Gazon (toponyme)

terme de géographie et toponymie locale spécifique au massif des Vosges pour une pelouse ou un pré en altitude
Toponymes

Toponymes très usités du Massif Vosgien

Langue romane Langue germanique

Gazon

Wasen

Variantes :

Variantes:

Wason, Waso

Waasen, Waesel

Gazon est un terme de géographie et de toponymie locale spécifique au massif des Vosges en Lorraine et en Alsace. Il désigne dans ce massif une pelouse ou un pré en altitude, le plus souvent sur les Hautes-Chaumes. Son équivalent alsacien, Wasen, est répandu dans tout le sud de l’Allemagne, particulièrement dans le massif jumeau des Vosges, à savoir la Forêt-Noire.

Le Gazon du Faing, 1248-1306m, Réserve Naturelle du Tanet-Gazon du Faing

Étymologie, forme patoise et sens régionaux modifier

Vieux français modifier

Le terme gazon au sens vosgien n’est pas attesté dans le dictionnaire du français médiéval de Godefroy. On note la présence de dérivés : gazonneur et gazonner « revêtir de gazon »[1]. En revanche, dans les compléments[2] il s'y trouve avec la signification que l’on connaît d’aujourd’hui : Wason, gazon, wasson « herbe fine qui forme un tapis de verdure sur le sol »[2]. Les sens du mot gazon en français médiéval sont « herbe, fourrage ; motte de terre revêtue d'herbe ; le monde, la vie terrestre »[3].

L’étymologie indiquée par le Centre national de ressources textuelles et lexicales fait provenir le mot gazon du vieux bas francique *waso[3],[N 1] : « Le mot a été introduit dans la Galloromania comme terme juridique de l'investiture. Les Francs avaient l'habitude d'offrir une paire de gants et un morceau de gazon découpé en symbole de la remise d'une terre »[3].

En revanche, cette racine germanique est absente de l'occitan provençal, languedocien, vivaro-alpin et gascon[4], peu marqués par l'influence germanique (notamment francique), tout comme le sont l'italien standard, l'espagnol castillan, le catalan et le portugais standard qui ne connaissent pas non plus ce mot.

Forme vosgienne et frontière linguistique modifier

En vosgien, on dit waso ou wason avec le maintien du [w] initial des mots d'origine germanique (parfois passé à [v] plus tardivement dans d'autres dialectes d'oïl) et qui est caractéristique de tous les dialectes d'oïl septentrionaux et orientaux[5]. La mutation consonantique de la semi-voyelle francique [w] entre le bas-latin et le roman a d'abord conduit à un [gw] en français central, puis à [g][6] ; cela explique le [g] initial de Gazon en français par rapport au [w] initial de Wasen en allemand (*waso en francique). En revanche, le vosgien qui partage des affinités phonétiques à la fois avec le bas lorrain et le bourguignon conserve le [w] initial du germanique, c'est pourquoi gazon se dit wason en vosgien, de même que Guillaume est Willaume, garder s'énonce wardè, etc.

Par contre son emploi extensif dans la toponymie vosgienne est à mettre en rapport avec la frontière linguistique roman / germanique qui traverse la région. En effet, en observant les appellatifs bilingues du massif vosgien, il est assez aisé de savoir si l'on se trouve du côté lorrain ou du côté alsacien. C’est le cas pour la paire synonymique Gazon / Wasen, exactement comme pour les paires Rupt/ -Bach ou -Runz[7], Banbois / Bannwald ou Rain / Rain.

Forme patoise et signification en allemand modifier

Étant d’origine germanique, ce terme est aussi présent en néerlandais (wase) et en allemand standard (Rasen et Wasen). En vieux haut-allemand (VIIIe siècle)[N 2],[8], sur le plan sémantique, le mot désigne en général (dans la plupart des pays de langues germaniques) : une région humide, un pré humide ou un terrain tourbeux, ou encore la boue. Un pré humide se dit faing en patois vosgien, autre appellatif toponymique très répandu dans le massif. Il y a donc une nuance avec le gazon proprement dit. En allemand médiéval, aussi bien dans les glossaires que dans la littérature courtoise[9],[10], il prend aussi les sens suivants[N 3] :

  • gazon, pelouse ;
  • pré ;
  • pièce de gazon découpée ;
  • pièce de tourbe découpée.

