Utilisateur:Justinelng/Brouillon

Entre écriture passionnelle et peinture satirique, les lettres de Mme de Sévigné offrent un aspect à la fois intime et publique et permettent l’analyse de différents procédés stylistiques. Mme de Sévigné manie parfaitement la langue dans ses lettres. L’épistolière donne une approche très intime de la relation qu’elle entretient avec Mme de Grignan, sa fille.[1] En effet, le style de Mme de Sévigné lui est propre puisqu’elle réussit à faire voir les émotions et à les peindre dans la correspondance.[2] Les lettres de Mme de Sévigné participent à l’élaboration d’une relation forte affective et langagière. La façon de s’adresser à Mme de Grignan est un moyen d’exprimer son amour tout en variant son expression.[3] Elle utilise l’emploi de la deuxième personne du pluriel, signe de respect et de tendresse que la marquise voue à fille.  Les figures de répétitions sont fréquentes, comme l’anaphore, qui permettent de remarquer le lien qui les unit. [4] Face à la difficulté de verbaliser ce qu’elle ressent, et de ne pas s’éloigner de la sincérité qu’elle témoigne dans ses courriers, Mme de Sévigné compare, d’une part, une sensation qu’à connue l’interlocutrice « Je reçois vos lettres, ma bonne, comme vous avez reçu ma bague », et d’autre part, elle lui fait comprendre la douleur ressentie « Je fonds en larmes en les lisant » [5]. Outre l’analogie ou encore les pronoms choisis, Mme de Sévigné fait preuve d’une constante inventivité pour s’adresser à sa fille en variant les appellatifs avec des marques d’adresse comme « ma très chère enfant », « ma très aimable bonne ». L’utilisation de l’adjectif « chère, » « aimable », donne un un degré supplémentaire à la considération que la mère porte à sa fille et permet de mettre l’accent sur l’affectivité qu’elle cherche à maintenir dans l’échange. [6] Une autre caractéristique prend une place importante dans l’échange ; l’impératif. [7] Elle demande constamment à sa fille de lui écrire dans l’espoir d’obtenir d’elle quelque chose en retour. Bien souvent, on peut penser que l’épistolière dicte un comportement épistolaire à sa fille d’où l’usage récurrent de verbes à l’impératif.  « Mandez-moi quand vous aurez reçu mes lettres… »[8], « comptez bien sur ma tendresse qui ne finira jamais » [9]. Ici, le verbe « mander » marque par excellence la recherche de la relation à l’autre. Avec l’emploi de l’impératif, la correspondance vise à enseigner une instruction bienveillante. Egalement, Mme de Sévigné utilise l’hyperbole en insistant sur le sens littéral plutôt que le sens figuré. [10] Elle justifie cela de nombreuses fois notamment à la fin de la lettre 21 où elle écrit « En ce mot, ma bonne, comprendre vivement ce que c’est d’aimer quelqu’un plus que soi-même : voilà comme je suis. C’est une chose qu’on dit souvent en l’air ; on abuse de cette expression. Moi, je la répète et sans jamais la profaner; je la sens tout entière en moi, et cela est vrai. » [11]. Mme de Sévigné aborde assurément l’art de la conversation. Elle varie les termes d’affectivité afin d’éviter de tomber dans la redondance de l’expression de ses sentiments. « Adieu ma chère enfant, l’unique passion de mon cœur » [12].


Après avoir livré ses réflexions sur les douloureux aléas de l’existence, l’épistolière revendique son droit de laisser trotter sa plume. Elle recourt fréquemment à des expressions lexicalisées ou à des proverbes comme « un tourbillon de vent vous jette violemment sous une arche. » [13], « vous m’en faites une de l’habit de vos dames, qui vaut tout ce qu’une description peut valoir. » [14]. Mme de Sévigné prend soin de travailler ses expressions et ses proverbes afin de leur apporter le maximum de singularité.[15] Elle joue également sur le verbe « dire » avec une intention de le rendre omniprésent dans les lettres. Le verbe donne la nécessité absolue de prendre la parole, de justifier le discours. « Que vous dirais-je encore ? Oserais-je le dire ? ».[16] La nécessité de dire devient déontique. La marquise utilise des marques stylistiques liées à la stridence amoureuse. Pour ne pas lasser son interlocutrice, Mme de Sévigné varie les marques d’affection. La sensibilité de la passion amoureuse se traduit par une répétition du verbe « aimer » comme « croyez que je vous aime » [17]. Madame Grignan reçoit de sa mère une passion stridente qui se répète. « Je vous embrasse tendrement, embrassez-moi aussi ». [18] Dans d’autres situations, la modalité interrogative permet de varier ce schéma amoureux sans pour autant en délaisser sa force. « Pensez-vous que l’amitié ne puisse jamais aller plus loin que celle que j’ai pour vous ? » [19]

