Une ville d'immigrations modifier

 
La famille d'Yves Montand, venue d'Italie, a immigré à Marseille lorsqu'il avait deux ans.

Marseille est une ville dont la population s'est construite sur des vagues migratoires importantes successives, les trois plus importantes étant celles des Italiens à la fin du XIXe siècle, des Arméniens au début du XXe siècle siècle, et des Maghrébins dans la seconde moitié du XXe siècle siècle[1]. Mais avant d'être une ville d'immigration, Marseille est depuis toujours à travers son port une ville de transit et de départ, une étape pour beaucoup de voyageurs quittant l'Europe. Elle est pour l'historien Michel Vovelle une « ville-carrefour », de migrations diverses, temporaires ou permanentes[2].

Avant le XIXe siècle modifier

L'immigration économique précédant le XIXe siècle concerne surtout les Provençaux de l'arrière-pays jusqu'à la Haute Provence et le Bas-Dauphiné[3] qui quittent les campagnes pauvres pour la ville.

Grand port de commerce au XVIIIe siècle siècle, Marseille a attiré de nombreux négociants européens[4]. Beaucoup de Suisses, d'Italiens, d'Allemands, d'Anglais, de Hollandais[5] et de Grecs[6] sont déjà présents dans l'activité économique à cette période.

À la fin du XVIIIe siècle, Michel Vovelle estime que les Italiens sont déjà 5 à 6 000, pour une population totale de 100 000 habitants. Ils représentent alors 70 % des étrangers résidents dans la ville[7]. Cependant, il faut attendre la seconde moitié du siècle suivant pour voir leur nombre exploser.

XIXe siècle, le début des vagues migratoires modifier

Dès la Restauration émerge une véritable communauté grecque à Marseille. De nombreuses familles négociantes, surtout originaires de Constantinople, Chio et Smyrne viennent grossir les rangs d'une population déjà présente au siècle précédant. On parle alors d'une véritable « aristocratie commerciale » grecque à Marseille aux XVIIIe siècle et XIXe siècle[8].

À partir du milieu du XIXe siècle, parallèlement au déclin des industries traditionnelles, une industrie nouvelle se concentre autour de la ville. L'explosion des activités portuaires et la construction de la voie ferrée du PLM nécessitent une main d'œuvre importante que la Haute-Provence, foyer d'immigration et réservoir humain traditionnelle de la ville, ne peut plus fournir. La croissance de Marseille est donc alimentée à partir de ce moment par une immigration extérieure et étrangère[9].

La ville voit alors arriver de nombreux Italiens qui viennent occuper les emplois industriels au dépend des Français dont la croissance démographique est bien plus faible. Parfois mal accueillis par les ouvriers locaux, ils sont la victime de violences en 1881, les Vêpres marseillaises. À partir de 1850 et jusqu'à l'entre-deux-guerres, l'immigration italienne va croitre de manière spectaculaire et en 1934 ils sont 127 000 dans la ville, où ils représentent environ les deux tiers de la population étrangère. À partir de cette période, la politique anti-exode du gouvernement fasciste nouvellement au pouvoir freine considérablement ce mouvement.[10]

Les historiens Émile Témime et Renée Lopez parlent d'« invasion italienne » entre les années 1850 et 1914 tant leur immigration est importante dans la ville[11]. Il y aurait aujourd'hui 300 000 personnes d'origine italienne à Marseille, soit environ 35 % de la population, ce qui ferait des Italiens la première communauté d'origine étrangère de la ville[12].

La première moitié du XXe siècle modifier

 
Beaucoup des réfugiés arméniens fuyant le génocide arrivent à Marseille au début du XXe.

Dans les années 1930, on observe une nouvelle augmentation du nombre d'étrangers et un renouvellement de la population qui renforce le caractère cosmopolite de la ville[13]. Ainsi en 1935, si la population italienne reste considérable (15 % du total et 60 % des étrangers), elle est en recul par rapport aux dernières décennies. En effet, au début du XXe siècle trois nouveaux groupes d'arrivants lui succèdent : les Arméniens, les Espagnols et les Corses.

Les Arméniens arrivent essentiellement entre 1923 et 1928, quittant les pays voisins de la Turquie actuelle dans lesquels ils s'étaient provisoirement réfugiés pour fuir le génocide. À l’exception de la période de guerre qui vient de s'achever, la ville n’avait jamais accueilli en si peu de temps autant de réfugiés. On estime que débarquent alors 60 000 immigrés arméniens, même si tous ne s’installeront pas à Marseille. Ils vivent d'abord dans des camps de fortune avant de s'intégrer rapidement dans la vie socio-économique[14] et de former des noyaux villageois dans les quartiers de Beaumont, Saint-Loup ou Sainte-Marguerite, entre autres. Si la population s’est depuis dispersée dans toute la ville au fil des années, certains quartiers comme Beaumont abritent encore une communauté importante[15][16].

Aujourd'hui, on estime que vivent entre 80 000 et 100 000 descendants d’Arméniens à Marseille[17]. Une autre source confirme cet ordre de grandeur en parlant de 10 % de la population actuelle[18].

