Transverbération

Phénomène mystique de la tradition catholique (transpercement spirituel du cœur par un trait enflammé)

La transverbération (emprunté au latin transverberare « transpercer », et signifiant « traverser de part en part ») est un phénomène mystique rarement mentionné et qui relève de la tradition catholique. Ce terme désigne le transpercement spirituel du cœur par un trait enflammé (d'amour).

La Transverbération de Thérèse d'Avila, Heinrich Meyring Venise.

Dans la tradition et les écrits mystiques catholiques, la « transverbération » du cœur du fidèle est une étape mystique par laquelle Dieu « augmente et purifie » l'amour dans le cœur du croyant. Cet événement mystique laisse parfois (toujours diront certains auteurs) des marques physiques sur le corps de la personne touchée (comme des stigmates par exemple).

Si les récits de transverbérations sont peu nombreux, celui de la transverbération de sainte Thérèse d'Avila est vite devenu célèbre et il a donné lieu à de nombreuses représentations artistiques. Des autopsies ont également été réalisées sur plusieurs saints (juste après leur mort ou des années plus tard) et elles ont révélé aux médecins de l'époque, une blessure sur le cœur « faite comme par une épée », dont l'origine et la cause étaient inexplicables pour les autorités médicales.

L’Église catholique a déclaré reconnaître officiellement la transverbération d'un certain nombre de saints (canonisés par ailleurs).

Définition modifier

Le mot transverbération vient du latin transverberare qui signifie « traverser de part en part » avec une épée ou un couteau (de trans « à travers », et verberare « battre, frapper »). Au IVe siècle, Saint Augustin utilisait (déjà) ce terme dans son ouvrage De civitate Dei[1] pour décrire Jésus sur la croix : « Manibus pedibusque confixis et clavorum transverberatione confossis » soit : « Les mains et les pieds [de Jésus] ont été fixés et cloués [sur la croix] (les clous traversant les mains et les pieds) »[2].

Le terme de « transverbération » est donc utilisé pour évoquer une blessure « spirituelle » du cœur d'une personne[3] (donc une blessure « invisible »). Certains dictionnaires précisent même : « blessure au cœur sans conséquences mortelles »[4]. D'après Paolo Arrigo Orlandi, même si la blessure est « spirituelle », la transverbération d'une personne amène toujours « des effets matériels (visibles) au côté ou au cœur »[5]

Dans la tradition biblique

Dans l'Ancien Testament on ne trouve que de rares allusions à cette « blessure du cœur », comme dans Ct 4,9 : « Tu m’as ravi le cœur, ma sœur fiancée tu m’as ravi le cœur par un seul de tes regards […] ». L'image du cœur transpercé est plus fréquente et plus explicite dans le Nouveau Testament comme lors de la crucifixion, avec le coup de lance porté au cœur de Jésus (Jn 19,34) ou dans la prophétie du vieillard Syméon (Lc 2,35) lorsqu'il dit : « un glaive (de douleur) te transpercera le cœur »[5].

Dans la mystique

Au-delà de la signification matérielle et factuelle du terme (traverser de part en part), ce terme exprime une idée métaphorique utilisée sur le plan spirituel dans la mystique catholique : l'infusion par Dieu dans l'âme de la vertu théologale de la charité, par le don de sa grâce[2]. D'un point de vue mystique, la transverbération souligne un amour « surnaturel » pour Dieu (du croyant). D'après Orlandi, la transverbération est en général accompagnée de signes visibles (aux pieds, aux mains, au front, au côté ou au cœur)[5].

Dans la spiritualité catholique

Pour les Chrétiens, cette vertu traduit un amour « surnaturel » vers Dieu et le prochain[6], amour diffusé par l'action de l'Esprit-Saint selon l'affirmation de Saint Paul : « l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). Dans un autre texte, l’apôtre indique se sentir (par cet amour) crucifié avec le Christ : « J’ai été crucifié avec le Christ, si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,19-20)[2].

Dans la spiritualité catholique, la transverbération est considérée comme un don spirituel donné aux personnes qui obtiennent une intimité mystique avec Dieu, composé d'une « blessure spirituelle dans le cœur ». Dans ce cadre, cette blessure (donnée par Dieu) est un signe de l'amour profond du mystique pour Dieu[7], et une façon, pour Dieu, de purifier et faire grandir cet amour.

Selon la littérature mystique, il s'agit d'une blessure physique provoquée par une cause immatérielle. La personne qui en est l'objet voit un personnage (soit Jésus-Christ, soit l'Esprit Saint, soit un ange) armé d'une lance flamboyante lui percer le flanc, comme le cœur de Jésus fut percé alors qu'il était mort sur la croix. Le cœur est touché et saigne de manière ininterrompue, plus particulièrement à certaines dates particulières, telle le vendredi saint. Il s'agit du prélude à l'union du « Verbe » et d'une âme, sous forme de noces ou mariage mystique.

Le docteur de l’Église Jean de la Croix a décrit ce phénomène mystique dans son ouvrage La Vive Flamme d'amour[8], indiquant les « effets dans l'âme » de la transverbération. L'auteur mystique évoque lui aussi la vision possible d'un chérubin armé d'une flèche enflammée[9].

Récits et observations modifier

Les récits de transverbération sont rares, le plus connu est celui fait par Thérèse d'Avila dans son récit autobiographique le Livre de la vie[10]. Dans son récit, elle parle d'un « dard enflammé » qui la laisse « enflammée de l'amour de Dieu »[11],[12]. Au XXe siècle, le Padre Pio a laissé un témoignage personnel assez proche (du récit thérésien)[13].

