Politique en opéra

œuvres d'opéra dont le thème principal est lié à la politique, ou qui servent les intérêts politiques de ceux le finançant

Le politique en opéra concerne les œuvres d'opéra dont le thème principal est lié à la politique[1],[2] ou qui servent les intérêts politiques de ceux le finançant[3].

Histoire modifier

Prémices modifier

Thème du politique modifier

Plusieurs opéras baroques traitent d'évènements historiques et mettent en scène des figures politiques mais non contemporaines[4]. Lully, compositeur de Louis XIV, va s'échiner à donner du Roi Soleil l’image exacte qu’il veut que l’on ait de lui[5].

Mozart est l'un des premiers compositeurs à traiter vraiment de politique, avec par exemple Les Noces de Figaro, où le fait de mettre au même niveau le maître et le domestique est pour l'époque une nouveauté, notamment dans le chant des personnages, à même intensité[6].

En 1805, dans Fidelio, Beethoven exalte l'humanisme révolutionnaire qui répond à la Révolution française[6]. De son côté, l'empereur Napoléon s'intéressa énormément à l'opéra, qu'il utilisa comme outil de propagande pour ses propres desseins[7]. En 1813, tandis que Venise est sous l'occupation autrichienne, Rossini crée L’Italienne à Alger, dont les paroles de l’air du personnage d’Isabella dénoncent cette situation[8].

Influence sur la politique modifier

La Suisse a été une sorte d'inspiration pour plusieurs compositeurs mettant dans leur opéra de la politique[9]. En 1829, Guillaume Tell de Rossini met en scène des cantons suisses qui se soulèvent face à l'oppression de la tyrannie. En 1830, La Muette de Portici, de Daniel-François-Esprit Auber, qui traite d'une révolte à Naples, servit de déclencheur à la révolution belge ; Alexandre Dratwicki, directeur artistique du Centre de musique romantique, explique : « C'est symptomatique d'une époque où l'opéra français, en raison de son rayonnement international servait de vecteur politique. Il n'était pas rare que les directeurs d'opéra, pour des raisons commerciales, commandent dans l'urgence ou ressortent des cartons des œuvres surfant sur l'actualité chaude »[6].

En 1842, Verdi, dans son Nabucco, met en scène les Hébreux luttant contre le tyran Nabuchodonosor, où insidieusement, il répond aux partisans de l'unité italienne[6].

Dés le début de sa carrière de compositeur, Wagner cherche à donner un sens double à son œuvre musicale, en l'occurrence l'unité de l'Allemagne comme une seule nation et patrie pour des millions d'allemands[10].

Tout au long du Second Empire, Napoléon III n'aura de cesse de pratique une politique du faste, dont l'intérêt pour l'opéra débouchera sur la construction du palais Garnier, voulu comme l'image vivante de la réussite économique du pays aussi prospère que puissant[11]. Il est à noter que durant cette période, les représentations de ballet n'incarnent pas un enjeux majeur pour le pouvoir[12].

L'opéra politique disparaît peu à peu dans les années 1870, époque où les régimes politiques changent rapidement et où plusieurs œuvres sont interdites à cause de leurs connotations trop fortes[6].

Depuis le XXe siècle modifier

En 1900, Puccini écrit Tosca, qui met en scène l'éphémère République romaine instaurée par les troupes françaises en 1798.

Sous le nazisme, l'opéra, tout comme les autres formes d'arts, est mis à contribution pour les besoins idéologiques et de propagande du régime[13].

En URSS, chaque année, des jurys étaient chargés de décerner les prix Staline pour récompenser les différends arts conformes aux directives du Parti communiste instituer par le Politburo. En 1930, le compositeur Dmitri Chostakovitch crée Le Nez, où il fait la critique de la bourgeoisie[14]. En 1950, un incident eu lieu lorsqu'un prix accordé au compositeur Herman Joukovskifut, pour son De tout cœur, fut annulé quelques semaines plus tard, sur ordre direct de Staline[15]. Dans l'après-guerre, un genre nouveau voit le jour dans l'opéra soviétique avec le mono-opéra, qui s’emploie à figurer la vie intérieure de ses personnages comme nouveau réalisme vivant du socialisme triomphant[16].

