Georges Rizet

généticien français (1914-2005)

Georges Rizet, né à Ciry-le-Noble dans le département de Saône-et-Loire le 8 décembre 1914, mort à La Tronche (Isère) le 25 février 2005[1], est un généticien français. Il est, avec Boris Ephrussi, Philippe L'Héritier et Georges Teissier, l’un des fondateurs de l’enseignement universitaire de la génétique en France. Il a initié de nouveaux champs de recherche qui ont contribué à modifier notre compréhension du vivant. Il s’est aussi attaché à développer une recherche agronomique autonome en Afrique. Personnalité originale et atypique, il était peu soucieux des honneurs et de sa notoriété et, de ce fait, celle-ci n’est pas à la mesure de sa contribution scientifique.

Georges Rizet

Naissance
Ciry-le-Noble
Décès (à 90 ans)
La Tronche
Nationalité française
Institutions

Université de Paris Sud

Centre de génétique moléculaire (CGM) de Gif-sur-Yvette (CNRS)

Biographie modifier

Issu d’un milieu ouvrier, il est orienté vers l’École Normale d’Instituteurs de Moulins (Allier). Enseignant à l’École Primaire Supérieure de Gannat (Allier), puis surveillant à l’École Normale d’Instituteurs de Saint-Lô, il suit en même temps les certificats de Zoologie et de Botanique, termine sa licence et passe un diplôme d’études supérieures à l’Université de Caen en 1937[2]. Une bourse lui permettra de préparer, à mi-temps, une thèse de doctorat d’État, obtenu en 1943, sur la génétique des champignons[3]. Il est nommé chef de travaux en 1945, puis professeur d’Université en 1954 (deuxième chaire de Génétique en France). Il fonde en 1963 à la Faculté des Sciences d’Orsay, avec Philippe L'Héritier et Jean Chevaugeon, le Groupe des Laboratoires de Biologie Expérimentale qui deviendra, en 1966, l’Institut de Génétique, un des premiers laboratoires associés créés par le CNRS en Biologie. Il le dirigera jusqu'en 1974.

L’enseignant modifier

L’enseignement universitaire de la génétique a souffert en France de la prédominance des théories lamarckiennes jusqu’au milieu du XXe siècle. Une chaire de génétique avait été créée dès 1908 à Cambridge pour William Bateson. Mais la première chaire de génétique française n’est attribuée (à la Sorbonne) qu’en 1945, à Boris Ephrussi, un pionnier dans l’étude du fonctionnement des gènes. Georges Rizet crée alors le premier enseignement pratique de génétique de France. Une fois nommé professeur, il enseignera la génétique à la Sorbonne, puis à la faculté des sciences d’Orsay, où il pratiqua une méthode originale de pédagogie interactive faisant appel au raisonnement plutôt qu’à la mémoire.

Apports scientifiques modifier

Georges Rizet a d’abord développé sa propre équipe de recherches à Paris, dans le laboratoire de Boris Ephrussi à l’Institut de Biologie Physico-chimique (Fondations Edmond de Rothschild). Avec Boris Ephrussi, Philippe L'Héritier et Piotr Slonimski, Rizet fait partie de cette école de généticiens français qui a centré ses études sur des cas d’hérédité qui échappaient aux règles de transmission mendélienne. Observateur perspicace, il savait détecter des phénomènes inattendus qui pouvaient refléter des aspects encore inconnus de la complexité du vivant. Georges Rizet a joué un rôle important dans l'essaimage de la génétique en France, à la fois sur le plan de l'enseignement et sur celui de la recherche. Il a introduit comme matériel d’étude les champignons ascomycètes Podospora anserina [4] et Ascobolus immersus[5]. Il a aussi permis l'émergence d'une école allemande qui s'est investie dans des recherches sur P. anserina, à la suite du stage post-doctoral de Karl Esser dans son laboratoire au début des années 1950.

Il a ouvert quatre grands thèmes de recherche, dont il a confié ensuite l’étude à ses élèves, et soutenu le développement d’un cinquième.

Sénescence modifier

Il observa que les souches de P. anserina n’avaient pas une croissance illimitée, mais une « longévité » définie, variant d’une souche à l’autre. Il a appelé sénescence cet arrêt inéluctable de la croissance et démontré le caractère héréditaire, par voie cytoplasmique, de cette longévité [6]. Son élève Denise Marcou[7] en précisa les caractéristiques cytoplasmiques et montra le rôle de la température dans l’expression et la reversibilité de l’état sénescent. L’analyse moléculaire sera poursuivie, au Centre de génétique moléculaire (CGM) de Gif-sur-Yvette (CNRS), par Léon Belcour, France Koll, Corinne Vierny et Annie Sainsard. Leurs travaux révèleront que la sénescence de P. anserina est due à l’instabilité intrinsèque de l’ADN mitochondrial[8] qui joue également un rôle important en pathologie humaine [9].

