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Le Paysan de Paris est un ouvrage de Louis Aragon publié aux éditions Gallimard en 1926, alors qu’il avait été précédemment diffusé sous formes de feuilleton dans La Revue Européenne. Cette oeuvre est divisée en quatre parties : d’abord une “préface à une mythologie moderne”, puis deux chapitres consacrés à des lieux Parisiens : “le passage de l’opéra” (1924) suivi du “sentiment de la nature aux buttes-Chaumont” et enfin “le songe du paysan”. Le contexte d’écriture du Paysan est révélateur : le surréalisme est théorisé en 1924 par André Breton dans Le Manifeste du surréalisme et, parallèlement à cette publication, Aragon rédige entre 1924 et 1925 Le Paysan de Paris. Ce dernier est d’ailleurs envisagé comme un manifeste du surréalisme Aragonien. On y retrouve en effet la pratique de la transdisciplinarité (liens avec les collages, la peinture…), l’atmosphère onirique ainsi que l’écriture à processus, mais également des procédés d’écritures surréalistes typiquement Aragoniens.

A travers cet ouvrage difficile à caractériser, Aragon rend compte de l’évolution de la ville par le biais des deux lieux qu’il a choisi d’étudier. Ces endroits sont décrits avec beaucoup de précision : Aragon les a lui-même fréquentés. Il les caractérise de manière précise, prenant la place "d'un guide affable et bavard" fat faire une visite à "des touristes curieux et leur dispensait, selon les règles du métier, un dosage habile de renseignements objectifs et d'anecdotes personnelles, sur un ton de familiarité confiante"(Yvette Gindine). S’inspirant de la caméra cinématographique, il décrit avec précision les préoccupations des habitants du Passage de l’Opéra ou le jardin des Buttes Chaumont. En effet, c'est un "vieil habitué du Passage (...) Il a longtemps fréquenté le café Certa, quartier général du groupe Dada, et en donne une description minutieuse qui permettrait d'en reconstituer le décor exact." Quant au deuxième lieu : les Buttes Chaumont, on suit les pérégrinations du narrateur à travers les jardins, "le guide bienveillant est remplacé temporairement par un technicien dressant un cadastre: la présentation du parc est faite en termes géométriques" . (En ce sens Aragon s’inscrit dans une tradition qui date du XIXème siècle. En effet Zola, Balzac ou encore Apollinaire avaient initié cette écriture de la ville vivante et moderne.) Aragon s’approprie alors ce thème et devient “sensible aux mystères de la capitale” .

Le titre
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Dès le titre, un horizon d’attente est d’ailleurs proposé aux lecteurs. Il s’agira effectivement d’une oeuvre concernant la ville de Paris, envisagée par les yeux neufs et étonnés d’un “paysan”. Dans la notice des Oeuvres Poétiques de la Pléiade, Daniel Bougnoux affirme en ce sens que “l’oxymore souvent remarqué du titre, qui semble juxtaposer deux espaces inconciliables, renverse les partages ordinaires des lieux ou des cultures pour ouvrir sur une hétérotopie”. De manière plus symbolique, Yvette Gindine analyse le mot « paysan ». Celui-ci serait à entendre comme une provocation, un renversement de sens. Elle affirme en effet que "Paris" serait envisagé comme une nouvelle terre à connaitre et à cultiver pour ce "Paysan" moderne. Le texte est donc une méditation philosophique ( par une entreprise de « métaphysique des lieux » ) empreinte d'ironie.

Il s’agit donc, par le biais du regard neutre du paysan, de faire une description singulière et originale de Paris, en appliquant les procédés stylistique et esthétiques du surréalisme Aragonien.

Publication et réception

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Le Paysan de Paris a d’abord été publié sous forme de feuilleton en Mai-Juin 1925 dans La Revue Européenne de Soupault. C’est en 1926, deux ans après la parution du Manifeste du surréalisme que Gallimard publie l’ouvrage. Les commentaires des critiques tout comme ceux des lecteurs ne furent pas élogieux. Tout au mieux, le silence accompagna la publication du Paysan. Michel Meyer insiste ainsi : « la réception critique du Paysan lors de sa parution fut assez négative. On remarque d’abord le silence de la N.R.F. La revue se contente de signaler la parution de l’ouvrage »

La lecture des premières pages en 1924 fut même suivie d’un mouvement d’indignation. Daniel Bougnoux précise en ce sens que “sa publication en 1926 connut un relatif échec (...) et, surtout, la lecture des premières pages au printemps de 1924 rue Fontaine provoqua un tollé, aussitôt combattu par Breton”.

