Élisabeth Joulia

céramiste française

Élisabeth Joulia, née le à Riom et morte le à Bourges[1], est une céramiste française. Dès les années 1950, elle a contribué à libérer la céramique de la tradition pour construire des formes organiques d’une grande sensualité qui naissent de son regard sur la nature et se renouvellent sans cesse au fil de ses recherches et de sa vision intime du monde[2].

Élisabeth Joulia
Élisabeth Joulia dans son atelier en 1957.
Biographie
Naissance
Décès
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Nationalité
Activités

Biographie modifier

De 1945 à 1947, Élisabeth Joulia est élève à l’École municipale des Beaux-arts de Clermont-Ferrand. En 1947, elle rejoint l’École des Beaux-Arts de Paris où elle étudie la fresque. Cet art étant à l'époque considéré comme uniquement masculin, elle s’inscrit en juin 1948 à l’École nationale des Beaux-arts de Bourges pour y suivre les cours de céramique de Jean Lerat.

Cette rencontre avec Jean Lerat, dont l’atelier est installé dans le village de céramistes de La Borne est déterminante. Le 10 avril 1949, elle rend visite à son maitre à La Borne. Le soir même, elle s’installe dans un atelier désaffecté[réf. nécessaire] et ne quittera plus le village jusqu’à sa disparition.

Jusque dans les années 1960, Les créations de Joulia sont des corps organiques qui font penser à des volatiles, à des mammifères[3] et dont la fonction s’efface devant la forme sculpturale. Les engobes déposés sur le grès prennent, après la cuisson dans le four à bois, l'aspect de pierres, de mousses, d'écorces, ou de lichens[4].

En 1955-1956, elle crée des déesses et des dieux dont les formes primitives annoncent son attirance pour les civilisations orientales[5].

Dès 1961, Joulia se consacre à la sculpture : ses formes en béton expansé et des sculptures abstraites en grès dans le cadre d’un contrat signé en 1961 avec l’architecte Georges Breuil, s’inscrivent dans les courants des sculpteurs de son époque comme Jean Arp, Barbara Hepworth, ou Alicia Penalba[6]. Ce sont des constructions architecturées qui présentent des faces pleines, d'autres creuses avec des ouvertures ovoïdes d’une grande douceur[7].

Joulia mène une vie austère, rejetant la société de consommation[8]. Elle apporte «une attention profonde à la nature qui, par ses formes inépuisables, reste source constante de similitudes, de symboles à la façon des hiéroglyphes. Pour comprendre, il faut oublier et se souvenir[4]

L'observation de la nature inspire son travail de sculptrice : à la fin des années 1960 et au début des années 1970, elle modèle des sculptures qui cherchent à saisir l'essence de la nature sans la reproduire, qu'elle nomme Châtaignes, Champignons, Forêts, ou Roses. Ces formes aux rondeurs sensuelles présentent des textures d'une grande douceur au toucher[9].

Au début des années 1970, elle modèle des Amandes. Ce sont des grands vases ovales enveloppés de peaux superposées dont les différentes textures apparaissent autour de l’ouverture, chacune étant découpée et laissant voir sous son épiderme un derme encore plus délicat.

À partir de 1973, les sculptures montrent un nouveau tournant dans les recherches : les formes sont inspirées de la nature et en même temps du corps féminin. On peut évoquer un érotisme éthéré, même si elle s’en défend. En 1975, elle crée une série de sculptures en grès blanc : elle se concentre sur l’expression des volumes et cherche à construire des sculptures « lumineuses et transparentes[10]». Durant cette période, elle réalise également de nombreux travaux d’architecture[11].

Après 1978, Joulia explore de nouvelles voies. Elle imprègne l’argile d’éléments issus de la nature : des fougères, des prêles et d’autres plantes qu’elle ramène de la forêt. Elle s'intéresse de plus en plus aux civilisations primitives et trace sur des plaques ou des vases, des sillons, des signes, des fragments d'écritures anciennes[12]. Elle mène des recherches sur la philosophie et les pratiques orientales. Elle envisage de voyager en Afrique et au Moyen-Orient à la recherche de civilisations non altérées par la société de consommation. Ces recherches sont momentanément interrompues par l’organisation de la rétrospective de son travail au musée de Saint-Amand-les-Eaux en 1983[13]. Elle crée durant cette période des œuvres monumentales : les Grands-pères, en hommage à ses aïeuls, qui rappellent les sculptures mégalithiques de l’île de Pâques. Chacune d’entre elles porte le prénom d’un de ses grands-pères qu’elle a pu identifier depuis la fin du 18e siècle. Elle modèle également des formes organiques percées d’orifices : les Insondables[14].

