Blanchiment des troupes coloniales

Le blanchiment des troupes coloniales consiste dans le retrait des tirailleurs sénégalais des premières lignes et leur rapatriement en Afrique après qu'elles ont participé à la campagne d'Afrique et à la Libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale. On parle aussi au moment des faits de "blanchissement".

Déroulement modifier

 
Un tirailleur sénégalais (à droite) dans l'hôtel Majestic (alors un hôpital) de Cannes en juillet 1945.

Durant l'automne 1944, les 15 000 tirailleurs sénégalais des 9e division d'infanterie coloniale et 1re DMI sont remplacés (« blanchis ») par des FFI au sein de la 1re armée française[1].

En janvier 1944, un mémo du chef d'état major américain, Walter B. Smith, demande une séparation identique à celle pratiquée dans les régiments de G.I., où les Noirs ne combattaient pas aux côtés des Blancs jusqu'aux derniers moments de la guerre[2].

Les soldats noirs sont remplacés par des recrues blanches issues de la Résistance. En position sur la ligne de front[3], les Africains laissent à des combattants inexpérimentés leur équipement et leur armement, gage de confort et source de fierté[4],[5], en général sans cérémonie[6]. Envoyés dans le Sud de la France, ils sont d'abord affectés à des tâches de maintenance dans des unités de circonstance avant d'être rapatriés en Afrique[7].

Concernant les tirailleurs nord-africains, la relève ne se fit que partiellement à partir de janvier 1945 lorsque, dans chaque division de l’Armée d’Afrique, un régiment FFI remplaça un régiment d’Afrique du Nord[8]. Cependant, de nombreuses unités de tirailleurs continuèrent le combat durant l'hiver 1944 dans les Vosges, ainsi qu'en avril 1945 dans la réduction de la poche de Royan[9] et plusieurs unités défilèrent le sur l'avenue des Champs-Élysées à Paris[10].

Lors de la première exposition photographique consacrée à la Libération de Paris présentée le au musée Carnavalet, il est probable qu'aucun Noir n'ait été présenté (deux des panneaux d'exposition n'ont pas été photographiés) alors que dans le fonds ayant alimenté l'exposition un seul cliché intègre un soldat noir[11]. La présence de rares soldats noirs est cependant attestée en août 1944 à Paris, dont Claude Mademba Sy, tirailleur sénégalais qui jouissait d'un statut de citoyen français et non de citoyen de l’empire, Georges Dukson, un Gabonais membre des FFI et une femme en uniforme dont l'identité est inconnue[11].

Raisons du blanchiment modifier

Les raisons exactes du blanchiment sont analysées depuis peu[12]. Pour l'historienne Christine Levisse-Touzé, il serait « éminemment faux que de Gaulle ne voulait pas de Noirs aux portes de Paris », appuyant son argument sur le défilé du  : les troupes de l’empire colonial étaient présentes, alors qu'en 1943 et 1944 les Forces françaises libres étaient soumises aux ordres des Américains, dont l'armée fut ségréguée jusqu'en 1948[11].

Comme le justifie un film de propagande « Les frères de couleur vaincus par l'hiver ! », le climat est évoqué comme la cause du retrait des soldats africains[13]. Dans son étude sur les tirailleurs sénégalais, Julien Fargettas insiste sur le fait que le climat est le premier responsable du retrait des soldats noirs, problématique à laquelle ont été confrontés les troupes noires dès la Première Guerre mondiale. La 1re DMI déplore ainsi 390 cas de gelures pour la seule journée du [14]. Les officiers français notent également la baisse de moral des troupes noires, qui désirent leur rapatriement dans des régions aux conditions climatiques moins éprouvantes[15].

Dans son documentaire Le Blanchiment des troupes coloniales[13], le réalisateur Jean-Baptiste Dusséaux explique que l'armée française a préféré se priver de vingt mille combattants aguerris — au grand dam de certains officiers — plutôt que d'associer des hommes noirs à la Libération. D'après lui l'état-major craint pour le prestige de la 1re armée et voit comme une « atteinte à l'ordre colonial » le contact entre soldats noirs et femmes blanches[13]. Les graves incidents provoqués en Italie par certaines troupes coloniales ont pu jouer un rôle.

Le blanchiment est également un moyen pour le général de Gaulle de contrôler les ex-FFI, en les incorporant dans l'armée régulière[16],[15]. Mais les officiers déplorent la perte de combattivité de leurs unités, dont les vétérans ont été remplacés par des volontaires non instruits[6].

L'article de Claire Miot montre aussi qu'ont pu jouer la contrainte de l'équipement qui empêchait d'intégrer les FFI en plus des troupes coloniales, une certaine démotivation liée à l'absence de permissions vers l'Afrique et la perspective d'avoir à utiliser ces troupes dans la reconquête de l'Indochine.

Notes et références modifier

  1. « (...) de novembre 1944 à mars 1945, le nombre d’autochtones rapatriés en AOF (Afrique-Occidentale française) (...) s’élève à 9 678, soit 3 261 ex-prisonniers et 6 334 rapatriés de France (...) », in Gilles Aubagnac, « Le retrait des troupes noires de la 1re Armée », Revue historique des armées, no 2, 1993, p. 34-46.
  2. Mike Thomson, Paris liberation made 'whites only', Document, BBC Radio 4, lire en ligne.
  3. Fargettas 2012, p. 258.
  4. Fargettas 2012, p. 261.
  5. Fargettas 2012, p. 71.
  6. a et b Fargettas 2012, p. 259.
  7. Fargettas 2012, p. 262.
  8. Brahim Senouci, Préface de Stéphane Hessel, Algérie, une mémoire à vif : Ou le caméléon albinos, L'Harmattan, 2008, page 84 [1]
  9. « Le Bataillon de marche de l’Oubangui-Chari et la libération de Royan »,
  10. Bilan de la Seconde Guerre mondiale, RFI, 10 mai 2010, lire en ligne.
  11. a b et c Luc Briand et Aude Deraedt, « Libération de Paris : pourquoi il n'y a (presque) pas de Noirs sur les photos », sur liberation.fr, (consulté le )
  12. « Claire Miot », Le retrait des tirailleurs sénégalais de la Première Armée française en 1944 Hérésie stratégique, bricolage politique ou conservatisme colonial ?,‎ , Dans Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2015/1 (N° 125), pages 77 à 89
  13. a b et c Isabelle Poitte, « Le blanchiment des troupes coloniales », telerama.fr, (consulté le )
  14. Fargettas 2012, p. 86.
  15. a et b Fargettas 2012, p. 260.
  16. Julien Masson, « Mémoire en marche : Sur les traces des tirailleurs sénégalais de 1939-1945 », sur RFI,

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

Documentaires modifier

Liens internes modifier

Liens externes modifier