Bauge

technique de construction servant à monter des ouvrages monolithiques en terre crue

La bauge est une technique de construction servant à monter des ouvrages monolithiques en terre crue. La terre, tirée généralement du site de construction, est mélangée à de l'eau pour atteindre un état plastique, puis empilée par motte pour former des ouvrages. Les surfaces verticales de ces ouvrages sont retaillées après un court temps de séchage, avant que la terre ne durcisse complètement. La bauge peut constituer des murs porteurs de plusieurs étages[1].

Montage d'un mur en bauge (2007).
Sous l'enduit, mur de bauge d'un magasin au Costa Rica.

La bauge est l'une des techniques de construction les plus anciennes, et reste aujourd'hui utilisée dans de nombreux pays. Elle s'inscrit dans la famille des techniques de construction en terre, au côté du pisé, de la maçonnerie en brique de terre (adobe), du torchis, des enduits de terre, ou de techniques plus récentes tels que la terre allégée, la terre coulée, ou la BTC.

Description modifier

Terminologie - Une variété de noms et de mises en œuvre modifier

La bauge désigne une technique composite, du fait de son ancienneté et de son universalité.

Pays Noms traditionnels
Afghanistan pakhsa
Belgique tourton
Rep. Tchèque nakladani, valek, války
Afrique de l'est daga
France bauge, bigôt, bouzillage, caillibotis, coque, daube, gachcoul, mâsse, mâssé, mur d’argile, paio-bard, paillebart, paillebort, palhobard, pâtons de mâssé, terre, torchis
Allemagne lagenlehmbau, lehmweller, wellertechnik
Hongrie vályog
Iran chinch
Irak tawf
Irlande tempered clay
Italie atterati, maltone, massone
Madagascar tamboho, tovam-peta
Portugal terra empilhada, terra modelada
Espagne chamizo, muro amasado, pared de mano, terra apilado, terra amassado, fang[Quoi ?]
Slovaquie lepanice, nakladana stavba, vykladanie, valok
Soudan jalous
Turquie pasha
Royaume-Unie clay dab, clay dabbin, clob, clom, cob, dab, daubin, dung wall, korb, mudwall, mud walling, puddled earth, tai clom, tai mwd, tai prid, witchert, wychert
Afrique de l'Ouest banco, banko, terre de bar, swish
Yémen zabour, zabur

Le terme bauge en France a été généralisé par les écrits savants[2],[3] afin de pouvoir y regrouper l'ensemble des techniques similaires et mieux communiquer à échelle nationale. Ainsi, certaines mises en œuvre vernaculaires   qualifiées de bauge se rapprochent beaucoup de l'adobe, du torchis ou du pisé.

Présence géographique modifier

La bauge est répandue en Europe, Afrique, Asie et Amérique[4]. On compte au moins 200 000 bâtiments en bauge en Europe, dont 50 000 en Allemagne, 40 000 dans le Devon (Grande-Bretagne), 30 000 en Ille-et-Vilaine et 20 000 dans la Manche[2]. Cependant, d'autres études relatent 300 000 bâtiments en bauge rien qu'en France[5]. En France, on rencontre de la bauge principalement en Bretagne (pays de Rennes)[n 1] et en Normandie (marais du Cotentin et du Bessin[6], Eure), mais aussi dans le marais breton vendéen[7], dans la Sarthe[8], dans la Vienne[9], ou encore dans le Pas-de-Calais[10].

En Europe, on la retrouve principalement dans les milieux ruraux, du fait de l'espace nécessaire à sa mise en œuvre, de l'épaisseur conséquente des murs, ainsi que du temps de séchage pouvant constituer une gène en milieu urbain[11].

Histoire de la bauge modifier

Les plus anciennes traces de la bauge remontent au Néolithique[12], mais celles-ci sont difficilement détectables du fait de sa grande ressemblance avec le sol, et de la faible connaissance des archéologues pour les techniques de construction en terre[13]. La micromorphologie peut aider à mieux reconnaître les techniques de construction en terre sur les sites archéologiques[14].

En France, les bâtiments les plus anciens encore debout datent du XVIe siècle[10], mais la plupart ont été édifiés aux XVIIIe et XIXe siècles. Le bauge connait un déclin vers la fin du XIXe siècle du fait de la transformation de la société paysanne et de l'industrialisation des techniques de construction[15]. Les techniques de terre sont délaissées progressivement jusqu'à la disparition de leur savoir-faire vers le milieu du XXe siècle. Depuis le milieu des années 1970, la bauge (comme l'ensemble des techniques de terre) fait l'objet d'un intérêt de la part d'architectes et de scientifiques, pour diverses raisons (potentiel écologique, social, patrimonial). Sensibilisées, des associations régionales (Tiez Breiz, Biomasse Normandie) ont commencé à "redécouvrir" et réapprendre les mises en œuvre locales de la bauge. Diverses formations à destination d'artisans et d'habitants ont été mises en place autour des années 1980, afin de créer un tissu d'acteurs sensibilisés et capables d'entretenir le bâti en bauge. Puis, des institutions telles que le Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin ont intensifié le développement de la bauge, en finançant des programmes de conservation du bâti en terre local. En parallèle, des expérimentations pour « moderniser » la technique ont été menées, telles que la préfabrication, le coffrage des murs, la mécanisation de la mise en œuvre, ou l'amélioration thermique des murs en bauge.

