Partie à l'aveugle

variante d'un jeu de réfléxion se jouant sans voir le plateau

Dans le domaine des jeux de réflexion, une partie à l'aveugle est une variante d'un jeu de réflexion (échecs, dames, goetc.) dans laquelle l'un des deux joueurs (ou les deux) joue sans voir le plateau de jeu, les coups de l'adversaire étant annoncés oralement.

Une partie d'échecs à l'aveugle de Philidor (au centre, assis et ceint d'un bandeau) à Londres dans les années 1780.

Cette forme de jeu est surtout pratiquée aux échecs, mais elle peut être adaptée à d'autres jeux tels que les dames ou le xiangqi (échecs chinois). Spectaculaire pour le non-initié, les parties à l'aveugles se déroulent généralement lors d'exhibitions de forts joueurs face à des amateurs.

Histoire modifier

Les échecs à l’aveugle sont apparus très tôt dans l’histoire de ce jeu : le premier à jouer de cette façon fut peut-être Sa'id bin Jubair (665-714) au Moyen-Orient[1]. En Europe, le jeu à l’aveugle s'est répandu comme moyen pour handicaper un maître d'échecs face à un adversaire plus faible, ou simplement afin de démontrer les capacités supérieures d’un joueur.

Harold James Ruthven Murray a cité une partie à l'aveugle au cours de laquelle deux cavaliers d'Asie centrale, chevauchant côte à côte, jouaient oralement aux échecs en énonçant chacun leurs mouvements sans voir l'échiquier.

Le premier évènement connu de ce type en Europe s’est déroulé à Florence en 1266. En 1783, le grand joueur français François-André Danican Philidor a démontré sa capacité à jouer jusqu’à trois parties à l’aveugle simultanément avec un grand succès, des journaux soulignant sa prouesse. Il avait appris tout seul à visualiser l'échiquier quand, au lit, il avait du mal à dormir.

En 1858, lors d'un périple en Europe, le joueur d'échecs américain Paul Morphy a fait une démonstration de jeu à l’aveugle contre huit des meilleurs joueurs de Paris, avec le résultat étonnant de six victoires et deux nulles. Parmi les autres maîtres des échecs à l’aveugle, on peut citer Louis Paulsen, Joseph Henry Blackburne (qui a joué jusqu’à seize parties à l’aveugle en simultané) et le premier champion du monde officiel du jeu d'échecs, Wilhelm Steinitz qui, à Dundee en 1867, joua six parties simultanées à l’aveugle (trois victoires, trois nulles). Parmi les femmes, l'une des toutes premières joueuses reconnues pour avoir remporté des parties à l'aveugle est Ellen Gilbert dans les années 1870[2].

Ce type d’exhibition a été vu par ces maîtres comme une bonne source de revenus.[réf. souhaitée]

Image mentale de l'échiquier modifier

Contrairement à une idée reçue, la plupart des joueurs de parties à l'aveugle n'ont pas une image photographique de la position sur l'échiquier à chaque instant.

Même si chaque joueur expérimenté est capable de dire instantanément les cases accessibles par une pièce située sur n'importe quelle case de l'échiquier, c'est l'enchaînement des déplacements précédents qui sont le plus souvent mémorisés, la logique de ces mouvements permettant une meilleure mémorisation. Avec un peu d'entraînement, un joueur expérimenté est capable de mener à bien une partie complète à l'aveugle.

Toutefois, cette question n'est pas absolument résolue. Après les travaux d'Hippolyte Taine sur la question, pensant pour sa part que les joueurs d'échecs à l'aveugle avaient une mémoire visuelle de l'échiquier, ce qui n'était pas là un cas général et universel, puis après les réflexions d'Henri Bergson qui lui pensait que les joueurs refaisaient la partie dans leur esprit, en déployant sa théorie de « pensée-schéma-image », la question n'a cessé d'être débattue. En effet, Bergson pensait que les joueurs rejouaient systématiquement le début de la partie dans leur esprit afin de retrouver la position actuelle des pièces sur l'échiquier. Or, cela n'est qu'exceptionnel.

Christophe Bouriau, ayant interviewé le grand maître français Éric Prié sur ce processus, souligne le fait que les joueurs n'ont pas à se représenter en image les pièces pour mener à bien la partie, mais qu'ils voient « des rapports de force ». Eliot Hearst et John Knott indiquent eux, après avoir interviewé de nombreux joueurs, que la faculté à jouer en aveugle ne vient pas de la mémorisation des mouvements. Il s'agit plutôt d'une faculté à comprendre les interactions potentielles les plus significatives sur l'échiquier[1]. La question est donc toujours ouverte sur la question de l'image mentale de l'échiquier.