Le terme Wasen et ses variantes dialectales sont attestés :

 
un Wasen: sentier reliant pâturage et étable, Bettmeralp, Suisse

Dans ces langues, « Wasen » a plusieurs sens communs[12] :

  • pré, pelouse ;
  • pacage, pâturage maigre, vaine pâture ;
  • sentier plus terreux qu’empruntent les vaches ou les moutons pour rejoindre l’étable, la fontaine ou le lieu de traite depuis le pâturage.

En langue alémanique, « Wasen » connaît d’autre sens[12] :

  • propriété foncière, terrain que l’on possède ;
  • grande quantité de quelque chose ;
  • terrain qui n’est plus à construire, qu’on laisse se transformer en pré ou gazon ;
  • fosse où l’on enterre les animaux morts.

On remarque sans grande difficulté que de nombreux sens conviennent au gazon vosgien, ce qui corrobore l'origine alsacienne du terme : le gazon est un lieu non bâti, destiné à la pâture d'estive, avec des vaches qui rejoignent le chalet par un sentier terreux, et il fut la propriété foncière d'abbayes puis de communautés villageoises amodiée aux pâtres alsaciens. De même, de nombreux toponymes des pays alpins germanophones s’intitulent Wasenegg, Wasenegge, Wasenecke, Weschnegg. Ils proviennent de l'allemand médiéval ecke, egge signifiant une crête ou une croupe de montagne d'une part, du terme Wàse désignant un pré ou terrain couvert de pelouse. Donc le toponyme Wasenegg correspond le mieux au gazon vosgien : une crête couverte de pelouse. Il est à noter que le terme Wasen des Vosges alsaciennes est très associé au mot « Ballon » ou Belchen, termes utilisés à ce jour pour désigner les sommets arrondis des Hautes Vosges. Le Petit Ballon (Kleiner Belchen en allemand) était appelé autrefois Kahler Wasen (mot à mot « gazon chauve », c'est-à-dire « gazon dénudé », donc « sans forêt »).

Descriptions des gazons au XIXe siècle modifier

« On fabrique du vachelin[N 4] et du munster[N 5] avec ou plus de matières grasses. Ils sont réalisés exclusivement sur les gazons[N 6] où paissent au moins cinquante vaches. Parmi les vachers[N 7], certains restent en permanence sur les hauteurs, et logent dans des laiteries[N 8] ; d'autres redescendent dans la vallée en hiver. La nourriture du vacher se compose de pommes de terre, de pain noir et de produits laitiers. Il s'accorde le dimanche un peu de viande, le plus souvent de la viande de porc salée. Les prairies sur les pentes des montagnes et dans la vallée sont soigneusement irriguées[13]. »

— Jean-Frédéric Aufschlager

« Les pâturages ou alpages en altitude se nomment dans les Vosges (sous-entendu alsaciennes) « Firsten ». Il est intéressant de constater que de nombreux noms propres pour désigner ces sommets sont très souvent associés au terme Wasen, gazon, comme Langewasen, Kahler Wasen'' »

— Julius Max Schottky[14]

.

En roman, pour le terme First, dans le texte, on dirait « Ballon »[15],[N 9]. Le même mot a donné le terme français déjà employé en ancien français : faîte. Donc par analogie, la partie la plus haute et horizontale d'un toit rappelle aussi la partie des crêtes des sommets vosgiens[16]. Les descriptions des observateurs concordent avec les origines et connotations étymologiques. Un gazon ou Wasen est invariablement associé à l’altitude, le pâturage, la forme des crêtes et la vie agro-sylvo-pastorale[15].

L’extrait suivant montre bien que l’observateur ne se limite pas aux domaines sur les crêtes, mais il décrit aussi les exploitations en contrebas du côté vosgien entre 700 m et 1 000 m. Au XIXe siècle, le nombre des fermes isolées vivant quasiment en autarcie était élevé. Ce sont les exploitants dont l’auteur dit qu’ils restent en permanence dans leur domaine par opposition aux vachers alsaciens qui ne peuvent pas rester sur les crêtes à cause des conditions climatiques extrêmes. À la fin de l’estive, les Alsaciens redescendent dans les vallées.

« Le domaine forme un tout. Il est constitué d'un gazon généralement situé en dessous de la fruitière ou grange vacheresse des Suisses et Savoyards, buron des Massifs central et du haut pâturage à proprement parler, le Feil. Le gazon est la meilleure partie du pâturage car il reçoit presque exclusivement le fumier ou purin de l'étable. Le procédé pour amener fumier ou purin dans le gazon est simple : il est traversé et irrigué par des sillons[N 10] »

— Carl Weck[17].


