Zheng Ji ou Chên Chi ou Tcheng Ki peintre chinois du XIXe siècle. Ses dates de naissance et de décès ainsi que ses origines ne sont pas connues. Toutefois, sa période d'activité se situe vers le milieu du dix-neuvième siècle. Tout comme Zhang Yanyuan avec son ouvrage le Lidai Ming Hua Ji, Shitao avec les Propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère et autres célèbres peintres historiens, critiques et collectionneurs d'art, Zheng Ji, malgré sa période d'activité qui semble assez courte et méconnue, est lui aussi l'auteur d'un important ouvrage sur la peinture, traitant, analysant et dissertant des mêmes thèmes.

Zheng Ji
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Biographie modifier

Zheng Ji est médecin, poète et peintre. Curieusement, malgré une triple activité et auteur d'un remarquable ouvrage sur la peinture, Zheng Ji ne se fait connaître, effectivement, qu'avec la découverte à notre époque de son traité sur la peinture. Aucune de ses œuvres, semble-t-il, n'est recensée ni même connue[1].

Zheng Ji (郑姬), actif vers le milieu du XIXe siècle, est l'auteur du traité sur la peinture intitulé « Menghuanju Huaxue Jianming »[n 1] (1866) (in Congkan, p. 539-600). Cet important et remarquable ouvrage est paradoxalement resté inconnu jusqu'à l'époque contemporaine. Ouvrage de peintre, destiné aux peintres, sa matière est abondante et organisée de manière exceptionnelle systématique est rigoureuse ; il est composé de cinq livres : 1° le paysage ; 2° les personnages ; 3° les fleurs et les plantes ; 4° les oiseaux ; 5° les animaux. Après un exposé de diverses généralités théoriques et techniques, chaque livre se trouve méthodiquement subdivisé en chapitres consacrés à l'analyse de divers cas d'espèce. Ce traité, nourri d'expérience, est d'un tour très concret, la présentation est claire et didactique. L'ensemble constitue une introduction très complète à la pratique de la peinture ; on y trouve des informations nombreuses et utiles sur les divers aspects de l'activité du peintre en parallèle de celles, découlant probablement des propos sur la peinture de Shitao[2].

Études et réflexions — Traités sur la peinture chinoise modifier

  • Les propos sur la peinture de Shitao, Zheng Ji et autres peintres historiens[n 2].
  • L'Unique Trait de Pinceau:

Dans la plus haute Antiquité[n 3], il n'y a pas de règles[n 4] ; la Suprême Simplicité[n 5] ne s'est pas encore divisée. Dès que la Suprême Simplicité se divise, la règle s'établit[n 6]. Sur quoi se fonde la règle ? La règle se fonde sur l'Unique Trait de Pinceau[n 7]. L'Unique Trait de Pinceau est à l'origine de toutes choses, la racine de tous les phénomènes; sa fonction est manifeste pour l'esprit, et cachée en l'homme, mais le vulgaire l'ignore. C'est par soi-même que l'on doit établir la règle de l'Unique Trait de Pinceau[n 8]. Le fondement de cette règle réside dans l'absence de règles qui engendre la règle ; et la règle ainsi obtenue embrasse la multiplicité des règles[n 9]. Par le moyen de l'Unique Trait de Pinceau, l'homme peut restituer en miniature une entité plus grande sans rien en perdre[n 10] : du moment que l'esprit s'en forme d'abord une vision claire, le pinceau va jusqu'à la racine des choses[n 11],[3].

  • La Transformation:

