Conjecture de Ramanujan

En mathématiques, la conjecture de Ramanujan, due à Srinivasa Ramanujan (et démontrée par Pierre Deligne en 1973), prédit certaines propriétés arithmétiques ainsi que le comportement asymptotique de la fonction tau qu'il a définie. La conjecture de Ramanujan généralisée, ou conjecture de Ramanujan-Petersson, introduite par Hans Petersson en 1930[1], en est une généralisation à d'autres formes modulaires ou automorphes.

Les fonctions tau et L de Ramanujan modifier

La fonction zêta de Riemann et les fonctions L de Dirichlet sont égales à un produit eulérien (pris sur tous les p premiers, et où a est un caractère),

  (équation 1) ;

ces caractères étant complètement multiplicatifs, on a également

  (équation 2).

Les fonctions L des formes automorphes vérifient également l'équation (1), mais pas l'équation (2), les « caractères » correspondants n'étant pas complètement multiplicatifs. Ramanujan a cependant découvert que la fonction L du discriminant modulaire, appelée fonction L de Ramanujan, satisfaisait la relation modifiée

  (équation 3),

τ(p) est la fonction tau de Ramanujan définie par les coefficients de Fourier τ(n) de la forme parabolique Δ(z) de poids 12 (et donc comme les coefficients de la série entière correspondant au produit infini  ) :

 

avec  .

Le terme   peut être vu comme un terme d'erreur (venant de ce que tau n'est pas complètement multiplicative).

La conjecture de Ramanujan modifier

Ramanujan observa sur un grand nombre de valeurs de   que le polynôme du second degré en  ,   apparaissant dans l'équation (3), avait toujours deux racines non réelles (complexes conjuguées), et donc que |τ(p)| ≤ 2p11/2 ; c'est cette inégalité qui est appelée la conjecture de Ramanujan. Ramanujan a en fait conjecturé les trois propriétés suivantes de la fonction tau[2] :

  1. τ est multiplicative,
  2. τ n'est pas complètement multiplicative, mais pour tout p premier et j entier > 0, on a : τ(pj+1) = τ(p)τ(p j ) −p11τ(pj−1 ), et
  3. |τ(p)| ≤ 2p11/2

Le caractère multiplicatif de τ (s'il est démontré) permet d'en déduire (pour tout n) le résultat un peu plus faible, pour tout ε > 0 :

  (où O est la notation de Landau).

En 1917, Louis Mordell démontra les deux premières propriétés en utilisant des techniques d'analyse complexe, en particulier les opérateurs de Hecke. La conjecture de Ramanujan proprement dite, beaucoup plus difficile, fut attaquée en remarquant une vague analogie entre les propriétés des racines du polynôme P, l'approximation pour  , et l'hypothèse de Riemann. Cela conduisit à une reformulation de la conjecture due principalement à Michio Kuga (avec des contributions de Mikio Satō, Gorō Shimura, et Yasutaka Ihara) permettant à Pierre Deligne de la ramener aux conjectures de Weil en 1968[3], et finalement à une démonstration complète lorsque les conjectures furent prouvées par Deligne en 1973[4]. Cette relation entre les deux problèmes devait inspirer des travaux profonds à la fin des années 60, lorsque les conséquences de la théorie de la cohomologie étale furent étudiées.

La conjecture de Ramanujan-Petersson pour les formes modulaires modifier

En 1937, Erich Hecke utilisa lui aussi les opérateurs de Hecke pour généraliser les résultats de Mordell aux fonctions L automorphes (en) des sous-groupes discrets Γ de SL(2, Z). Pour toute forme modulaire

 

on peut construire la série de Dirichlet

 

Pour une forme modulaire f (z) de poids k ≥ 2 pour Γ, φ(s) converge absolument dans le demi-plan Re(s) > k, parce que an = O(nk−1+ε). Comme f est de poids k, il s'avère que (sk)φ(s) est une fonction entière, et que R(s) = (2π)sΓ(s)φ(s) vérifie l'équation fonctionnelle :

 

(ce résultat fut démontré par Wilton en 1929). Cette correspondance entre f et φ est bijective (a0 = (−1)k/2 Ress=kR(s)). Soit g(x) = f (ix) −a0 pour x > 0, alors g(x) est relié à R(s) par la transformation de Mellin :

 ,

et ceci met en correspondance la série de Dirichlet vérifiant l'équation fonctionnelle ci-dessus avec la forme automorphe d'un sous-groupe discret de SL(2, Z).