 
À droite, en contrebas du sommet du Kastelberg, le Kastelbergwasen, à gauche l'alpage de Ferschmuss

Flore des gazons vosgiens modifier

Un gazon est constitué de plusieurs parties ayant chacune une flore spécifique[18].

Partie tourbeuse du gazon modifier

Dans la partie tourbeuse, on trouve entre autres mais essentiellement la flore[18] suivante, y compris dans les tourbières de moyenne altitude plus bas que les gazons sommitaux[19] :

Cette configuration de la tourbière sommitale en milieu semi-continental avec la flore[20] ci-dessus a une parenté [21] avec les tourbières de l'Arc atlantique où le profil floristique original fait apparaître les mêmes espèces que celles énumérées ici pour le gazon vosgien.

C'est en outre la linaigrette qui est à l'origine du nom allemand initial de La Bresse[22] , Wolle[N 11]. La linaigrette abondante des terrains tourbeux se caractérise par ses touffes blanches duveteuses ou laineuses comme l'indique le terme Wolle[23].

En bordure du gazon modifier

 
scirpe cespiteux

Sur les bords de la tourbière, le gazon est constitué presque exclusivement par le scirpe cespiteux[18] :

Sur toute la surface du gazon modifier

« [Le gazon] est une sorte de pelouse subalpine à pulsatille les Alpes, callune, baudremoine, grande pensée jaune d'un violet intense ou bleutée, pied de chat, léontodon helvétique à fleur de pissenlit d'un jaune plus orangé, myrtille, l'airelle. L'arnica des montagnes aux vertus médicinales et la gentiane jaune apéritive sont plus menacées par les cueilleurs [20] »

Sur l’ensemble du gazon[18], on peut observer pour l'essentiel :

Partie déclive du gazon modifier

Dans la partie déclive des tourbières et gazons[18] où les cours d’eau sont plus ou moins vifs, on observe la flore rivulaire typique des Vosges avec :

Notes modifier

  1. La page cite ses sources pour différentes formes attestées : 1178 wason « motte de terre couverte d'herbe » (Renart, éd. M. Roques, 12977) ; 1213 gason « id. » (Faits des Romains, éd. L. F. Flutre et K. Sneyders de Vogel, p. 152, 17) ; 2. fin XIVe siècle ; wason « herbe courte et fine » (J. Froissart, Chroniques, éd. S. Luce, t. 1, § 32, p. 59) ; 3. a) XVIIIe siècle. gazon « perruque » (Chanson des disgrâces de porter perruques ds DG), [hapax] ; b) 1842 (Reybaud, loc. cit.). De l'ancien bas francique *waso « motte de terre revêtue d'herbe », cf. ancien haut allemand waso « id. » (Graff), moyen néerlandais wase « id. » (Verdam), allemand Rasen, Wasen « gazon ».
  2. En vieux haut-allemand, waso, mot masculin, signifie « sol humide » ou « boue »
  3. Les définitions en langue allemande sont : 1. 'Rasen, mit Gras bewachsener Erdboden, Wiese' ; 2. 'ausgestochenes Rasenstück' ; 3. 'ausgestochenes Torfstück'.
  4. Le vachelin est un fromage de type gruyère.
  5. Le Munster ou Géromé est une AOC, pas le vachelin.
  6. Wasen dans le texte allemand.
  7. On dit marcaire dans les Vosges, adaptation phonétique du mot alsacien Malker, celui qui trait.
  8. On dit plutôt une chaume ou marcairerie dans les Vosges.
  9. Emmanuel Garnier évoque à la p. 505 de son ouvrage le traité de Marquart de 1339 rédigé en allemand à Munster où le terme First apparaît pour la première fois pour désigner l'estive dont ont le droit de profiter les bergers alsaciens. Il explique « que l'emploi du mot allemand First est fondamental puisqu'il fait directement référence, et pour la première fois, à « la ligne faîtière », c'est-à-dire aux chaumes sommitales localisées à l'étage subalpin »
  10. On dit « royes » ou « royottes » comme en ancien français « roie »[1].
  11. La Brasse, 1402 (pouillés de Trèves, p. 334) - Wolle, 1426 (archives de Meurthe-et-Moselle, B 739, no  22) - Wall, 1486 (archives de Meurthe-et-Moselle, B 739, no 41) - La Bresse en Vosges, 1593 (archives de Meurthe-et-Moselle, B 500, no 34) - La Bresse ou Woll, XVIe siècle (BNF. ms. Lorraine, 111, Modèle:Fol.)