L'Antiquité est l'instrument de la connaissance ; transformer consiste à connaître cet instrument sans toutefois s'en faire le serviteur. Mais qui est capable d'utiliser ainsi l'Antiquité en vue de transformer, et cette attitude conservatrice qui reste enlisée dans les œuvres antiques sans pouvoir les transformer est déplorable; pareille connaissance asservit ; la connaissance qui s'attache étroitement à imiter ne peut qu'être sans envergure ; ainsi, l'homme de bien, lui, n'emprunte-t-il à l'Antiquité que pour fonder le présent. Il est dit que l'homme parfait[n 12] est sans règles, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de règle, mais que sa règle est celle de l'absence de règles, ce qui constitue la règle suprême[n 13]. Tout ce qui possède des règles constantes doit nécessairement avoir aussi des modalités variables[n 14]. S'il y a règle, il faut qu'il y ait changement. Partant de la connaissance des constantes, on peut s'appliquer à modifier les variables ; du moment que l'on sait la règle, il faut s'appliquer à transformer. La peinture exprime la grande règle des métamorphoses du monde, la beauté essentielle des monts et des fleuves dans leur forme et leur élan, l'activité perpétuelle du Créateur, l'influx du souffle Yin et yang ; par le truchement du pinceau et de l'encre, elle saisit toutes les créatures de l'Univers, et chante en soi son allégresse[n 15]. Mais nos bonshommes d'aujourd'hui n'entendent rien à tout cela ; à propos et hors de propos ils déclarent : « La technique des “rides" et des “points"[n 16] de tel maître constitue une base indispensable ; si vous n'imitez pas les paysages d'un tel, vous ne pouvez laisser une œuvre durable ; vous pouvez vous imposer avec le style pur et dépouillé de tel autre ; si vous n'imitez pas les procédés techniques d'un tel, vous ne serez jamais qu'un amuseur »[n 17]. Mais à ce train-là au lieu de se servir de ces peintres, on devient leur esclave. Vouloir à tout prix ressembler à tel maître revient à manger ses restes[n 18]. Ou bien d'autres encore disent : « Je me suis ouvert l'esprit au contact de tel maître, j'ai acquis ma discipline à partir de tel autre[n 19] ; maintenant, quelle école vais-je suivre, dans quelle catégorie vais-je me ranger, à qui vais-je emprunter mes critères, qui vais-je imiter, à qui vaut-il mieux que j'emprunte sa technique des “points" et du lavis, ses “grandes lignes"[n 20], ses “rides" et ses formes, de manière que mon œuvre puisse se confondre avec celle des Anciens ? » mais ainsi, vous en arrivez à ne plus connaître que les Anciens, en oubliant votre propre existence[n 21] ! Quant à moi, j'existe par moi-même et pour moi-même[n 22]. Les barbes et les sourcils des Anciens ne peuvent pas pousser sur ma figure, ni leurs entrailles s'installer dans mon ventre. Et s'il arrive que mon œuvre se rencontre avec celle de tel autre maître, c'est lui qui me suit et non moi qui le cherche[n 23]. La nature me donne tout ; alors, quand j'étudie les Anciens, pourquoi ne pourrais-je pas les transformer[n 24],[4].

Relevé des propos sur les peintres par Zheng Ji et autres modifier

L'époque Qing est en peinture une époque académique et dogmatique ; ceci produit par réaction la manifestation continuelle de personnalités individualistes, qui s'interrogent constamment sur la nature des Règles et tâcher d'en retrouver l'esprit, pour mieux remettre en question l'appareillage formel de la lettre. Ainsi, un auteur légèrement postérieur à Shitao parle de « la règle sans règles » dont les achèvements picturaux déconcertants et incompréhensibles pour le vulgaire vont bien au-delà de tout ce que peut atteindre la pondération académique : « Il y a une sorte de peinture qui, à première vue, semble n'offrir qu'un chaos brutal et incohérent ; mais à y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'elle est tout emplie du “rythme spirituel" et du “mouvement de la vie", et l'on y découvre une saveur inépuisable: telle est l'œuvre de la règles-sans-règles. Seul l'artiste doué d'un génie naturel de haute envergure et armé d'une culture intellectuelle pénétrante peut métamorphoser la peinture jusqu'à ce point (...) auquel des esprits plus superficiels ne peuvent rêver de parvenir » (selon Wang Yu, in Congkan, p. 260)[5].

Cette interrogation sur le problème des règles se poursuit jusqu'à la fin de l'époque Qing, tantôt avec des réponses modérées de ce type : « on ne peut avoir de règles ni être en règles; ce qu'il faut, c'est être sans règles absolues » Zhang Ji in Congkan p. 555) — tantôt avec le rejet absolu de toutes règles formelles, la création artistique ne relevant que de l'élan intérieur du peintre : « la peinture est fondamentalement sans règles et elle ne peut s'apprendre; elle consiste uniquement dans l'expression des élans du cœur, un point c'est tout » (Dai Xi, in Leibian p. 995)[6].