Breton défend alors son ami, à condition que celui-ci ne publie pas de roman, catégorie littéraire violemment bannie par le groupe surréaliste. Ils considèrent en effet le romanesque comme un genre facile et médiocre. Aragon classera alors son ouvrage dans les Oeuvres poétiques, alors que le roman est pour lui un lieu d’expérimentation.

Aragon avait lui même anticipé les mauvaises critiques et la réception hostile de son oeuvre. Annoncé comme un manifeste surréaliste, sa lecture est en effet innovante et difficile : « une page du numéro La Révolution surréaliste datée du 15 Juin 1926 en annonce en ces termes la parution « ce livre a plu et déplaira et déplaira et déplaira » .

Le flou générique de l'œuvre

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La particularité stylistique du Paysan de Paris réside dans le flou générique qui le constitue. Les critiques se trouvent ainsi dans l’impossibilité d’attribuer une étiquette générique pertinente au Paysan. Daniel Bougnoux annonce en effet dans la notice des oeuvres poétiques “ce livre-culte au genre incertain - faut-il le classer comme poème, roman ou essai ? - “

Poème, description, roman, essai, collage, compte rendu de promenade… la richesse stylistique de cette oeuvre provoque une “confusion des genres” .

un véritable poème ?
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Le Paysan de paris n’est pas en vers, n’adopte pas les formes poétiques traditionnelles et possède une instance narrative. Pourtant, certains passages sont lyriques, musicaux et se rapprochent de l’esthétique du poème. Par exemple page 207, le style est lyrique, la femme est louée comme dans la tradition poétique et les anaphores donnent un rythme musical au passage : “ A peine j’oubliais un peu cet abandon, et jusqu’aux nonchalances noires que tu aimes, que te voici encore, et tout meurt à tes pas. A tes pas sur le ciel une ombre m’enveloppe. A tes pas vers la nuit je perds éperdument le souvenir du jour. (...) O désir, crépuscule des formes, aux rayons de ce ponant de la vie”

Des alexandrins blancs se glissent également dans le texte. L’écriture tend ici vers l’esthétique de la poésie. “Je suis le passage de l’ombre à la lumière, je suis du même coup l’occident et l’aurore” 135-36

En ce sens Michel Meyer affirme en effet « Le texte, rythmé par des anaphores lyriques devient une véritable prière (…). L’alexandrin n’est pas loin. Aragon est ici plus que jamais poète.» C'est un lyrisme moderne, s'appuyant sur la description ville en mouvement qu'Aragon, inspiré par Apollinaire, nous donne à lire.

D’ailleurs le texte est placé dans Les Oeuvres poétiques  de la pléiade. Cette décision significative n’est pourtant pas réellement valable puisque «P. Soupault propose à Aragon, fin 1925, d’écrire pour La Revue européenne, qu’il dirige, un texte qu’il lui promet de publier « en quinze jours, (…) il écrivit la première partie du Paysan de Paris. Gallimard lui demanda aussitôt d’éditer cette oeuvre qu’il refusa d’appeler roman, le qualificatif étant alors considéré, par Breton et Eluard, comme « impardonnable ».

Aragon n’a donc pas pu choisir arbitrairement l’étiquette générique de son oeuvre et s’est plié aux critères surréalistes.

Roman, description, essai …
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S’il n’adopte pas les procédés stylistiques traditionnels de la poésie, l’ouvrage d’Aragon emprunte à d’autres genres. Son travail sur la narration et la description s’approche ainsi des frontières du roman ou de l’essai. “ Le parti pris de décrire n’a rien d‘innocent si l’on songe que la description est traditionnellement subordonnée dans le roman, dont elle seconde la narration  Cette limite ou “frontière du récit” méritait d’être sondée pour elle-même, ce que fait ici Aragon en renversant une hiérarchie ordinaire : le fond se retrouve promu figure, le décor personnage, la description action principale.”