Références modifier

  1. Dictionnaire et Lexique d'ancien français de Godefroy, p. 249
  2. a et b [Compléments]
  3. a b et c CNRTL
  4. [site Lo Congrès, saisir « gazon » (page consultée le 1er février 2015)]
  5. Jacques Allières, La formation de la langue française, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, Paris, 1982, p. 117-124.
  6. Jacques Allières, La formation de la langue française, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, Paris, 1982, p. 40-41
  7. [(de) Banque de données lexicales autrichiennes (page consultée le 10 janvier 2015)]
  8. [(de) Sonderegger, 1958 (page consultée le 20 janvier 2015)]
  9. L. Diefenbach, Glossarium latino-germanicum mediae et infimae aetatis. E codicibus manuscriptis et libris impressis concinnavit. Frankfurt, 1857 (Supplementum lexici mediae et infimae latinitatis) [Neudr. Darmstadt 1968], 116a, n. gl. 87b
  10. Heinrîch von dem Türlîn, Diu Crône. Éditions G.H.F.Scholl. Stuttgart 1852.
  11. [(de) Définitions de Wasen en francique (page consultée le 10 janvier 2015)] réseau des dictionnaires de dialectes de l’Université de Trèves (de) Wörterbuchnetz Universität Trier
  12. a b et c [(de) Définitions de Wasen en alsacien (page consultée le 10 janvier 2015)]
  13. Traduction d'un extrait de : Das Elsass. Neue historisch-topographische Beschreibung der beiden Rhein- Departemente. Aufschlager J. F.. Edité par Heiß Johann Heinrich, vol. 2, p. 45
  14. Traduction d'un extrait de la page 267 de Bilder aus der süddeutschen Alpenwelt, Julius Max Schottky, Innsbruck, 1834
  15. a et b Emmanuel Garnier, Terre de conquêtes. La forêt vosgienne sous l'Ancien Régime, Fayard, 2004, 4e partie « Le montagnard et son milieu », chap. 14 « Un espace pionnier », 619 p., pp. 421-551, (ISBN 221361783X)
  16. Wiktionnaire [2].
  17. Die Weide- und Alpwirtschaft in den oberelsässischen Vogesen mit besonderer Berücksichtigung der Käseproduktion. Carl Weck, 1914, Université de Bonn, 153 pages, p. 95-101.
  18. a b c d et e Frédéric Kirschleger, Flore d’Alsace et des contrées limitrophes, vol. 3, 1858, Baillière Paris, p. 105, Texte intégral.
  19. Darmois-Théobald Mireille, Denèfle Michelle, Menillet François, Tourbières de moyenne altitude de la forêt de Haute-Meurthe (Vosges, France). In: Bulletin de l'Association française pour l'étude du quaternaire , vol. 13, no 2,1976. pp. 99-107 [En ligne Persée article 13 2 1281 (page consultée le 11 janvier 2015)]
  20. a et b Collectif Albert Ronsin, Bernard Houot, Georges Savouret, Alain Litaize, Pascal Joudrier, Jacques Estrade, Norbert Lefranc et Jean-Pierre Doyen, Vosges, coll. « Encyclopédies régionales », Christine Bonneton Editeur, Paris, 1987, 428 p.,chap. 4 « Milieu naturel », sous-chapitre « Les sols et la vėgétation », pp. 313-335, (ISBN 2862530778), (ISBN 9782862530772)
  21. Houzard Gérard, Diversité des formations végétales primitives et des bioclimats de l'Arc atlantique. In: Norois.no 157, 1993. Janvier-Mars 1993. pp. 109-125 - [Lire en ligne sur Persée (page consultée le 11 janvier 2015)]
  22. Éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques - Collection de documents inédits sur l'Histoire de France, CTHS - Paris 2013, Consulter en ligne Dictionnaire topographique de la France, consulté le 11 janvier 2015
  23. Collectif Albert Ronsin, Bernard Houot, Georges Savouret, Alain Litaize, Pascal Joudrier, Jacques Estrade, Norbert Lefranc et Jean-Pierre Doyen, Vosges, coll. « Encyclopédies régionales », Christine Bonneton Editeur, Paris, 1987, 428 p.,chap. 2 Ethnographie pp. 85-214, (ISBN 2862530778), (ISBN 9782862530772)

Articles connexes sur la toponymie spécifique des Vosges modifier