« Du moment que l'esprit s'en forme une vision claire » : Comme le dit l'adage classique « l'idée doit précéder le pinceau » (exprimé pour la première fois sous cette forme dans le traité attribué à Wang Wei, constamment repris depuis par les auteurs à toutes les époques, parfois avec une légère variante de forme. Cette « intention » ou « idée » préalable peut prendre des acceptations assez variables : tantôt il s'agit, au sens le plus général, d'une vision intérieure de l'œuvre à accomplir, tantôt d'une inspiration ou d'un véritable sujet, pour la recherche duquel le stimulant auquel les peintres ont le plus recours est la lecture de poèmes. C'est dans ce sens, par exemple, que Guo Xi parle « d'idée pour peindre »; pour un autre auteur, la « fixation de l'idée » se réduit même essentiellement à une sélection de beaux vers classiques (Kong Yanshi, chap.(?), in Congkan, p. 264; dans un sens plus particulier encore — mais qu'il ne faut pas généraliser — elle peut désigner une intention de caractère et de style (ainsi Zheng Ji la ramène à l'« intention du pinceau », c'est-à-dire le choix d'un style particulier, que ce soit un caractère d'« archaïsme fruste », d'« étrangeté », de « délicatesse gracieuse », etc. in Congkan, p. 554)[7].

En tout état de cause, elle constitue le préalable indispensable de l'exécution picturale ; tandis que l'esprit doit être absolument détaché, oisif et sans entraves, l'« idée », elle, doit être fermement arrêtée, clairement fixée et dans ces conditions seulement le peintre peut saisir son pinceau. « En peinture, il faut d'abord fixer l'idée ; si le pinceau commence à travailler avant que l'idée ne soit fixée, il n'a nulle guidance intérieure, il n'y a aucune coordination entre la main et l'esprit, et l'œuvre est condamnée d'avance » (Zheng Ji, chap. (?), in Congkan, p. 554)[7].

Le pinceau est contrôlé par l'homme, pour exprimer les contours, les rides, les différentes sortes de lavis, à son gré. « Les contours, les rides, les différentes sortes de lavis » : les deux premiers termes désignent le travail graphique du pinceau, les deux derniers concernent le lavis (encre étalée en taches et en nappes). Gou : les contours au trait pur et sinueux (Song Nian, in Congkan, p. 604 : « un trait droit est appelé “hua", un trait sinueux est appelé “gou" » ; associé au tracé des « grandes lignes », constitue le premier stade de la peinture, la dotant de sa charpente générale (Hua Lin in Congkan, p. 503); représente l'« ossature » de la peinture, par opposition aux « rides » qui sont la « musculature », et requiert donc un maximum de force dans l'exécution. (Zheng Ji, in Congkan, pp. 549-550 : « pour le tracé des contours, le maniement du pinceau demande la force du poignet travaillant à main levée ; chaque coup de pinceau doit faire voir sa structure; le caractère en est essentiellement robuste ; aussi, le coup de pinceau doit fréquemment opérer des finales abruptes; l'ensemble relève du style de l'École du Nord »[8].

Les points sont surajoutés sur la face des rochers pour suggérer des taches de mousse, ou éparpillés sur les montagnes lointaines pour suggérer une végétation à distance. Dans la peinture ancienne, les points tiennent une place relativement secondaire et leur addition peut être facultative. Rapporté par Zheng Ji (in Congkan, p. 566), des théoriciens discutent le pour et le contre de leur usage. Mais avec le développement de la peinture des lettrés, depuis l'époque Yuan, les points jouent un rôle de plus en plus important : ils tendent à se libérer de leur fonction simplement figurative et deviennent une sorte de pure ponctuation plastique qui fournit une gamme infinie de contrastes; les techniques en sont variées et difficiles ; dans un grand nombre de traités Ming et Qing, la théorie des points fait à elle seule l'objet d'un chapitre particulier, au même titre que les rides[9].

Dans la technique picturale et calligraphique, le maniement du pinceau dépend non pas des doigts ni de la main, mais bien du poignet. Zheng Ji écrit (in Congkan, p. 548) : « Dans le maniement du pinceau, l'essentiel est de ne pas mouvoir les doigts : le souffle doit être amené par le mouvement du poignet ». Quand vous tenez le pinceau, n'ayez plus conscience de votre main que comme un instrument servant uniquement à tenir le pinceau, à l'exclusion de toute autre fonction ; que le pinceau ne fasse plus qu'un avec la main, comme s'il était une excroissance naturelle poussée entre vos doigts ; ensuite, faites mouvoir tout le bras pour commander le poignet, faites mouvoir le poignet pour commander la main ; attaquez comme si vous ne saviez même pas que vous avez un pinceau ; et ainsi vous possédez le secret de la tenue ferme du pinceau et du mouvement souple du poignet[10]. Concernant les divers types de rides, on consulte surtout B. March, Some Technical Terms of Chinese Painting (Baltimore, 1935, et de divers passages des traités classiques. Les « Rides » se décomposent en une série de seize types fondamentaux de rides (tels qu'on les trouve codifiés dans le « Jardin du Grain de Moutarde » et le traité de Zheng Ji ; Congkan, p. 556)[11].