Il est alors possible de formuler une conjecture plus générale, appelée la conjecture de Ramanujan-Petersson, pour des formes de poids k, en remplaçant l'exposant 11/2 de la conjecture de Ramanujan par (k − 1)/2. Elle est également une conséquence des conjectures de Weil, sauf pour k = 1, qui a été traité indépendamment par Deligne et Serre en 1974[5].

Généralisations modifier

La conjecture pour les formes automorphes modifier

En 1966, Ichirō Satake[6] reformula la conjecture de Ramanujan-Petersson en termes de représentations automorphes de GL(2) (en affirmant que les composantes locales des représentations appartiennent à la série principale), et suggéra que cette condition pourrait généraliser la conjecture à des formes automorphes sur d'autres groupes. Sous cette forme, de nombreux contre-exemples furent trouvés[7], mais Ilya Piatetski-Shapiro obtint en 1979[8] un raffinement de cette conjecture (connu sous le nom de conjecture de Ramanujan généralisée) qui n'a pas été réfuté, et que Robert Langlands a rattaché à son propre programme.

La conjecture sur des corps de fonctions modifier

La construction par Vladimir Drinfeld de la correspondance globale de Langlands pour GL(2) sur un corps de fonctions global permit de démontrer la conjecture de Ramanujan-Petersson dans ce cas. Laurent Lafforgue réussit en 2002 à étendre la technique des chtoucas de Drinfeld (en) au cas de GL(n) en caractéristique non nulle ; une technique différente permit à Lomelí de démontrer la conjecture en 2009 pour les groupes classiques[9].

Applications modifier

La plus célèbre application de la conjecture de Ramanujan est la construction explicite de certains graphes faite par Lubotzky, Phillips et Sarnak, graphes auxquels on a justement donné le nom de « graphes de Ramanujan » pour cette raison. Une autre application est que la conjecture de Ramanujan-Petersson pour le groupe général linéaire GL(n) implique la conjecture de Selberg (en) concernant les valeurs propres du laplacien pour certains groupes discrets.