En Italie, pendant la période fasciste, l'opéra va peu à peu servir les ambitions idéologique de Mussolini, en glorifiant le fascisme qui s'immisce alors dans les thèmes des œuvres lyriques[17]. Ainsi, c'est tout le répertoire de Puccini qui est récupéré[18], comme en avril 1926, lorsque Turandot est réadapté[19]. Dix ans plus tard, Casella réalise un opéra intitulé Il deserto tentato, qui raconte la conquête de l’Éthiopie[20]. Les compositions de Verdi seront aussi exploitées à des fins politiques[21]. En 1949, Luigi Dallapiccola compose Il Prigioniero, qui relate la dernière nuit d'un condamné à mort, et se veut un manifeste pour la liberté et profession de foi antifasciste[22].

Dans la Chine communiste de Mao, l'opéra va devenir un outil de propagande très puissant lors de la Révolution culturelle, avec notamment les fameux huit opéras modèles[23].

En 1979, Philip Glass compose Satyagraha, basé sur la vie de Gandhi.

En 1987, John Coolidge Adams monte Nixon in China (sur la rencontre entre le président américain Richard Nixon et le dirigeant chinois Mao Zedong en 1972) et en 1991 The Death of Klinghoffer (sur la prise d'otage des passagers du navire de croisière l'Achille Lauro en octobre 1985 qui a abouti à l'assassinat de Leon Klinghoffer, un retraité juif-américain, par des terroristes du Front de libération de la Palestine)[6]. Ces deux opéras assurent une certaine notoriété au compositeur, malgré les polémiques qui entourent la création et les reprises du second[24].

Depuis le XXIe siècle modifier

En 2011, le danseur et chorégraphe chinois Gang Peng réalise Artiste du peuple, qui est une critique de l'utilisation de l'opéra sous Mao[25].

En France, en 2013, Grégoire Hetzel monte La Chute de Fukuyama, un opéra dont le thème sont les attentats du 11 septembre 2001 ; il est joué pour la première fois le par l'Orchestre philharmonique de Radio France et raconte le destin de Francis Fukuyama, un intellectuel américain qui avait prédit la « fin de l'histoire » après la chute de l'URSS et qui fut contredit par le drame du World Trade Center. Pour l'écrivain Camille de Toledo, coauteur de cet opéra, « l'opéra est le lieu de la mémoire et du récit collectif. Aujourd'hui, on en a fait le lieu de l'institution. Un art du G8. Il y a quelque chose de formidablement dramatique dans le fait de mettre en scène les politiques dans un espace représentatif du pouvoir ». Toutefois, en France, le thème de la politique est extrêmement rare en opéra et n'est jamais le fait de grandes maisons. Toledo y voit le fait que le système lyrique est « trop institutionnel »[6].

Le directeur de la musique de Radio France, Jean-Pierre Le Pavec, qui a commandé La Chute de Fukuyama, a choisi le thème « Musique et pouvoir » pour le festival de Radio France et Montpellier de 2013, où sont notamment présentés Mass de Leonard Bernstein (sur John Kennedy), Madame Sans-Gêne de Umberto Giordano (où apparaît l'empereur Napoléon Ier) et La Vivandière de Benjamin Godard (qui se déroule durant la guerre de Vendée)[6].

En 2013, sort également Aliados[26], du compositeur franco-argentin Sebastian Rivas, qui narre la rencontre entre Margaret Thatcher et Augusto Pinochet en 1999[6].

Bibliographie modifier

  • Jane F. Fulcher, Le Grand opéra en France : un art politique : 1820-1870, traduction de l'anglais et commentaire des illustrations par Jean-Pierre Bardos, Berlin, Modernités XIXe-XXe, 1988.