En peinture, il y a six procédés d'expression: l'attention centrée sur la scène[n 26] indépendamment de l'arrière-fond[n 27], l'attention centrée sur l'arrière-fond indépendamment de la scène, l'inversion, l'addition d'éléments expressifs, la rupture, le vertige. Ces six points demandes à être clairement explicités :

L'attention centrée sur la scène indépendamment de l'arrière-fond : sur un fond de montagnes séculaires et hivernales, se détache un avant-plan printanier.
L'attention centrée sur l'arrière-fond indépendamment de la scène : derrière de vieux arbres dénudés, se dresse une montagne printanière.
L'inversion : les arbres sont droits, tandis que les montagnes et rochers penchent ; ou bien l'inverse.
L'addition d'éléments expressifs : tandis que la montagne déserte et sombre est sans la moindre apparence de vie, ajouter çà et là quelques saules épars, de tendres bambous, un petit pont, une chaumière.
La rupture : créer un univers qui soit pur de toute souillure de la banalité vulgaire ; montagnes, rivières, arbres ne sont livrés que partiellement, amputés de l'une ou l'autre extrémité ; partout, aucun coup de pinceau qui ne soit abruptement interrompu[n 28] ; mais pour employer cette méthode d'interruption avec succès, il est essentiel de travailler d'un pinceau absolument libre et détaché[n 29].
Le vertige : il s'agit d'exprimer un univers inaccessible à l'homme, sans nulle route qui y mène[n 30], telles ces îles montagneuses du Bohai, Penglai et Fanghu[n 31] où seuls les Immortels peuvent résider, mais que le commun des hommes ne peut imaginer ; cela, c'est le vertige tel qu'il existe dans l'univers naturel; pour l'exprimer en peinture, il n'y a qu'à montrer des cimes escarpées, des précipices, des passerelles suspendues[n 32], des gouffres extraordinaires. Pour que l'effet en soit vraiment merveilleux, il faut faire voir toute la force du coup de pinceau[12].
  • Se dépouiller de la vulgarité[n 33].

Pour la stupidité et la vulgarité, la connaissance se présente de même[n 34] : ôtez les œillères de la stupidité, et vous aurez l'intelligence ; empêchez les éclaboussures de la vulgarité, et vous trouverez la limpidité. À l'origine de la vulgarité se trouve la stupidité ; à l'origine de la stupidité se trouve l'aveuglement des ténèbres. C'est pourquoi l'homme parfait est nécessairement capable de pénétration et de compréhension ; et de ce qu'il pénètre et comprend, vient qu'il transforme et crée. Il accueille les phénomènes sans qu'ils aient de forme ; il maîtrise les formes sans en laisser de traces[n 35]. Il emploie l'encre comme si l'œuvre est déjà accomplie, et il manie le pinceau comme dans un non-agir[n 36]. Sur la surface limitée d'une peinture, il ordonne le Ciel et la Terre, les monts, les fleuves et l'infinité des créatures, et tout cela d'un cœur détaché[n 37] et comme dans le néant[n 38]. La stupidité une fois éliminée, naît l'intelligence; la vulgarité une fois balayée, la limpidité devient parfaite[13].

Bibliographie modifier

  • Dictionnaire Bénézit, Dictionnaire des peintres,sculpteurs, dessinateurs et graveurs, vol. 14, éditions Gründ, , 13440 p. (ISBN 2-7000-3024-9), p. 886.
  • Pierre Ryckmans (trad. du chinois par Traduction et commentaire de Shitao), Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère : traduction et commentaire de Shitao, Paris, Plon, , 249 p. (ISBN 978-2-259-20523-8), p. 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 39, 44, 48, 67, 81, 87, 93, 94, 95, 96, 121, 122, 127, 233

