Perception de maîtrise

En psychologie, la perception de maîtrise ou maîtrise perçue (d’après l’anglais perceived control) désigne le degré auquel un individu se sent maître de lui-même et croit maîtriser son environnement, c’est-à-dire les lieux, les personnes, les objets, les sentiments et les activités qui l’entourent. Deux dimensions importantes sont à prendre en compte : 1) si l’objet de la maîtrise se situe dans le passé ou dans l’avenir, et 2) si l’objet de la maîtrise concerne un résultat, un comportement ou un processus[1].

Historique modifier

La révolution cognitive, achevée aux alentours des années 1940, a profondément modifié la psychologie. Sous l’influence des idées de Pavlov et d’autres physiologistes, les scientifiques ont orienté leurs recherches vers l’observable[2]. En s’éloignant de la subjectivité, l’étude objective du comportement est devenue fiable et vérifiable. Cette révolution a contribué au développement des domaines d’étude relatifs à la perception de maîtrise. La recherche de buts et la motivation humaine sont devenues des éléments importants dans de nombreuses théories. En 1959, le psychologue américain Robert White a introduit la théorie de la « motivation par l’efficacité », dans laquelle le besoin inné de l’être humain de pouvoir gérer une situation et de maîtriser son environnement est expliqué[3].

En 1966, Julian Rotter a publié Generalized Expectancies for Internal versus External Control of Reinforcement, où l’expression « perception de maîtrise » a été utilisée pour la première fois. Son travail a influencé plusieurs disciplines, dont la psychologie, la sociologie, l’économie et la médecine. À la suite de sa publication, les travaux scientifiques sur le concept de perception de maîtrise interne se sont principalement divisés en deux branches. La première considère la perception de maîtrise comme un trait de personnalité fixe, et fait référence à des concepts tels que l’efficacité personnelle et la compétence. La seconde aborde la perception de maîtrise comme un processus cognitif influencé par des indices environnementaux qui peuvent être manipulés de manière systématique. Cela englobe des concepts tels que l’illusion de maîtrise, l’impuissance apprise et la pleine conscience[4].

« Une série d’études apporte un fort soutien aux hypothèses selon lesquelles l’individu qui croit fermement qu’il peut maîtriser son propre destin est susceptible a) d’être attentif aux aspects de l’environnement qui lui fournissent des renseignements utiles pour orienter son comportement à venir ; b) de prendre des mesures pour améliorer ce qui se répercute sur lui dans son environnement ; c) d’accorder une plus grande valeur aux compétences ou à la réalisation de renforcements et d’être généralement plus préoccupé par sa capacité, en particulier lorsqu’il s’agit de reconnaître ses échecs et d’y faire face ; et d) de résister aux tentatives subtiles visant à l’influencer. » (Rotter, 1966[5].)

De ce point de vue, la perception de maîtrise peut être considérée soit comme un trait de personnalité, soit comme un processus cognitif, qui, dans les deux cas, améliore le fonctionnement et la survie[4].

Recherche historique modifier

En 1975, Martin Seligman a introduit le concept d’« impuissance apprise ». Cette expression décrit le fait que la maîtrise perçue dans une situation donnée entraîne un comportement spécifique. Seligman a confronté des chiens à une situation où ils étaient privés de la perception de leur maîtrise, ce qui a les a finalement conduits à se résigner. Ils ont appris l’impuissance, la passivité. Seligman a ensuite étendu son expérience aux humains, en émettant l’hypothèse que la perception de maîtrise a un rapport avec le développement de troubles tels que la dépression[6],[7].

Les recherches de Schulz et Hansua sur la perception de maîtrise se concentrent sur les relations causales entre la capacité de maîtriser sa vie et le bien-être psychologique et physiologique, plutôt que sur la simple corrélation de ces facteurs. Dans une étude réalisée en 1978, des résidents d’une maison de retraite avaient la possibilité d’exercer un pouvoir d’action sur les visites d’étudiants ou de ne pas avoir d’influence sur la planification de ces visites. On a observé que les résidents qui avaient la possibilité de réguler leurs visites se sentaient mieux et étaient en meilleure santé que ceux du groupe « sans influence ». Cette étude décrit la perception de maîtrise comme un processus cognitif qui influe sur la santé et la motivation de la personne.

Par conséquent, l’efficacité personnelle est un facteur important qui influence l’efficacité de la perception de maîtrise. Blittner, Goldberg et Merbaum ont avancé en 1978 que seule une personne qui croit en ses capacités et à sa réussite peut améliorer ses actions ou modifier son comportement[8].

Une étude menée par Sastry et Ross en 1998 a conclu qu’il existe également des différences culturelles en ce qui concerne la perception de maîtrise. Selon les chercheurs, les Occidentaux accordent plus de valeur à la perception de maîtrise que les Asiatiques. De plus, les Asiatiques ne font pas de lien entre maîtrise perçue et bien-être mental. Cette différence s’explique par les priorités culturelles différentes. La culture occidentale valorise l’individualisme et la réussite personnelle, ce qui amène les individus à ressentir le besoin de maîtriser leur comportement et leurs actions propres : les Occidentaux sont plus enclins à considérer la perception de maîtrise comme un trait de personnalité[9].