Dans les années 1985-1990, elle entreprend ses grands voyages d’hiver. Vivant au rythme des saisons et des migrations des grues dont elle note dans ses carnets les passages à La Borne, Joulia quitte sa maison glacée pendant plusieurs mois et cherche dans l'oasis du Fayoum en Égypte un accord avec un monde dépouillé d’artifices[15]. Elle crée des nouvelles sculptures, les Lingams s’inspirant des temples hindous[16]. Des Terres cuites enfumées ont pour origine la découverte de poteries en terre cuite africaines au musée du Caire, ou celle d'objets utilitaires issus des traditions locales. Joulia poursuit sa quête spirituelle au Soudan en 1997 et 1998, éprouvant une fascination pour le désert et les pierres qu'elle y trouve. Elle crée alors des volumes acérés en grès dans lesquels elle enchâsse des lames de pierre brute qui symbolisent le cycle de la matière et du temps : ses sculptures ou les vases en argile reprennent la consistance de la "pierre" après la cuisson à 1300° et sont fermés par une lame de pierre ramenée du désert..

En 2003, elle prépare une exposition pour la Galerie Capazza, en compagnie des quatre autres géants du grès de cette époque : Jean et Jacqueline Lerat, Yves Mohy et Robert Deblander. Elle meurt le 11 août 2003 à l’hôpital de Bourges, durant l’été caniculaire[17].

 
Grande amande (1973)

Techniques modifier

Joulia utilise la terre noire de La Borne pouvant cuire jusqu’à 1300°. C’est une argile qui a des qualités naturelles rares et se passe d’adjonction de produits industriels.

Elle collecte également toutes sortes d’argile lors de ses voyages et utilise des terres à porcelaine. Pour elle, la terre est une matière vivante, sacrée. Elle la travaille avec une grande douceur, beaucoup d’attention et de précautions et ne la cache pas sous des émaux rutilants[4] : « Les formes organiques vivantes apparaissent comme des êtres naturels qui naissent et croissent dans un processus continu. C’est d’une extrême importance que l’aspect terre, c’est-à-dire la propriété de la matière vivante, s’exprime. Une céramique doit pouvoir être lue lorsque la terre est traitée comme un être humain et non comme un matériau mort, caché derrière un émail épais[4]».

Elle utilise le tour pour les pièces utilitaires mais elle préfère le colombin[18] : ce sont des rouleaux de terre malaxée et échafaudés en colimaçons puis lissés. Elle couvre ces pièces d’engobes composés de différentes sortes de terres ramassées autour de La Borne ou au cours de ses voyages. L’émail traditionnel est remplacé par de la cendre lavée et tamisée. Les cendres de bois et celles d’herbes composent une infinie palette pour ses recherches. Elle jette parfois du gros sel dans la gueule du four en fin de cuisson, à 1280°, pour ajouter une glaçure proche de la pâte de verre[19]. Pour la cuisson des pièces, elle utilise un four type Sèvres à deux alandiers[20], il lui arrive de cuire dans des grands fours pour les sculptures monumentales. La durée de la cuisson varie entre 14 et 18 heures. Joulia fait également des expériences de terres de faïence enfumées en extérieur, dans des cuissons primitives[21].

 
"Paysage pour la naissance d'une forêt" (1976)

Œuvres dans les collections publiques modifier

Les œuvres de Joulia ont été acquises par de grands collectionneurs et par les musées suivants

 
La grande aile qui s'envole (1985)
Musée de Saint-Amand-les-Eaux, musée du Berry, à Bourges, Musée de la poterie de La Borne, musée des Arts décoratifs à Paris, musée national de céramique de Sèvres, musée Joseph Déchelette à Roanne, musée de la Céramique à Vallauris, musée Ariana à Genève (Suisse), musée Bellerive à Zurich (Suisse), Musée national de Kyoto (Japon), Ville de Fribourg (RFA), musée de Darmstadt (RFA), musée de Stuttgart (RFA), musée de Faenza (Italie)[12].
 