Notes et références modifier

Notes
  1. Ce traité, sur plusieurs sujets, s'appuie sur les réflexions de certains auteurs et principalement, sur les Propos sur la peinture développés par Shitao, ce qui explique cette suite de notes mentionnant les auteurs
  2. Plusieurs éditions donnent ce titre sous la forme abrégée de « Propos sur la peinture ». Le Moine Citrouille-Amère est un des nombreux surnoms que s'est choisis Shitao. Le terme propos désigne à l'origine une forme particulière de la littérature bouddhique Chan: il s'agit de notes prises par les disciples à partir de l'enseignement oral d'un maître. Ce terme dont l'usage date des écoles bouddhiques Chan de l'époque Tang est ensuite repris par les essayistes néo-confucéens de l'époque Song. Ce titre, mieux approprié à l'ambition profonde de Shitao que celui, plus modeste et plus étroit, de « anuel de Peinture », peut étayer la thèse selon laquelle les « Propos » constituent une version ultérieure et approfondie du « Manuel »
  3. La plus haute Antiquité: il s'agit de cet état de Nature, antérieur à l'Histoire et à tout phénomène de civilisation, tel que le décrivent les taoïstes, lorsque l'unité primordiale et la spontanéité absolue n'ont pas encore été entamées ni gauchies par l'organisation sociale et politique, les arts et tous les autres phénomènes de culture
  4. Règles: ce terme est constamment employé par Shitao, et à des niveaux différents; il s'agit tantôt d'un concept abstrait, de caractère absolu, la Règle par excellence, et tantôt des diverses méthodes techniques concrètes de mise en œuvre
  5. La Suprême Simplicité: expression taoïste. Le sens originel est celui d'un bloc de bois brut, non taillé; simplicité absolue, c'est-à-dire pure virtualité, contenant tous les possibles, sans être encore mutilée pour devenir l'expression limitée et spécialisée de l'un d'eux
  6. Dès que la Suprême Simplicité se divise, la règle s'établit: (...). De nouveau, l'origine de cette proposition est taoïste : quand la Simplicité se divise, elle devient outil, et le Saint qui s'en sert gouverne les hommes (...)
  7. L'Unique Trait de Pinceau: Ce concept, qui est une création de Shitao, présente une importance toute particulière, car il cristallise l'originalité de sa pensée et constitue la clef de voûte de tout son système. Le paradoxe essentiel de ce concept est qu'il possède, comme point de départ, une signification concrète et technique d'une simplicité presque dérisoire, et qu'en même temps l'usage qui en est fait le charge d'un ensemble de références qui va renvoyer aux principes fondamentaux les plus abstrus de la philosophie et de la cosmologie chinoise anciennes: (A) au niveau technique, (B) au développement esthétique de la notion, (C) Dimensions philosophique de la notion « l'Unique ». Le trait de pinceau auquel Shitao prête une portée universelle pour fonder son système philosophique de la peinture n'est pas seulement « un seul » ou « un simple trait de pinceau »: c'est « l'Unique Trait de Pinceau »; en même temps qu'il réduit la démarche picturale à son expression concrète la plus simple,il la hausse du même coup à son point le plus haut d'universalité abstraite, et ceci précisément grâce à l'ambivalence du terme yi qui ne signifie pas seulement « un », mais aussi « Un Absolu » de la cosmologie du Livre des Mutations et de la philosophie taoïste
  8. Dans un âge où sévit l'académie éclectique, selon les principes duquel la peinture ne peut se fonder que sur l'étude encyclopédique et l'imitation des Anciens, ce n'est pas la moindre originalité de Shitao que d'avoir réaffirmé à plusieurs reprises et avec une vigueur particulière le fondement exclusivement individuel de toute création picturale
  9. « L'absence de règles engendre la règle, et la règle ainsi obtenue embrasse la multiplicité des règles ». C'est le non-avoir qui engendre l'avoir, et l'avoir à son tour contrôle le multiple. Cette proposition sur le problème des règles « La possession de la règle, à sa plénitude, revient à l'absence de la règle (...) mais qui désire être sans règles doit d'abord posséder les règles ». Proposition à caractère plus technique que philosophique, et qui recouvre cette vérité universelle de toutes les disciplines, que le praticien ne se trouve affranchi des règles qu'au terme du long entraînement qui lui en a conféré la maîtrise complète
  10. « Restituer en miniature une entité plus grande sans rien en perdre ». L'expression est emprunté à Meng Zi qui, parlant des disciples de Confucius, remarque que certains n'ont retenu intégralement que telle ou telle vertu du Maître, tandis que d'autres possèdent « l'ensemble des vertus de confucius, mais en petit ». Dans le texte de Shitao, l'idée est que la peinture constitue, par rapport à l'univers, ce que le microcosme est au macrocosme