Notes et références modifier

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Ramanujan–Petersson conjecture » (voir la liste des auteurs).
  1. (de) H. Petersson, « Theorie der automorphen Formen beliebiger reeller Dimension und ihre Darstellung durch eine neue Art Poincaréscher Reihen », Mathematische Annalen, vol. 103, no 1,‎ , p. 369-436 (ISSN 0025-5831, DOI 10.1007/BF01455702).
  2. (en) Srinivasa Ramanujan, « On certain arithmetical functions », Transactions of the Cambridge Philosophical Society, vol. XXII, no 9,‎ , p. 159-184, p. 176. Réimprimé dans (en) Srinivasa Ramanujan, Collected papers of Srinivasa Ramanujan, Providence, RI, AMS Chelsea Publishing, , 426 p. (ISBN 978-0-8218-2076-6, MR 2280843, lire en ligne), « Paper 18 », p. 136-162.
  3. Pierre Deligne, Séminaire Bourbaki vol. 1968/69 Exposés 347-363, vol. 179, Berlin, New York, Springer-Verlag, coll. « Lecture Notes in Mathematics », , 295 p. (ISBN 978-3-540-05356-9, DOI 10.1007/BFb0058801, lire en ligne), « Formes modulaires et représentations l-adiques »
  4. Pierre Deligne, « La conjecture de Weil. I. », Publ. Math. IHES, vol. 43,‎ , p. 273-307 (ISSN 1618-1913, DOI 10.1007/BF02684373, lire en ligne).
  5. Pierre Deligne et Jean-Pierre Serre, « Formes modulaires de poids 1 », ASENS, 4e série, vol. 7,‎ , p. 507-530 (ISSN 0012-9593, lire en ligne).
  6. (en) Ichirô Satake, « Spherical functions and Ramanujan conjecture », dans Armand Borel et George Mostow, Algebraic Groups and Discontinuous Subgroups (Boulder, Colo., 1965), vol. IX, Providence, R.I., coll. « Proc. Sympos. Pure Math. », (ISBN 978-0-8218-3213-4, MR 0211955), p. 258-264.
  7. (en) Roger Howe (en) et I. I. Piatetski-Shapiro, « A counterexample to the "generalized Ramanujan conjecture" for (quasi-) split groups », dans Armand Borel et W. Casselman, Automorphic forms, representations and L-functions (Proc. Sympos. Pure Math., Oregon State Univ., Corvallis, Ore., 1977), Part 1, Providence, R.I., coll. « Proc. Sympos. Pure Math., XXXIII », (ISBN 978-0-8218-1435-2, MR 546605), p. 315-322.
  8. (en) I. I. Piatetski-Shapiro, « Multiplicity one theorems », dans Armand Borel et W. Casselman, Automorphic forms, representations and L-functions (Proc. Sympos. Pure Math., Oregon State Univ., Corvallis, Ore., 1977), Part 1, Providence, R.I., AMS, coll. « Proc. Sympos. Pure Math., XXXIII », (ISBN 978-0-8218-1435-2, MR 546599), p. 209-212.
  9. (en) L. Lomelí, « Functoriality for the classical groups over function fields », International Mathematics Research Notices,‎ , p. 4271-4335 (DOI 10.1093/imrn/rnp089, lire en ligne).

Voir aussi modifier

  • (en) V. Blomer et F. Brumley, « On the Ramanujan conjecture over number fields », Annals of Mathematics, vol. 174,‎ , p. 581-605 (DOI 10.4007/annals.2011.174.1.18)
  • (en) J. W. Cogdell, H. H. Kim, I. I. Piatetski-Shapiro et F. Shahidi, « Functoriality for the classical groups », Publ. Math. IHES, vol. 99,‎ , p. 163-233 (DOI 10.1007/s10240-004-0020-z, lire en ligne)
  • (en) H. Jacquet, I. I. Piatetski-Shapiro et J. A. Shalika, « Rankin-Selberg Convolutions », Amer. J. Math., vol. 105,‎ , p. 367-464 (DOI 10.2307/2374264)
  • (en) H. H. Kim, « Functoriality for the exterior square of GL(4) and symmetric fourth of GL(2) », JAMS, vol. 16,‎ , p. 139-183
  • (en) Nobushige Kurokawa, « Examples of eigenvalues of Hecke operators on Siegel cusp forms of degree two », Invent. Math., vol. 49, no 2,‎ , p. 149-165 (DOI 10.1007/BF01403084)
  • (en) R. P. Langlands, « Problems in the theory of automorphic forms », dans Lectures in modern analysis and applications, III, vol. 170, Berlin, New York, Springer-Verlag, coll. « Lecture Notes in Math », (ISBN 978-3-540-05284-5, DOI 10.1007/BFb0079065, MR 0302614, lire en ligne), p. 18-61
  • (en) W. Luo, Z. Rudnick et P. Sarnak, « On the Generalized Ramanujan Conjecture for GL(n) », Proc. Sympos. Pure Math., vol. 66,‎ , p. 301-310
  • (en) Peter Sarnak, « Notes on the generalized Ramanujan conjectures », dans James Arthur, David Ellwood et Robert Kottwitz, Harmonic analysis, the trace formula, and Shimura varieties, vol. 4, Providence, R.I., AMS, coll. « Clay Math. Proc. », (ISBN 978-0-8218-3844-0, MR 2192019, présentation en ligne, lire en ligne), p. 659-685