La description quant à elle est omniprésente dans le texte. On lit en effet de longues descriptions qui n’ont aucune utilité concernant la diégèse et le récit, comme par exemple celle du café Certa page 93 : “un grand comptoire occupe la majeure partie du fond du café. Il est surplombé par des fûts de grande taille avec leurs robinets. A droite, au fond, la porte du téléphone et du lavabo”. Pour Meyer, l’usage de la description dans Le Paysan est “gratuit”, cette dernière “ne signifie rien”.

un essai philosophique
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Dans Le Paysan de Paris, Aragon mentionne plusieurs fois Hegel, Kant ou encore Schelling, souvent dans le but d’argumenter sa vision de Paris. Page 45 par exemple, il écrit “l’individu vivant, dit Hegel (...) Je trouve dans ce propos la signification véritable de l’histoire de Paris.”. La philosophie Hegelienne parait éclairer sa conception des habitants et du fonctionnement de la capitale, et la conscience qu’il a du monde qui l’entoure “dans le passage de l’Opéra, tant de promeneuses diverses se soumettent au jugement hégélien”.

La présence significative des philosophes allemands, de manière implicite (références, exemples classiques) ou explicite (citations) donne à cet ouvrage un aspect d’essai philosophique.

En ce sens Michel Meyer affirme donc que « Le Paysan de Paris  est également le fruit d’une réflexion philosophique. Aragon lit des auteurs comme Hegel ou Schelling. Il pose la question du rapport entre la conscience et le monde. »

Théâtre et flânerie
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Le thème de la promenade ou de l’errance est très présent dans les romans d’Aragon et ce dès Le Paysan de Paris. En effet le personnage déambule dans la capitale, écoute les conversations, observe la vie quotidienne des habitants du quartier. Dans Aurélien, ce dernier est un habitué des rues de l’île Saint-Louis. Cette flânerie donne à voir des scènes de vie quotidienne qui rappellent au lecteur la dynamique du genre théâtrale fait d’entrées et de sorties. Daniel Bougnoux insiste sur la présence du genre théâtrale : “le passage de l’Opéra ou celui déjà des Cosmoramas dans Anicet fonctionnaient comme un décor de théâtre avec leurs intrigues, leurs personnages prévisibles, leurs coulisses et leurs trappes… La déambulation du flâneur aboutit d’ailleurs assez logiquement au “Théâtre moderne”, qui récapitule et clôt les vues du passage.”

De plus, de véritables dialogues théâtraux sont insérés dans la diégèse, comme par exemple page 28-29: “MOI. - je vous demande mille fois pardon, vous êtes bien le concierge du passage ?

LUI. - Depuis vingt et des années, Monsieur, pour vous servir ? “

La recherche d’un nouveau langage, un exercice de style ?
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Finalement, avec cette écriture novatrice du Paysan de Paris, Aragon “pulvérise toute continuité et rivalise avec l’infinie diversité du monde extérieur/intérieur en composant un cinéma ou un trépignant ragtime de styles et de genres.”

“Un pareil ouvrage mériterait bien le nom d’exercice, voire d’essai expérimental, dont l’enjeu pourrait être de “piétiner” les frontières et les styles pour faire accéder le livre a mille voisinages inédits”. De plus, les aphorismes à la fin de l’oeuvre volonté de collage dans son sens le plus littéral. L'ironie est sous jacente dans ces formes particulières de collages et le pastiche n'est pas loin : "La seconde personne, c'est encore la première" (p.246), "il n'y a de poésie que du concret" p.245. Dans la continuité des ambitions esthétiques du surréalisme, Aragon, à travers cette oeuvre, renverse les normes littéraires pour créer un ouvrage qui n’appartient à aucun genre, de manière à prôner une liberté stylistique.

Un exercice puisque apparition d’une esthétique nouvelle : le cinéma, la peinture, les collages.

L'influence de différentes formes artistiques

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Le collage : une héritage de Dada

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Du mouvement Dada, dont il fut un acteur, Aragon tire un grand intérêt pour l'art du collage, de la superposition, dont les photomontages de Raoul Hausmann ou de Max Ernst sont sans doute les exemples les plus célèbres. Or Kiyoko Ishikawa souligne qu'Aragon ne fait pas de distinction entre le collage plastique et la citation littéraire. En effet, il s'agit dans les deux cas pour l'auteur de mettre dans un contexte nouveau ce qui est déjà dit, écrit peint. Il affirme ainsi en 1965 dans Les Collages : « à partir du moment où nous considérons l'existence de collages dans un art non plastique, le poème, le roman, de l'alphabet signé à une lettre ramassée dans la rue, nous sommes fatalement amenés à confondre collage et citation, à nommer collage le fait de plaquer dans ce que j'écris ce qu'un autre écrivit, ou tout texte tiré de la vie courante, réclame, inscription murale, article de journal, etc. ».