Incompatibilité modifier

Ayant observé qu’à la ligne de contact entre certaines souches d’origine géographique différente de P. anserina se produisait un bourrelet, dénommé « « barrage », il identifia plusieurs gènes responsables de cette incompatibilité[10]. Leur étude a conduit à la thèse de Jean Bernet[11]. Avec Janine Beisson-Schecroun, il montra que pour l’une de ces interactions, entre les allèles S et s, le barrage résultait d’une incompatibilité entre leurs cytoplasmes et qu’au gène s pouvaient être associés deux « états » cytoplasmiques alternatifs stables, s et sS, respectivement incompatible et compatible avec le cytoplasme S, l’état « s » étant infectieux et convertissant rapidement les cellules sS en s[12],[13]. Grâce aux études développées ensuite à l’Université de Bordeaux II par Jean Bernet puis Joël Bégueret et ses élèves, en particulier Sven Saupe[14],[15], les états s et sS ont été caractérisés comme résultant de deux états alternatifs d'un prion.

P. anserina est ainsi devenu un organisme modèle pour l'étude des prions[16].

Recombinaison génétique modifier

L’analyse fine d’anomalies dans la transmission des gènes contrôlant la couleur des ascospores d’A. immersus l’a conduit, avec son élève Pascal Lissouba, au concept d’unité polarisée de recombinaison génétique[17],[18] indiquant que les échanges entre les chromosomes pendant la reproduction sexuée impliquent des sites spécifiques. Ceci sera démontré physiquement 29 ans plus tard[19]. Ces études, poursuivies par l’équipe de son élève Jean-Luc Rossignol à Orsay (Université Paris XI), ont participé à l’élaboration des modèles moléculaires qui décrivent l’interaction entre les molécules d’ADN de chaque partenaire pendant la recombinaison génétique[20],[21]

Hyper-mutation et transposition modifier

Avec son élève Bernard Decaris, il a étudié chez A. immersus des phénomènes d’hyper-mutation, et caractérisé les premiers cas d’instabilité génétique dus à des transposons chez les champignons filamenteux [22].

Cytogénétique de la méiose modifier

En outre, il a toléré puis soutenu le développement d’une approche génétique de la méiose, initiée par son élève Denise Zickler en collaboration ultérieure avec Gérard Leblon. Cette étude, fondée d’abord sur la caractérisation de nombreux mutants de recombinaison, a permis, grâce au développement de la biologie moléculaire et d’une imagerie performante, de faire du champignon Sordaria macrospora un modèle d’étude des relations appariement/recombinaison[23],[24]

De manière remarquable, la plupart des problématiques soulevées par l’intuition de Georges Rizet, pour certaines il y a plus de 60 ans, sont encore au cœur de recherches actuelles.

Contribution au développement agronomique en Afrique modifier

Georges Rizet a joué un rôle important dans l’essaimage de la génétique en France, à la fois sur le plan de l’enseignement et sur celui de la recherche. Il a en outre, et bien avant le concept de développement durable, contribué à l’essor de recherches en vue de l’amélioration de l’agriculture locale à Madagascar, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Nommé en 1963 Conseiller Scientifique à l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSTOM), devenu l'Institut de recherche pour le développement (IRD), il a supervisé des travaux portant sur la génétique du coton et du café, avec le souci d’impulser un développement autonome de ces recherches en Afrique. Plusieurs thèses sont issues de cette collaboration et certains de ses élèves (notamment Pascal Lissouba et Bakary Touré) ont assumé des responsabilités importantes dans la recherche et l’enseignement supérieur dans l’ex Congo-Brazzaville et en Côte d’Ivoire.

