Boycott antinazi de 1933

boycott international des produits allemands

Le boycott antinazi de 1933 est un boycott international des produits allemands en réaction aux violences et aux harcèlements menés contre des Juifs par des membres du parti national-socialiste après l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler, nommé Chancelier du Reich le . Les exactions commises par les nazis ont consisté à poser ou jeter des boules puantes, à instaurer des piquets de grève, ainsi qu'à intimider, humilier et agresser des clients. Si certaines associations juives orchestrent ce boycott, d'autres s'y opposent.

Légende : « N'achetez pas de produits allemands, le boycott est une variante morale de la guerre ». Pochette d'allumettes distribuée par la Non-Sectarian Anti-Nazi League (en) pour sensibiliser au boycott.

Histoire modifier

Contexte en Allemagne modifier

Après la nomination d'Adolf Hitler au poste de chancelier en janvier 1933, son parti orchestre une campagne de violences et de boycott contre les sociétés tenues par des Juifs en Allemagne[1]. Ce boycott antisémite est toléré, voire orchestré, par le régime allemand ; en effet, Hermann Göring déclare : « Je m'appuierai sur les forces de l'ordre, sans indulgence, partout où des Allemands seront attaqués, mais je refuse que la police soit transformée en gardienne des magasins tenus par des Juifs »[1].

La Centralverein deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens (en) (association centrale juive d'Allemagne) se sent tenue d'émettre un communiqué de soutien au régime et considère que « les autorités gouvernementales responsables [le régime de Hitler] n'ont pas conscience du caractère menaçant de la situation », en ajoutant « nous ne saurions croire que nos compatriotes allemands se laisseront entraîner à des excès contre les Juifs »[2]. Des chefs d'entreprise influents dans la communauté juive écrivent des lettres de soutien au régime nazi et invitent les hauts responsables de la communauté juive en Palestine mandataire, ainsi que les associations juives à l'étranger, à renoncer à leur mobilisation en faveur d'un boycott économique[3]. L'Association des Juifs nationaux allemands, un groupe marginal qui a soutenu Hitler les premières années, se prononce également contre la mobilisation des Juifs militant pour un boycott des produits allemands[4],[5],[6].

Projets de boycott aux États-Unis et au Royaume-Uni modifier

En Grande-Bretagne, le mouvement soutenant le boycott des produits allemands se heurte au Board of Deputies of British Jews (en), de tendance conservatrice. Aux États-Unis, le Congrès juif américain (AJC) fonde un comité en faveur du boycott ; le B'nai B'rith et l'American Jewish Committee s'abstiennent d'y participer[7]. À ce moment-là, ces associations estiment que de nouvelles manifestations publiques risquent de se retourner contre les Juifs d'Allemagne[1].

Les attaques incessantes des nazis contre les Juifs d'Allemagne au cours des semaines suivantes conduisent le Congrès juif américain à réviser sa position au sujet des manifestations. Le , une réunion agitée de quatre heures se tient à l'hôtel Astor de New York : 1 500 représentants issus de diverses associations juives débattent, sur proposition de l'AJC, d'une manifestation qui se tiendrait à Madison Square Garden le . Un millier d'autres personnes souhaitant participer à la réunion doivent être retenues par la police.

J. George Freedman, de l'association des Jewish War Veterans (en) avance l'idée d'un boycott des produits allemands, qui rencontre l'opposition des juges Joseph M. Proskauer (en) et James N. Rosenberg (en) de la Cour suprême de New York. Proskauer fait part de sa crainte « d'aggraver la situation des Juifs d'Allemagne par des actions malavisées » ; il s'oppose au projet et donne une lecture publique d'une lettre du juge Irving Lehman (en) qui avertit que « cette réunion risque d'alourdir les graves dangers qui pèsent sur les Juifs d'Allemagne ». Le président honoraire et rabbin Stephen Samuel Wise répond à Proskauer et Rosenberg en critiquant leur absence aux réunions précédentes de l'AJC et en déclarant que « personne ne s'intéresserait au décret » si la tactique rejette toute manifestation de masse. Wise soutient : « il n'est plus temps de se montrer prudents et circonspects. Nous devons nous exprimer sans détour, en hommes. Comment pourrons-nous demander à nos amis chrétiens de dénoncer avec vigueur les souffrances infligées aux Juifs, si nous-mêmes demeurons silencieux ? [...] Ce qui se produit aujourd'hui en Allemagne peut se répéter demain dans n'importe quel autre pays, à moins qu'on y réagisse avec fermeté. Ce ne sont pas les Juifs allemands qui sont attaqués ; ce sont les Juifs ». Il décrit le boycott comme un impératif moral : « nous devons montrer notre opposition » et « même si la mobilisation n'engendre aucun changement, au moins nous aurons essayé »[1].

Le groupe vote ensuite la tenue de la manifestation à Madison Square Garden[1],[8].