Construction traditionnelle en bauge modifier

En Bretagne, la construction débute par l'édification d'un solin en pierre de hauteur variable (selon les ressources locales et la richesse des propriétaires). La largeur du solin (et donc du mur) peut varier de 50 cm jusqu'à 1 m. Les fondations dépassent rarement 50 cm de profondeur.

La terre est généralement extraite sur le lieu de la construction (d'où les nombreuses mares autour des maisons en bauge) sous la couche de terre végétale. Cette terre doit être moyennement argileuse : suffisamment pour qu'elle possède une bonne cohésion, pas trop pour qu'elle ne fissure pas. La terre est ensuite piétinée par les hommes ou des animaux afin d'y incorporer les végétaux (paille, bruyère, ajonc, fougère, etc.) ou des poils ou crins animaux.

Une fois ce mélange réalisé, on dresse (à la fourche en général) des couches successives sur le mur qui sont tassées au fur et à mesure à coup de trique (sorte de manche en bois). Ces couches dépassent largement de la largeur finie du mur. On réalise ainsi une levée d'environ 60 cm de hauteur. On laisse ensuite deux semaines s'écouler afin que la levée se tasse puis on rectifie ensuite le mur grâce à un outil tranchant, le paroir (sorte de bêche plate), en se tenant debout sur le haut de la levée et en tranchant l'excédent de terre. Les encadrements de fenêtres et les poutres sont placés au fur et à mesure de la construction.

Bauge en tant que mortier modifier

En maçonnerie, la bauge pouvait aussi désigner un mortier de terre. Composé de terre franche (au sens de terre argileuse) ou d'argile, de paille hachée ou de foin, ou même de l'un et de l'autre, il servait à faire l'aire (la chape) sur les planchers, ou le hourdage (remplissage) entre les poteaux des cloisons[16].

Potentiel pour l'architecture contemporaine modifier

La bauge possède beaucoup de qualités pour répondre aux enjeux de l'architecture contemporaine :

  • Faible cout en énergie lors de la mise en œuvre traditionnelle[17]
  • Réutilisation infinie des matériaux si la terre n'est pas stabilisée
  • Grande variabilité de formes et de mise en œuvre
  • Développement d'une économie locale de construction
  • Confort thermique, hydrique et acoustique apporté par la terre

Cependant, son développement vers une utilisation plus conventionnelle est freinée par plusieurs nœuds :

  • Absence de normes/règles professionnelles sur la technique, complexifiant l'assurabilité des ouvrages en bauge.
  • Filière peu développée et régionalisée par rapport aux techniques conventionnelles
  • Image et symbolique négative de la technique (la bauge renvoie à la pauvreté, la fragilité, l'archaïsme)
  • Temps et méthodes de mise en œuvre peu compatibles avec les procédés de construction contemporains

Cela ne l'empêche pas de trouver son public et d'être utilisée par nombre de personnes, notamment des auto-constructeurs, des associations militantes, des entreprises de patrimoine, des institutions publiques ou des habitants sensibles à ses qualités.

Confusion modifier

La bauge, matériau de construction, ne doit pas être confondue avec la bauge de l'ours ni avec celle du sanglier. La bauge à ours est une zone creuse que l'on trouve dans les grottes, à même le sol, dans les zones argileuses, et de forme arrondie. Elle permet aux ours de s'y recroqueviller l'hiver afin d'hiberner dans des conditions thermiques stables. La bauge du sanglier est l'abri diurne où il dort. C'est en général un endroit sec, abrité du vent et caché dans de profonds fourrés. Il ne doit pas être confondu avec la souille, cuvette de boue où il se roule ponctuellement pour se débarrasser de ses parasites. La bauge du cochon, quant à elle, est appelée la « loge »[18],[19].