Partie à l'aveugle et simultanée à l'aveugle modifier

Tout joueur de bon niveau est capable de jouer des parties à l'aveugle ; aux échecs, le tournoi Amber est un exemple de compétition entre très forts joueurs qui alternent parties rapides et parties à l'aveugle. Le niveau de jeu à l'aveugle, même s'il est sensiblement diminué par rapport à une partie en voyant le jeu, reste cependant relativement comparable à celui des parties classiques.

Tout joueur de bon niveau est aussi capable d'effectuer, sans grand effort, des parties simultanées (plusieurs parties jouées en même temps face à de multiples joueurs), tant que ses adversaires ont chacun un niveau inférieur au champion.

Certains évènements combinent parties à l'aveugle et parties simultanées ; on parle pour ce type de manifestation de « simultanée à l'aveugle ».

Records modifier

Dans les tableaux ci-dessous, la colonne « Adversaires » indique le nombre d'adversaires contre lequel le joueur joue en simultanée. Le résultat est entre parenthèses. Ainsi, « +3 » signifie 3 victoires. « (+12 =3 -1) » signifie que le joueur de simultanée a remporté 12 victoires, fait 3 matchs nuls, et qu'il a perdu une fois.

Aux échecs modifier

 
Simultanée à l'aveugle de Paul Morphy en 1858 au Café de la Régence à Paris.
Année Adversaires[3] Lieu Joueur
1751 3 (+3) Berlin Philidor
1857 4 Louis Paulsen
1858 8 (+6 =2) Paris Paul Morphy
1861 10 (+9 -1) Londres Louis Paulsen
1876 16 (+12 =3 -1) Johannes Zukertort
1902 21 (+3 =11 –7)[4] Hanovre Harry Nelson Pillsbury
1919 24 (+12 =9 -3) Haarlem Richard Réti
1921 25 (+15 =7 -3) Berlin Gyula Breyer
1925 28 (+22 =3 -3) Paris Alexandre Alekhine
1925 29 (+20 =7 -2)[5] São Paulo Richard Réti
1933 32 (+19 =9 -4) Chicago Alexandre Alekhine
1937 34 (+24 =10) Édimbourg George Koltanowski
1947 45 (+39 =4 -2) São Paulo Miguel Najdorf
2011 46 (+25 =19 -2) Sontheim Marc Lang[6]
2016 48 (+35 =7 -6) Las Vegas Timour Gareïev[7]

En 1960, George Koltanowski joue contre 56 joueurs à l'aveugle à San Francisco, mais consécutivement et non simultanément.

La même année, le Hongrois János Flesch joue contre 52 adversaires à Budapest (+31 =3 -18), mais ce record est terni par le fait que Flesch pouvait recompter verbalement le score des parties en cours. De plus, le record s'est établi sur un temps très court, environ cinq heures, avec de nombreuses parties très brèves[8].

Aux dames modifier

 
Ton Sijbrands jouant une simultanée à l'aveugle en 1987.

Dames internationales modifier

Pour les dames internationales, le record a essentiellement été détenu par Ton Sijbrands à partir de 1982.

L'ancien champion du monde Benedictus Springer est le premier joueur à jouer aux dames à l'aveugle en 1923, en simultanée face à deux joueurs en 1926 puis contre trois joueurs en 1927[9]. Son record a ensuite été porté à quatre. En 1945, le Hollandais Idzerda et le champion du monde français Pierre Ghestem avaient égalé ce record[10].

Année Adversaires[3] Lieu Joueur
1923[11] 1 Marseille Benedictus Springer
1926[11] 2 ? Benedictus Springer
1927[11] 3 ? Benedictus Springer
< 1945[12] 4 ? Benedictus Springer
1950[13] 5 Leyde Piet Roozenburg
1951[12] 6 ? Wim Huisman
1955[13] 8 La Haye Wim Huisman
1982[13] 10 (+9 =1) La Haye Ton Sijbrands
1986[13] 12 Cannes Ton Sijbrands
1987[13] 14 IJmuiden Ton Sijbrands
1991[13] 15 Middelbourg Ton Sijbrands
1993[13] 18 Venlo Ton Sijbrands
1999[13] 20 Gouda Ton Sijbrands
2002[13] 22 Lutten Ton Sijbrands
2004[13] 24 Lutten Ton Sijbrands
2007[13] 25 Tilbourg Ton Sijbrands
2008[13] 27 Delft Erno Prosman
2009[13] 28 Amsterdam Ton Sijbrands
2012[13] 30 Delft Erno Prosman
2014[14] 32 (+14 = 18) Hilversum Ton Sijbrands

Dames italiennes modifier

Aux dames italiennes, le seul record homologué est celui de Michele Borghetti, qui a affronté 23 adversaires (17 victoires, 6 nulles) à Varazze en 2003[13].

