Vieille langue des signes française

Vieille langue des signes française
Classification par famille

La vieille langue des signes française (VLSF) correspond à l’ancienne langue des signes française, de la même manière que l’on parle d’« ancien français », par opposition au français moderne (l’abréviation ALSF n’est pas possible, parce que déjà prise par l’Académie de la langue des signes française)[1]. Elle n'a en revanche pas de lien avec l'ancien français, qui a été parlé approximativement entre le XIe et le XIVe siècle. Les sources les plus anciennes qu'on en a datent de la fin du XVIIIe siècle[2]. Elle a ensuite évolué pour devenir une base importante de la langue des signes française (LSF) et de nombreuses autres langues des signes, aussi bien européennes qu'américaines, africaines ou asiatiques, qui ne sont pas toutes mutuellement compréhensibles[3].

Histoire modifier

Abbé de L'Épée modifier

 
Charles-Michel de L'Épée.

Le premier à vraiment reconnaître que la langue des signes pouvait être utilisée pour l'éducation des enfants sourds est Charles-Michel de L'Épée, appelé « l'Abbé de L'Épée ». Il rencontre deux jeunes sœurs jumelles en train de discuter par signes lors d'une visite à l'un de ses paroissiens et comprend que c'est une manière pour elles de se cultiver. L'Épée est ému par ce qu'il voit et apprend par leur mère que la seule éducation qu'elles reçoivent se fait avec un précepteur privé utilisant des images[4].

À partir de là, L'Épée va créer la première institution éducative gratuite pour les sourds en France en 1771. Bien qu'il réalise que la langue des signes peut être utilisée dans l'éducation des jeunes sourds, L'Épée ne se rend pas compte que la VLSF est un langage vraiment développé, avec une grammaire propre, mais différente de celle du français parlé, tout simplement parce que ce sont deux langues différentes. L'Épée, croyant donc que la vieille langue des signes française est primitive et manque de grammaire, se met immédiatement à transformer ce qu'il en apprend de ses élèves et met au point des « signes méthodiques » pour représenter toutes les terminaisons de verbes, articles, prépositions et auxiliaires présents dans le français parlé, décomposant les mots en associant un signe à chaque morphème[4].

Les éducateurs comme L'Épée, avec la meilleure des intentions, modifient donc la VLSF pour en faire une forme de français signé, qu'on peut appeler ancien français signé (AFS), qui est un langage grandement modifié de la VLSF et en partie inventé de toutes pièces. Les élèves sourds utilisent donc deux langages : le système artificiel inventé par L'Épée en classe (l'AFS) et informellement la vieille langue des signes française lorsqu'ils parlent entre eux[5].

Pierre Desloges modifier

 
Observations d'un sourd et muèt par Pierre Desloges (1779).

En 1779, Pierre Desloges, un relieur parisien sourd, écrit ses Observations d'un sourd et muèt, sur un cours élémentaire d'éducation des sourds et muèts[6], décrivant le langage des signes utilisé par les Parisiens sourds. Desloges se dit obligé d'écrire ce livre, car à ce moment un certain abbé Deschamps professe que le langage des signes ne peut être considéré comme une vraie langue et n'est donc pas adapté à l'éducation des enfants sourds. Il écrit donc en faveur de la langue des signes, « comme un Français qui voit sa langue rabaissée par un Allemand qui ne connait que quelques mots français, j'ai pensé que j'étais obligé de défendre ma langue contre les fausses accusations de cet auteur[7] ».

Les sourds ont en effet un langage, qu'on appelle vieille langue des signes française, qu'ils utilisent pour discuter de toutes sortes de sujets, politique, travail, religion, famille, etc. Cette langue est transmise entre les sourds comme n'importe quel langage désapprouvé par les institutions éducatives est transmis aux plus jeunes générations[8].