Modèles scientifiques modifier

Modèle de perception de maîtrise à deux processus modifier

Rothbaum, Weisz et Snyder ont proposé le « modèle de perception de la maîtrise à deux processus »[10]. Selon ce modèle, les individus cherchent non seulement à adapter l’environnement à leurs souhaits (maîtrise primaire), mais aussi à adapter leurs propres souhaits aux forces de l’environnement (maîtrise secondaire).

Quatre manifestations de maîtrise secondaire sont considérées :

  1. L’attribution de capacités fortement limitées peut servir à renforcer la capacité prédictive et à se prémunir contre la déception.
  2. L’attribution au hasard peut refléter une illusion de maîtrise, car les individus ont souvent tendance à interpréter le hasard comme une caractéristique personnelle similaire à une compétence (« chance »).
  3. L’attribution à des personnes puissantes permet une maîtrise par procuration lorsque l’individu s’identifie à ces personnes.
  4. Toutes ces attributions peuvent favoriser la maîtrise interprétative, dans laquelle l’individu cherche à comprendre et à donner un sens à des événements autrement imprévisibles et non maîtrisables afin de les accepter.

Modèle de perception de maîtrise à quatre facteurs modifier

En décembre 1989, Fred Bryant a publié ses recherches, introduisant son « modèle de perception de maîtrise à quatre facteurs »[11]. Il faisait référence au modèle à deux processus proposé par Rothbaum et al., qui affirmait que les réponses de maîtrise des individus sont classées soit comme des tentatives de changer le monde (maîtrise primaire), soit comme des tentatives de se changer soi-même pour s’adapter au monde (maîtrise secondaire).

Bryant a ajouté deux autres facteurs à ce modèle : l’expérience positive et l’expérience négative. Il explique que la maîtrise perçue résulte de l’autoévaluation de la capacité à :

  • Éviter — Maîtrise primaire négative

Selon Bryant, la « perception de la capacité à éviter les résultats négatifs » dépend 1) du degré de maîtrise personnelle des événements négatifs, 2) de la fréquence à laquelle ces événements négatifs se produisent, et 3) de la probabilité que ces événements négatifs se produisent.

  • Faire face — Maîtrise secondaire négative

La « perception de la capacité à faire face aux résultats négatifs » dépend 1) de la capacité à faire face aux événements négatifs, 2) de la manière dont ces événements négatifs affectent l’individu, et 3) de la durée pendant laquelle ces événements négatifs influencent les sentiments de l’individu.

  • Obtenir — Maîtrise primaire positive

La « perception de la capacité à obtenir des résultats positifs » dépend 1) du degré de maîtrise personnelle des événements positifs, 2) de la responsabilité personnelle dans l’obtention de ces événements positifs, 3) de la fréquence à laquelle ces événements positifs se produisent, et 4) de la probabilité que ces événements positifs se produisent.

  • Savourer — Maîtrise secondaire positive

La « perception de la capacité à savourer les résultats positifs » dépend 1) de la capacité à apprécier les événements positifs, 2) de la satisfaction procurée par ces événements positifs, 3) de la durée pendant laquelle ces événements positifs influencent les sentiments de l’individu, 4) de la fréquence à laquelle on se sent « au sommet du monde », et 5) de la fréquence à laquelle on se sent comblé.

Applications et perspective clinique modifier

Une étude menée par Wallston et al. (1997) a montré que la perception de maîtrise peut influencer la santé de deux manières conscientes : les comportements liés à la santé (par exemple, adopter une alimentation saine) et l’état de santé (par exemple, l’obésité)[12]. De plus, la perception de maîtrise peut également avoir une influence inconsciente sur la santé en affectant directement les processus physiologiques, comme l’a démontré Rodin (1986)[13]. Selon cette étude, des événements internes tels que l’imprévisibilité et la perte de maîtrise peuvent avoir des répercussions sur les catécholamines, les neurohormones et les changements immunitaires.

Wallston et al. expliquent également qu’il existe un lien entre le lieu de maîtrise et la perception de maîtrise en ce qui concerne les résultats en matière de santé. Le concept de lieu de maîtrise, développé par Julian Rotter en 1954, indique qu’une personne peut attribuer certains événements de sa vie à des facteurs internes, se considérant elle-même responsable, ou à des facteurs externes, considérant qu’elle les subit[14]. Une étude réalisée en 1984 a tenté de déterminer si les différences individuelles dans le lieu de maîtrise étaient corrélées avec le niveau de tolérance à l’effort physique et les critères d’état de santé chez les patients atteints de maladies pulmonaires[15]. Les résultats ont montré que les individus présentant un lieu de maîtrise interne et une perception accrue de maîtrise et d’efficacité présentaient une meilleure tolérance à l’effort physique et, par conséquent, une meilleure santé globale. En revanche, aucun lien n’a été observé entre les croyances en matière d’efficacité et les résultats chez les individus dont le lieu de maîtrise est externe.