  11. « Du moment que l'esprit s'en forme d'abord une vision claire ». Yi est un concept très important des théories picturales et, à l'instar de la plupart des termes qui visent les processus intellectuels de la création artistique, il dérive des théories classiques de la création littéraire dont le Wen Xin Diao Long a réalisé la synthèse définitive. Il importe donc de faire une étude comparative approfondie entre ces deux disciplines (...)
  12. « L'homme parfait »: concept taoïste — « celui qui ne s'écarte jamais de la vérité s'appelle l'homme parfait » représente dans la pensée taoïste le type humain idéal, tout comme « l'homme de bien », pour les confucéens. Dans sa volonté de synthèse, Shitao brasse constamment ensemble des concepts empruntés aux trois grandes disciplines de pensée: taoïste, confucéenne et bouddhique
  13. « Sa règle est celle de l'absence de règles, ce qui constitue la règle suprême » reprise du chap. I (supra) « la règle de l'Unique Trait de Pinceau est la règle qui naît de l'absence de règles et la règle ainsi obtenue embrasse la multitude des règles »
  14. « Modalités variables » (opposées à règles constantes. « Dans la terminologie bouddhique ce mot se définit comme le contraire de (réalité permanente) et désigne les moyens employés de manière provisoire, et rejetés après usage ». Toutefois, il ne semble pas indispensable d'avoir recours ici à la terminologie bouddhique pour éclairer le sens de ces deux concepts qui sont déjà pleinement significatifs dans la pensée chinoise traditionnelle, avant que la philosophie bouddhique se les annexe. L'opposition classique de ces deux termes est d'ailleurs passée en proverbe utilisable dans la langue courante, toujours dans la même acception
  15. « Chante son allégresse — Quand les hommes sont heureux, ils se mettent à chanter »
  16. Les « rides » pour partir de la définition classique: Ce qui s'obtient en frottant au moyen d'un pinceau pointu manœuvré de biais s'appelle les “Rides", ou encore: « sur-peint ajouté au pinceau » (Song Nian, in Congkan, p. 604); « on les ajoute après les grandes lignes pour fragmenter les volumes » (Hua Lin, in Congkan, p. 503). Après que les grandes lignes situent les contours d'un objet donné (pierre, montagne, tronc d'arbre, etc.), les « rides » viennent s'inscrire à l'intérieur des grandes lignes, ou s'appuyer sur elles, pour décrire le relief, la texture, le grain, la luminosité, les accidents de la surface et le volume de cet objet; c'est-à-dire qu'elles cumulent dans la peinture chinoise les fonctions variées qui, en Occident, relèvent tour à tour de la ligne, de la couleur, des ombres et de la perspective, puisqu'elles décrivent tout à la fois la forme, la matière, l'éclairage et la masse des choses (...). Les « points »: « le point est ce que produit la pointe du pinceau appuyée sur place ». Les points sont surajoutés sur la face des rochers pour suggérer des taches de mousse, ou éparpillés sur les montagnes lointaines pour suggérer une végétation vue à distance. Employés en taches plus larges, et juxtaposés, ils peuvent même se substituer aux contours des montagnes — comme dans les peintures de Mi Fu — mais à cette échelle-là ils constituent alors une variété de rides (...)
  17. À l'époque Ming, presque un siècle plus tôt, Dong Qichang fixe les principes de base de cet académisme éclectique, qui exerce ensuite une tyrannie stérilisante sur le courant principal de la peinture chinoise pour les trois cents à venir
  18. L'étude et la copie des œuvres anciennes constituent toujours un précepte important pour les peintres chinois, et que nous trouvons affirmé dès les plus anciens essais théoriques. « Transmettre par la copie » est déjà l'un des fameux « Six Principes » de Xie He. À l'époque Song, Guo Xi souligne la nécessité d'une étude éclectique des Anciens: « Pour devenir soi-même un maître, il emporte d'avoir la connaissance la plus étendue des maîtres anciens, sans se limiter à une école en particulier », (in Congkan, p. 18), et le principe énoncé par Zhao Xigu, théoricien Song, qu'« il faut d'abord s'être rempli la vue des chefs-d'œuvre anciens avant de prendre soi-même le pinceau », (in Meishu, vol. 9, p. 278), reste une évidence constamment reconnue et rappelée dans la suite
  19. « Je me suis ouvert l'esprit au contact de tel maître; j'ai acquit ma discipline à partir de tel autre » — (entretien de Confucius) « l'homme de bien a une large ouverture d'esprit pour l'étude des lettres, et une stricte observance des rites, et ainsi ne dévie pas du droit chemin »