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Bibliographie modifier

  • [Bardel & Maillard 2002] Philippe Bardel, Architecture de terre en Ille-et-Vilaine, Rennes, Écomusée du pays de Rennes/Éditions Apogée, , 159 p. (ISBN 2-84398-119-0).
  • [Chazelles & Klein 2003] Claire-Anne de Chazelles et Alain Klein (dir.), Terre modelée, découpée ou coffrée. Matériaux et modes de mise en œuvre (Actes de la table-ronde des 17 et 18 novembre 2001 - 27 articles), Montpellier, Éditions de l'Espérou (École nationale supérieure d'architecture de Montpellier), , 460 p. (ISBN 2-912261-17-1).
  • Erwan Patte et François Streiff, L'Architecture en bauge en Europe. Actes du colloque organisé à Isigny-sur-Mer, 12-14 octobre 2005, les Veys, Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin, , 335 p..
  • E. Patte et E. Marie-Raffray, Entre Sèves et Taute, de terre et de pierre dans les marais du Cotentin. Inventaire général ADAGP, Cabourg, Cahier du temps, coll. « Images du patrimoine », , 64 p. (ISBN 2-911855-69-8).

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Il est possible de rencontrer des bâtiments en bauge dans tout le secteur géographique correspondant à la Haute-Bretagne.

Références modifier

  1. L. Watson et K. McCabe, « La técnica constructiva del cob. Pasado, presente y futuro », Informes de la Construcción, vol. 63, no 523,‎ , p. 59–70 (ISSN 1988-3234 et 0020-0883, DOI 10.3989/ic.10.018, lire en ligne, consulté le )
  2. a et b (en) Erwan Hamard, Bogdan Cazacliu, Andry Razakamanantsoa et Jean-Claude Morel, « Cob, a vernacular earth construction process in the context of modern sustainable building », Building and Environment, vol. 106,‎ , p. 103–119 (DOI 10.1016/j.buildenv.2016.06.009, lire en ligne, consulté le )
  3. Diderot, Denis, 1713-1784. Alembert, Jean Le Rond d', 1717-1783., L'Encyclopédie Diderot et d'Alembert., Inter-Livres, 2001-2002 (OCLC 761204317, lire en ligne)
  4. David Gandreau, Leticia Delboy, Unesco et Programme du patrimoine mondial pour l'architecture de terre, Inventaire de l'architecture de terre, Unesco, (ISBN 978-2-906901-69-8 et 2-906901-69-5, OCLC 1100031035, lire en ligne)
  5. Ecole nationale des Travaux Publics de l'Etat (ENTPE), UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III et FORMEQUIPE, Patrimoine européen construit en terre et sa réhabilitation: colloque international. Vaulx-en-Velin. 18-19-20 mars 1987, Vaulx-en-Velin, ENTPE,
  6. « Terres de bâtisseurs », sur parc-cotentin-bessin.fr (consulté le ).
  7. David Milcent, « L'architecture en bauge dans le Nord-Ouest Vendée : les bourrines du Marais Breton » (Article de colloque), Les constructions en terre massive pisé et bauge - Actes de la table-ronde de Villefontaine (Isère), 28-29 mai 2005,‎ , p. 181 - 198
  8. Julien Hardy, « Premières découvertes d'architecture en bauge dans le Pays du Perche sarthois » (Article de colloque), L'architecture en bauge en Europe,‎ , p. 37-52
  9. « Les Maisons en Terre crue », sur Maisons en terre crue du Marais d'Ouzilly-Vignolles 86 (consulté le )
  10. a et b « La construction en bauge », sur Torchis - Terre crue (consulté le )
  11. Gérard Tapin, « La construction de terre en Haute-Bretagne, Histoire et techniques », Arts de l'ouest,‎ , p. 23-47 (lire en ligne)
  12. Catherine Bizien-Jaglin, Luc Laporte, Jean-Noël Guyodo et Julia Wattez, « Constructions en terre du Néolithique moyen près des rives de la Manche », Archeopages, no 42,‎ , p. 22–23 (ISSN 1622-8545 et 2269-9872, DOI 10.4000/archeopages.1133, lire en ligne, consulté le )
  13. Bérengère Perello, « Pisé or not pisé ? Problème de définition des techniques traditionnelles de la construction en terre sur les sites archéologiques », sur ArchéOrient - Le Blog (consulté le )
  14. (en) Erwan Hamard, Cécilia Cammas, Blandine Lemercier et Bogdan Cazacliu, « Micromorphological description of vernacular cob process and comparison with rammed earth », Frontiers of Architectural Research, vol. 9, no 1,‎ , p. 203–215 (DOI 10.1016/j.foar.2019.06.007, lire en ligne, consulté le )
  15. Victor Villain, « Sociologie du champ de la construction en terre crue en France (1970-2020) », Université de Lyon, (consulté le )
  16. J.-M. Morisot, Tableaux détaillés des prix de tous les ouvrages du bâtiment. Vocabulaire des arts et métiers en ce qui concerne les constructions (maçonnerie), Carilian, (lire en ligne).
  17. « INIES | Les données environnementales et sanitaires de référence pour le bâtiment », sur www.base-inies.fr (consulté le )
  18. Collectif, Le Grand Gibier, Éditions du Gerfaut, .
  19. Pascal Durantel, Chasse : l'encyclopédie, Paris, Artémis, , 607 p. (ISBN 2-84416-220-7).