Le pastiche, le plagiat sont autant d'exercices auxquels se livre l'auteur dans Le Paysan de Paris : on relève par exemple dans la première partie "Préface à une Mythologie moderne" un plagiat de la lettre XXXVII d'Oberman de Senancour (« et moi ! Voici ma vingt-septième année : les beaux jours sont passés, je ne les ai même pas vus ») : « M'appartient-il encore, j'ai déjà vingt-six ans, de participer à ce miracle ? Aurai-je longtemps le sentiment du merveilleux quotidien ? ». De même, la technique du collage paraît régir l'organisation même de l'œuvre, composée de quatre sections distinctes qui ne semblent pas suivre le fil logique d'une trame narrative. On retrouve son influence jusque dans l'emploi de certains procédés de style, par exemple l'asyndète, qui concourent à une impression d'immédiateté et de pensée "par écarts".

Toutefois, Ishikawa souligne les procédés de collage les plus apparents dans Le Paysan de Paris restent les insertions au sein même du texte d'éléments pris dans le monde réel : enseignes, écriteaux, coupures de journaux, dessins etc. Tous ces objets et matériaux concourent ainsi à l'élaboration d'une nouvelle poésie qui tient beaucoup des poèmes-affiches produits par les premiers surréalistes. La ville, selon Ishikawa, n'est plus seulement "décrite" mais "transcrite".

Ces éléments produisent des effets de rupture dans la continuité du texte, qui s'actualise en reproduisant le rythme, la cadence de la déambulation dans la ville avec ses interruptions et ses arrêts. Par l'irruption brutale d'une hétérogénéité, le texte élabore une nouvelle forme de cohérence et devient une métaphore de la flânerie dans les rues.

Les nouvelles techniques artistiques : la photographie, le cinéma.

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La photographie : cf Ishikawa

Luc Vigier souligne dans son ouvrage Aragon et le cinéma que la voix de l'auteur se construit au contact du cinéma muet, dans une série de textes critiques et de poèmes sur Charlot entre 1917 et 1919. Comme lui, les autres futurs adeptes de Dada se passionnent pour ce nouveau genre, et notamment les serials : les revues d'avant-garde débordent alors de poèmes cinématographiques, d'esquisses de scenario, de textes théoriques sur le cinéma etc. Aragon particulièrement voit dans les ciné-feuilletons des années dix une nouvelle représentation de l'homme et y décèle la puissance du "stupéfiant-image" : ces éléments deviendront pour lui ceux d'un véritable manifeste poétique. Le cinéma est alors le symbole d'une modernité accessible à tous, un art magique, burlesque, sulfureux.

Aragon retient du cinéma muet l'impression de sauts, de cavalcades, d'associations des montages et des "cuts", et relève l'effet d'une syntaxe brisée, qui, reproduite à l'écrit, fait écho aux poèmes de Dada. Le texte Une vague de rêves, paru au même moment que le Manifeste du Surréalisme rapproche de fait tous les domaines de la puissance imageante : il s'agit alors simultanément de l'image verbale, visuelle et mentale dans toute leur incongruité révolutionnaire.

L'influence du septième art se lit dans la prose aragonienne dès Anicet ou le panorama: Vigier remarque même que le titre rassemble une anagramme du mot "cinéma" et l'idée d'un écran-paysage, contenue dans le terme "panorama". Dès cette époque, "le cinéma est compris, par Aragon, comme producteur et porteur d'une pensée du monde où l'érotisme joue un rôle central de capteur et de passage vers l'inconnu".

Dans le Paysan de Paris, la « Préface à une mythologie moderne » reprend ce qu'Aragon avait déjà écrit dans « Du sujet » sur la spontanéité créatrice de l'erreur dans les films de Charlie Chaplin et sur la fondation par le cinéma d 'une image de l'homme moderne. Vigier souligne qu'ensuite, "le passage de l'Opéra, (…) qui constitue l'une des « scènes » majeures de ce « poème », se trouve structurée et pensée comme une somme allégorique de plusieurs médias : éclairée par les deux côtés, mais également par une verrière, le passage parisien fonctionne à la fois comme une chambre claire, un aquarium, et une plaque de verre au microscope dans lesquels défilent les figures errantes d'un société de désir et de consommation. De fait, l'univers fantastique et fantasmagorique du Paysan de Paris joue avec des contraintes qui modélisent le rapport du sujet avec son décor ; le premier s'agitant devant un fond de vitrines, de bordels, et de cafés dans un mouvement optique perpétuel où la focale se porte alternativement sur l'un ou sur l'autre, avant que tout ne bascule dans le merveilleux et le fantastique".