Autres éducateurs modifier

Les recueils de signes de la langue des signes française des XVIIIe et XIXe siècles sont de natures assez variées. Les uns se présentent comme des dictionnaires, d’autres prennent le nom d’« Iconographie », contenant des signes dessinés accompagnés de gloses ou sans aucune image. La plupart du temps, les signes sont à l’état de citations, plus ou moins nombreuses[2]. Les signes, bien qu'en grande majorité semblables à cause des configurations de la main ayant des significations codées d’ordre symbolique et physiologique, reprises au fil des siècles depuis l’Antiquité, diffèrent légèrement d'un auteur à l'autre, ceux-ci ne s'étant pas réellement concertés pour uniformiser la langue des signes[9].

Le classement des anciens modèles de dictionnaires ou d’études bilingues mots/signes est en général soit alphabétique (on entre dans le dictionnaire par des mots français, dans l’ordre alphabétique), soit noématique (en partant d’un concept pour donner les différents signes qui y correspondent). Quasiment tous adoptent l’ordre alphabétique, faisant dominer la langue écrite, tandis que quelques autres proposent des entrées de dictionnaires dessinées[10].

L'abbé Sicard reprend le système de « signes méthodiques » de L'Épée dans son livre paru en 1800, Cours d'instruction d'un sourd-muet de naissance[11] et dans un volumineux dictionnaire de 1 200 pages qu'il publie en 1808[12], où au contraire de L'Épée, qui utilise un classement strictement alphabétique, il classe les signes par noèmes, en douze grandes classes et opter pour un classement alphabétique à l'intérieur de ces classes[13].

L’abbé Lambert, quant à lui converti à l’authentique grammaire de la vieille langue des signes, rejette soigneusement les « signes méthodiques » et ne les inclut pas dans son dictionnaire[14]. Il utilise le dessin pour représenter les signes, indiquant les mouvements composant ceux-ci et utilise un classement noématique, dessiné et alphabétique[15].

Bibliographie non exhaustive des recueils de signes des XVIIIe et XIXe siècles modifier

(tirée de Langue des signes française : des lexiques des XVIIIe et XIXe siècles à la dictionnairique du XIXe siècle, par Françoise Bonnal-Vergès[16].)

  • Abbé de L’Épée, 1776, Institution des sourds et muets, par la voie des signes méthodiques…, 2 tomes,  éd. Nyon l’Aîné, Paris.
  • Pierre Desloges, 1779, Observations d’un sourd et muèt sur un cours élémentaire d’éducation des sourds et muèts, publiées en 1779 par M. l’Abbé Deschamps…,  éd. B. Morin, Amsterdam et Paris[6].
  • Abbé Ferrand, c.1780, publié en 1897, Dictionnaire des Sourds-Muets,  éd. J.A.A. Rattel, Baillière, Paris.
  • Abbé de L’Épée, 1787, publié en 1896, Dictionnaire des sourds-muets,  éd. J.A.A. Rattel, Baillière, Paris.
  • Abbé Sicard, 1808, Théorie des Signes…, 2 tomes,  éd. Dentu et Delalain, Paris[12].
  • Auguste Bébian, 1817, Essai sur les Sourds-Muets et sur le langage naturel ou Introduction à une classification naturelle des idées avec leurs signes propres,  éd. J.G. Dentu, Paris.
  • Louis-Pierre Paulmier, 1820, Le Sourd-Muet civilisé ou Coup d’œil sur l’Instruction des sourdsmuets, Seconde Édition, Éd. Ange Clo, Paris.
  • Auguste Bébian, 1825, Mimographie ou Essai d’Écriture mimique propre à régulariser le langage des sourds-muets,  éd. L. Colas, Paris.
  • Abbé Jamet, manuscrits rédigés entre 1822 et 1860, non publiés.
  • Joseph-Marie de Gérando, 1827, De l'Éducation des Sourds-Muets de Naissance, 2 tomes,  éd. Méquignon l’Aîné Père, Paris.
  • Alexandre Blanchet, 1850, La surdi-mutité, traité philosophique et médical,  éd. Chez Labé.
  • Rambosson, 1853, Langue universelle, Langage mimique mimé et écrit. Développement philosophique et pratique,  éd. Garnier Frères, Paris.
  • Frères de Saint-Gabriel c.1853-1854, Iconographie des Signes, manuscrit, Archives des Frères de Saint-Gabriel.
  • Léon Vaïsse, 1854, De la Pantomime comme Langage naturel et moyen d’instruction du sourd-muet,  éd. Hachette, Paris.
  • Joséphine Brouland, 1855, Spécimen d’un Dictionnaire des Signes, affiche,  éd. Institution Impériale des Sourds-Muets, Paris.
  • Pierre Pélissier, 1856, Iconographie des Signes faisant partie de l’enseignement primaire des sourds-muets et L’Enseignement Primaire des Sourds-Muets mis à la portée de tout le monde…,  éd. Paul Dupont, Paris.
  • Augustin Grosselin et Pierre Pélissier, 1857, Cartes mimo-mnémoniques pour l’étude des langues  éd. C. Borrani, Paris.
  • Abbé Lambert, 1859, La Religion et les Devoirs moraux de la Vie enseignés aux sourds-muets illettrés qui sont hors des institutions, ou arriérés qui sont dans les écoles…,  éd. H. Vrayet de Surcy, Paris.
  • Abbé Lambert, 1865, Le Langage de la physionomie et du geste mis à la portée de tous,…,  éd. Jacques Lecoffre, Paris[14].
  • Abbé Laveau, 1868, Catéchisme des sourds-muets illettrés que l’on ne peut pas instruire au moyen de l’écriture,…,  éd. Vonstant aîné, Orléans.
  • J. Clamaron, 1875, Alphabet dactylologique, Institution Nationale des Sourds-Muets, Paris.