Le 21 mars se tient une réunion à l'hôtel Knickerbocker, à l'initiative de l'association Jewish War Veterans of the United States of America (en). William W. Cohen (en), ancien membre du Congrès, se montre favorable à un boycott d'application stricte contre les produits allemands ; il déclare : « tout Juif qui dépense un penny pour acquérir des biens fabriqués en Allemagne est devenu traître à son peuple ». Les Jewish War Veterans préparent eux aussi une manifestation à Manhattan, partant de Cooper Square à destination du New York City Hall ; ils prévoient 20 000 participants, dont des vétérans juifs en uniformes. Bannières et pancartes y sont interdits, à l'exception des drapeaux des États-Unis et de la communauté juive[9].

Journée nationale de manifestation le 27 mars 1933 modifier

Le ont lieu plusieurs manifestations ; celle de New York à Madison Square Garden mobilise une foule de 55 000 personnes, qui sature la place et déborde dans les rues adjacentes. Des évènements similaires se tiennent à Baltimore, Boston, Chicago, Cleveland, Philadelphie et dans 70 autres villes. Le défilé de New York est retransmis sur les ondes à l'international. Les orateurs de Madison Square Garden comptent des personnalités comme William Green (en), président de l'American Federation of Labor ; le sénateur Robert F. Wagner ; Al Smith, ancien gouverneur de New York et plusieurs ecclésiastiques chrétiens, qui appellent tous à l'arrêt des mauvais traitements infligés aux Juifs d'Allemagne[1],[10],[11]. Le rabbin Moses S. Margolies (en), qui fait partie des chefs spirituels à Manhattan, quitte le lit où une maladie le retenait pour s'adresser à la foule[12]. Des associations juives — dont l'AJC, la Non-Sectarian Anti-Nazi League (en), le B'nai B'rith, le Jewish Labor Committee et l'association des vétérans — lancent ensemble un appel au boycott des produits allemands[1].

Boycott antinazi modifier

La campagne de boycott commence en mars 1933, tant en Europe qu'aux États-Unis, où elle se poursuit jusqu'au , date de l'entrée en guerre du pays[13],[14],[15].

En juillet 1933, les effets du boycott contraignent les directeurs de l'Hamburg America Line à démissionner. Les importations depuis l'Allemagne vers les États-Unis perdent un quart de leur volume par rapport à l'année précédente et le régime reçoit les conséquences de plein fouet. Cette même année, au congrès du parti à Nuremberg en août, Joseph Goebbels déclare que cette campagne entraîne « de graves soucis ». Le boycott était particulièrement perceptible en Palestine mandataire, surtout contre les sociétés pharmaceutiques allemandes, car près des deux tiers des médecins juifs en exercice dans la région ont cessé de prescrire des médicaments allemands[16].

Tant en Allemagne qu'à l'étranger, cette campagne de boycott était considérée comme une réaction agressive de la communauté juive face aux persécutions du régime nazi ; le journal britannique Daily Express, dans son édition du , affiche en titre que « la Judée déclare la guerre à l'Allemagne »[13].

Réaction : le boycott nazi modifier

 
Berlin, le  : des paramilitaires de la Sturmabteilung, munis d'écriteaux appelant au boycott, bloquent l'entrée d'un magasin appartenant à un Juif. L'écriteau annonce : « Allemands, défendez-vous ! N'achetez rien chez les Juifs ! »

Les hauts responsables nazis dénoncent les manifestations, y voyant l'effet de calomnies propagées (en) par « des Juifs d'origine allemande » ; Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, annonce l'instauration d'un train de « contre-mesures drastiques » envers les Juifs d'Allemagne en réponse aux manifestations des Juifs américains. Il prévoit son propre boycott, dirigé contre les commerces tenus par des Juifs en Allemagne, le . Goebbels précise que ce boycott ne prendrait fin que si les manifestations contre le nazisme étaient suspendues[13]. Il s'agit du premier boycott antisémite endossé officiellement par le gouvernement nazi. Goebbels avertit que, si les manifestations persistent, « ce boycott reprendra... jusqu'à l'anéantissement de la juiverie allemande »[1],[17],[18].

Goebbels met sa menace de boycott à exécution. Des membres de la Sturmabteilung (SA) sont disséminés devant les commerces et bureaux appartenant à des Juifs. À l'entrée et aux fenêtres de ces locaux, les SA peignent des étoiles de David en jaune et en noir et ils placardent des affiches proclamant : « N'achetez rien chez les Juifs ! » (Kauf nicht bei Juden!) et « Les Juifs sont notre malchance ! » (Die Juden sind unser Unglück!). En outre, des actes de violence contre les Juifs et de vandalisme contre les locaux appartenant à des Juifs éclatent, mais la police n'intervient que rarement[19].

Conséquences modifier

Le boycott antinazi de 1933 n'a pas mis terme au harcèlement des Juifs en Allemagne ; au contraire, les violences gagnent en intensité et aboutissent finalement à la Shoah[3].

L'accord Haavara, conjugué au réarmement de l'Allemagne et à une dépendance décroissante du commerce avec l'occident, compense largement à partir de 1937 les effets de boycott antinazi sur l'économie allemande[20],[16]. Néanmoins, la campagne de boycott se poursuit en 1939[16].