Aragon s'inspire particulièrement, nous le voyons ici, du cinéma scientifique, et notamment des films scientifiques de Jean Painlevé. Le Paysan déclare ainsi : « Ce sont les clients du tailleur : je les vois défiler comme si j'étais un de ces appareils de prises de vues au ralenti qui photographient le gracieux développement des plantes » (p176). La prose poétique, mettant en avant la mobilité du regard sur le réel, les mouvements du décor par rapport au sujet et des effets de montage debient une véritable analogie de l'art cinématographique.

Du surréalisme aragonien au rejet de l'idéalisme

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Paris surréaliste

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La ville de Paris pour les surréalistes, et parmi eux Aragon, est le lieu d'une transformation perpétuelle du décor urbain en véritable mythologie. L'Errance devient pour les personnages surréalistes un moteur : la promenade ennuyée, la déambulation entre les lieux du quotidien est selon Ishikawa la raison d'une véritable chasse à l'insolite, au bizarre. La ville "moderne" des surréalistes n'est alors plus la ville effervescent de l'innovation technologique, mais celle qui conserve comme des survivances des époques passées. Celles-ci, tombant en désuétude, touchent alors au magique dans leur inutilité même. Breton souligne dans ses Entretiens l'incroyable capacité d'Aragon particulièrement de déceler le surprenant où qu'il se trouve : « Les lieux de Paris, même les plus neutres, par où l'on passait avec lui étaient rehaussés de plusieurs crans par une fabulation magico-romanesque qui ne restait jamais à court et fusait à propos d'un tournant de rue ou d'une vitrine ». C'est cet insolite qui est au centre du Paysan de Paris, et qui permet la transformation du réel.

Un surréalisme aragonien

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Tout en étant un ennemi du roman traditionnel, comme en témoigne le Traité du style, et alors même que Breton et les surréalistes de la génération cadette condamnent le roman catégoriquement, Aragon écrit à Jacques Doucet en 1923 «  je trouve infimes les distinctions qu'on fait entre les genres littéraires ; poésie, roman, philosophie, maximes, tout m'est également parole."(Roger Garaudy, L'Itineraire d'Aragon ( Paris : Gallimard, 1961)).

Le Paysan est précisément l'assemblage de ces genres, et témoigne d'un intérêt d'Aragon pour le roman, qui ne peut qu'expliquer le rejet de l'œuvre par le groupe surréaliste. Celle-ci est ainsi un terrain d'expérimentation sur lequel l'auteur cherche à créer " une nouvelle espèce de roman enfreignant toutes les lois traditionnelles de ce genre, qui ne soit ni un récit ( une histoire) ni un personnage ( un portrait)" (Le Paysan). Tout en faisant déambuler le Paysan dans le Paris surréaliste, la forme même de cette œuvre marque donc une certaine indépendance d'Aragon par rapport au groupe dans sa conception du projet surréaliste. Ishikawa écrit :" au nom de la liberté et de la révolte, Breton condamne le roman alors qu'Aragon tente, aussi au nom de la liberté, de détruire le genre romanesque en utilisant des moyens propres à ce dernier.". Jacqueline Chénieux précise dans Le Surréalisme et le roman que Breton cherche à "construire un récit qui, en refusant les masques de la fiction, soit un reflet de la « vraie vie »", tandis qu'Aragon, en refusant la vraisemblance, "libère le potentiel ludique et poétique de l'écriture romanesque".

Or le "roman" aragonien devient le lieu d'un attention particulière portée au concret, à travers notamment les insertions picturales d'éléments du quotidien. Ce sont ces éléments concrets qui seront transfigurés par l'imagination en éléments "sacrés" constitutifs d'une "mythologie moderne", comme on le lit dans la première partie du Paysan de Paris. Yvette Gindine écrit :"Aragon dégage la perception du merveilleux à partie d'une minutieuse attention au spectacle quotidien. Loin de s'étioler en devenant prisonnière du concret, comme le craignait Breton, l'imagination y puise au contraire sa subsistance et trouve une continuelle stimulation dans l'observation exacte de lieux spécifiquement nommés". Le démodé dans la ville, se situant dans le domaine de l'inutile émet « la lumière moderne de l'insolite ", et devient le fourneau alchimique de la transformation par l'imaginaire. Le "passage" du concret à l'imagination est projetée dans l'architecture même à travers l'étude du Passage de l'Opéra, archétype du transitoire. Là encore manifeste l'originalité d'Aragon par rapport au groupe surréaliste, comme le souligne Ishikawa : alors que le symbole du passage est chez eux, et particulièrement chez Breton, un lieu de fantaisie (ce dernier écrit dans Les Champs magnétiques : " Dans certains passages fameux, on sait que des animaux sans nom dorment sans inquiétude.") , il est aussi chez Aragon un lieu spéculatif.

