Peuple frère ou peuple fraternel est un cliché de propagande, un idiome, un idéologème des processus politiques et idéologiques largement utilisé dans les pays impériaux et post-impériaux[1], principalement en Russie et visant à la subjugation des États voisins et à l'asservissement des peuples voisins[2].

L'Allemagne et les « peuples frères » modifier

À la fin du XIXe siècle, l'idéologème « nation frère » a été utilisé par les théoriciens militaires allemands contre les Autrichiens dans le contexte de la confrontation entre l'Allemagne et la France[3].

La Pologne et les « peuples frères » modifier

Les chroniques polonaises de la fin du XVIe siècle et début du XVIIe siècle racontent une légende sur trois frères mythologiques, Czech, Lech et Rus, qui cherchaient une terre pour vivre et, l'ayant trouvée, ont créé trois pays – Czechia (la Bohême), Lechia (la Pologne) et Rus (la Ruthénie). Cette légende a pénétré en Ukraine grâce au parrainage des princes Ostrogski. Les princes font remonter leur généalogie au grand-prince Vladimir et, de là, à un ancêtre mythique de tous les Russes – un certain "Rus" qui n'a jamais existé. Les actes des princes ont créé une base pour la propagation du concept de "peuple vieux russe" sur un territoire déterminé[4].

La Russie et les « peuples frères » modifier

La mythologie de la fraternité des peuples russe et ukrainien était l'une des mythologies fondatrices de la propagande soviétique qui a remplacé le concept de la "trinité du peuple russe", doctrine officielle de l'Empire russe[5],[6].

Contexte historique modifier

Le cliché est répandu en Russie (sous diverses formes de son existence : Empire russe, RSFSR, fédération de Russie) principalement envers les Ukrainiens et les Biélorusses[7],[8] ainsi qu'envers les Bulgares, les Polonais, les Serbes, les Espagnols[réf. nécessaire], les Tchèques et les Slovaques, etc. En même temps, la reconnaissance de ces nations comme « frères » était un élément de l'agression russe contre ces nations ou les nations voisines[9],[10] et la reconnaissance elle-même constitue un outil de consolidation du « monde russe » et d'expansion de la langue russe[11].

Bulgarie modifier

L'expansion de l'Empire Russe sur la péninsule des Balkans dans la seconde moitié du XIXe siècle a conduit à l'implication dans la sphère « fraternelle » de plusieurs peuples slaves, notamment les Bulgares, qui occupaient la partie orientale de la péninsule limitrophe avec l'Empire Russe. Cette politique à l'égard des Bulgares était renforcée par le fait que les Russes et les Bulgares sont tous deux orthodoxes et que même les livres religieux en Russie et en Bulgarie étaient écrits dans le même langage religieux slave[12].

Cette politique est toujours en cours, mais pas toujours ouvertement. Par exemple, le Président bulgare Rossen Plevneliev déclare que de nombreux facteurs indiquent que la Russie finance des partis et des médias anti-européens en Bulgarie et dans d'autres pays européens cherchant ainsi à miner l'UE en son sein et à préserver l'influence de la Russie sur la Bulgarie. Dans le même temps, les experts russes estiment que les élites bulgares sont constamment en conflit avec des sentiments fraternels entre les peuples de Bulgarie et de Russie motivant cela par la position de certaines associations russophiles bulgares[12].

Serbie modifier

Les Serbes ont été l'un des premiers peuples à entrer dans la sphère d'intérêt de l'Empire Russe au cours de la Première Guerre mondiale et ont été reconnus comme peuple « frère ». À ce moment-là, l'envoyé impérial à la mission impériale russe à Nice, le prince Grigori Troubetskoï, a noté que la volonté de soutenir le peuple frère dans une période difficile, non seulement par des moyens militaires, répondait à la mission de l'Empire Russe de préserver les positions politiques dans les Balkans acquises dans les années d'avant-guerre, en particulier en Serbie et au Monténégro[13].

Pologne modifier

En 1881, pendant la russification active de la Pologne, l'historien et homme politique russe Nikolaï Kareïev écrivait :

« Est-il possible de ne pas tendre une main fraternelle au peuple frère qui a perdu la paix de l'esprit à cause de la terrible situation qui a frappé sa patrie ? »[14].

Tchécoslovaquie modifier

En 1968, pendant les manifestations en Tchécoslovaquie, Andreï Gretchko, ministre de la défense de l'URSS, a déclaré à propos de l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes russes :

« Nous allons chez nos frères pour les aider à défendre le socialisme ».

Bélarus modifier

Au printemps 2017, Valentina Matvienko, chef de l'Assemblée fédérale de la fédération de Russie, a déclaré :

« Le Belarus est une nation frère, un partenaire stratégique avec lequel nous allons construire l'État Uni »[15].

Dans un même temps, la partie biélorusse déclare de temps en temps qu'elle ne veut pas céder beaucoup du pouvoir[15].

