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Jovan Skerlić (Belgrade, 20 août 1877 - Belgrade, 15 mai 1914) est un critique littéraire et historien de la littérature. Social-démocrate engagé dans la vie politique, il devint membre du Parlement au titre du parti radical indépendant. Il était en outre éditeur de la revue Srpski književni glasnik(Le messager littéraire serbe) et membre de la direction de la Srpska književna zadruga (Société littéraire serbe). Jovan Skerlić est considéré comme l'un des critiques littéraires serbes les plus influents du début du XXème siècle.

Jovan Skerlić (1877-1914)

Biographie modifier

Skerlić est issu d'une famille d'artisans urbains. Son père était un petit commerçant de Šumadija qui s'est orienté vers l'artisanat et sa mère, originaire de Vojvodine, fut élevée dans une famille d'artisans. Ce sont ces origines, puis les milieux dans lesquels il a étudié, travaillé et vécu, qui ont déterminé ses options politiques et personnelles[1]. Il est devenu l'un des représentants de l’intelligentsia aux yeux de laquelle il y avait beaucoup de barrières à abattre sur le chemin de la modernisation du pays.

C'est au lycée que Skerlić commença à s'intéresser aux socialistes. Il n'existait pas encore de parti ouvrier structuré mais de nombreux citoyens hostiles au régime autoritaire d'Aleksandar Obrenović se rassemblaient autour des revues Socijal demokrata( Le social-démocrate) et Radničke novine (Le journal des Ouvriers) pour lesquels Skerlić rédigea des articles avant de partir étudier à l'étranger. D'abord à Lausanne, il passa son doctorat en 1901 sous la direction de Georges Renard, qui était aussi rédacteur en chef de La revue socialiste. C'est là que Skerlić rencontra son épouse suisse, Clara, dont il eu une fille, Liliana. Il poursuivit ses études à Munich et à Paris, où il suivit les cours de Gustave Lanson et fit sienne la thèse que patriotisme et internationalisme sont liés. En 1905, il devint le professeur de littérature serbe à l'Université de Belgrade mais, du fait de son activité politique, il fut relevé de ses fonctions et muté comme professeur dans un lycée.

Rédacteur de Srpski književni glasnik de 1905 à 1914, il devint en 1910 membre correspondant de l'Académie serbe de science et d'art(SANU)[2]. Mort prématurément à la veille de la Première Guerre Mondiale, il est enterré dans le Nouveau cimetière (Novo groblje) de Belgrade. Dans la capitale serbe, une rue porte son nom et une statue lui est dédiée.

 
La maison de Jovan Skerlić dans le centre historique de Belgrade
 
la plaque commémorative sur la maison de Jovan Skerlić

Vie politique modifier

Sur le plan de l'identité politique, on peut dire que Skerlić était caractérisé par deux tensions. D'une part, une tension entre son fort attachement à la Serbie et son attirance, comme nombre de ses contemporains, par l'idée de réunir tous les Slaves du Sud au sein de la Yougoslavie. De l'autre part, une tension entre ses origines sociales, son appartenance à la classe moyenne, et son engagement sincère aux côtés du prolétariat. Ses opinions social-démocrates, Skerlić les a formées au sein de sa famille puis à l'école et à l'université, en s'inspirant de la Révolution française, de Victor Hugo, de Jean Jaurès et Georges Renard - en suivant aussi le chemin tracé, en Serbie, par Dositej Obradović, Vuk Karadžić, Vasa Pelagić et Svetozar Marković[3]. Au début de sa carrière politique, il adhéra au Parti socialiste serbe mais il en fut exclu en 1904 car considéré comme ennemi du mouvement ouvrier. C'est en effet l'époque où les sociaux-démocrates sont regardés par les "vrais" socialistes, dans de nombreux pays européens, surtout du sud, comme des "socio-traîtres".

Il rejoignit l'année suivante le Parti radical indépendant ( Samostalna Radikalna Stranka)au titre duquel il fut élu membre du Parlement en 1912. Il le resta jusqu'à sa mort, en 1914, et fut proposé comme ministre mais un discours dans lequel il attaqua fortement l'ordre politique et social de la Serbie l'écarta de cette responsabilité.