Au début du XXe siècle, fuyant la crise économique d'une île à dominante agro-pastorale, de nombreux Corses s'établissent dans les quartiers traditionnels d'immigration autour du Vieux-Port[19]. Après la Seconde Guerre mondiale et la destruction d'une partie des Vieux-Quartiers qu'ils habitaient, ils se dispersent dans toutes la ville et connaissent une progression sociale visible : nombreux sont devenus fonctionnaires, avocats ou médecins[20]. Un certain nombre de Corses à l'inverse faisait partie du milieu marseillais. En 1965, on estimait que plus de 100 000 Corses vivaient à Marseille, ce qui lui valait alors le surnom de « capitale des Corses »[21].

Depuis les années 1950 modifier

Si l'immigration maghrébine n'a pas attendu la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est à partir des années 1950 qu'elle explose réellement. Au recensement de 1975, 60% des étrangers sont d'origine maghrébine. La reprise économique, l'encouragement du gouvernement français à la venue de travailleurs algériens et les répercutions de la décolonisation favorisent leur arrivée. La plupart d'entre eux sont des Algériens qui migrent pour le travail ou pour fuir les événements de la Guerre d'Algérie. Cette immigration est loin d'être homogène : aux côtés des Arabes algériens, marocains et tunisiens s'ajoutent les réfugiés juifs et pieds-noirs qui arrivent également en grand nombre[22].

Les Maghrébins s'installent souvent dans le centre-ville, où ils remplacent les précédentes vagues migratoires, ainsi que dans les bidonvilles au nord d'une ville qui ne peut tous les accueillir. Ceux-ci seront vite remplacés par des cités destinées à l'origine à n'être que provisoires, avant d'être délaissées par les pouvoirs publics et où nombre d'entres eux vit encore aujourd'hui[23]. Les Arabes nord-africains et leurs descendants représenteraient aujourd'hui 200 000 personnes (soit 23% du total)[12], ceux qui feraient d'eux la deuxième communauté d'origine étrangère de la ville après les Italiens.

Les Pieds-Noirs représentent au moment de l'indépendance algérienne une population d'environ un million de personnes[24]. En quelques mois en 1962, 450 000 d'entre eux gagnent Marseille, dont environ 100 000[25] serait resté. Ils font face à une certaines hostilités des pouvoirs publics et d'une partie de la population[26].

Les Juifs représentent 130 000 personnes en 1948 en Algérie et nombre d'entre eux quitteront leur pays pour la France aux côtés des Pieds-Noirs. S'ils transitent parfois par Marseille avant de partir pour Israël, une majorité s'y établira définitivement[27]. L'arrivée des Juifs séfarades d'Algérie modifie d'ailleurs grandement la communauté israélite de Marseille, qui s'élèverait aujourd'hui à 80 000 personnes[28], soit la troisième communauté juive d'Europe, après celles de Paris et de Londres[29].

Consécutivement à l'indépendance des Comores en 1975 et suite à un contexte politique et socio-économique difficile sur l'île[30], une importante communauté comorienne s'installe également dans la ville, dans des proportions faisant de Marseille la « plus grande ville comorienne » devant la capitale Moroni, avec une population de 50 000 à 100 000 personnes selon des estimations de 2004, soit près de 10 % de la population marseillaise[31],[32],[33].

Une ville multiculturelle modifier

Au XIXe siècle siècle, Marseille devient le point de rencontre entre un Orient mystifié, source de richesse et de profusion, et un Occident transformé par l'industrialisation rapide[34] nécessitant une main d'œuvre étrangère importante. Toutefois, l'immigration depuis le Moyen-Orient et l'Afrique est quasiment inexistante avant l'arrivée des Arméniens au début du XXe siècle siècle et n'explose réellement qu'à partir des années 1960 avec l'immigration maghrébine, libanaise et comorienne. Enfin, si elle entretient des rapports millénaires avec l'Orient, Marseille reste traditionnellement une ville de culture occidentale[35].

Reste que les vagues migratoires successives ont construit l'identité de la ville, définissant sa population comme un « peuple pluriel »[36]. Troisième ville arménienne du monde, première ville corse, première ville comorienne, troisième ville juive d'Europe et avec d'importantes communautés arabes et italiennes, Marseille est considérée par Jean-Claude Juan comme la ville la plus cosmopolite de toute la Méditerranée[37]. Des quartiers du centre-ville comme Noailles, Belsunce et le Panier, qu'ont occupé beaucoup de ces nouveaux entrants à leur arrivée quelque soit l'époque, sont restés multiculturels par essence, avec leurs magasins et restaurants italiens, corses, algériens, marocains, tunisiens, libanais, etc.[38].