Plusieurs études ont également porté sur la relation entre la perception de maîtrise et le cancer[16],[17],[18],[19]. Un diagnostic de cancer peut considérablement réduire la perception de maîtrise chez les patients. On a constaté que le maintien de la perception de maîtrise après un diagnostic était associé à une réduction de la détresse psychologique dans les mois suivant le diagnostic, ce qui indique que le maintien de la perception de maîtrise est « bénéfique pour l’adaptation psychologique au cancer »[20].

Références modifier

  1. A. Wallston, Strudler Wallston, Smith et J. Dobbins, « Perceived Control and Health », Current Psychology, vol. 6, no 1,‎ , p. 5–25 (DOI 10.1007/BF02686633, S2CID 16041066)
  2. Miller, « The cognitive revolution: a historical perspective », Trends in Cognitive Sciences, vol. 7, no 3,‎ , p. 141–144 (PMID 12639696, DOI 10.1016/S1364-6613(03)00029-9, S2CID 206129621, lire en ligne)
  3. Chipperfield, Perry et Stewart, Encyclopedia of Human Behavior, , 42–48 p. (ISBN 9780080961804, DOI 10.1016/B978-0-12-375000-6.00109-9), « Perceived Control »
  4. a et b Reich et Infurna, Perceived Control: Theory, Research, and Practice in the First 50 Years, Oxford Scholarship online, (ISBN 9780190257040)
  5. Rotter, « Generalized expectances for internal versus external locus of control », Psychological Monographs, vol. 80,‎ (DOI 10.1037/h0092976, S2CID 15355866)
  6. Nolen, « Learned Helplessness », britannica.com (consulté le )
  7. Martin E.P. Seligman, Helplessness, On Depression, Development and Death, W.H. Freeman, (ISBN 978-0716723288)
  8. Elliot Aronson, Robin M. Akert et Timothy D. Wilson, Sozialpsychologie, Pearson Studium, , 535–541 p. (ISBN 9783827372765, lire en ligne)
  9. Sastry, « Asian Ethnicity and the Sense of Personal Control », Social Psychology Quarterly, vol. 61, no 2,‎ , p. 101–120 (DOI 10.2307/2787064, JSTOR 2787064)
  10. Rothbaum, Weisz et Snyder, « Changing the world and changing the self: A two-process model of perceived control », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 42,‎ , p. 5–37 (DOI 10.1037/0022-3514.42.1.5, lire en ligne)
  11. Bryant, « A Four‐Factor Model of Perceived Control: Avoiding, Coping, Obtaining, and Savoring », Journal of Personality, vol. 57, no 4,‎ , p. 773–797 (DOI 10.1111/j.1467-6494.1989.tb00494.x, lire en ligne)
  12. Wallston, K., Ph.D., Wallston, B., Smith, S., & Dobbins, C. (1987). Perceived control and health. Current Psychology: A Journal for Diverse Perspectives on Diverse Psychological Issues
  13. Rodin, J. (1986). Aging and health: Effects of the sense of control. Science, 233
  14. Rotter, J. (1954). Social learning and clinical psychology (Prentice-Hall psychology series). New York: Prentice-Hall.
  15. Kaplan, R.M., Atkins, C.J., & Reinsch, S. (1984). Specific efficacy expectations mediate exercise compliance in patients with COPD. Health Psychology, 3
  16. (en) Beckjord, Glinder, Langrock et Compas, « Post-conference workshops (In alphabetical order by facilitator) », Psychology & Health, vol. 24, no sup1,‎ , p. 423–424 (ISSN 0887-0446, PMID 20205003, DOI 10.1080/08870440903126447, S2CID 36604157, lire en ligne)
  17. (en) Ranchor, Wardle, Steptoe et Henselmans, « The adaptive role of perceived control before and after cancer diagnosis: A prospective study », Social Science & Medicine, vol. 70, no 11,‎ , p. 1825–1831 (PMID 20338679, DOI 10.1016/j.socscimed.2009.10.069, lire en ligne)
  18. (en) Bárez, Blasco, Fernández-Castro et Viladrich, « Perceived control and psychological distress in women with breast cancer: a longitudinal study », Journal of Behavioral Medicine, vol. 32, no 2,‎ , p. 187–196 (ISSN 0160-7715, PMID 18815877, DOI 10.1007/s10865-008-9180-5, S2CID 25485867, lire en ligne)
  19. (en) Thompson et Collins, « Applications of Perceived Control to Cancer: An Overview of Theory and Measurement », Journal of Psychosocial Oncology, vol. 13, nos 1–2,‎ , p. 11–26 (ISSN 0734-7332, DOI 10.1300/J077V13N01_02, lire en ligne)
  20. (en) Ranchor, Wardle, Steptoe et Henselmans, « The adaptive role of perceived control before and after cancer diagnosis: A prospective study », Social Science & Medicine, vol. 70, no 11,‎ , p. 1825–1831 (ISSN 0277-9536, PMID 20338679, DOI 10.1016/j.socscimed.2009.10.069, hdl 11370/966befc5-d34e-4ad0-b812-6941979fcb6a, lire en ligne [archive du ])

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier