajet visible et hypothèses
modifierLe diolkos traverse l'isthme en sa partie la plus étroite. Le cheminement suit la topographie locale en décrivant un tracé en courbe afin d'éviter les pentes trop raides[28]. La route atteint une crête de 79 mètres de hauteur, avec une pente moyenne de 1,5 %[28], certaines sections atteignant des pentes de 6-7 %[29]. La longueur totale du diolkos est estimée à 8 kilomètres[28] ou 8,5 kilomètres [7] selon le nombre de virages estimé et pris en compte. Le tracé archéologiquement reconnu atteint une longueur totale de 1 100 mètres : la section la plus longue est bien visible à l'extrémité ouest, près du golfe de Corinthe[28] où le diolkos commence par un quai d'amarrage bien conservé sur la rive sud du canal[30], puis il longe la voie navigable sur quelques centaines de mètres, après quoi il décrit un virage vers le nord et coupe le canal[31]. De là, le diolkos devient difficile à suivre : il longeait la rive nord du canal sur une certaine distance, puis suivait probablement le cours actuel du canal en ligne droite ou bien s'inscrivait vers le sud en un large arc de cercle[32],[7]. La route s'achevait sur le golfe Saronique près d'un village appelé Schoinous (aujourd'hui Kalamaki), décrit par Strabon comme l'extrémité est du diolkos[28]. Certaines sections du diolkos ont été détruites par la construction du canal, à la fin du XIXe siècle[7], ou par d'autres installations plus récentes[33].
Technique des transports
modifierLe diolkos est un chemin dallé de pôros, calcaire dur[7], pourvu de deux rainures parallèles distantes d'environ 1,6 mètre[13], la chaussée ayant elle-même entre 3,4 mètres et 6 mètres de largeur[7]. Les sources antiques sont peu disertes sur la façon dont les navires étaient transportés à travers l'isthme[28], mais le processus a pu être en grande partie reconstitué par les preuves archéologiques. Les traces indiquent que le transport sur le diolkos était effectué sur des bers roulants[34],[3],[27],[35]. Selon la charge, navires et cargaisons pouvaient être transportés ensemble ou séparément sur des véhicules distincts ; quand les navires chargés n'étaient pas eux-mêmes transportés, la cargaison était transbordée et rechargée sur un autre navire de l'autre côté de l'isthme[36],[26]. On suppose que les embarcations prises en charge étaient davantage des vaisseaux de guerre que des navires marchands[26],[37], mais une analyse technique a montré que le transport de trières atteignant 25 tonnes, 35 mètres de longueur, 5 mètres de largeur, était possible[38], bien que difficile[39]. Pour prévenir les dommages sur la coque au cours du transport, on avait probablement recours aux hypozomata, liens de cordes épaisses disposés de la proue à la poupe de manière à réduire les risques de rupture et de déformation de la coque[35]. Les navires et les marchandises étaient probablement tirés par des hommes et des bêtes de somme à l'aide de cordes, poulies[23] et peut-être aussi de mécanismes mûs par des cabestans[13].
Un ancêtre des voies ferrées
modifierSelon l'historien des sciences britannique M.J.T. Lewis, le diolkos est une voie guidée, dans le sens qu'elle présente un dispositif conçu de sorte que les véhicules y circulant ne puissent en aucun cas quitter la piste[1]. Compte tenu du fait que celle-ci s'étendait sur une longueur de 6 à 8,5 km[29],[28],[7], assurant un service public régulier à péage pendant au moins six siècles et demi[2],[3],[4],[5],[6], elle constitue même, selon les termes de cet historien, une première forme de compagnie publique de « chemins de fer » avant l'heure[40], dont le gabarit des véhicules, au vu de l'écartement des rails de 1,6 mètre[13], n'est pas très éloigné des normes modernes.
Toutefois, un examen archéologique attentif de la piste donne une image plus nuancée. Si l'on s'accorde à penser que les rainures dans la partie orientale ont été creusées délibérément dans les dalles de pierre pour guider les roues des chariots[41],[33],[13], ceux de la section ouest sont interprétés par certains auteurs comme l'effet de l'usure, ou même n'apparaissent pas à tous[42],[43]. D'autre part, les creusements nets de ce tronçon de la voie peuvent aussi bien être les indices d'un aménagement délibéré de la piste[13]. Les divers aspects et profils des rainures peuvent également être expliqués par le temps de fonctionnement du dispositif, au cours duquel les modifications et réparations doivent avoir sensiblement changé l'apparence générale du diolkos[24].