Des autopsies ont été réalisées sur le corps de certaines personnes après leur décès. Ces observations ont permis de voir la marque d'une blessure sur le cœur, « marque d'origine inexpliquée »[14]. L'autopsie réalisée sur Thérèse d'Avila[15] plusieurs décennies après son décès a tout de même permis d'observer des marques sur le cœur[16] par plusieurs témoins avec « une grande plaie qui le traverse de part en part, et deux ou trois autres plus petites ». Ils ajoutaient que ces plaies « paraissaient avoir été faites avec un fer chaud, puisque l'entrée semblait être brûlée »[17],[18]. Une observation similaire a été faite, en 1878, sur le cœur de Mariam Baouardy le jour de son décès (par le médecin et plusieurs témoins), puis à nouveau quelques décennies plus tard par d'autres médecins[14].

Liste de cas connus modifier

 
La Transverbération de sainte Thérèse d’Avila par Antonio Verrio.

Liste des personnalités pour lesquelles une transverbération est connue ou reconnue (par l’Église catholique) :

Notes et références modifier

  1. (la) Augustin d'Hippone, De civitate Dei, t. XVII, chapitre 17.
  2. a b et c Orlandi 1996, p. 21.
  3. « Définition de Transverbération », sur Dictionnaire en ligne, dictionnaire.education (consulté le ).
  4. « Transverbération : Nom féminin singulier », sur Encyclopédie Universalis, universalis.fr (consulté le ).
  5. a b et c Orlandi 1996, p. 22.
  6. Le prochain : terme biblique désignant tous les autres êtres humains.
  7. Orlandi 1996, p. 21-23.
  8. Jean de la Croix, Œuvres Complètes : Jean de la Croix, Cerf, coll. « Œuvres de Jean de la Croix », , 1871 p. (ISBN 978-2-204-06643-3), p. 1113-1120.
  9. Jean de la Croix 1990, p. 1116.
  10. Voir l'article Transverbération de sainte Thérèse.
  11. Thérèse raconte : « Je voyais donc l’ange qui tenait à la main un long javelot d’or dont la pointe laissait échapper une flamme. Il m’en perça soudain le cœur jusqu’aux fibres les plus profondes et il me semblait qu’en le retirant, il en emportait des lambeaux. Puis il me laissa toute entière embrasée de l’amour de Dieu. La douleur était si vive qu’elle m’arrachait des gémissements, mais accompagnée d’une telle volupté que j’aurais voulu qu’elle ne cessât jamais ».
  12. a et b Le Livre de la vie, chapitre 29, en libre consultation sur le site du Carmel.
  13. a et b « Je vis devant moi un personnage mystérieux dont les mains, les pieds, la poitrine, ruisselaient de sang. Je sentis mon cœur blessé par un dard de feu... Ce personnage disparut à ma vue et je m'aperçus que mes mains, mes pieds, ma poitrine étaient percés et ruisselaient de sang ! ». Citation tirée de Jean Guitton et Jean-Jacques Antier, Les mystérieux pouvoirs de la foi, Paris, Perrin, , 398 p. (ISBN 978-2262009717).
  14. a b et c autopsie du cœur réalisée le jour de son décès par M. Carpani chirurgien de Jérusalem en présence de témoins qui rédigent un rapport et le signent. Le à Pau, les docteurs Aris et Ecot signent un nouveau rapport qui déclarent « Il est difficile de donner une explication scientifique. Le cœur portait une blessure qu'on aurait dite produite par une large pointe de fer. Les deux lèvres de la plaie étaient desséchées, signe de l'ancienneté de la blessure. »
  15. Avec les moyens et les techniques du début du XVIIe siècle.
  16. Nicolas Mattei, « Conférence de Nicolas Mattei sur l'art Baroque: sainte Thérèse d'Avila par Le Bernin, à l'invitation de Jean-Pierre Denis du Cien, Bastia, Una volta, décembre 2009 », sur Musanostra, forum culturel populaire, musanostra.fr, (consulté le ).
  17. Carmel, Traduction des leçons des saints nouveaux et de ceux du propre, pour servir de supplément au bréviaire latin-français : à l'usage des religieuses de l'Ordre de N.-D. du Mont-Carmel, selon la réforme de sainte Thérèse, Tours, Ad. Mame et Cie, , 160 p. (lire en ligne), p. 99-100.
  18. Orlandi 1996, p. 24-25.
  19. a b c d e f g h et i Orlandi 1996, p. 23.
  20. « Les grâces mystiques : ch. 25 à 29 (note N°8) », sur Le Carmel en France, carmel.asso.fr (consulté le ).
  21. Les heures du Carmel, Lavaur, Éditions du Carmel, , 348 p. (ISBN 2-84713-042-X), p. 179-184.
  22. Amédée Brunot, Mariam, la petite arabe, Paris, Salvator, , 10e éd. (1re éd. 1981), 184 p. (ISBN 978-2706706684).
  23. Orlandi 1996, p. 27-31.
  24. (it) « La trasverberazione di Padre Pio », Atti del convegno di studio sulle stigmate del servo di Dio Parde Pio da Pietrelcina, San Giovanni Rotonod,‎ .

Annexes modifier

Bibliographie modifier

  • Joachim Bouflet, Encyclopédie des phénomènes extraordinaires dans la vie mystique : Les Anges et leurs saints, t. 3, Le jardin des livres, , 315 p. (ISBN 978-2914569064).
  • (it) Paolo Arrigo Orlandi, I fenomeni fisici del misticismo, Piero Gribaudi, coll. « Saggistica », , 247 p. (ISBN 9788871524306, lire en ligne), p. 21-23   : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Articles connexes modifier