Conjecture de Sidorenko

La conjecture de Sidorenko est une conjecture de la théorie des graphes, formulée par Alexander Sidorenko en 1986. Elle affirme que pour tout graphe biparti et tout graphe à sommets de degré moyen , il y a au moins copies de dans , à un petit terme d'erreur près[1]. Plus formellement, elle fournit une inégalité intuitive sur les densités d'homomorphismes de graphons. L'inégalité conjecturée peut être interprétée comme l'assertion selon laquelle la densité de copies de dans un graphe est asymptotiquement minimisée par un graphe aléatoire ; elle est égale à la fraction dee sous-graphes qui sont une copie de , dans le cas où chaque arête existe avec probabilité .

Énoncé modifier

Un graphe   est dit avoir la propriété de Sidorenko si, pour tout graphon  , l'inégalité

 

est vérifiée, où   est la densité d'homomorphismes de   dans   .

La conjecture de Sidorenko, formulée en 1986[2] et développée en 1993[3], stipule que tout graphe biparti possède la propriété de Sidorenko.

Si le graphon   est un graphe  , cela signifie que la probabilité qu'une fonction aléatoire uniforme de   sur   est un homomorphisme est au moins égale au produit pour chaque arête de   de la probabilité que cette arête soit envoyée sur une arête dans  . Cela signifie grosso modo qu'un graphe choisi au hasard avec un nombre fixe de sommets et un certain degré moyen possède le nombre minimum de copies étiquetées de  . Ce n'est pas une conjecture surprenante puisque le membre droit de l'inégalité est la probabilité que la fonction est un homomorphisme si chaque application d'arêtes est indépendante. Il peut donc s'attendre à ce que les deux côtés soient au moins du même ordre. L'extension naturelle aux graphons découle alors de ce que chaque graphon est le point limite d'une suite de graphes.

Le fait que   est biparti est nécessaire pour avoir la propriété de Sidorenko : si   est un graphe biparti, alors   puisque   est sans triangle. Mais   est le double du nombre d'arêtes dans  , donc la propriété de Sidorenko est fausse pour   . Un argument similaire montre qu'aucun graphe avec un cycle de longueur impaire ne possède la propriété de Sidorenko. Puisqu'un graphe est biparti si et seulement s'il n'a pas de cycles impairs, cela implique que les seuls graphes possibles qui peuvent avoir la propriété de Sidorenko sont des graphes bipartis.

Formulation équivalente modifier

La propriété de Sidorenko équivaut à la formulation suivante:

Pour tout graphes  , à   sommets et de degré moyen  , on a   .

Cet énoncé est équivalent au précédent car le nombre d'homomorphismes de   sur   est le double du nombre d'arêtes dans  , et l'inégalité ne doit être vérifiée que lorsque   est un graphe, comme précédemment.

Dans cette formulation, puisque le nombre d'homomorphismes non injectifs de   dans   est au plus  à une constante près, la propriété de Sidorenko implique qu'il y a au moins   copies de   dans   .

Exemples modifier

Pour prouver la propriété de Sidorenko, il suffit de démontrer l'inégalité pour les graphes  . Dans cette section,   est un graphe à   sommets, de degré moyen  . L'entier   est le nombre d'homomorphismes de   dans  . Cette quantité est égale à  .

Des preuves élémentaires de la propriété de Sidorenko pour certains graphes découlent de l'inégalité de Cauchy-Schwarz ou de l'inégalité de Hölder. D'autres preuves utilisent la théorie spectrale des graphes, en observant que le nombre de chemins de longueur   d'un sommet   à un sommet   dans   est l'élément d'indice de ligne   et de colonne   de la matrice  , où   est la matrice d'adjacence de  .

Cauchy-Schwarz : Le cycle C4 modifier

En fixant deux sommets   et   de  , une copie du graphe cycle   de longueur 4 qui a   et   aux extrémités opposées peut être identifiée en choisissant deux voisins communs (pas nécessairement distincts) de   et  . En dénotant   le codegré de   et   (c'est-à-dire le nombre de voisins communs), on obtient par l'inégalité de Cauchy-Schwarz :

 

La somme compte le nombre de paires de sommets et de leurs voisins communs et est égale au nombre de sommets et de paires de leurs voisins. Donc, et à nouveau par l'inégalité de Cauchy–Schwarz :

 

Il en résulte que

 

comme voulu.

Théorie spectrale de graphes: Le cycle C 2k modifier

Bien que l'approche par Cauchy – Schwarz pour le cycle   est élégante et élémentaire, elle ne se généralise pas immédiatement à tous les cycles pairs. Cependant, on peut appliquer la théorie spectrale des graphes pour prouver que tous les cycles pairs   ont la propriété de Sidorenko. Les cycles impairs ne sont pas pris en compte dans la conjecture de Sidorenko car ils ne sont pas bipartis.