Au xiangqi modifier

Bien que la pratique du xiangqi à l'aveugle soit plus difficile que celle des échecs[15], plusieurs très forts joueurs s'y sont essayés.

Année Adversaires[3] Joueur
1995[15],[16] 19 (+9 =8 -2) Liu Dahua
2010[16] 20 Jiang Chuan
2015[15] 25 Fei Dang
2017[15] 26 (+21 =3 -2) Jiang Chuan

Au jeu de go modifier

Au jeu de go on a quelques exemples de parties d'exhibition, souvent jouées par des professionnels contre des amateurs aveugles (lesquels jouent avec un matériel spécial)[17].

Tournois modifier

Notes et références modifier

  1. a et b (en) Eliot Hearst, John Knott Blindfold Chess: History, Psychology, Techniques, Champions, World Records, and Important Games, McFarland, 2008, 437 pages, pp. 10-16.
  2. (en) « The Queen of Chess », sur chess.com, .
  3. a b et c +victoires =nulles -défaites
  4. (en) Kasparov on Pillsbury, Chessbase, 17 juin 2006.  ; il s'agissait des participants au tournoi, et pas d'amateurs.
  5. (es) Biografia de Réti
  6. Site officiel
  7. (en) Albert Silver, « 48 blindfold boards - The tale behind the record », sur en.chessbase.com, .
  8. (en) Blindfold Chess par le MI Danny Kopec (en)
  9. Damier lyonnais. « Il fut le premier à jouer une partie entière sans voir. Il l'avait accompli à Marseille le 29 mars 1923 au Damier marseillais contre M.Rabattu qui au 61e temps et 1h 25 minutes de jeu devait abandonner la partie. […] En 1926 il joua 2 parties sans voir simultanément contre Dumont père et fils. Après trois heures de jeu il obtenait une nulle et une gagnée. Le 22 février 1927 il réussissait 3 parties sans voir en gagnant une partie et en annulant deux autres après 1h 50 de jeu. »
  10. Cantalupo, p. 144. « Le 9 juin 1945, à Paris, il [Pierre Ghestem] en a conduit quatre simultanément, égalant ainsi le record détenu à la fois par le créateur du genre, le grand Bénédictus Springer, et par Idzerda, autre fort joueur hollandais. Ce record a depuis été porté à cinq, par Piet Roozenburg, le 8 juin 1950, à Leyde […] puis, l’année suivante, à six par le jeune maître hollandais W. Huisman. »
  11. a b et c Damier lyonnais. (voir supra)
  12. a et b Cantalupo. (voir supra)
  13. a b c d e f g h i j k l m n et o (en) Fédération mondiale du jeu de dames, « World records », sur fmjd.org (consulté le ).
  14. (nl) « Sijbrands heeft nieuw wereldrecord », sur blindsimultaan.nl, 19-20 décembre 2014 (consulté le ).
  15. a b c et d (de) « Neuer Weltrekord im Xiangqi-Blindsimultan », sur ChessBase News, (consulté le ).
  16. a et b (en) « Xiangqi Greats : Liu Dahua柳大华 »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur Xiangqi in English,‎ (consulté le ).
  17. Voir cette discussion sur un forum de go.

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Alfred Binet, Psychologie des grands calculateurs et des joueurs d'échecs, Hachette, Paris, 1894 [PDF] « document pdf »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?)
  • Henri Bergson, « L'effort intellectuel » in L'Énergie spirituelle, PUF, Paris, 1919, Réédition de 1985, pp. 162 - 164.
  • (en) Eliot Hearst et John Knott, Blindfold Chess : History, Psychology, Techniques, Champions, World Records, And Important Games, McFarland, Jefferson 2009 (ISBN 9780786434442).
  • Rodolphe Cantalupo, L'art de jouer aux dames : La conduite de la partie, Le Triboulet Monaco, , 361 p..
  • Richard Przewozniak, « Bénédictus Springer », sur damierlyonnais.free.fr, .

Article connexe modifier

Liens externes modifier