Jean-Alfred Fournier

médecin à l'hôpital Saint-Louis, membre de l'académie de médecine, professeur à la Faculté, fondateur de la société de prophylaxie sanitaire et morale
Jean-Alfred Fournier
Portrait de Jean-Alfred Fournier
Jean-Alfred Fournier, date inconnue.
Biographie
Naissance
Ancien 2e arrondissement de Paris
Décès
8e arrondissement de Paris
Sépulture Cimetière du Père-Lachaise et tombeau de Fournier (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité Française
Thématique
Formation Université de ParisVoir et modifier les données sur Wikidata
Profession Médecin, historien et professeurVoir et modifier les données sur Wikidata
Distinctions Chevalier de la Légion d'honneur‎ (en), officier de la Légion d'honneur (en) et commandeur de la Légion d'honneur‎ (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Membre de Académie nationale de médecine et Académie royale de médecine de BelgiqueVoir et modifier les données sur Wikidata

Jean-Alfred Fournier, né le à Paris (ancien 2e) et mort le à Paris 8e, est un dermatologue et professeur français spécialisé en vénérologie, notamment de la neurosyphilis. Il a laissé son nom entre autres à la gangrène de Fournier.

Partisan d'une théorie erronée, celle de « l'hérédosyphilis », il est aussi le dirigeant-fondateur de la lutte anti-vénérienne (contre la syphilis et autres infections sexuellement transmissibles), en suscitant de nombreux émules à l'étranger.

Biographie modifier

Origine et formation modifier

Fils de Vincent Fournier et Anaïs Élisa Dumas, Jean-Alfred Fournier commence ses études classiques à l'institution Jauffret de Paris[1]. Il les poursuit ensuite en médecine, devenant externe en 1854, puis interne en 1855 dans le service des vénériens à l'hôpital du Midi sous la direction de Philippe Ricord. Durant son externat, il fréquente la salle de dissection de l'école des beaux-arts de Paris et rencontre l'artiste Charles-Désiré Rambert[2].

Fournier se spécialise très tôt dans les maladies sexuellement transmissibles, notamment le chancre mou, la gonorrhée et la syphilis. En 1860, il est docteur en médecine et agrégé en 1863.

Carrière modifier

En 1867, il est médecin des hôpitaux, successivement attaché à l'Hôtel-Dieu de Paris puis à Lourcine (1868-1876) dont il devient médecin-chef, et enfin à l'hôpital Saint-Louis jusqu'en 1880.

Il travaille notamment avec Augustin Grisolle, dont il est le suppléant en 1867. En 1877, il est nommé professeur de clinique des maladies syphilitiques, et en 1879, une nouvelle chaire est créée pour lui à Saint-Louis : celle de clinique des maladies syphilitiques et cutanées où il enseigne jusqu'en 1900.

Il obtient le titre de professeur honoraire en 1902.

Son fils est Edmond Fournier (1864-?), médecin, chevalier de la Légion d'honneur[1] et qui publia des leçons de son père[3], en étant lui aussi auteur d'ouvrages sur la syphilis[4].

Travaux modifier

Syphilis et maladies vénériennes modifier

 
Devant une feuille de vigne en arrière-plan, le professeur Fournier, spéculum en bandoulière et seringue à la main, se penche vers un Cupidon déchu, hérédosyphilitique. Caricature de Hector Moloch publiée dans la revue Chanteclair 1908[5].

Alfred Fournier consacre l'étude de la syphilis comme une véritable branche de la médecine, avec l'officialisation des termes « syphiligraphie » et « syphiligraphe ». Léon Daudet le juge ainsi « courtois, fermé, d'aspect très simple, ç'a été le premier syphiligraphe de son temps et probablement de tous les temps » (Devant la douleur, 1915)[6].

Sa principale contribution fut d'être le premier à identifier l'origine syphilitique du tabès (1876) et de la paralysie générale à partir de 1879, affections qu'il nomme « parasyphilis ». Ceci ne sera pleinement accepté qu'à partir de 1913[7], et regroupé plus tard sous le terme « neurosyphilis » . En 1883, il décrit aussi la syphilis congénitale (transmission de la mère infectée à son fœtus).

Cependant, il continue de défendre l'idée, aujourd'hui erronée, de la transmission héréditaire de la syphilis (dont celle par le père, la mère restant indemne mais « imprégnée »), idée qui datait du XVIe siècle. Il élabore ainsi le concept erroné « d'hérédosyphilis ». Cette syphilis héréditaire tardive n'est décelable que sur des stigmates dystrophiques (lésions du pavillon de l'oreille, de la peau, de la bouche et des dents...) ou « signes de Fournier »[8]. Il fait de cette syphilis héréditaire une cause de dégénérescence de l'espèce humaine, un danger physique et intellectuel[9],[8].