Affiliation des autres langues des signes à la VLSF modifier

En Europe, la VLSF a fortement évolué et s'est fragmentée en plusieurs langues des signes distinctes comme la langue des signes française (LSF), la langue des signes de Belgique francophone (LSFB), la langue des signes irlandaise (ISL, Irish sign language), la langue des signes flamande (VGT, Vlaamse Gebarentaal), etc. De nombreuses langues des signes africaines et asiatiques lui sont aussi fortement affiliées[3].

Aux Amériques, les langues des signes américaine, québécoise, mexicaine et brésilienne sont toutes liées à la vieille langue des signes française[17]. Des estimations portant sur la langue des signes américaine évaluent à 60 % ceux de ses signes qui trouvent leur origine dans la VLSF, le reste venant des langages des signes utilisés dans le pays avant l'arrivée de la version française en 1817 et des interactions avec les sourds d'autres nationalités[18].

Comparaison entre VLSF et LSF modifier

L'actuelle langue des signes française (LSF) s'est beaucoup complexifiée par rapport à la VLSF, qui utilise moins de configurations et semble plus approximative[9]. L'étude Langue des signes française : des lexiques des XVIIIe et XIXe siècles à la dictionnairique du XIXe siècle, menée par Françoise Bonnal-Vergès, en montre quelques exemples[19].

Notes et références modifier

  1. Bonnal-Vergès 2006, p. 163 (note 6).
  2. a et b Bonnal-Vergès 2006, p. 160.
  3. a et b Meurant 2009, p. 98.
  4. a et b Wilcox et Wilcox 1997, p. 16.
  5. Wilcox et Wilcox 1997, p. 17.
  6. a et b Desloges 1779.
  7. Wilcox et Wilcox 1997, p. 15.
  8. Wilcox et Wilcox 1997, p. 15-16.
  9. a et b Bonnal-Vergès 2006, p. 176.
  10. Bonnal-Vergès 2006, p. 161.
  11. Sicard 1800.
  12. a et b Sicard 1800.
  13. Bonnal-Vergès 2006, p. 162.
  14. a et b Lambert 1865.
  15. Bonnal-Vergès 2006, p. 163.
  16. Bonnal-Vergès 2006.
  17. Kibbee 1998, p. 269.
  18. Rigney 2003, p. 98.
  19. Bonnal-Vergès 2006, p. 173-175.

Voir aussi modifier

Sources bibliographiques modifier

Articles connexes modifier