En utilisant l'observation sur les chemins, il s'ensuit que   est la somme des entrées diagonales dans  . Celle-ci est égale à la trace de  , qui à son tour est égale à la somme des puissances d'exposant  des valeurs propres de  . Si   sont les valeurs propres de  , alors le théorème min-max de Courant-Fischer implique que

 

  est le vecteur avec   composantes toutes égales à  . Mais alors

 

car les valeurs propres d'une matrice symétrique réelle sont réelles. Donc

 

comme voulu.

Entropie: chemins de longueur 3 modifier

J. L. Xiang Li et Balázs Szegedy ont introduit en 2011[4] l'idée d'utiliser l'entropie pour prouver certains cas de la conjecture de Sidorenko. Szegedy a appliqué en 2015 ces idées pour prouver qu'une classe encore plus large de graphes bipartis possède la propriété de Sidorenko[5]. Alors que la preuve de Szegedy est abstraite et technique, Timothy Gowers et Jason Long ont simplifié l'argument dans des cas particuliers tels que les chemins de longueur  [6]. Dans cette preuve on prend une distribution de probabilité appropriée pour le choix des sommets d'un chemin et on applique l'inégalité de Jensen (c'est-à-dire la convexité) pour en déduire l'inégalité.

Résultats partiels modifier

Voici une liste de graphes bipartis   dont il a été démontré qu'ils possédaient la propriété de Sidorenko. La bipartition de   est notée  .

  • Les chaînes ont la propriété de Sidorenko, comme l'ont montré Mulholland et Smith en 1959, donc même avant que Sidorenko ne formule sa conjecture[7].
  • Les arbres ont la propriété de Sidorenko, généralisant le résultat précédent pour les chaînes. Cela a été montré par Sidorenko dans un article de 1991[8].
  • Les cycles de longueur paire ont la propriété de Sidorenko comme déjà indiqué. Sidorenko l'a également démontré dans son article de 1991.
  • Les graphes bipartis complets ont la propriété de Sidorenko ; également montré dans l'article de 1991 de Sidorenko.
  • Les graphes bipartis avec   ont la propriété de Sidorenko ; également montré dans l'article de 1991 de Sidorenko.
  • Les hypercubes (généralisations de   ) ont la propriété de Sidorenko, comme l'a montré Hatami en 2008[9]. Plus généralement, les graphes normatifs (tels qu'introduits par Hatami) ont la propriété de Sidorenko.
  • S'il existe un sommet dans   qui est voisin de tout sommet dans   (ou vice-versa), alors   a la propriété de Sidorenko ; démontré par Conlon, Fox et Sudakov en 2010[10]. Cette preuve utilise la méthode du choix aléatoire dépendant.
  • Pour tout graphe biparti  , il existe un nombre entier positif   tel que la  -explosion de   possède la propriété de Sidorenko. Ici la  -explosion de   est formée en remplaçant chaque sommet dans   par   copies de lui-même, chacun étant connecté à ses voisins d'origine dans  . Cette propriété a été montré par Conlon et Lee en 2018[11].
  • Certaines approches récursives ont été tentées, qui utilisent une collection de graphes qui ont la propriété de Sidorenko pour créer un nouveau graphe qui a la propriété de Sidorenko. Les principaux progrès dans cette direction ont été faits par Sidorenko dans son article de 1991, par Li et Szegedy en 2011[4], et par Kim, Lee et Lee en 2013[12]. L'article de Li et Szegedy a également utilisé des méthodes d'entropie pour prouver la propriété d'une classe de graphes appelés « arbres de réflexion ». L'article de Kim, Lee et Lee a étendu cette idée à une classe de graphes avec une sous-structure arborescente appelée «graphes arrangeables en arbre».

Cependant, il existe des graphes pour lesquels la conjecture de Sidorenko est toujours ouverte. Un exemple est le graphe « bande de Möbius »  , formé en enlevant un  -cycle du graphe biparti complet dont les parties sont de taille   .

László Lovász a prouvé une version locale de la conjecture de Sidorenko, à savoir pour des graphes qui sont "proches" de graphes aléatoires dans un sens de norme de coupe[13].

Forcer la conjecture modifier

Une suite de graphes   est dite quasi-aléatoire de densité   pour une certaine densité   si, pour chaque graphe  , on a :

 

La suite de graphes possède ainsi les propriétés du graphe aléatoire d'Erdős-Rényi  . Si la densité des arêtes   est fixée à  , alors la condition implique que la suite de graphes est proche du cas d'égalité dans la propriété de Sidorenko pour chaque graphe  .

D'après un article de Chung, Graham et Wilson de 1989[14] sur les graphes quasi-aléatoires, il suffit que le décompte en   corresponde à ce qui serait attendu d'un graphique aléatoire (c'est-à-dire que la condition est vérifiée pour   ). L'article cherche également à décrire les graphes   en dehors de   qui ont cette propriété. Ces graphes sont appelés graphes forçants car leur décompte contrôle le caractère quasi aléatoire d'une séquence de graphes.

