Utilisateur:Adélaïde Blasquez

Adelaïde Blasquez a été ouvrière puis traductrice, avant de devenir comédienne, journaliste et productrice d'émissions de radio. Elle publie en 1976 Gaston Lucas, serrurier. Chronique d'un anti-héros, paru dans la collection « Terre Humaine », collection de textes en anthropologie et ethnologie des éditions Plon, créée en février 1954 par Jean Malaurie.

Elle a publié par ailleurs Les Ténèbres du dehors (1981) et Noir animal (1978) [1] [2] et plus récemment Le Bel exil (1999)[3].

Gaston Lucas, serrurier (1976)

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Gaston Lucas, serrurier (278 pages), est un texte ethnologique issu d'entretiens enregistrés par Adélaïde Balsquez avec son voisin Gaston Lucas à la retraite (Gaston est son prénom, mais Lucas est un pseudonyme ([4], p. 81)). Il retrace la vie de cet ouvrier qui a traversé le XXè siècle, en 4 parties (la jeunesse, le mariage dans l'entre-deux-guerre, la guerre de 1939-1945, l'après-guerre).

Ce livre est "né de l'amitié entre un serrurier déraciné et une romancière exilée" (p. 263).

L'avant-propos est particulièrement touchant : Adélaïde Balsquez raconte l'évènement, soit la tentative de suicide au gaz de Gaston Lucas, qui lui a permis de nouer une forte amitié avec Gaston Lucas et qui permettra ces entretiens.

Le livre propose 12 chapitres:

  • Un paisible roman familial
  • Les années d'apprentissage de Gaston lucas
  • La fleur de l'âge
  • Sous les drapeaux
  • Un mariage d'amour
  • La drôle de guerre
  • Le trou noir
  • La drôle de libération
  • La mort de Jeanne
  • Il faut tenter de vivre
  • Survivre

La postface écrite par A. Blasquez propose une réflexion sur le suicide et expose la méthode suivie pour écrire ce livre.

Au sujet du suicide, A. Blasquez souligne qu'il est un appel désespéré à témoigner, à affirmer son existence ; la postface commence par cette citation : "Le suicide, écrit Marc Oraison, est d'abord un langage. C'est-à-dire une manière, pour le sujet, d'exprimer quelque chose à quelqu'un". A. Blasquez prend au sérieux cette tentative de suicide raté de G. Lucas et y voit une demande d'"affirmation paroxystique d'être" (p. 261). D'où ce projet ethnologique pour donner la parole à cet être sans importance sociale.

A. Blasquez a mené des entretiens le matin pendant 6 mois avec un magnétophone. L'après-midi elle retranscrivait ces entretiens mot pour mot.

A partir de ce matériaux de "quelque cinq cents pages" (p. 262), elle opte pour 2 formes de transcription. En effet chaque chapitre comporte :

  • une partie relatant les évènements marquant de sa vie, retravaillée en recourant "à ce français national, officiel que certains historiens tiennent de nos jours pour la langue de classe par excellence, pour une imposture hsitorico-politique imposée à tous d'abord par la Cour et l'Académie, ensuite par les possédants". Autrement dit, ces parties modifient substentiellement le parler et le vocabulaire de Gaston Lucas. A. Blasquez justifie ceci dans le but de donner à la parole de G. Lucas une universalité de langage qui lui permette de la communiquer.
  • une partie conservant le registre d'écriture employé par G. Lucas, qui "respecte au plus près le mode d'expression de mon interlocuteur" (p. 263) et qui relate les réflexions d'ordre générale de G. Lucas sur la vie, la politique, le passé/le présent, etc. Ce français n'est ni un français officiel, ni un français régional, mais un français d'ouvrier parisien, "une langue de classe, celle desouvriers parisiens qui sont, pour la plupart, des déraciné. Il n'a pas la verdeur et la richesse du parler régional" (p. 263). Ces parties permettent de comprendre le monde des idées et des valeurs de Gaston Lucas.

Les chapitres étaient relus par Gaston Lucas qui rectifiait les erreurs, notamment au sujet des opérations techniques de serrurerie.

Enfin le livre se termine avec les fac-similés de 2 lettres de Gaston Lucas à l'auteur : manuscrite, courte, avec des fautes d'orthographe, mais aussi bienveillante et qui témoigne de cette amitié sincère.

Cette méthode a été l'objet d'une enquête de Philippe Lejeune dont il retrace dans un article "Ethnologie et littérature : Gaston Lucas, serrurier" publié en 1985 dans Etudes rurales le compte-rendu afin de jeter "un regard ethnologique" sur la production d'un document ethnologique : "mon seul propos est de défaire le sentiment d'évidence que donne un témoignage si bien restitué" (p. 69). [5]

Analyse de Gaston Lucas, serrurier

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Le livre comporte un sous-titre : "Chronique d'un anti-héro". Le texte est explicitement issu de la volonté de donner la parole à ceux qui d'ordinaire ne l'ont pas car sans importance sociale.

