Persécution des philosophes

ensemble des mesures politiques

La persécution des philosophes est l'ensemble des mesures politiques qui ont conduit à censurer, exécuter ou contraindre à l'exil des philosophes. Leo Strauss énumère dans La Persécution et l'art d'écrire les philosophes qui ont fait l'objet d'une persécution et explique les ressorts de cette réaction[1].

Antiquité modifier

Les philosophes font partie des figures martyriques de l'Antiquité[2]. Ils sont souvent l'objet de décisions de persécution de la part du pouvoir politique ; ainsi de l'école pythagoricienne, qui est persécutée en Sicile et dont plusieurs membres sont assassinés[3]. Sous l'Antiquité, les philosophes sont souvent persécutés non tant pour les idées qu'ils soutiennent que pour leur remise en question du consensus social qui fonde la cité dans laquelle ils vivent[2].

Le cas de Socrate est souvent retenu comme un cas iconique de persécution de philosophes, notamment du fait de son argumentaire lors de son procès[4].

Certaines écoles de pensée ont été interdites à Athènes[5]. En , Démétrios Poliorcète prend le pouvoir à Athènes, pour une période qui durera trois ans[6]. La chute de Démétrios de Phalère entraîne la persécution des philosophes : les écoles de philosophie sont visées par une loi d’un certain Sophocle de Sounion interdisant aux philosophes de tenir école sans le consentement du peuple et de la Boulè, sous peine de mort. Plusieurs philosophes, dont Théophraste, s’exilent volontairement[7]. Cette loi, défendue par Démocharès, le neveu de Démosthène, est abrogée l’année suivante à l’initiative de Philon, ancien élève d’Aristote[8] : les philosophes reviennent à Athènes et Sophocle doit payer une amende de cinq talents[9].

L'Antiquité tardive voit une opposition entre les philosophes, païens, et les penseurs chrétiens[10].

Renaissance modifier

Giordano Bruno modifier

Giordano Bruno, frère dominicain, scientifique et philosophe, travaille sur le modèle copernicien. Il soutient que l'univers est infini et n'a pas de centre. Il est poursuivi en 1593 pour hérésie par l'Inquisition romaine. Le chef d'accusation est celui de la négation de doctrines catholiques, comme celle de la damnation éternelle ou la virginité perpétuelle de Marie. De plus, Bruno est panthéiste[11].

Jugé coupable, il est brûlé sur place publique à Rome en 1600. A posteriori, Bruno est considéré, notamment au XIXe siècle, comme un martyr de la science. Toutefois, les historiens montrent que Bruno n'est pas persécuté tant pour ses positions cosmologiques que pour ses positions religieuses[12].

Tommaso Campanella modifier

Tommaso Campanella, moine dominicain et philosophe italien, a été condamné à vivre confiné dans un couvent du fait de ses positions considérées comme hérétiques. Il critiquait notamment l'autorité d'Aristote. Il passe ensuite vingt-sept ans emprisonné dans un château, années durant lesquelles il écrit La Cité du Soleil[13].

Époque moderne modifier

René Descartes et le cartésianisme modifier

Le cartésianisme de René Descartes fait l'objet de tensions importantes en France entre 1675 et 1690[1],[14]. La persécution est réelle dès lors que le cartésianisme se mélange avec le jansénisme, dont les tenants sont opposés au pouvoir royal absolu[15].

Baruch Spinoza modifier

Baruch Spinoza, philosophe juif, est excommunié (herem) par les autorités religieuses juives pour hérésie. Il questionnait notamment l'authenticité de la Bible Hébraïque ; il soutenait également des positions panthéistes[16]. Spinoza avait fait l'objet d'une tentative de meurtre lorsque, dans une synagogue, un assaillant armé d'un couteau l'avait menacé avec un couteau en criant : « hérétique ! »[17]. Les livres du philosophe se retrouvent à l'Index librorum prohibitorum de l’Église. En 1678, un an après sa mort, les Pays-Bas interdisent son œuvre.