Fouilles et études modernes
modifierL'ingénieur en chef du canal de Corinthe Béla Gerster a mené des recherches extensives sur la topographie de l'isthme à la fin du XIXe siècle, mais n'a pas découvert le diolkos[22]. Les vestiges de cette voie de transport intermaritime ont probablement été identifiés pour la première fois par l'archéologue allemand Lolling, dans le « Baedecker », (guide Griechenland de Karl Baedeker), édition 1883[8]. En 1913, J.G. Frazer mentionne dans son commentaire sur Pausanias les traces de l'ancienne piste à travers l'isthme[44], tandis que le quai d'embarquement, à l'ouest, a été découvert par Fowler en 1932[8].
Des fouilles systématiques ont finalement été entreprises de 1956 à 1962 par l'archéologue grec Nikolaos Verdelis[45] qui a découvert un tronçon plus ou moins continu de 800 mètres et des vestiges du tracé sur 1 100 mètres au total[7]. Les rapports de fouilles de Verdelis continuent à servir de base pour les interprétations modernes, mais sa disparition prématurée a empêché d'en achever la publication, laissant de nombreuses questions ouvertes concernant la nature exacte de la structure[46],[7]. D'autres recherches menées sur place, destinées à compléter le travail de Verdelis, ont été publiées plus tard par Georges Raepsaet et Walter Werner[47],[48].
Conservation menacée
modifierOn constate aujourd'hui l'érosion et les dommages causés par les mouvements des navires qui franchissent le canal à proximité immédiate, détruisant des portions considérables du diolkos, en particulier à son extrémité ouest[49]. Une pétition a été lancée pour la sauvegarde et la restauration du site archéologique auprès du ministère grec de la Culture, auquel on reproche son inaction en la matière[50].
Voir aussi
modifierNotes et références
modifier- Lewis 2001, p. 8-15
- Verdelis 1956, p. 526
- Cook 1979, p. 152
- Drijvers 1992, p. 75
- Raepsaet 1993, p. 256
- Lewis 2001, p. 11
- Lewis 2001, p. 10
- Werner 1997, p. 98
- Werner 1997, p. 99 & 112
- Cook 1979, p. 152 (figure no 8)
- Cook 1979, p. 152 (figure no 7)
- Werner 1997, p. 114
- Lewis 2001, p. 12
- Bien que le nom du diolkos ne soit pas explicitement mentionné dans ces sources historiques, son utilisation en de telles occasions laisse présumer que le diolkos existait antérieurement et fut aussi disponible par la suite.
- MacDonald 1986, p. 192 (figure no 6)
- (en) « Thucydides : History of the Peloponnesian War - 3.15 », sur Perseus (consulté le ).
- (en) « Thucydides : History of the Peloponnesian War - 8.7 », sur Perseus (consulté le ).
- (en) « Polybius : Histories - 4.19 », sur Perseus (consulté le ).
- (en) « Polybius : Histories - 5. 101 », sur Perseus (consulté le ).
- Werner 1997, p. 113
- MacDonald 1986, p. 192
- Raepsaet 1993, p. 235
- Werner 1997, p. 112
- Lewis 2001, p. 13
- MacDonald 1986, p. 193
- Lewis 2001, p. 14
- MacDonald 1986, p. 195
- Werner 1997, p. 109
- Raepsaet 1993, p. 246
- Raepsaet 1993, p. 237-246
- Raepsaet 1993, p. 238 (figure no 3)
- Werner 1997, p. 108 (figure no 16)
- Werner 1997, p. 106
- Dans la traduction de 1979 de R. M. Cook les bers roulants sont rendus par l'expression profane « sortes de chariots pourvus de roues ».
- Werner 1997, p. 111
- Cook 1979, p. 153
- Drijvers 1992, p. 76
- Raepsaet 1993, p. 259-261
- Werner 1997, p. 109 (figure no 17)
- Lewis 2001, p. 15
- Raepsaet 1993, p. 243
- Raepsaet 1993, p. 237-243
- Werner 1997, p. 103-105
- Raepsaet 1993, p. 236
- Verdelis 1956
- Raepsaet 1993, p. 239
- Raepsaet 1993
- Werner 1997
- (el) « Αρχαίος Δίολκος-Ένα μνημείο σε απόγνωση », sur Greek Architects, (consulté le ).