Ukraine modifier

La signification de l'idiome "nation frère" par rapport aux Ukrainiens a varié en Russie en fonction des circonstances politiques. Dans l'Empire Russe, on s'accordait à dire que les Russes et les Ukrainiens formaient un peuple commun ; en Union soviétique, ils étaient frères, de même sang[16] еn Russie moderne, avec le début de la croissance de l'attitude agressive envers l'Ukraine, les dirigeants politiques et l'église russe ont commencé à décrire le peuple ukrainien comme étant commun avec les Russes, comme faisant partie de la nation russe[7],[17].

Durant la guerre russo-ukrainienne à l'Est de l'Ukraine, le président russe Poutine a reconnu les Ukrainiens comme un peuple frère. Cependant, en 2015, selon les enquêtes sociologiques, le nombre de ceux qui considéraient les habitants du pays voisin comme des frères a diminué à 34 %, contre près de 90 % en Ukraine et près de 80 % en Russie[18], comme avant le début de la guerre. Cela indique que les relations entre les peuples sont loin d'être fraternelles[19].

Le concertiste Iosip Kobzon, originaire du Donbas ukrainien, fait remarquer que le peuple frère pour les Russes, ce sont les habitants de la soi-disant RPD[20].

Contexte de l'expansion russe à l'égard des « frères » modifier

L'écrivain Fiodor Dostoïevski écrit[21] :

Quelle comparaison peut-on faire entre les Russes et les Slaves ? Et qui établira l'égalité entre eux ?..La Russie est inégale à tous égards - et à chaque nation individuellement et à toutes ensemble ?

Et en même temps :

... La Russie n'aura pas, et n'a jamais eu, de tels haineux, jaloux, diffamateurs et même de véritables ennemis que toutes ces tribus slaves, dès lors que la Russie les libérera et que l'Europe acceptera de les reconnaître comme libérées !

Notes et références modifier

  1. Скочилова Вероника Геннадьевна, « Идеологема «Братский народ»: фактор легитимности в конфликтном пространстве », Вестник Томского государственного университета, no 415,‎ , p. 115–118 (ISSN 1561-7793, lire en ligne, consulté le )
  2. « Никогда не встречал на Западе понятия "братский народ" - писатель - Українські реалії », sur web.archive.org,‎ (consulté le )
  3. (ru) фон Бюлов Дитрих, Габсбург Карл, Книга "Германская военная мысль, Астрель, Харвест, ОГИЗ,‎
  4. (uk) Наталя Яковенко, «Нарис історії середньовічної та ранньомодерної України», Критика,‎ , 206 p.
  5. « Україна та Росія – кінець братерства », sur web.archive.org,‎ (consulté le )
  6. Михайло Міщенко, « Україна та Росія – кінець братерства », sur Український інтерес,‎ (consulté le )
  7. a et b (ru) « Кульчицкий: В России ведется пропаганда, что украинцы и россияне - уже не братские народы, а один народ », sur www.unian.net (consulté le )
  8. (uk) « Чи існує братерство народів? », sur BBC News Україна,‎ (consulté le )
  9. (uk) « Путін назвав антиросійські санкції "повною дурницею" », sur BBC News Україна,‎ (consulté le )
  10. « Что скрывается за идеей братства народов? », sur Главное™ (consulté le )
  11. (ru) « «Сербия, Россия – две сестры родные» / Православие.Ru », sur pravoslavie.ru (consulté le )
  12. a et b (ru) Р. И. А. Новости, « Болгарский синдром: почему власть тянется к Западу, а народ – к России », sur РИА Новости,‎ 20161229t1612 (consulté le )
  13. Шевцова Галина Игоревна, « Деятельность Комитета помощи сербам и черногорцам (конец 1914 октябрь 1915 гг.) », Власть, no 6,‎ , p. 113–115 (ISSN 2071-5358, lire en ligne, consulté le )
  14. (ru) Н. И. Кареев, Польский вопрос, Рипол Классик (ISBN 978-5-458-06114-8, lire en ligne)
  15. a et b « Валентина Матвиенко: Беларусь - это братский народ, стратегический партнер, с которым мы строим Союзное государство », sur www.postkomsg.com (consulté le )
  16. (ru) « Польский поход 1939-го: освобождение или удар в спину? », sur BBC News Русская служба,‎ (consulté le )
  17. (ru) « Рано или поздно это произойдет: Путин назвал украинцев братьями и частью российского народа », sur OBOZREVATEL NEWS,‎ (consulté le )
  18. « Українці vs росіяни: революція чи еволюція ставлення? » [archive du 19 лютого 2018] (consulté le )
  19. (uk) « Українці vs росіяни: революція чи еволюція ставлення? », sur BBC News Україна,‎ (consulté le )
  20. (ru) « Кобзон назвал дончан братским народом России », sur charter97.org (consulté le )
  21. « Lib.ru/Классика: Достоевский Федор Михайлович. Дневник писателя. Сентябрь - декабрь 1877 года. », sur az.lib.ru (consulté le )