Notes et références modifier

  1. « matchID - moteur de recherche des personnes décédées », sur deces.matchid.io (consulté le )
  2. Georges Rizet (1937) Phénomènes de toxicité et d’antitoxicité chez les Mucorinées. Mémoire présenté à la Faculté des Sciences de Caen pour l’obtention du Diplôme d’Études Supérieures de Sciences Naturelles (Botanique).
  3. Georges Rizet (1943) Recherches sur la Génétique des Ascomycètes. Étude expérimentale du Podospora anserina. Thèse d’État, Faculté des Sciences de l’Université de Paris.
  4. Rizet et Claude Engelmann (1949) Contribution à l’étude génétique d’un Ascomycète tetrasporé : Podospora anserina. Rev. Cytol. et Biol. Vég. XI, 201-304.
  5. Georges Rizet, Nicole Engelmann, Christiane Lefort, Pascal Lissouba et Jean Mousseau (1960). Sur un Ascomycète intéressant pour l’étude de certains aspects du problème de la structure du gène. C. R. Acad. Sc. Paris, 250, 2050-2052.
  6. Georges Rizet (1953). Sur l’impossibilité d’obtenir la multiplication végétative ininterrompue et illimitée de l’Ascomycète Podospora anserina. C. R. Acad. Sci. Paris, 237, 838-840.
  7. Denise Marcou (1961) Notion de longévité et nature cytoplasmique du déterminant de la sénescence chez quelques champignons. Annales des Sciences Naturelles. Botanique. 12e série, II, 4 : 653-764. Editeurs Masson et Cie.
  8. Eric Dufour, Jocelyne Boulay, Vincent Rincheval et Annie Sainsard-Chanet (2000) A causal link between respiration and senescence in Podospora anserina. Proc. Natl Acad. Sci. 97, 4138-4143.
  9. João F. Pasos, Thomas von Zglinicki, (2005) Mitochondria, telomeres and cell senenscence. Exp. Gerontology, 40 (6), 466-472.
  10. Georges Rizet (1953) Sur la multiplicité des mécanismes génétiques conduisant à des barrages chez Podospora anserina. C. R. Acad. Sci. Paris, 237, 666-668.
  11. Jean Bernet (1965) Mode d'action des gènes de "barrage" et relation entre l'incompatibilité cellulaire et l'incompatibilité sexuelle chez Podospora anserina. Annales des Sciences Naturelles. Botanique. 12ème série, VI, 4, 611-768. Editeurs Masson et Cie.
  12. Georges Rizet et Janine Schecroun (1959) Sur les facteurs cytoplasmiques associés au couple de gènes S-s chez le Podospora anserina. C. R. Acad. Sc. Paris, 249, 2392-2394.
  13. Janine Beisson-Schecroun (1962) Incompatibilité cellulaire et interactions nucléo-cytoplasmiques dans les phénomènes de "barrage" chez le Podospora anserina. Annales de Génétique, 3-50, L'expansion éditeur.
  14. Virginie Coustou-Linares, Marie-Lise Maddelein, Joël Bégueret, Sven J. Saupe (2001) In vivo aggregation of the HET-s prion protein of the fungus Podospora anserina. Mol. Microbiol. 42 (5), 1325-1335.
  15. Sven J. Saupe (2011) The [Het-s] prion of Podospora anserina and its role in heterokaryon incompatibility. Semin Cell Dev Biol 22(5):460–468.
  16. William Wan and Gerald Stubbs (2014) Fungal prion HET-s as a model for structural complexity and self-propagation in prions. PNAS, 111 :5201-5206.
  17. Pascal Lissouba et Georges Rizet (1960) Sur l’existence d’une unité génétique polarisée ne subissant que des échanges non réciproques. C.R. Acad. Sc. Paris, 250, 3408-3410.
  18. Pascal Lissouba, Jean Mousseau, Jean-Luc Rossignol et Georges Rizet (1962) Fine structure of genes in the Ascomycete Ascobolus immersus. Adv. Genetics 11, 343-380.
  19. Alain Nicolas, Douglas Treco, Neil P. Schultes et Jack W. Szostak (1989) An initiation site for meiotic gene conversion in the yeast Saccharomyces cerevisiæ. Nature 338, 35-39
  20. Jean-Luc Rossignol, Normand Paquette et Alain Nicolas (1978) Aberrant 4:4, disparity in the direction of conversion and frequencies of conversion in Ascobolus immersus. Cold Spring Harb. Symp. Quant. Biol. 43, 1343-1352.
  21. Jean-Luc Rossignol, Alain Nicolas, Hanafy Hamza and Thierry Langin (1984) The origin of gene conversion and reciprocal exchange in Ascobolus. Cold Spring Harb. Symp. Quant. Biol. 49, 13-21.
  22. Bernard Decaris, François Francou, Auguste Kouassi, Christiane Lefort and Georges Rizet (1981) Genetic instability in Ascobolus immersus: modalities of back-mutations, intragenic mapping of unstable sites, and unstable insertion. Preliminary biochemical data. Cold Spring Harb. Symp. Quant. Biol. 45, 509-517.
  23. Denise Zickler, Patrick Moreau, Ahn Dao Huynh and Anne-Marie Slézec (1992) Correlation between pairing initiation sites, recombination nodules and meiotic recombination in Sordaria macrospora. Genetics 132, 135-148.
  24. Aurora Storlazzi, Sylvana Gargano, Gwenaël Ruprich-Robert, Mathieu Falque, Michel David, Nancy Kleckner and Denise Zickler (2010) Recombination proteins mediate meiotic spatial chromosome organization and pairing. Cell 141, 94-106.

Liens externes modifier