Son Traité de la syphilis (1898-1901) en trois tomes a été considéré comme un « monument clinique définitif »[10].

Son plus grand succès international reste Syphilis et mariage (1880) avec deux éditions françaises et traductions en six langues[1]. Aux États-Unis, une traduction est faite en 1881[11] par Prince Albert Morrow, un jeune dermatologue américain alors en voyage d'études en Europe. En 1904, Morrow publiera lui-même un Social Diseases and Marriage (1904)[12], une source d'inspiration des lois eugénistes américaines sur le mariage et les politiques d'immigration[13].

Fournier fait de l'hôpital Saint-Louis, un haut lieu de la médecine internationale, lorsque se tient en 1889, le premier congrès international de dermatologie et de syphiligraphie[6].

La syphilis, avec l'alcoolisme et la tuberculose, constituaient selon Fournier, « la triade des pestes contemporaines »[14]. Il était aussi convaincu que l'onanisme était la principale cause de l'épilepsie[15].

Lutte sociale contre la syphilis modifier

En 1886, l'Académie de médecine adopte les conclusions de Fournier sur son programme de lutte contre la syphilis, dont il n'existe aucun traitement pour en contrecarrer l'évolution et les conséquences. Selon Fournier, la prophylaxie doit être l'œuvre des médecins eux-mêmes et non des pouvoirs publics. Ces médecins doivent être formés par un stage obligatoire de syphiligraphie.

Il préconise un ensemble de mesures administratives visant à surveiller la prostitution, et à contrôler médicalement l'armée et la marine. Il développe l'idée de dispensaires pour détecter les patients atteints de formes contagieuses, avant leur internement hospitalier[6].

Il est le dirigeant-fondateur en 1901, de la Société de prophylaxie sanitaire et morale, destinée à lutter contre le « péril vénérien » et bâtie sur les modèles de la lutte contre la tuberculose ou l'alcool. Cette société joue un rôle influent par les liens étroits entretenus avec la Préfecture de police de Paris et la hiérarchie militaire[16].

Plus qu'un groupe de pression, cette organisation développe une nouvelle attitude bourgeoise sur le sexe. Fournier distingue une « syphilis imméritée » celle des femmes mariées de la bourgeoisie, contaminées par leurs maris volages[17]. Ce sont les femmes du peuple, et celles du « monde galant », qui sont à la source d'une hérédité morbide qui s'introduit dans la lignée des familles bourgeoises ; ces familles étant, selon Corbin, elles-mêmes suivies par des spécialistes parisiens qui se succèdent de père en fils[18].

En 1946, la France émet un timbre postal de 2 francs à son effigie, avec une surtaxe de 3 francs pour financer la lutte contre les maladies vénériennes[15].

En 2023, l'Institut Alfred Fournier inauguré en 1923 et reconnu d'utilité publique en 1934, compte près de 130 collaborateurs répartis sur deux centres de santé parisiens : l'un boulevard Saint Jacques (75014), l'autre rue Pétion (75011). L'institut accueille environ 140 000 personnes en consultations chaque année. Il reste spécialisé dans le dépistage et la prise en charge des IST en constituant un pôle d'excellence en santé sexuelle et infectiologie, élargi aux maladies tropicales et vaccinations[19],[20],[21].

Autres modifier

Fournier laisse son nom à la gangrène de Fournier, présentée en 1883, même si la maladie avait déjà été décrite en 1764 par un autre médecin du nom de Baurienne[22].

Honneurs modifier

Éponymie modifier

Œuvres et publications modifier

Principales modifier

  • La syphilis du cerveau, G. Masson (Paris), 1879, Texte intégral.
  • Traité de la syphilis, Tome 1, J. Rueff (Paris), 1898-1901, lire en ligne sur Gallica.
  • Traité de la syphilis, Tome 2, J. Rueff (Paris), 1898-1901, lire en ligne sur Gallica.
  • Traité de la syphilis, Tome 3, J. Rueff (Paris), 1898-1901, lire en ligne sur Gallica.
  • Prophylaxie de la syphilis, J. Rueff (Paris), 1903, lire en ligne sur Gallica.
  • La syphilis héréditaire tardive, avec 31 figures par Alfred Forgeron, Masson (Paris), 1886, lire en ligne sur Gallica.
  • Syphilis et mariage : leçons professées à l'hôpital Saint-Louis, Masson (Paris), 1re édition 1880, 2e édition 1890, lire en ligne sur Gallica.

