Utilisateur:Matstiles/1860 Boden Professor of Sanskrit election

L'élection de 1860 du Professeur Boden de sanskrit

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Monier Williams, élu second Professeur "Boden" de sanskrit en 1860; cette photo a été prise par Lewis Carroll.

L'élection de 1860 pour le poste de Professeur Boden de sanskrit à l'Université d'Oxford opposait deux candidats avec chacun une différente approche de la recherche sur le sanskrit. Le premier candidat était Monier Williams, un britannique ayant étudié à Oxford et qui avait passé 14 ans à enseigner le sanskrit à ceux qui allaient partir travailler en Inde britannique pour la Compagnie britannique des Indes orientales. Le deuxième était Max Müller, un conférencier d'Oxford d'origine allemande, spécialisé en philologie comparée. Il avait travaillé plusieurs années sur une édition du Rig-Véda (une ancienne collection d'hymnes en Sanskrit védique), et jouissait d'une réputation internationale pour sa thèse de recherche. Contrairement à Müller, Williams travaillait sur des documents plus récents, et avait peu de temps à consacrer à la thèse soutenue par Müller d'une école "continentale" de sanskrit. Williams considérait l'étude du sanskrit comme un simple moyen de convertir l'Inde au christianisme. Pour Müller, son propre travail aiderait les missionnaires dans leur tâche, mais aurait aussi un intérêt en tant que tel.

L'élection eut lieu dans un contexte de débats populaires à propos du rôle du Royaume Uni en Inde, suite à la rébellion indienne de 1857. Les avis étaient divisés entre fournir plus d'efforts pour convertir l'Inde, ou continuer à respecter la culture et les traditions locales. Les deux hommes se sont affrontés pour gagner les votes de l'électorat (l'ensemble des diplômés en Art de l'Université, c'est-à-dire plus de 3,700 personnes) au travers de manifestes et d'échanges publiés dans des journaux. Williams insistait principalement dans sa campagne sur l'intention du fondateur du poste, c'est-à-dire que le Professeur devait aider à la conversion de l'Inde par la diffusion des écrits chrétiens. Müller considérait que son travail sur le Rig-Véda était d'importance capitale dans la tâche des missionnaires, et publiait des témoignages avec l'intention de leur être utile. Il voulait aussi enseigner des sujets plus vastes tels que l'histoire de l'Inde et la littérature indienne afin d'aider les missionnaires, les érudits et les membres du gouvernement - une idée critiquée par Williams qui pensait que cela n'était pas en accord avec la volonté du premier Professeur, créateur du poste. Les campagnes des deux rivaux impliquaient des annonces dans les journaux et des manifestes, et les deux hommes étaient chacun soutenus par différents journaux. Bien qu'étant généralement plus apprécié que Williams pour sa thèse, Müller était désavantagé aux yeux de certains par le fait d'être allemand, mais aussi parce qu'il avait des opinions chrétiennes libérales. Certains journaux défendant Williams déclaraient qu'il était dans l'intérêt de la nation d'avoir un Anglais comme Professeur Boden pour aider à gouverner et convertir l'Inde.

Le jour de l'élection, des trains furent spécialement prévus à destination d'Oxford pour les diplômés en Art vivant ailleurs afin qu'ils puissent aller voter. Après une campagne très disputée, Williams gagna avec plus de 220 votes d'avance. Suite à sa victoire, il aida à créer l'Institut indien d'Oxford, reçu le titre de chevalier, et garda son poste jusqu'à sa mort en 1899. Bien que très déçu d'avoir perdu, Müller resta à Oxford pour le reste de sa carrière, mais n'y enseigna jamais le sanskrit. L'élection de 1860 fut la dernière fois que les diplômés en Art choisirent le Professeur Boden, car ce pouvoir leur fut retiré en 1882 par des réformes imposées par le Parlement. Depuis 2017 le poste est toujours existant, et est à présent le seul poste de Professeur de sanskrit au Royaume Uni.

Origine

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Le poste de Professeur Boden à l'Université d'Oxford a été créé grâce au leg du Lieutenant Colonel Joseph Boden de la Bombay Native Infantry, mort en 1811. Son testament stipulait qu'à la mort de sa fille (qui mourut en 1827), ses biens iraient à l'université pour créer un poste de Professeur de Sanskrit. Son but était de convertir le peuple indien au christianisme "en propageant la connaissance des écritures saintes parmi eux"[1]. Les statuts de l'université concernant ce poste stipulaient que le Professeur devait être choisi par des membres de l'université (plus précisément tous ceux qui avait obtenu un Diplôme de Maîtrise en Art à Oxford, qu'ils enseignent à l'université ou non) plutôt que par les professeurs ou les membres de la direction (fellows[2]). Lors de l'élection de 1860, il y avait 3,786 diplômés.[3] D'après l'historien religieux Gwilym Beckerlegge, le poste de Professeur était perçu comme "prestigieux et très bien payé"[4]). Un article paru en 1860 dans le journal britannique The Times déclarait que l'emploi était "l'une des institutions les plus importantes, les plus influentes, et les mieux reconnues d'Oxford, pour ne pas dire du monde civilisé tout entier"[5]. Le salaire se situait entre 900£ et 1,000£ par an, à vie.[6]

Le premier Professeur Boden, Horace Hayman Wilson, fut élu en 1832 et mourut le 8 mai 1860.[7] L'élection de son successeur eut lieu dans un contexte de débats populaires quant à la nature du travail des missionnaires britanniques en Inde, particulièrement après la révolte indienne de 1857. La Compagnie britannique des Indes orientales, qui contrôlait les territoires britanniques jusqu'à ce qu'ils intègrent l'Empire britannique en 1858, avait mené une politique générale de non-interférence avec les coutumes et religions indiennes. Les missionnaires chrétiens devaient posséder une licence pour essayer de convertir les locaux. En réalité, la plupart pouvait mener leurs actions sans avoir cette licence, à l'exception des Evangéliques qui étaient considérés comme trop radicaux par rapport aux autres chrétiens de cette époque, qui étaient plus à même d'être tolérants envers les autres croyances. En devenant de plus en plus puissant, le mouvement évangélique fit pression pour que de plus amples efforts soient mis en place pour convertir l'Inde au christianisme, ce qui amena la Compagnie à assouplir la politique de ses missions en 1813.[8] Après 1858, le gouvernement britannique était réticent à l'idée de provoquer d'autres tensions par son interférence avec les traditions et religions locales, mais beaucoup des gens en charge de l'administration de l'Inde étaient des Evangéliques qui adhéraient aux efforts fournis pour convertir le pays. Beckerlegge commenta: "la poursuite de la mission chrétienne était devenue inextricablement liée aux tentatives de définir le rôle du Royaume Uni en Inde, et de justifier la présence du Royaume Uni en Inde".[9] La question était alors de savoir si le Royaume Uni voulait seulement gouverner l'Inde, ou la "civiliser", et auquel cas si cela se ferait par l'interdiction ou la destruction de la culture et de la religion Indienne.[10] D'après Beckerlegge, beaucoup de ceux qui soutenaient l'augmentation de la présence de missionnaires en Inde voyaient les évènements de 1857 comme "rien de moins qu'une punition divine" pour l'échec du Royaume Uni à apporter le christianisme au pays.[11]

Il y avait deux pensées majeures quant à l'enseignement du sanskrit. La première était qu'il devait être enseigné pour aider à l'administration et la conversion de l'Inde. La deuxième était que le sanskrit devait plutôt être enseigné pour la connaissance elle-même. La Compagnie britannique des Indes orientales avait fournit des instructions en sanskrit aux employés de ses universités à Haileybury, Hertfordshire et à l'Université de Fort William à Calcutta, afin de les éduquer dans la culture locale. Grâce à cela, certains développèrent un intérêt pour la religion et la culture indienne comme décrite dans les textes en sanskrit. Cela créait un contraste avec l'Europe continentale où les chercheurs s'intéressaient au sanskrit comme une branche des "sciences du languages" et de la philologie comparée, et non comme outil d'administration impériale. Peu de chercheurs européens avaient visité l'Inde, mais beaucoup de sanskritistes britanniques y avaient habité et travaillé.[12] Certains chercheurs britanniques venant d'autres domaines avaient de sérieux doutes concernant tout évènement en lien avec le sanskrit. D'après la chercheuse américaine Linda Dowling, ils considéraient le sanskrit comme "une pâle imitation linguistique rafistolée à partir du grec et du latin", ou "rien d'autre qu'une association malheureuse de l'Anglais et du Brahmane".[13]

Candidats

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Max Müller, photographié en 1857 par Lewis Carroll

En 1860, cinq hommes manifestèrent leur intérêt pour le poste ou furent recommandés en leur absence, mais à terme les deux concurrents pour l'élection furent Monier Williams et Max Müller. Williams (qui sera appelé plus tard dans sa vie Sir Monier Monier-Williams) est né en Inde et était le fils d'un officier militaire. Il a brièvement étudié au Balliol College à Oxford avant de suivre un entraînement à Haileybury pour préparer son service civique en Inde. La mort de son frère au combat en Inde l'a conduit à retourner à Oxford pour terminer son diplôme. Il étudia aussi le sanskrit avec Wilson avant de l'enseigner, ainsi que d'autres langues, à Haileybury de 1844 jusqu'à sa fermeture en 1858 après la rébellion indienne.[14] Suivant le conseil de Wilson, il prépara un dictionnaire Anglais-Sanskrit qui fut publié par la Compagnie des Indes Orientales en 1851. Son dictionnaire Anglais-Sanskrit était soutenu par le Secrétaire d'Etat à l'Inde.[15] Comme l'a écrit l'anthropologiste néerlandais Peter van der Veer, Williams "avait un zèle évangélique" en accord avec les idées qui avaient inspiré Boden à établir le poste.[16]

Müller était originaire du duché d'Anhalt-Dessau en Allemagne et décida d'étudier le sanskrit à l'université pour s'imposer un nouveau challenge intellectuel après avoir maîtrisé le grec et le latin.[17] A cette époque, le sanskrit était un sujet d'étude relativement nouveau en Europe, et ses liens avec les langues classiques traditionnelles avaient attiré l'attention de ceux qui s'intéressaient à la nature des langues et à leur histoire.[18] Il obtint son doctorat à l'Université de Leipzig en 1843, à l'âge de 19 ans, et après un an d'étude à Berlin, il commença à travailler à Paris sur la première édition imprimée du Rig-Véda (une ancienne collection d'hymnes en Sanskrit védique). Alors qu'il était censé ne faire qu'une brève visite en Angleterre pour un sujet de recherche en 1846, il finit par y rester toute sa vie. Le Baron von Bunsen, un diplomate prussien, et Wilson persuadèrent les directeurs de la Compagnie des Indes Orientales de fournir les ressources financières nécessaires à l'Oxford University Press pour publier le Rig-Véda. Müller s'installa à Oxford en 1848 et continua ses recherches sur le sanskrit. Il devint Professeur Taylorien de Langues Européennes Modernes en 1854 après avoir été Professeur adjoint pendant trois ans.[17] Pour ce travail, il était payé 500£ par an, la moitié du salaire du poste de Boden.[19] Etant un sujet britannique depuis 1855, il fut élu "fellow" de l'All Souls College en 1858,[17] "un honneur sans pareil pour un étranger à cette époque" d'après son biographe, l'écrivain indien Nirad C. Chaudhuri.[20]

Trois autres hommes se manifestèrent pour l'obtention du titre, ou furent nominés par d'autres, mais ils se retirèrent avant l'élection. La candidature d'Edward Cowell, professeur de Sanskrit au College Gouvernemental de Calcutta fut annoncé dans le Times le 28 mai 1860, où il était dit que Wilson l'aurait décrit comme "éminemment qualifié" à lui succéder.[21] Il écrivit plus tard depuis l'Inde qu'il refusait de se présenter contre Müller.[22] Ralph Griffith, un ancien étudiant Boden qui fut professeur à l'Université Sampurnanand de Sanskrit à Bénarès annonça sa candidature en août 1860, mais la retira en novembre.[23][24] James R. Ballantyne, directeur de l'université à Bénarès, fut proposé en juin 1860 par des amis vivant en Angleterre, qui le décrivaient comme le "chef des chercheurs britanniques en sanskrit".[25]