Notes et références modifier

  1. Mitchell Cohen, « On ne fait pas un pâté de lièvre en faisant rôtir un chat » Pensées sur l'Opéra politique, Paris, Éditions Presses de Sciences Po, , 21 p. (ISBN 2724629892, lire en ligne), L'ensemble.
  2. « Opéra et politique », sur www.levoyagelyrique.com (consulté le ).
  3. « L’opéra, le pouvoir et la politique s’exposent au V&A à Londres », sur Le Soir, (consulté le ).
  4. Solveig Serre, « L'opéra entre incarnation et représentation Quelques éléments d'un système poético-politique »   [doc], sur Cairn, (consulté le ).
  5. Le roi apparaît dans l’opéra en Jupiter, apportant aux hommes la grandeur et la paix et aux nymphes de plaisir, tandis que Mars – symboliquement son double guerrier – étincelle de gloire et de courage ; et qu’Apollon – son autre double – répand autour de lui la beauté et l’harmonie.
  6. a b c d e f g h et i Thierry Hillériteau, « Quand l'opéra fait chanter les grands de ce monde », Le Figaro, encart « Culture », samedi 15 / dimanche 16 juin 2013, page 29.
  7. Déborah Cohen, « David Chaillou, Napoléon et l'Opéra. La politique sur la scène. 1810-1815 »   [doc], sur Cairn, Revue d’histoire moderne & contemporaine, (consulté le ).
  8. « Pense à la Patrie et, intrépide, accomplis ton devoir. Nous verrons par toute l’Italie renaître les exemples de courage et de valeur. Ce que valent les Italiens, on le verra sur le champ de bataille ».
  9. Marie-Bernadette Bruguière, « XV. Suisse, opéra et politique », dans Opéra, politique et droit, Presses de l’Université Toulouse Capitole, coll. « Études d’histoire du droit et des idées politiques », (ISBN 978-2-37928-106-8, lire en ligne), p. 483–504.
  10. Mitchell Cohen (trad. Françoise Bagot et Michel Kail), Verdi, Wagner, Politique et Opéra. Ruminations bicentenaires, Paris, L'Homme & la Société, (1re éd. 2014), 28 p. (lire en ligne), L'ensemble.
  11. « Second Empire : les coulisses politiques de la fête impériale », sur Histoire et Civilisations.com, 2023-01-09cet16:40:25+01:00 (consulté le ).
  12. « Le ballet de l’Opéra de Paris sous le Second Empire », sur École nationale des chartes - PSL, (consulté le ).
  13. PointCulture, « | PointCulture », sur www.pointculture.be (consulté le ).
  14. Eline Hadermann et Reinder Pols, « Tout ce qu'il faut savoir sur « Le Nez » »   [doc], sur La Monnaie, (consulté le ).
  15. « STALINE FAIT CONDAMNER UN OPÉRA couronné d'un " prix Staline " », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  16. Tetiana Zolozova-Le Menestrel, « Entre Rideau de Fer et Dégel : panorama des opéras soviétiques 1945-1970 », Revue LISA/LISA e-journal. Littératures, Histoire des Idées, Images, Sociétés du Monde Anglophone – Literature, History of Ideas, Images and Societies of the English-speaking World, no vol. XII-n°6,‎ (ISSN 1762-6153, DOI 10.4000/lisa.6750, lire en ligne, consulté le ).
  17. Louis-Valentin Lopez, « Sous l'Italie fasciste de Mussolini : la musique au service du dictateur et de l'État », sur France Musique, (consulté le ).
  18. Matilde Legault, « L’instrumentalisation des opéras de Giacomo Puccini par le régime fasciste italien : le cas de Turandot »   [doc], sur Université de Montréal, (consulté le ).
  19. Matilde Legault, « Récupérer l’opéra sous le fascisme italien. Le cas de Turandot », Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, vol. 21, no 1,‎ , p. 93–104 (ISSN 1480-1132 et 1929-7394, DOI 10.7202/1087794ar, lire en ligne, consulté le ).
  20. (it) Terenzio Sacchi Lodispoto, « Alfredo Casella - Il deserto tentato, op. 60. Mistero in un atto », sur www.flaminioonline.it (consulté le ).
  21. Nestor Stratégie, « QUAND L’ART LYRIQUE SE MÊLE À LA POLITIQUE : LE… », sur Revue L'Opéra, (consulté le )
  22. « "Il Prigioniero", un opéra coup de poing contre le fascisme », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  23. « L'opéra au service de l'idéologie communiste - le Plus », sur leplus.nouvelobs.com, (consulté le ).
  24. Shaun TANDON, « La mort de Klinghoffer au Met: l'opéra de la discorde », La Presse,‎ (lire en ligne, consulté le )
  25. Le Point magazine, « Opéra communiste », sur Le Point, (consulté le ).
  26. « Aliados, Théâtre de Gennevillers ».