Voltaire modifier

Voltaire doit faire face à une censure importante de ses œuvres. Après la publication de ses Lettres philosophiques, son imprimeur est arrêté, et les exemplaires du livre brûlés sur place publique car considérés comme irréligieux. Voltaire écrit ainsi qu'il était plus facile pour lui d'écrire des livres que de les publier[18]. Dans l'Encyclopédie, il déplore la persécution de Pierre Bayle, « l'honneur de la nature humaine »[1],[19].

Edmund Burke modifier

Contrairement à d'autres penseurs de son temps, Edmund Burke s'oppose à l'idée selon laquelle les philosophes des Lumières ont été véritablement persécutés. En réalité, selon lui, ces penseurs avaient pour objectif d'obtenir le pouvoir ou de renverser l'ancien ordre politique des choses, et que dès lors, ce sont eux qui ont persécuté ceux qui s'opposaient à leurs idées[20].

Auguste Comte modifier

Auguste Comte soutient que la persécution des philosophes ne peut plus, dans la modernité, les tuer ou les emprisonner ; toutefois, elle peut encore les empêcher de manger[21].

Notes et références modifier

  1. a b et c Leo Strauss et Arnaldo Momigliano, La persécution et l'art d'écrire, éditions de l’éclat, (ISBN 978-2-84162-072-2, lire en ligne)
  2. a et b Marie-Françoise Baslez, Persécutions dans l'Antiquité: Victimes, héros, martyrs, Fayard, (ISBN 978-2-213-63931-4, lire en ligne)
  3. (en) Peter J. Ahrensdorf, The Death of Socrates and the Life of Philosophy: An Interpretation of Plato's Phaedo, SUNY Press, (ISBN 978-0-7914-2633-3, lire en ligne)
  4. Aurian Delli Pizzi, « Marie-Françoise Baslez, Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs », Kernos. Revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique, no 23,‎ , p. 386–389 (ISSN 0776-3824, lire en ligne, consulté le )
  5. Victor Cousin, Histoire Générale de la Philosophie Depuis Les Temps Les Plus Anciens Jusqu'au XIXe Siècle,, Didier et Cie., (lire en ligne)
  6. Marguerite Yourcenar 2015, p. 292.
  7. Grand Larousse encyclopédique en 10 volumes (juillet 1963) : Strya - Zyth (p. 298)
  8. Athénée, Deipnosophistes [détail des éditions] (lire en ligne) (I)
  9. Habicht 2006, p. 90-91.
  10. Paul Belouino et Jacques-Paul Migne, Dictionnaire général et complet des persécutions souffertes par l'Eglise Catholique depuis Jésus-Christ jusqu'a nos jours..., S'Imprime et se vend chez l'éditeur, (lire en ligne)
  11. Birx, H. James. "Giordano Bruno" The Harbinger, Mobile, AL, 11 November 1997. "Bruno was burned to death at the stake for his pantheistic stance and cosmic perspective."
  12. Frances Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition, Routledge and Kegan Paul, 1964, p. 450
  13. "Tommaso Campanella" - first published Wed Aug 31, 2005" at the Stanford Encyclopedia of Philosophy Retrieved September 1, 2009
  14. (en) Ronald Beiner, Political Philosophy: What It Is and Why It Matters, Cambridge University Press, (ISBN 978-1-107-06995-4, lire en ligne)
  15. Francisque Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne: - Vol. 2, Culture et Civilisation, (lire en ligne)
  16. * Roger Scruton, Spinoza: A Very Short Introduction, OUP Oxford, , 144 p. (ISBN 978-0-19-280316-0, lire en ligne)
  17. Roger Scruton, Spinoza: A Very Short Introduction, OUP Oxford, (ISBN 978-0-19-280316-0, lire en ligne), p. 21
  18. (en) Marvin Perry, Western Civilization, A Brief History, Volume II, Cengage Learning, (ISBN 978-1-305-53776-7, lire en ligne)
  19. Voltaire, Oeuvres complètes, Aux Bureaux du siecle, (lire en ligne)
  20. (en) Peretz Bernstein, The Sociological Tradition, Routledge, (ISBN 978-1-351-47373-6, lire en ligne)
  21. Auguste Comte, Cours de philosophie positive: “Les” préliminaires généraux et la philosophie mathématique, Baillière, (lire en ligne)