Bien que l’on retrouve dans les lettres échangées avec sa fille, les quelques traces d’une préciosité récurrente, la dominance de son langage reste le naturel. [20]Mme de Sévigné cherche à s’affranchir au maximum des mythes esthétiques, et ainsi « Préserver l’authenticité de l’échange, et par là même l’intimité qui l’unit à sa fille, implique d’oser résister à la pression de normes épistolaires à la fois rassurantes et insipides ».[21]. Ainsi, ce dernier évite la lourdeur compassée de certains auteurs bien qu’elle puise son influence dans de nombreuses références littéraires. « Je dîne tous les vendredis chez le Mans avec M. de la Rochefoucauld, Mme de Brissac et Benserade. ». [22] La langue utilisée s’appuie pleinement sur des références concrètes et imagées, un décalage qui lui permet de se forger une voix et de ne pas se plier au modèle prescrit du XVIIème siècle. Son style décrit très souvent la peinture des mœurs et des caractères de ses contemporains. L’épistolière définit ces vertus stylistiques avec beaucoup de soin puisque les attentes souhaitées autour de son écriture envisagent de se débarrasser des artifices et des nombreuses banalités d’usage « pour lequel elle n’a que mépris peuvent assurer la transparence des cœurs. » [23] Alors, si Mme de Sévigné crée une subversion de son écriture qui ne se plie pas à toutes les normes de son époque, c’est avant tout parce qu’elle le doit à son statut social et moral qui concilie une exigence de spontanéité mais aussi afin de garantir la sincérité de ses lettres. La marquise multiplie alors les stratégies discursives pour parler de son amour et ainsi diminuer la distance entre sa fille et elle.

  1. Cécile Lignereux, A l'origine du savoir-faire épistolaire de Mme de Sévigné, Bordeaux, (lire en ligne), p. 9 à 15
  2. Cécile Lignereux, A l'origine du savoir-faire épistolaire de Mme de Sévigné, Bordeaux, (lire en ligne), p. 9 à 15
  3. Georges Molinié, Le style de Mme de Sévigné est-il précieux?, L'information Grammaticale, (lire en ligne), p. 35-37
  4. Cécile Lignereux, V. Explication de texte et question de grammaire, Bordeaux, (lire en ligne), p. 142-152
  5. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 5, Paris, folio, p. 27
  6. Cécile Lignereux, Vers une typologie des anecdotes galantes de Mme de Sévigné, Littératures classiques, , p. 97 à 110
  7. Cécile Lignereux, V. Explication de texte et question de grammaire, Bordeaux, (lire en ligne), p. 142-152
  8. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 5, Paris, Folio, p. 29
  9. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 21, Paris, Folio, p. 105
  10. Jennifer Tamas, Le style à la lettre, Avignon,
  11. Jennifer Tamas, Le style à la lettre, Avignon, Style 204
  12. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 5, Paris, Folio, p. 31
  13. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 12, Paris, Folio, p. 59
  14. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 17, Paris, Folio, p. 83
  15. Sonia Branca-Rosoff et Jean-Marie Fournier, Les caprices syntaxiques de Mme de Sévigné : une épistolière sourde aux prescriptions ?, Paris, Champion, , p. 321 à 332
  16. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 2, Folio, p. 23
  17. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 23, Paris, Folio, p. 115
  18. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 20, Paris, Folio, p. 97
  19. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 23, Paris, Folio, p. 115
  20. Bernard Braye, Quelques aspects du système épistolaire de Mme de Sévigné, Paris, Revue d'histoire littéraire,
  21. Cécile Lignereux, La déformalisation du dialogue épistolaire dans les lettres de Mme de Sévigné, Bordeaux, (lire en ligne), p. 113 à 128
  22. Madame de Sévigné, Je vous écris tous les jours... Lettre 14, Paris, Folio, p. 69
  23. Cécile Lignereux, La déformalisation du dialogue épistolaire dans les lettres de Mme de Sévigné, Bordeaux, Littératures classiques, (lire en ligne), p. 113 à 128