Né en 1907, Gaston Lucas a traversé "sans histoires" trois quarts de siècle d'histoire. Il n'a connu que le travail, l'amour et la mort, ainsi que la guerre. Il a une réflexion sur les évènements politiques et sociaux de son époque, connait la proposition du communisme auquel il n'adhère pas, se positionne face à l'autorité du père et du patron, propose des réflexions sur la guerre et le pacifisme, l'amour et l'égalité homme-femme... Mais il n'est pas miliant. Il proclame qu'en définitive seul l'amour de son métier a donné un sens à son existence.

Face à cette absence d'importance sociale, A. Blasquez lui donne la parole par conviction sociale et tente quelque peu de le politiser en orientant sa réflexion sur la condition ouvrière, la guerre, etc. Gaston Lucas, cet anti-héro, devient ainsi le témoin de millions d'hommes privés de parole publique et qui affirment ici la dignité de leur vie de travail, d'ouvrier qualifié, sans souci de prédication ou de revanche.

Citation : "Total les jeunes ils n'ont plus le feu sacré comme nous on avait parce que moi c'est pas pour me vanter mais dans mon travail ma satisfaction personnelle comptait avant le reste la serrurerie je l'avais dans la peau je l'avais dans la main et puis surtout dans l'oeil."

Ce texte reste un matériaux brut, une parole retranscrite mais il y manque l'analyse sociologique. Philippe Lejeune, universitaire spécialiste de l'autobiographie, a enquêté auprès d'A. Blasquez sur la génèse de ce livre et propose une analyse plus poussée. P. Lejeune resitue le propos de la 4è de couverture ("il proclame seulement qu'en définitive seul l'amour de son métier a donné un sens à son existence, il démontre que le travail manuel n'est pas forcément une malédiction et que trouver dans l'effort quotidien un refuge et une valeur suprême n'est pas le privilège exclusif des créateurs ») dans une certaine naïveté : il rappelle que c'est exactement « la morale du Tour de France de deux enfants » ([6], p. 79). Adélaïde Blasquez ici montre ses limites en tant qu'ethnologue : bonne ethnographe, elle n'a pas les moyens de l'analyse. Pour Philippe Lejeune, l'histoire de Gaston Lucas n'est pas celle d'un artisan traditionnel fier de sa qualification, mais plutôt celle d'une ascension professionnelle ratée. Il avait 2 projets : celui de se lancer dans une branche moderne, l'électricité, ce que son père lui refuse et celui de se mettre à son compte, « être son propre maître ». P. Lejeune donne une explication en terme sociologique de cet échec, en terme d'héritage : G. Lucas n'a pas pu hériter comme son patron d'une petite affaire, son grand-père étant jardinier, son père cheminot. La sociologie permet d'élargir l'explication de la mobilité sociale ou de son absence en prenant en compte non pas un seul cas, ici celui de G. Lucas, mais en travaillant sur des échantillons plus larges. En revanche l'explication en terme d'éducation n'est pas creusée par P. Lejeune. P. Lejeune distingue ainsi 2 étapes du travail autobiographique : « L'écoute sympathique et valorisante amène d'abord l'interviewé à se confier. La parole ainsi prélevée sous anesthésie est ensuite envoyée au laboratoire pour analyse » ([7]p. 81).   

  1. « Un livre, des voix - Adélaïde Blasquez », sur France Culture (consulté le )
  2. « Adélaïde Blasquez », sur data.bnf.fr (consulté le )
  3. Sophie Milquet, « Langue, mémoire et identité : esthétique de l’exil chez Adélaïde Blasquez et Jorge Semprun », Cahiers de la Méditerranée, no 82,‎ , p. 173–188 (ISSN 0395-9317, lire en ligne, consulté le )
  4. Philippe Lejeune, « Ethnologie et littérature : Gaston Lucas, serrurier », Études rurales, vol. 97, no 1,‎ , p. 69–83 (DOI 10.3406/rural.1985.3060, lire en ligne, consulté le )
  5. Philippe Lejeune, « Ethnologie et littérature : Gaston Lucas, serrurier », Études rurales, vol. 97, no 1,‎ , p. 69–83 (DOI 10.3406/rural.1985.3060, lire en ligne, consulté le )
  6. Philippe Lejeune, « Ethnologie et littérature : Gaston Lucas, serrurier », Études rurales, vol. 97, no 1,‎ , p. 69–83 (DOI 10.3406/rural.1985.3060, lire en ligne, consulté le )
  7. Philippe Lejeune, « Ethnologie et littérature : Gaston Lucas, serrurier », Études rurales, vol. 97, no 1,‎ , p. 69–83 (DOI 10.3406/rural.1985.3060, lire en ligne, consulté le )