Dans le Paysan de Paris, Aragon crée donc une "métaphysique des lieux" qui s'accompagne d'un jeu de transformation dans l'écriture même : si le passage est le lieu par excellence de l'équivoque, l'équivoque est celle des mots également : un hôtel de passe se trouve dans le passage, décrit par le narrateur qui se qualifie de « sage » [1]pour un lecteur « pas sage » (« je vais vous décrire si vous n'êtes pas sages »). Le lecteur ne doit ainsi pas être "sage" soit passif, et doit lire l'équivoque en même temps que le paysan en fait l'expérience.(Mary Ann Caws , « Passage d'un paysage à l'autre : réversibilité » ; Le siècle éclaté 3, éd. Mary Ann Caws (Paris, Lettres modernes, 1985) + « The Poetics of a Surrealist Passage », A Metapoetic of the Passage (Hanover : University Press of New England, 1981) la transformation magique des lieux qui ouvre la porte à l'imagination, prenant donc pour premier matériau le concret, est amorcée chez Aragon une technique de description très réaliste. Chénieux-Gendron parle dans Le Surréalisme et le roman de véritable « plaisir descriptif » dans le texte aragonien : la topographie devient cet acte de désir par lequel le désuet est sacralisé. Aragon, à la différence de Breton notamment qui craint l'analogie, fait pénétrer la description du concret dans le domaine de l'imagination de façon presque immédiate. La description est donc pour lui « tremplin de l'imaginaire »[2], qui rend possible la perception du merveilleux quotidien.

La rupture du "Songe du Paysan" : le rejet de l'idéalisme

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Ishikawa souligne qu' Aragon écrit dans Je n'ai jamais appris à écrire « la description est réservée aux lieux, et l'histoire est celle de l'évolution d'un esprit , à part d'une conception mythologique du monde, vers le matérialisme, qui ne sera point atteint aux dernières pages du livre, mais seulement promis, dans la proclamation de l'échec de la plus haute conception où l'homme avait pu s'avancer par la voie de l'idéalisme, l'hégélianisme, l'idéalisme absolu. »

Gindine : Dans le parc, envouté par l'extase silencieuse des couples qui l'entourent, le Paysans commence sa grande incantation à la Femme. → lyrisme soutenu.

Mais tout de suite après : le lyrisme retombe, l'apothéose se renverse en autodestruction apocalyptique. // Lautréamont.

Dans les trois dernières sections du « Sentiment de la nature... » le ton devient de plus en plus sarcastique à l'égard du lecteur qui se fait insulter. + attaque à l'égard de Soupault, directeur de la Revue Européenne qui publie le PdeP, pour ses fausses positions intellectuelles et son incompréhension des textes qu'il publie.

Finit par condamner sa propre tentative. «  Il est trop tard, il est enfin trop tard pour l'informulable destinée désirée... Retombe, retombe ma tête, assez joué au bilboquet, assez rêvé, assez vécu, assez » p230-231.

Abandon de sa position antérieure lié à la condamnation de l'idéalisme. « Le Songe du Paysan » décrit de nvelles perspectives philosophiques et rejette la tendance précédente. Pour garantir son confort intellectuel, l'homme rechercherait sous l'apparence du désordre un ordre mystérieux → explication divine de l'univers. Position raffinée par l'idéalisme transcendantal, mais dans laquelle l'idée de Dieu est réaffirmée par le mouv dialectique. Aragon condamne à présent cette philosophie. Il s'agit à présent d'aller seulement vers le concret. → renonce à sa tentation d'absolu. / par l'amour : de même que l'amour ne peut être que concret, il n'y a de poésie que du concret.

Les trentes dernières pages du PdeP témoigent donc d'une mauvaise conscience surréaliste et d'un effort considérable pour repenser les termes du problème sur le plan philosophique et esthétique.

Notes et références

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Bibliographie

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  1. Louis Aragon, Le Paysan de Paris, p. 20
  2. Chénieux Gendron, {{Ouvrage}} : paramètre titre manquant