- (en) « Save and Restore Ancient Diolkos », sur Petitionsite (consulté le ).
Sources anciennes
modifier: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Auteurs anciens mentionnant le transport de navires à travers l'Isthme (par ordre chronologique) (références tirées de Raepsaet 1993, p. 233, sauf sur Tite-Live et Édrisi Lewis 2001, p. 18) :
- (grc + fr) Thucydide (trad. Jean Voilquin), Histoire de la guerre du Péloponnèse, Paris, Librairie Garnier Frères (lire en ligne), III, 15, 1 ; VIII, 7 ; VIII, 8, 3-4
- (grc + fr) Aristophane (trad. Eugène Talbot), Thesmophories , Paris, A. Lemerre, (lire en ligne), v. 647–648
- (grc + fr) Polybe (trad. Pierre Waltz), Histoires, Paris, Garnier, (lire en ligne), IV, 19, 7-9 [318] ; V, 101, 4 (484) ; frag. 162
- (grc + fr) Strabon (trad. Amédée Tardieu), Géographie, Paris, Hachette & Cie (lire en ligne), VIII, 2, 1 (C.335) ; VIII, 6, 22 [C.335] ; VIII, 6, 4 [C.369]
- (la + fr) Pline l'Ancien (trad. E. Littré), Histoire naturelle, Paris, M. Nisard, (lire en ligne), IV, 8-10 ; XVIII, 18
- (grc + fr) Dion Cassius (trad. E. Gros), Histoire romaine, Pairs, Librairie de Firmin Didot Frères, (lire en ligne), LI, 5
- (grc + fr) Hésychius, Lexique, Schmidt, p. 516-580
- (la + fr) Tite-Live (trad. M. Nisard (dir)), Ab Urbe condita libri, Paris, Firmin Didot, (lire en ligne), XLII, 16, 6
- (grc + fr) Souda (lire en ligne), II, 92
- (ar + fr) P. Amédée Jaubert, Géographie d'Édrisi, Paris, Imprime Royale, , 500 p. (lire en ligne), p. 123
- (el + fr) George Sphrantzes, Chroniques, I, 33
Bibliographie
modifier: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- (en) R. M. Cook, « Archaic Greek trade : three conjectures », The Journal of Hellenic Studies, vol. 99, , p. 152-155 (ISSN 0075-4269)
- (en) Jan Willem Drijvers, « Strabo VIII 2,1 (C335) : Porthmeia and the Diolkos », Mnemosyne, vol. 45, , p. 75-79 (ISSN 0026-7074, lire en ligne, consulté le )
- (en) M. J. T. Lewis, « Railways in the Greek and Roman world », dans Andy Guy & Jim Rees, Early Railways : a Selection of Papers from the First International Early Railways Conference, Londres, Newcomen Society, , 360 p. (ISBN 978-0904685084, lire en ligne), p. 8-19
- (en) Brian R. MacDonald, « The Diolkos », The Journal of Hellenic Studies, vol. 106, , p. 191-195 (ISSN 0075-4269)
- Georges Raepsaet, « Le diolkos de l’Isthme à Corinthe : son tracé, son fonctionnement », Bulletin de Correspondance Hellénique, vol. 117, no 1, , p. 23-261 (OCLC 732472272, lire en ligne, consulté le )
- (de) Nikolaus M. Verdelis, « Der Diolkos am Isthmus von Korinth », Mitteilungen des deutschen Archäologischen Instituts, Athenische Abteilung, vol. 71, no b, , p. 51-59 (OCLC 70187897)
- (de) Nikolaus M. Verdelis, « Die Ausgrabungen des Diolkos während der Jahre 1957–1959 », Mitteilungen des deutschen Archäologischen Instituts, Athenische Abteilung, vol. 73, , p. 140-145 (OCLC 716512339)
- (en) Walter Werner, « The largest ship trackway in ancient times : the Diolkos of the Isthmus of Corinth, Greece, and early attempts to build a canal », The International Journal of Nautical Archaeology, vol. 26, no 2, , p. 98-119 (ISSN 1057-2414, OCLC 4645807182)
- « Isthme, Corinthie, Argolide », Bulletin de Correspondance Hellénique, vol. 81, , p. 526-529 (lire en ligne, consulté le )
Liens externes
modifier
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- Article sur le canal de Corinthe, avec photos
- Article sur le diolkos, site de la ville de Loutraki, avec photo
- Pétition pour le sauvetage et la restauration du diolkos