Autres modifier

  • Recherches sur la contagion du chancre, A. Delahaye (Paris), 1857, lire en ligne sur Gallica.
  • De la contagion syphilitique, [thèse de médecine de Paris n° 24, 1860], Rignoux (Paris), 1860, Texte intégral.
  • Instruction hygiénique et médicale à l'usage du personnel de MM. Vitali, Picard, Charles et Cie (chemins de fer de l'Italie méridionale), Seringe frères (Paris), 1864, lire en ligne sur Gallica.
  • Recherches sur l'incubation de la syphilis, A. Delahaye (Paris), 1865, lire en ligne sur Gallica.
  • De la syphilide gommeuse du voile du palais : leçon clinique, [Clinique médicale de l'Hôtel-Dieu], impr. de A.-E. Rochette (Paris), 1868, lire en ligne sur Gallica.
  • Dégénérescence syphilitique de la glande sublinguale, G. Masson (Paris), 1875, lire en ligne sur Gallica.
  • Titres et travaux scientifiques, [Candidature à l'Académie de médecine, section de pathologie médicale], Impr. de E. Martinet (Paris), 1876, Texte intégral.
  • De la pseudo-paralysie générale d'origine syphilitique, V.-A. Delahaye (Paris), 1878, lire en ligne sur Gallica.
  • Clinique de l'hôpital de Lourcine. Leçons sur la syphilis, étudiée plus particulièrement chez la femme, A. Delahaye et E. Lecrosnier (Paris), 1881, lire en ligne sur Gallica.
  • De l'Ataxie locomotrice d'origine syphilitique (tabès spécifique), leçons cliniques professées à l'hôpital Saint-Louis, G. Masson (Paris), 1882, lire en ligne sur Gallica.
  • Leçons sur la période praetaxique du tabès d'origine syphilitique, G. Masson (Paris), 1885, lire en ligne sur Gallica.
  • La syphilis héréditaire tardive, avec 31 figures par Alfred Forgeron, Masson (Paris), 1886, lire en ligne sur Gallica.
  • Tabès d'origine hérédo-syphilitique probable : fracture spontanée, A. Delahaye et E. Lecrosnier (Paris), 1886, lire en ligne sur Gallica.
  • Leçons sur la syphilis vaccinale, Lecrosnier et Babé (Paris), 1889, Texte intégral.
  • L'hérédité syphilitique : leçons cliniques, recueillies et rédigées par le Dr P. Portalier, G. Masson (Paris), 1891, Texte intégral.
  • Les affections parasyphilitiques, Rueff (Paris), 1894, lire en ligne sur Gallica.
  • Les chancres extra-génitaux, Fournier Alfred, 1832-1914, et Fournier Edmond, 1864-1938, Rueff (Paris), 1897, Texte intégral.
  • Exposé des titres, [Paris, Impr. Chamerot], 1901, Texte intégral.
  • Clinique des maladies cutanées et syphilitiques (hôpital Saint-Louis), De l'Abolitionnisme, impr. de J. Gainche (Paris), 1902, lire en ligne sur Gallica.
  • Ligue contre la syphilis, Société française de prophylaxie sanitaire et morale, C. Delagrave (Paris), 1904, lire en ligne sur Gallica.
  • Danger social de la syphilis, C. Delagrave (Paris), 1905, lire en ligne sur Gallica.
  • Pour en guérir, C. Delagrave (Paris), 1907, lire en ligne sur Gallica.
  • Traitement de la syphilis, Vigot frères (Paris), 1909, lire en ligne sur Gallica.
  • Syphilis secondaire tardive, Vigot frères (Paris), 1911, lire en ligne sur Gallica.

Traductions modifier

Il est l'auteur de traductions et commentaires :

  • Fracastor (Girolamo Fracastoro) (1478 ou 1483 - ), La syphilis (1530) - Le mal français (extrait du livre De contagionibus, 1546), A. Delahaye (Paris), 1869, Texte intégral.
  • Jacques de Béthencourt (XVIe siècle) : Nouveau Carême de pénitence et purgatoire d'expiation à l'usage des malades affectés du mal français ou mal vénérien... ; suivi d'un Dialogue où le mercure et le gaïac exposent leurs vertus et leurs prétentions rivales à la guérison de ladite maladie... (1527), V. Masson et fils (Paris), 1871, lire en ligne sur Gallica.
  • Giovanni de Vigo (1460?-1525) : Le mal français (1514), G. Masson (Paris), 1872, lire en ligne sur Gallica.