Pour beaucoup d'observateurs, surtout étrangers, les rapports entre les communautés sont moins conflictuels à Marseille que dans le reste de la France[39],[40],[41]. Selon l'historien Yvan Gastaut, « malgré les spécificités socioculturelles de chacune et l’attachement puissant de certaines de ces communautés à leurs traditions, la ville a toujours su absorber les nouveaux arrivants sans heurts, en faisant montre d’une grande tolérance, notamment en ce qui concerne la pratique des cultes[42] » même si « les minorités intégrées sont restées fortement structurées autour de leurs références successives[43]. »

  1. https://hommesmigrations.revues.org/226
  2. http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1985_num_7_1_1180
  3. http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1985_num_7_1_1180
  4. http://cdlm.revues.org/6370
  5. http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1987_num_3_1_1132
  6. http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_2001_num_17_3_1793
  7. http://www.archives13.fr/archives13/webdav/users/Gallician/public/Pedagogique/TpsdesItaliensDPgq.pdf
  8. http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_2001_num_17_3_1793
  9. https://hommesmigrations.revues.org/226
  10. http://www.archives13.fr/archives13/webdav/users/Gallician/public/Pedagogique/TpsdesItaliensDPgq.pdf
  11. Témime (Emile), Lopez (Renée), Histoire des migrations à Marseille, Migrance, Tome 2, Edisud, 1990, p. 67
  12. a et b NPR - Diverse Marseille Spared in French Riots, 2005
  13. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées temime2
  14. http://fresques.ina.fr/reperes-mediterraneens/parcours/0002/marseille-et-ses-migrations.html
  15. http://www.armenews.com/IMG/pdf/les_armeniens_a_Marseille_-_Des_annees_vingt_a_aujourd_hui_par_emile_Temime.pdf
  16. http://www.marseillemairie11-12.fr/votre-mairie/vos-quartiers/beaumont.html
  17. http://www.lesinrocks.com/2015/04/24/actualite/a-marseille-la-difficile-integration-de-la-deuxieme-vague-dimmigres-armeniens-11744121/
  18. « Dieu m'a laissée en vie pour que je raconte », sur le site du quotidien Le Monde, 17 janvier 2014.
  19. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées Temime
  20. http://fresques.ina.fr/reperes-mediterraneens/parcours/0002/marseille-et-ses-migrations.html
  21. http://fresques.ina.fr/reperes-mediterraneens/fiche-media/Repmed00005/marseille-capitale-des-corses.html
  22. http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1995_num_11_1_1441
  23. http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1995_num_11_1_1441
  24. http://fresques.ina.fr/reperes-mediterraneens/parcours/0002/marseille-et-ses-migrations.html
  25. https://books.google.fr/books?id=-XpAAQAAQBAJ&pg=PA195&dq=immigration+pieds-noirs+marseille&hl=fr&sa=X&ved=0CDUQ6AEwAmoVChMI__igidv1yAIVBTwaCh19HApY#v=onepage&q=or%20nearly%204%20percent%20of%20Marseille's&f=false
  26. http://tempsreel.nouvelobs.com/infos-marseille-13/20120412.REG0949/marseille-1962-le-cauchemar-des-rapatries-d-algerie.html
  27. http://fresques.ina.fr/reperes-mediterraneens/parcours/0002/marseille-et-ses-migrations.html
  28. http://www.refworld.org/docid/49749d212.html
  29. https://books.google.fr/books?id=-XpAAQAAQBAJ&pg=PA195&dq=immigration+pieds-noirs+marseille&hl=fr&sa=X&ved=0CDUQ6AEwAmoVChMI__igidv1yAIVBTwaCh19HApY#v=onepage&q=or%20nearly%204%20percent%20of%20Marseille's&f=false
  30. http://www.recherches-internationales.fr/RI90/RI90-Katibou.pdf
  31. http://www.slateafrique.com/92217/marseille-capitale-comorienne
  32. http://www.slateafrique.com/90841/marseille-capitale-des-comores
  33. « Les Comoriens tentent de peser dans la campagne municipale », sur le site du quotidien Le Monde, .
  34. http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1990_num_6_2_1249_t1_0148_0000_3
  35. http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1990_num_6_2_1249_t1_0148_0000_3
  36. http://www.marseille.fr/sitevdm/marseille-esperance/presentation
  37. https://books.google.fr/books?id=ezUC4YPknfwC&pg=PT169&dq=comorians+marseille&hl=fr&sa=X&ved=0CB8Q6AEwAGoVChMI1J76ju31yAIVQl4aCh3BEQ5a#v=onepage&q=comorians%20marseille&f=false
  38. The New York Times, Marseille, the Secret Capital of France : « [...] in the center of the city, steps from the Old Port, Noailles is a crowded casbah of Lebanese bakeries, Moroccan spice marts, African wig shops, Chilean hairdressers, couscous joints, hookah cafes, Caribbean eateries and housewares bazaars [...] »
  39. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/articles/A40389-2005Feb20.html The Washington Post, Harmony Strikes a Chord With Muslims, Jews in Marseille, 2005]
  40. Courrier international, Marseille, trop calme pour être honnête, trad. de l'article de Marijn Kruk dans Trouw, 2010
  41. Who Gets to Be French?, The New York Times
  42. https://hommesmigrations.revues.org/226
  43. Gastaut Yvan. Histoire de l’immigration en PACA : le cas unique de Marseille. In: Accueillir no 248.