Tendresse complice, sculpture grès blanc (1975), Cuisson bois 1300° . dimensions : 30,5 x 35 X 34 cm
 
Sculpture Lingam ( 1986)

Bibliographie modifier

  • Reportage réalisé par Véra Cardot et Pierre Joly en 1953 (6 planches contacts, 97 négatifs). Fonds Véra Cardot et Pierre Joly, Centre Pompidou, Paris.
  • René Déroudille, Grès nobles et rustiques de Joulia à la galerie André Sornay, article de journal, 1958.
  • Pierre Joly, Potiers de grès à La Borne, article de journal, 17.9.1959.
  • Yvonne Brunhammer, « Les grès de Joulia », La Maison française, no 146,‎ .
  • Antagonismes 2 : l’objet. Catalogue de l’exposition réalisée au musée des Arts décoratifs par François Mathey, 1962.
  • Colette Save, « Les artisans du Berri », L’Estampille, no 35,‎ .
  • Pierre Gautier Delaye, « Le monde de Joulia, potier à La Borne », La Maison française, no 282,‎ .
  • La céramique ou le champ des possibles. Galerie Noëlla Gest. Connaissance des céramiques, 3e trimestre 1975.
  • Colette Save, Autour d’une exposition. Joulia à la galerie J. Blanquet, L’Atelier des métiers d’art, 1975.
  • 18 artistes de la terre, Catalogue de l’exposition, Noëlla Gest, septembre 1975.
  • Céramique contemporaine. Musée des Arts décoratifs de Lausanne. Catalogue de l’exposition, avril 1976.
  • Rosaline Ruther Mornay, Les blancheurs suaves des grès de Joulia, Offrir, juillet 1977.
  •  
    L'oiseau (2003)
    Artiste - Artisan? Musée des Arts décoratifs. Catalogue de l’exposition, mai 1977.
  • Jean Canteins, Joulia, La Céramique moderne n° 209, 1978.
  • Les matériaux cuits dans la sculpture contemporaine, La Céramique moderne n° 206, juillet-août 1978.
  • Colette Save, « Autour de la terre », L’Atelier des métiers d’art, no 24,‎ .
  • Colette Save, Sculpture–architecture, tendance, L’Atelier des métiers d’art n° 27, 1978.
  • Céramique contemporaine. La Maison des métiers d’art français. Catalogue de l’exposition, novembre 1979.
  • Évariste Bertrand, Joulia la grande, La Céramique moderne n° 26, 1980.
  • La céramique française contemporaine. Musée des Arts décoratifs. Catalogue, 1981.
  • Élisabeth Joulia, Le Soir (Bruxelles), 18 novembre 1982.
  • Yvonne Brunhammer, Joulia, La Revue de la céramique et du verre n° 6, septembre-octobre 1982.
  • R. Labbé, À l’écriture, L’Atelier des métiers d’art n° 76, mars-avril 1983.
  • Geneviève Becquart, Joulia, La Revue de la céramique et du verre n° 12, septembre-octobre 1983.
  • Geneviève Becquart, Yvonne Brunhammer, Joulia, 1950/1983. Musée de Saint-Amand-les-Eaux. Catalogue de l’exposition, 1983.
  • Au musée de Saint-Amand-les–Eaux, rétrospective Élisabeth Joulia, Le Courrier des métiers d’art n° 28, octobre 1983.
  • Marielle Ernould-Gandouest, Joulia, L’Œil, octobre 1986.
  • Joulia comme les tarots, L’Atelier des métiers d’art n°113, novembre 1986.
  • Collectif, Collection Fina Gomez. 30 ans de céramique contemporaine, Musée des Arts décoratifs. Catalogue de l’exposition, mars 1991.
  • Catherine Bedel, Voyages en chambre, Art & Décoration n° 315, janvier-février 1993.
  • Philippe Delouzière, Élisabeth et Eva : un plaisir sans Borne, 1997.
  • Robert Deblander. Eva Eisenloeffel et Élisabeth Joulia, La Revue de la céramique et de verre n° 98 L, janvier-février 1998.
  • Marc Guillemin, Terre, La République du Centre, 23 juillet 1998.
  • Nicole Crestou, Quatre pionniers du grès contemporain. Deblander. Joulia. Lerat. Mohy. Galerie Capazza, mars 2004.
  •  
    sculpture Bronze 2000
    Frédéric Bodet, Élisabeth Joulia, grande figure de La Borne, L’Œil n° 557, avril 2004.
  • Maurice Lambiotte, Carole Andréani, Céramique contemporaine, collection Maurice Lambiotte, Norma Éditions, novembre 2007.
  • Collectif, La libération de la forme. Céramistes françaises des années 50. Galerie Anne Sophie Duval et galerie Mouvements modernes, 2009.
  • Collectif, Élisabeth Joulia. Galerie Anne-Sophie Duval et galerie Mouvements modernes, octobre 2011.
  • Carole Andréani, Élisabeth Joulia, des formes en quête d’elles-mêmes, La Revue de la céramique et du verre n°182, janvier-février 2012.
  • Joseph Rossetto, Joulia, in Les pionniers de la céramique contemporaine. La Borne. Catalogue de l’exposition. Ville de Bourges - Musées, juin 2018.
  • Joseph Rossetto, Joulia – Faites entrer l’infini, Centre de céramique contemporaine La Borne, Novembre 2019. Cette monographie a été publiée lors de la rétrospective organisée en novembre et décembre 1919 au Centre de céramique contemporaine de La Borne.
  • Joseph Rossetto, La Borne – 1940-1960, un souffle nouveau, in Musée de La Borne, Sans réserve(s), avril 2022.