La conjecture de forçage est l'énoncé suivant :

Un graphe   est forçant si et seulement s'il est biparti et non arborescente.

Il est facile de voir que si   est forçant, alors il est bipartite et n'est pas un arbre. Des exemples de graphes forçants sont les cycles pairs (montré par Chung, Graham et Wilson). Skokan et Thoma[15] ont montré que tous les graphes bipartis complets qui ne sont pas des arbres sont forçants.

La conjecture de Sidorenko pour les graphes de densité   découle de la conjecture de forçage. De plus, la conjecture de forçage montrerait que les graphes qui sont proches de l'égalité dans la propriété de Sidorenko doivent satisfaire des conditions quasi-aléatoires[16].

Notes et références modifier

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Sidorenko's conjecture » (voir la liste des auteurs).
  1. On note ici   et   les arêtes et les sommets d'un graphe  
  2. Alexander F. Sidorenko, « Extremal problems in graph theory and inequalities in functional analysis », Proc. Soviet Seminar on Discrete Math. Appl.,‎ , p. 99-105.
  3. Alexander Sidorenko, « A correlation inequality for bipartite graphs », Graphs and Combinatorics, vol. 9, nos 2-4,‎ , p. 201–204 (ISSN 0911-0119, DOI 10.1007/BF02988307)
  4. a et b J. L. Xiang Li et Balázs Szegedy, « On the logarithmic calculus and Sidorenko's conjecture », Combinatorica,‎ à paraître (arXiv 1107.1153).
  5. Balázs Szegedy, « An information theoretic approach to Sidorenko's conjecture », manuscrit,‎ (arXiv 1406.6738)
  6. Gowers, « Entropy and Sidorenko’s conjecture — after Szegedy », Gowers's Weblog (consulté le ).
  7. Huge P. Mulholland et Cedric Smith, « An inequality arising in genetical theory », American Mathematical Monthly, no 66,‎ , p. 673–683 (DOI 10.1080/00029890.1959.11989387).
  8. Alexander Sidorenko, « Inequalities for functionals generated by bipartite graphs », Diskretnaya Matematika, no 3,‎ , p. 50–65 (DOI 10.1515/dma.1992.2.5.489).
  9. Hamed Hatami, « Graph norms and Sidorenko's conjecture », Israel Journal of Mathematics, no 175,‎ , p. 125–150 (arXiv 0806.0047).
  10. David Conlon, Jacob Fox et Benny Sudakov, « An approximate version of Sidorenko’s conjecture », Geometric and Functional Analysis, no 20,‎ , p. 1354–1366 (arXiv 1004.4236)
  11. David Conlon et Joonkyung Lee, « Sidorenko's conjecture for blow-ups », Discrete Analysis, no 2,‎ (DOI 10.19086/da.21472, arXiv 1809.01259).
  12. Jeong Han Kim, Choongbum Lee et Joonkyung Lee, « Two approaches to Sidorenko’s conjecture », Transactions of the American Mathematical Society, vol. 368, no 7,‎ , p. 5057–5074 (DOI 10.1090/tran/6487, arXiv 1310.4383).
  13. László Lovász, « Subgraph Densities in Signed Graphons and the Local Simonovits–Sidorenko Conjecture », The Electronic Journal of Combinatorics, vol. 18, no 1,‎ (ISSN 1077-8926, DOI 10.37236/614, arXiv 1004.3026)
  14. Fan Chung, Ronald Graham et Richard Wilson, « Quasi-random graphs », Combinatorica, vol. 9, no 4,‎ , p. 345–362 (DOI 10.1007/BF02125347)
  15. Jozef Skokan et Lubos Thoma, « Bipartite Subgraphs and Quasi-Randomness », Graphs and Combinatorics, vol. 20, no 2,‎ , p. 255–262 (DOI 10.1007/s00373-004-0556-1)
  16. David Conlon, Jacob Fox et Benny Sudakov, « An approximate version of Sidorenko’s conjecture », Geometric and Functional Analysis, no 20,‎ , p. 1354–1366 (arXiv 1004.4236).

Bibliographie modifier

  • Jacob Fox et Fan Wei, « On the Local Approach to Sidorenko's Conjecture », Electronic Notes in Discrete Mathematics, vol. 61,‎ , p. 459–465 (DOI 10.1016/j.endm.2017.06.074)
  • David Conlon, Jeong Han Kim, Choongbum Lee et Joonkyung Lee, « Some advances on Sidorenko's conjecture », Journal of the London Mathematical Society, vol. 98, no 3,‎ , p. 593–608 (DOI 10.1112/jlms.12142).
  • Ashwin Sah, Mehtaab Sawhney, David Stoner et Yufei Zhao, « A reverse Sidorenko inequality », Inventiones mathematicae, vol. 221, no 2,‎ , p. 665–711 (DOI 10.1007/s00222-020-00956-9, arXiv 1809.09462)