Bibliographie modifier

  • Georges Androutsos, Lazaros Vladimiros: «Le fondateur de la syphiligraphie Alfred Fournier (1832—1914) et sa lutte contre la syphilis», in: Andrologie, March 2007, Volume 17, Issue 1, pp 80–87.
  • (en) M A Waugh, « Alfred Fournier, 1832-1914, His influence on venereology », British Journal of Venereal Diseases, vol. 50(3),‎ , p. 232–236 (lire en ligne)
  • Alain Corbin : «L'hérédosyphilis ou l'impossible rédemption. Contribution à l'histoire de l'hérédité morbide», in: Romantisme, 1981, n°31. Sangs. pp. 131–150, Texte intégral. doi : 10.3406/roman.1981.4477

Notes et références modifier

  1. a b et c Françoise Huguet, Les professeurs de la faculté de médecine de Paris, dictionnaire biographique 1794-1939, Paris, INRP - CNRS, , 753 p. (ISBN 2-222-04527-4), p. 190-191.
  2. Henri Beraldi, Les Graveurs du dix-neuvième siècle : guide de l'amateur d'estampes modernes, tome 11, Paris, L. Conquet, 1891, p. 168, note 1.
  3. Claude Quétel, Histoire de la syphilis, Paris, Seghers, coll. « Médecine et Histoire », , 348 p. (ISBN 2-221-04491-6), p. 167 note 4.
  4. « Edmond Fournier (1864-19..) - Auteur - Ressources de la Bibliothèque nationale de France », sur data.bnf.fr (consulté le )
  5. Waught 1974, p. 235.
  6. a b et c Quétel 1986, op. cit., p. 167-169.
  7. Quétel 1986, op. cit., p. 203-205.
  8. a et b Quétel 1986, op. cit., p. 208-210.
  9. Alain Corbin 1981, p. 138-145.
  10. Bariéty et Coury, Histoire de la médecine, Fayard, , p. 847.
  11. Alfred Fournier, Prince A. (Prince Albert) Morrow et France) Hôpital Saint Louis (Paris, Syphilis and marriage : lectures delivered at the St. Louis Hospital, Paris, New York : Appleton, (lire en ligne)
  12. Prince A. (Prince Albert) Morrow, Social diseases and marriage : social prophylaxis, New York : Lea Bros., (lire en ligne)
  13. (en) Allan M. Brandt, No Magic Bullet, A social history of venereal disease in the United States since 1880, Oxford University Press, (ISBN 0-19-503469-4), p. 11-19 et 36-37.
  14. Gérard Lambert, Génétique médicale : de l'exception à la règle, Paris, Seuil, , 531 p. (ISBN 978-2-02-096744-0), p. 53.
    dans Histoire de la pensée médicale contemporaine, B. Fantini et L. Lambrichs (dir.).
  15. a et b (en) « Jean Alfred Fournier (1832-1914) », sur ncbi.nlm.nih.gov (consulté le )
  16. (en) William H. Schneider, Quality and Quantity, The Quest for Biological Regeneration in Twentieth-Century France, Cambridge, Cambridge University Press, , 392 p. (ISBN 0-521-37498-7), p. 51.
  17. Quétel 1986, op. cit., p. 171.
  18. Alain Corbin 1981, p. 147-148.
  19. « Bienvenue sur le site de l'I.A.F. », sur www.institutfournier.org (consulté le )
  20. « L'institut Alfred Fournier », sur www.biusante.parisdescartes.fr, (consulté le )
  21. Patrice Bourée, « Institut Alfred-Fournier, cent ans de lutte contre les IST », La Revue du Praticien, vol. 73, no 9,‎ , p. 1040-1042.
  22. (en) A. Levinson, « Gangrene of the Scrotum in Infants and in Children », Archives of Pediatrics & Adolescent Medicine, vol. 41, no 5,‎ , p. 1123 (ISSN 1072-4710, DOI 10.1001/archpedi.1931.01940110117010, lire en ligne, consulté le )
    Voir la référence en note 5.
  23. (en) Fournier's gangrene.
  24. Verge noire de Fournier
  25. Balanite interstitielle et profonde de Fournier
  26. (en) Fournier's sign.
  27. Signe de l’omnibus
  28. (en) Fournier's tibia.

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier