Quartier réservé (Marseille)

Le Quartier réservé était l'ancien quartier de la prostitution de Marseille. Il fut créé le par arrêté municipal[1], et fonctionna jusqu'en février 1943, date de sa destruction par les nazis.

Prostituées devant le Mignon Bar de la rue Bouterie

Le Quartier réservé était situé sur la rive nord du Vieux-Port, dans le quartier Saint-Jean, aujourd'hui disparu. Il formait un rectangle irrégulier d'environ 250 mètres sur 130 mètres, soit 32 500 m2, regroupant une quinzaine de rues et ruelles. On y dénombrait 5 000 habitants et 90 établissements de prostitution, où officiaient entre 500 et 1 000 prostituées[2].

Sa clientèle était constituée principalement de marins au long cours et de soldats en transit, mais aussi de touristes internationaux, d'artistes, de peintres et d'écrivains. Le quartier était connu pour son cosmopolitisme, brassant des populations venues du monde entier, tout particulièrement du bassin méditerranéen et de l'empire colonial français. Il souffrait d'une très mauvaise réputation, tant au niveau local qu'international, et on y recensa plus de 300 meurtres au cours de son histoire[2].

On considère que c'est dans ses ruelles que le milieu marseillais est né, au début du XXe siècle[3].

Le Quartier réservé fut par ailleurs mis en scène dans des dizaines d’œuvres entre 1878 et 1943 (romans, nouvelles, peintures, films, poèmes, pièces de théâtre, photographies...), par des auteurs aussi variés que Marcel Leprin[4], Jean Cocteau[5], Alphonse Allais[6], Pierre Mac Orlan[7],[8],[9],[10],[11],[12], Raoul Dufy[13], Albert Marquet[14], Jean Genet[15], Maurice Tourneur[16], Albert Londres[17], Guy de Maupassant[18], Walter Benjamin[19],[20] ou Simone de Beauvoir[21].

Entièrement rasé par les nazis en février 1943 pendant l'opération Sultan, aucune rue du Quartier réservé ne subsiste aujourd'hui[22].

Origine du nom

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L'expression « quartier réservé » était, aux XIXe et XXe siècles, un terme générique désignant les rues d'une ville réservées à la prostitution[23].

En France, le premier quartier de ce type à avoir été créé est celui de Bordeaux, Mériadeck, en 1838[24]. Une dizaine d'autres créations administratives suivirent dans tout le pays (Brest, Nantes, Toulon, Lorient, Aix-en-Provence, Montpellier, Sète)[25] ainsi que dans les colonies (Casablanca, Tunis, Beyrouth, Oran, Alger). D'autres quartiers fonctionnant sur le même système existaient également à l'étranger, comme Storyville à la Nouvelle-Orléans ou Yoshiwara à Tokyo.

A Marseille, le Quartier réservé était généralement appelé « les Brics » ou « le quartier des Brics » par les habitants du Vieux-Port[26], le terme « bric » signifiant « maison close » en argot de l'époque[27]. On parlait aussi du quartier « Derrière-la-Mairie », pour éviter de nommer l'activité qui s'y déroulait.

Plus récemment, les écrivains ont pris l'habitude de renommer le quartier « La Fosse », reprenant le surnom que lui avait donné l'auteur afro-américain Claude McKay dans son roman autobiographique Banjo, paru en 1931.

Notes et références

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  1. Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 4 M 891
  2. a et b Martin Huc, Marseille interdite. 1878/1943, histoire du Quartier Réservé, Paris, La Manufacture de Livres, , 400 p. (ISBN 978-2-3855-3100-3)
  3. Grand Banditisme, « Quartier Réservé : La Naissance du Milieu Marseillais » (consulté le )
  4. Pierre Bureau, Marcel Leprin, Mayer,
  5. Jean Cocteau, Œuvres poétiques complètes, La Pléiade,
  6. Alphonse Allais, « Marseille », Le Chat Noir,‎
  7. Pierre Mac Orlan, Quartier Réservé, Gallimard,
  8. Pierre Mac Orlan, Filles d'amour et ports d'Europe, Editions de France,
  9. Pierre Mac Orlan, Rues secrètes, Gallimard,
  10. Pierre Mac Orlan, Sous la lumière froide, Emile-Paul Frères,
  11. Pierre Mac Orlan, « En attendant le Batavia », Variétés II, no 1,‎
  12. Pierre Mac Orlan, « Rues Secrètes », Détective, no 279,‎ 1e mars 1934 (lire en ligne)
  13. Eugène Monfort, La belle enfant ou l'amour à 40 ans, avec 94 eaux fortes de Raoul Dufy, Ambroise Vollard,
  14. Charles Camoin, rétrospective 1879-1965, Réunion des musées nationaux,
  15. Jean Genet, Journal du voleur, Gallimard,
  16. Carlo Rim, Mémoires d'une vieille souche, Gallimard,
  17. Albert Londres, Marseille, porte du Sud, Editions de France, (lire en ligne)
  18. Guy de Maupassant, La main gauche, Paul Ollendorff, (lire en ligne)
  19. Walter Benjamin, Haschich à Marseille, Les Cahiers du Sud,
  20. Walter Benjamin, « Marseille », Neue Schweizer Rundschau,‎
  21. Simone de Beauvoir, La force de l'âge, Gallimard,
  22. « La destruction du Vieux-Port en 1943 : l'histoire d'une rafle à travers les photos des nazis, par Chloé Leprince. France Culture, 22 janvier 2023 »
  23. « entrée "quartier réservée" sur le Wikitionnaire »
  24. « Désillusion d'une utopie : histoire et état des lieux du quartier Mériadeck à Bordeaux »
  25. Alain Corbin, Les filles de noce, misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle, Flammarion,
  26. Claudette Castelli, Nicole Coulomb et Anne Sportiello, « Dans les vieux quartiers de Marseille : Saint-Jean et le Panier », Richesses orales du monde populaire dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, étude réalisée par le CREHOP,‎ 1979-1982
  27. « entrée "bric" dans le dictionnaire en ligne de l'argot Bob »

Bibliographie

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  • Martin Huc, Marseille Interdite. 1878/1943, histoire du Quartier réservé, La Manufacture de Livres, 2024, 400 pages. (ISBN 978-2-3855-3100-3)
  • Jean Bazal, Marseille Galante, Paul Tacussel, 1980
  • Édouard Peisson, Hans le marin, Grasset, 1929
  • Pierre Mac Orlan, Quartier réservé, Gallimard, 1932
  • Pierre d'Agramon, Le Marseille Curieux, Librairie des Lettres, 1922
  • Claudette Castelli, Nicole Coulomb et Anne Sportiello, « Dans les vieux quartiers de Marseille : Saint-Jean et le Panier » (étude réalisée par le CREHOP), Richesses orales du monde populaire dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur,‎ 1979-1982