Les Juifs américains appliquent, quoique de manière irrégulière, un boycott au XXe siècle et au début du XXIe siècle contre les produits de Volkswagen, Mercedes-Benz et BMW ainsi que d'autres entreprises ayant bénéficié de l'effort de guerre du Troisième Reich[21].

Notes et références modifier

  1. a b c d e f g et h Staff. The Anti-Nazi Boycott of 1933, American Jewish Historical Society. Accessed January 22, 2009.
  2. « U.S. Policy During World War II: The Anti-Nazi Boycott », sur Jewish Virtual Library (consulté le )
  3. a et b Feldman, Nadan (20 April 2014) "The Jews Who Opposed Boycotting Nazi Germany", Haaretz. Retrieved 2 August 2019.
  4. "Books: Vicious Circle. Robert Gessner, Some Of My Best Friends Are Jews (Farrar & Rinehart)" Time (magazine), December 21, 1936. Accessed December 26, 2016. "But after he visited a famed rabbi in Munich, wandered through the ghetto in Berlin, talked with Zionists, Jewish workers, capitalists, he found himself appalled at the conduct of the Association of German National Jews. This organization supports Hitler, fights the Jewish boycott of German goods."
  5. Sarah Ann Gordon, Hitler, Germans, and the "Jewish question", p.47
  6. Thomas Pegelow Kaplan. Review of Hambrock, Matthias, Die Etablierung der AuÖŸenseiter: Der Verband der Nationaldeutschen Juden 1921-1935. H-German, H-Net Reviews. September 2005
  7. Leni Yahil et Ina Friedman, The Holocaust: The Fate of European Jewry: 1932-1945, London, Oxford University Press, (ISBN 9780195045239, lire en ligne), p. 95
  8. Staff. "NAZI FOES HERE CALMED BY POLICE; Hotel Congested by Delegates Seeking to Join in Protest of Jewish Congress. NATIONAL ACTION PLANNED Resolution for Rallies Throughout Country to Protest Against Hitler Policies Is Adopted.", The New York Times, March 20, 1933. Accessed January 23, 2009.
  9. Staff. "BOYCOTT ADVOCATED TO CURB HITLERISM; W.W. Cohen Says Any Jew Who Buys Goods Made in Germany Is a 'Traitor.'", The New York Times, March 21, 1933. Accessed January 22, 2009.
  10. Staff. "250,000 JEWS HERE TO PROTEST TODAY; More Than 1,000,000 in All Parts of Nation Also Will Assail Hitler Policies. JEWISH CONGRESS TO ACT Four Demands to Be Presented to German Envoy Urging End of Anti-Semitism. BERLIN JEWS IN DISSENT National Organization There Asks That Garden Mass Meeting Be Called Off.", The New York Times, March 27, 1933. Accessed January 23, 2009.
  11. Staff. "35,000 JAM STREETS OUTSIDE THE GARDEN; Solid Lines of Police Hard Pressed to Keep Overflow Crowds From Hall. AREA BARRED TO TRAFFIC Mulrooney Takes Command to Avoid Roughness — 3,000 at Columbus Circle Meeting. 35,000 IN STREETS OUTSIDE GARDEN", The New York Times, March 28, 1933. Accessed January 23, 2009.
  12. Staff. "RABBI MARGOLIES DIES OF PNEUMONIA; Dean of Orthodox Synagogue Heads, 85, Zionist Leader and Jewish educator. FOUNDER OF RELIEF GROUP Rose From Sickbed in 1933 to Address Meeting of Protest Against Anti-Semitism.", The New York Times, August 26, 1936. Accessed January 22, 2009.
  13. a b et c Berel Lang, Philosophical Witnessing: The Holocaust as Presence, p.132
  14. Marc Dollinger, Quest for Inclusion: Jews and Liberalism in Modern America (Princeton University Press, 2000), p.48. (ISBN 9780691005096)
  15. David Cesarani, Final Solution: The Fate of the Jews 1933-49, Macmillan, , 1–33 p. (ISBN 978-0-230-75456-0, lire en ligne)
  16. a b et c Max Wallace, In the Name of Humanity, New York, Penguin, (ISBN 978-1-5107-3497-5, lire en ligne)
  17. James, Edwin L. "THE NAZIS BEGIN TO DODGE ANTI-SEMITIC BOOMERANG; Hitlerites Weaken on Jewish Boycott in Face of World-Wide Protests and Peril to German Trade. PROPAGANDA DRIVE CONTINUES Minister of Enlightenment Announces That All Now Depends on Quick Cessation of 'Campaigns Against Germany.'", The New York Times, April 2, 1933. Accessed January 23, 2009.
  18. Feldberg, Michael. "Blessings of Freedom", p. 79, American Jewish Historical Society. KTAV Publishing House, 2001. (ISBN 0-88125-756-7). Accessed January 23, 2009.
  19. "BOYCOTT OF JEWISH BUSINESSES", United States Holocaust Memorial Museum. Accessed January 23, 2009.
  20. Nicosia, Francis R. The Third Reich and the Palestine Question , p.150
  21. Goldberg, Jeffrey (29 August 2014) "Why I'm Ending My Boycott of German Cars", The Atlantic. Retrieved 2 August 2019.