Dès ses débuts politiques en tant que socialiste, Skerlić défendit le point de vue selon lequel le peuple serbe doit se cultiver et surtout s'instruire afin de pouvoir se préparer à bâtir une social-démocratie de type européen adaptée à ses spécificités et ses besoins. Il collaborait alors avec des intellectuels et des politiciens démocrates tels que Ljubomir Stojanović, Jovan Žujović et Jaša Prodanović[4]. Dès lors qu'il fut exclu du Parti socialiste serbe, il devint plus critique envers le travail théorique et pratique de cette formation mais demeura néanmoins socialiste, de type démocratique. Svetozar Marković, qui pensait que tout doit être subordonné au progrès social, l'a beaucoup influencé. Skerlić a aussi adopté la position de Marković au sujet de l'égalité entre les hommes et les femmes : " Pour les mêmes fonctions, les mêmes droits; pour le même niveau de scolarité et le même travail, une même reconnaissance"[5].

Avec Jovan Cvijić, il s'attacha à promouvoir les valeurs européennes en Serbie. Éduqué dans l'esprit européen, il pensait en effet que les valeurs européennes étaient le seul moyen pour le peuple serbe de se débarrasser des traces ottomanes encore présentes dans le pays. Il estimait cependant que les Serbes ne devaient pas se fondre totalement dans la civilisation européenne mais forger une identité propre avec laquelle ils pourraient exister sur les scènes européenne et mondiale.

Sur le plan économique, son discours au Parlement contre la " bancocratie", le 5 mai 1912, constitue une référence[6]. Il dénonça aussi la faiblesse du programme économique du Parti radical. Il reprocha à la jeunesse serbe de ne pas être suffisamment engagée dans la vie politique et critiqua la société et l'état de l'éducation, en soulignant qu'"il y a 1500 écoles pour 25000 auberges!". Skerlić appela enfin de ses vœux une réforme qui ferait évoluer toute la société, non seulement la classe ouvrière mais aussi la population paysanne[7].

Œuvre littéraire modifier

Il est généralement considéré que Skerlić, alors fringant jeune critique littéraire, historien de la littérature, homme de convictions et polémiste, a révolutionné la scène littéraire serbe de la fin du XIXème siècle. Bien qu'il soit mort jeune, il a réussi a achever un travail conséquent et cohérent de critique et d'histoire de la littérature serbe, notamment son Histoire de la littérature serbe au XVIIIème siècle, publiée en 1909 et L'histoire de la littérature serbe contemporaine, éditée en 1914. Cette productivité s'explique notamment par sa puissance de travail et par le fait qu'il avait commencé dès l'âge de 18 ans, en 1895, à rédiger des articles pour divers journaux et revues comme Socialdemokrat, Radničke novine et Delo (L’œuvre ). Influencé au début par l'esthétique littéraire française - ses principales sympathies intellectuelles en matière de critique se trouvent chez des Français, ses professeurs de Lausanne Georges Renard et Hyppolite Taine - et, en tant qu'étudiant de Bogdan Popović, par l'esthétisme littéraire, il s'est retrouvé plus tard en opposition complète à tout mouvement de l'art pour l'art et utilisa son influence pour dénoncer l'égoïsme ou la décadence. C'était plutôt un " réaliste du type idéaliste", dans la lignée de Svetozar Marković, qui réunit les écoles russe et française d'inspiration socio-positivistes.

En fait, Skerlić regardait avant tout la littérature à la lumière de ses convictions politiques : selon lui, la littérature a pour mission de promouvoir le progrès de la société et de l'humanité. C'est pour cela qu'il place le contenu et le message socio-éthique avant la forme et l'esthétique d'un œuvre. A ce titre, il s'est comporté plutôt en penseur politique et national qu'en critique d'art.

Personnalité modifier

Un article rédigé par l'écrivain et critique littéraire Miroslav Egerić à l'occasion du 125e anniversaire de la naissance de Skerlić, en 2002, apporte un éclairage intéressant, quoique parfois dithyrambique, sur la personnalité de ce dernier. Selon Egerić, la vitalité spirituelle de Skerlić a eu trois points d'ancrage.

Avant tout, la justesse humaine dans l'ensemble de son activité. Elle englobe l'altruisme d'une vie dévouée à la vérité et un courage dans les luttes menés contre les personnes malveillantes[8]; cette capacité à se mettre en avant, en sa qualité de personne publique, à affronter ce torrent sale qui apporte la boue et la lie, et à supporter en silence les coups de ceux qui n'ont jamais connu, et n'ont jamais souhaité connaître, les monts et les sommets de l'esprit.