Le manifeste de Müller

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Müller annonça sa candidature le 14 mai 1860, six jours après la mort de Wilson.[26] Sa candidature donnée à l'électorat parlait de son travail sur l'édition du Rig-Véda, insistant sur le fait que sans ce texte, les missionnaires ne pourraient pas apprendre correctement les enseignements de l'hindouisme, qui entravaient leur travail. Il considérait donc qu'il avait "passé la plus grande partie de [sa] vie à promouvoir l'objectif du fondateur de la chaire académique de sanskrit".[27] Il promit de travailler exclusivement sur le sanskrit, et dit qu'il fournirait des témoignages des "chercheurs en sanskrit les plus éminents d'Europe et d'Inde" et des missionnaires qui avaient utilisé ses publications pour aider à "renverser les ancients systèmes d'idolâtrie" en Inde.[27] Il a été capable de fournir au bon moment une liste des sociétés de missionnaires qui avaient demandé une copie du Rig-Véda à la Compagnie des Indes Orientales, parmi lesquelles la Church Missionary Society et la Société pour la Propagation du Gospel.[28]

Le manifeste de Williams

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Williams rendit publique son intention de participer à l'élection le 15 mai 1860, un jour après Müller.[29] Dans sa candidature donnée à l'électorat, il insistait sur sa qualification pour le poste en s'appuyant sur les souhaits missionnaires de Boden. Après avoir donné les détails de sa vie et de sa carrière, en particulier de son expérience en sanskrit acquise à Haileybury, il expliquait que pendant les 14 dernières années, "la seule idée de [sa] vie a été de se familiariser avec le sanskrit, et de faciliter par tous les moyens possibles l'étude de sa littérature."[30] Il assura aux votants que s'il était élu, "toute [son] énergie serait consacrée au seul objectif du fondateur; c'est à dire 'La promotion d'une connaissance plus générale et critique de la langue sanskrite comme outil permettant aux Anglais de convertir les natifs d'Inde à la religion chrétienne.' ".[30] Contrairement à Müller, il considérait l'étude du sanskrit "comme un simple outil pour les missionnaires qui convertissent les Hindous plutôt que comme un sujet d'étude en soit", d'après Dowling.[13] Ainsi, comme le dit Dowling, il pouvait tenter de détourner l'attention de ses "compétences modestes en sanskrit classique" comparées aux "accomplissements internationalement reconnus" de Müller.[13] De plus, l'argument s'appuyant sur les intentions premières de Boden arriva à une période où l'électorat avait tendance à n'accorder que peu d'attention aux vœux des bienfaiteurs.[31]

  1. (en) « Boden, Joseph (d. 1811) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, (lire en ligne  )
  2. Beckerlegge, p. 193.
  3. Evison, p. 2.
  4. Beckerlegge, p. 178.
  5. (en) « Editorial », The Times,‎ , p. 6 (lire en ligne) 
  6. Chaudhuri, p. 221.
  7. (en) Paul B. Courtright, « Wilson, Horace Hayman (1786–1860) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press (lire en ligne  )
  8. Beckerlegge, p. 186.
  9. Beckerlegge, p. 187.
  10. Beckerlegge, p. 201.
  11. Beckerlegge, p. 202.
  12. Beckerlegge, p. 188.
  13. a b et c Dowling, p. 165.
  14. (en) « Williams, Sir Monier Monier– (1819–1899) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, (lire en ligne  )
  15. Rajesh Kochhar, « Seductive Orientalism: English Education and Modern Science in Colonial India », Social Scientist, vol. 36, nos 3/4,‎ march–april 2008, p. 54 (JSTOR 27644269)
  16. Van der Veer, p. 109.
  17. a b et c (en) R. C. C. Fynes, « Müller, Friedrich Max (1823–1900) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, (lire en ligne  )
  18. Beckerlegge, p. 180.
  19. Van der Veer, p. 108.
  20. Chaudhuri, p. 220.
  21. (en) « University Intelligence », The Times,‎ , p. 6 (lire en ligne) 
  22. (en) « University Intelligence », The Times,‎ , p. 4 (lire en ligne) 
  23. (en) « University Intelligence », The Times,‎ , p. 7 (lire en ligne) 
  24. (en) « University Intelligence », The Times,‎ , p. 10 (lire en ligne)  
  25. (en) « Boden Sanscrit Professorship », The Observer,‎ , p. 3  
  26. (en) « University Intelligence », The Times,‎ , p. 9 (lire en ligne) 
  27. a et b Beckerlegge, pp. 334–335.
  28. Beckerlegge, p. 203.
  29. (en) « University Intelligence », The Times,‎ , p. 9 (lire en ligne) 
  30. a et b Beckerlegge, pp. 333–334.
  31. Beckerlegge, p. 197.