  20. « Les grandes lignes » Kuo: le caractère utilisé ici, est mis pour son homophone. Tandis que les « lignes de force » ou « la dynamique » de la peinture représente une notion plus abstraite, les « grandes lignes » constituent un élément technique et graphique. Bien qu'elles constituent deux étapes distinctes dans l'exécution de la peinture, les grandes lignes et les rides sont fonctionnellement unies et techniquement de même nature. Comme le souligne Zheng Ji, (in Congkan, p. 544) « Les grandes lignes et les rides sont essentiellement de même nature; les grandes lignes sont en quelque sorte des rides agrandies, ou les rides, des grandes lignes en miniature. Mis à part cette différence d'échelle, pour le reste, elles ont la même fonction, qui est de décrire les accidents et le relief des montagnes et des rochers »
  21. Dans une de ses inscriptions de peinture, Shitao s'insurge avec véhémence contre cette manie classificatrice des académistes qui cherchent à ramener l'appréciation de toute peinture à un système de références aux modèles classiques, alors que la peinture consiste essentiellement dans l'élan créateur individuel. La calligraphie et la peinture sont des dons naturels; à la base, il y a simplement un homme qui œuvre sur sa propre besogne
  22. Cette profession de foi individualiste nous apparaît d'autant plus flamboyante qu'elle tranche sur le conformisme régnant à l'époque. Néanmoins, à toutes les périodes de l'histoire de la calligraphie et de la peinture en Chine, il se trouve de grands artistes pour clamer de manière aussi absolue leur farouche autonomie
  23. « Et s'il arrive que mon œuvre se rencontre avec celle de tel autre maître, c'est lui qui me suit et non moi qui le cherche ». Au début de cette inscription, on trouve la même manière originale d'inverser les relations qui relient les œuvres modernes aux œuvres anciennes. Chez un auteur du XIXe siècle, on trouve une nouvelle formulation de cette intéressante inversion, qui fait éclater une conception trop simplement chronologique des relations esthétiques : « Il est facile de faire une peinture qui ressemble à celle des Anciens ; ce qui est difficile, c'est de peindre de manière telle que ce soient les peintures des Anciens qui ressemblent à la nôtre » (Dai Xi, in Leibian, p. 990)
  24. Shitao, parmi d'autres, ne reconnaît pour maître que la seule Nature; au nom de cette autorité suprême, il n'est point d'écoles ou de traditions qu'il ne puisse remettre en question(...)?
  25. Procédés: signifie littéralement un petit sentier, un raccourci. Un exemple tiré des textes nous montre cette expression employée de manière typique en parallèle avec celle de « habitude de métier », « procédé usuel » (Sheng Dashi, in Congkan, p. 402)
  26. La « scène 景»: le terme à l'origine signifie simplement « paysage ». Mais, tandis que 山水 désigne le paysage en tant que genre pictural (par opposition aux « personnages », aux « fleurs et oiseaux », etc.), 景 désigne le paysage comme entité singulière, une « vue », un moment, une scène particulière de la Nature, un état de l'atmosphère, un instant d'une saison, une ambiance caractéristique; Dans son traité, Zheng Ji consacre un chapitre spécial à la question; les exemples qu'il donne de divers 景 éclairent bien la notion: un nocturne, un paysage de neige, un clair de lune, etc., voilà autant de « scènes » ou d'« ambiances » différentes (chap. ? in Congkan, p. 551)
  27. Le « fond »: littéralement: la montagne 山. Il s'agit de la montagne qui classiquement occupe le fond de la composition
  28. On considère traditionnellement que c'est Wang Wei 王偉 qui, le premier, a introduit en peinture ces procédés d'interruption et d'ellipse, in Congkan, p. 4)
  29. « Libre et détaché » song: décontracté, aisé, détendu. Qualité sur laquelle les peintres insistent beaucoup à l'époque Qing. Un auteur compare, à cet égard, l'art de peindre est égal à celui du joueur d'échecs avec ses feintes, qui semble manier nonchalamment les pièces d'un côté alors qu'il prépare sa victoire de l'autre, et il conclut : « en peinture, rien n'est plus merveilleux que cette nonchalance détachée qui, dans une composition éparse, répand par degré le jeu des taches et du lavis, créant un effet d'élégance et de grâce et communiquant ainsi un délicieux sentiment d'allégresse ». « L'attaque du pinceau doit être libre et détachée (...) sans quoi on ne peut exprimer le mouvement de la vie et le dynamisme spirituel ». Cette idée est exprimée par certains auteurs dont Zheng Ji (in Congkan, p. 548)
  30. « Aux endroits qui représentent des falaises abruptes, des pics et des précipices terribles, il ne faut pas faire passer de sentiers » (in, Congkan, p. 4)