 
le buste de Jovan Skerlic à Kalemegdan

Ensuite, il y a cette exaltation, grande et pleine de lumière, devant l’œuvre en tant qu'une des possibilité de l'homme de pouvoir s'affirmer dans l'incertitude du monde et des relations humaines. Personne, ni avant ni après lui, n'a autant répété que le travail était salutaire (Spas u radu)[9] et que, peut-être, le bonheur n'existait pas dans ce monde sinon dans des moments intenses et profonds de l'expansion méditative quand le cerveau se gonfle, l'esprit fourmille et devant les yeux intérieurs de l'homme de larges et lointains horizons blancs s'ouvrent (extrait de son essaye sur Boža Knežević)[10]. Un semblable Skerlić efface vivement cette image qu'ont créée de lui, dans la période de l'entre-deux-guerres, ses détracteurs de gauche comme de droite : que Skerlić serait un politique égaré dans la littérature! Au contraire, les lignes que je viens de citer démontrent que Skerlić était douloureusement conscient combien, à tous ces philistins de la Serbie de l'époque, manquait la grandeur d'esprit et d'âme que possédait Boža Knežević - sur lequel Skerlić écrivait - et qui trouvaient un substitut à leurs vies stériles et plates dans la méchanceté et le refus de l'estime. A ce stade, la pensée de Skerlić au cours de la décennie qui précéda la Première Guerre mondiale fut un appel presque douloureux lancé à un autre visage de la Serbie, celui qui fut la négation de la jalousie, de la méchanceté et de l'envie et qui plongeait ses racines dans les œuvres des esprits du passé intelligents et illuminés[11].

Enfin, le troisième point d'ancrage de la résistance de Skerlić à ne pas être seulement de passage réside dans son nationalisme civilisé. Éloigné des snobs de l'époque qui feignaient d'être supérieurs par rapport aux valeurs serbes, car étant Serbe, Skerlić a consacré l'ensemble de son œuvre - depuis La littérature serbe au XVIIIème siècle (1909) jusqu'à L'histoire de la littérature serbe contemporaine(1914)- à démontrer que le peuple serbe est capable d'affronter en conscience sa propre destinée dans la mesure où, par-dessus tous les défauts et les problèmes, ses racines sont suffisamment profondes et robustes; et qu'il mérite, grâce à ses caractéristiques, une place au sein de la famille culturelle des peuples européens. En soulignant que l'avenir du peuple serbe ne se trouve pas dans la haine stupide des Turcs,ou de quiconque d'autre d'une autre confession ou nationalité, mais dans le respect du bien, des hautes qualités et façons d'exister présents chez tout le monde, il est allé au-delà de tous les chauvinismes triviaux qui ont à cœur la débâcle de voisin et s'en réjouissent bien plus que de leur propre succès. De cette façon il a pu susciter, et il l'a fait, le respect, même de la part de ceux qui ne l'ont pas aimé mais qui savaient qu'il s'agissait là d'un homme d'une grande profondeur. Il pensait véritablement comme un sceptique et travaillait comme un pieu. Il avait la religion du travail, comme un devoir intérieur, ce dont bien des personnes se moquaient - lisez à nouveau les pamphlets de l'entre-deux-guerres de Velibor Gligorić -, cette religion a apporté à Skerlić une gloire méritée et au peuple serbe une œuvre stratifiée, vivante et variée. Il avait raison, le grand Jovan Cvijić: " Skerlić sera vivant des siècles durant. Siècles qui ne pourront, s'ils le veulent, que les décortiquer. Selon l'expérience que nous partagerons avec lui, le temps ne fera qu'accroître sa bibliographie, en introduisant dans son œuvre les souhaites de ses interprètes mais en ne changeant rien à son essence même"[12].

Bibliographie modifier

  • Zbornik radova Društveno-politička misao Jovana Skerlića, Zavod za udžbenike i nastavna sredstva, Beograd, 2004
  • Živomir Mladenović, Život i delo Jovana Skerlića, Bor: Bakar, Beograd, 1998
  • Miroslav Egerić, Skerlićeva veličina, quotidien "Politika" de 28 septembre 2002
  • Miodrag Nikolić, Jovan Skerlić (1877-1914), mensuel Republika,n° 352-353, Beograd, 1-31 mart 2005

Notes et références modifier

  1. Živomir Mladenović, Život i delo Jovana Skerlića, Bor: Bakar, Beograd, 1998
  2. Živomir Mladenović
  3. Andrija Stojković, Skerlićevi osnovni socijalistički pogledi i njihovi francuski izvori i ugledi
  4. Andrija Stojković
  5. Andrija Stojković
  6. Miodrag Nikolić, Jovan Skerlić (1877-1914), Republika, Beograd, n° 352-353, 1- 31 mart 2005
  7. Andrija Stojković, Skerlićevi osnovni socijalistički pogledi i njihovi francuski izvori i ugledi
  8. Miroslav Egerić, Skerlićeva veličina, « Politika » , 28 septembre 2002
  9. Miroslav Egerić
  10. Miroslav Egerić
  11. Miroslav Egerić
  12. Miroslav Egerić