Notes et références modifier

  1. « matchID - Moteur de recherche des décès », sur deces.matchid.io (consulté le )
  2. Collectif, Les pionniers de la céramique contemporaine La Borne, Bourges, Editions ville de biurges - Musées., , 237 p. (ISBN 978-2-907203-16-6), Pages 150 à 171
  3. Collectif, Musée de La Borne, Sans Réserve(s), La Borne, Musée de La Borne, , 135 p. (ISBN 978-2-9582473-0-0), Pages 46 et 47
  4. a b c et d Joseph Rossetto, Joulia, Faites entrer l'infini, La Borne, Centre de céramique contemporaine La Borne, , 208 p. (ISBN 978-2-9540648-7-1), Pages 35 à 49
  5. Archives photographiques de Joulia, non publiées
  6. A.M. Hammacher, « Espace-Lumière dans les sculptures du cubisme à aujourd'hui », Catalogue Château de Ratilly,‎
  7. Collectif, Musée de La Borne, Sans réserve(s), Henrichemont, Musée de La Borne, , 135 p. (ISBN 978-2-9582473-0-0), Pages 126 et 127
  8. Collectif, Musée de La Borne, Sans réserves(s), La Borne, Musée de La Borne, Avril 2022 (ISBN 978-2-9582473-0-0), Pages 46 et 47
  9. Pierre Gautier Delaye, « Le monde de Joulia potier à La Borne », La Maison française,‎
  10. Colette Save, « Autour d'une exposition, Joulia à la galerie Jacqueline Blanquet », L'atelier des Métiers d'art, 1975,‎
  11. Jean Canteins, « Joulia », La céramique moderne n° 209,‎
  12. a et b Joseph Rossetto, Joulia, Faites entrer l'infini, La Borne, Centre de céramique contemporaine La Borne, , 208 p. (ISBN 978-2-9540648-7-1), Page 207
  13. Geneviève Becquart, Joulia, céramiques et sculptures 1950/1983, St - Amand-les-Eaux, Musée de Saint-Amand-les-Eaux, , 40 p., Pages 12 à 39
  14. Joseph Rossetto, Joulia, Faites entrer l'infini, La Borne, Centre de céramique contemporaine La Borne, , 208 p. (ISBN 978-2-9540648-7-1), Pages 122 à 125
  15. Carnets de voyages, 1986, 1990 et 1998. Archives Joulia, non publiés
  16. Joseph Rossetto, Joulia, Faites entrer l'infini, La Borne, Centre de céramique contemporaine La Borne, , 208 p. (ISBN 978-2-9540648-7-1), Pages 157 à 158
  17. Crestou, Quatre pionniers de la céramique contemporaine, Deblander, Joulia, Lerat, Mohy., Nançay, Galerie Capazza, , 17 p. (lire en ligne), Pages 6 et 7
  18. « colombin », dans Wiktionnaire, (lire en ligne)
  19. Journal d'Elisabeth Joulia, non daté, non publié. Archives Joulia
  20. « alandier », dans Wiktionnaire, (lire en ligne)
  21. Joseph Rossetto, Joulia, Faites entrer l'infini, La Borne, Centre de céramique contemporaine La Borne, , 208 p. (ISBN 978-2-9540648-7-1), Pages 38 et 39

Voir aussi modifier

Article connexe modifier

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