  31. Bohai 渤海: le golfe formé par la presqu'île du Shandong 山東 et du Liaodong 遼東; Penglai 蓬萊 et Fanghu 枋湖: îles fabuleuses que l'on suppose situées dans le Bohai, habitées par les immortels et recelant toute espèce de merveilles. Autrefois, elles flottaient sur la mer sans attaches, ce qui nuit à leur stabilité; aussi, le Souverain du Ciel charge-t-il des tortues de les soutenir sur leur dos; un géant vient pêcher quelques-unes de ces tortues, avec pour résultat que deux des cinq iles originelles s'abîment dans les flots, ne laissant plus subsister que Penglai, Fanghu et Yingzhou 瀛洲
  32. Sorte de passerelles accrochées en surplomb au flanc des précipices, courant le long des parois des montagnes; elles sont fréquemment figurées en peinture. (On en trouve encore aujourd'hui dans les montagnes de la province du Sichuan 四川)
  33. « La vulgarité » est de nouveau un terme polyvalent:
    Sous l'angle moral, c'est une notion apparentée à celle de « poussière ». Dans la terminologie bouddhique, pris isolément signifie laïque, profane.
    Dans la langue courante, signifie commun, ordinaire, vulgaire. Dans la critique littéraire, il qualifie le plus souvent le langage: familier, populaire, terre-à-terre.
    Dans la critique picturale, la « vulgarité » est un des reproches les plus graves qui puissent être fait à une peinture (sans aucune mesure avec la manière dont nous entendons ce terme en Occident, car enfin, nous pouvons dire que Van Dongen est vulgaire sans pour autant denier sa valeur).
    Selon Zheng Ji (in Congkan, p. 555), La vulgarité désigne aussi la banalité, le lieu commun, les poncifs, et de ce point de vue elle peut être associée au défaut, la raideur pédante: « La raideur désigne le pédantisme et les formules toutes faites; la vulgarité consiste en l'observance bornée de règles conventionnelles. Aussi, vulgarité et raideur sont deux notions identiques ». Ce grief de vulgarité fait à une peinture implique une condamnation si radicale que beaucoup d'artistes mineurs, plutôt que d'en courir le risque, sont prêts à toutes les excentricités: « Comme disent les Anciens, plutôt faire une œuvre incohérente qu'une œuvre banale, car les défauts de raideur et de vulgarité sont plus redoutables que celui d'extravagance »
  34. À la suite du ? (intraduisible), la plupart des éditions modernes écrivent (?). Il faut alors traduire « je flétris également la stupidité et la vulgarité », mais (?) atteste que (?) est bien la version correcte
  35. « Sans traces ». L'expression complète est « sans traces de pinceau ». Cet important concept, suivant un processus typique de la terminologie picturale chinoise, a pour point de départ une notion technique, mais il se prolonge ensuite d'un développement esthétique et philosophique riche et suggestif, qui dépasse très largement ce premier aspect technique (...)
  36. « Non-agir » concept taoïste: l'inaction, forme supérieure de l'action. « La pratique de l'étude accumule, jour après jour, tandis que la pratique du Dao dilapide jour après jour, et encore, et cela jusqu'au non-agir. Il n'est rien que le non-agir ne puisse opérer; ceux qui se sont emparés du monde l'ont fait par inaction; eussent-ils été actifs, ils n'auraient pas été à même de s'en emparer » (Lao Zi, chap. 48)
  37. « Détaché »: qualifie ici le cœur. Mais ce même concept joue un rôle si important dans la théorie picturale qu'il est bon de profiter de l'occasion pour signaler ici la valeur qu'il prend lorsqu'il qualifie la peinture; on peut saisir par ce biais un caractère typique de l'esthétique chinoise
  38. « ... et tout cela d'un cœur détaché et comme dans le néant »: on retrouve ici les recommandations classiques: le peintre doit entretenir en lui une disposition de cœur oisive (閒 xian), silencieuse et tranquille (jing), épurée et vide (kong) ceci éventuellement par la contemplation de la Nature ou des peintures, par l'étude, la lecture et la poésie, par la musique ou le vin. Wang Yuanqi rappelle que le peintre doit être calme et oisif au moment de prendre le pinceau (in Congkan, p. 206)
Références
  1. Dictionnaire Bénézit 1999, p. 886
  2. Pierre Ryckmans 2007, p. 233
  3. Pierre Ryckmans 2007, p. 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32
  4. Pierre Ryckmans 2007, p. 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50
  5. Pierre Ryckmans 2007, p. 26
  6. Pierre Ryckmans 2007, p. 27
  7. a et b Pierre Ryckmans 2007, p. 32
  8. Pierre Ryckmans 2007, p. 39
  9. Pierre Ryckmans 2007, p. 44
  10. Pierre Ryckmans 2007, p. 67
  11. Pierre Ryckmans 2007, p. 81
  12. Pierre Ryckmans 2007, p. 93
  13. Pierre Ryckmans 2007, p. 121

Liens externes modifier