Esope (informatique)

Esope est un projet de recherche lancé par l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, un établissement public à caractère scientifique et technologique, dans le cadre du plan Calcul, pour utiliser une mémoire virtuelle et un partage de ressources, afin de pallier le manque de composants électroniques et permettre un accès interactif simultanément par plusieurs utilisateurs.

Lancé en 1968 sous l'autorité du directeur de recherche à l'IRIA Henri Boucher, en liaison avec le développement de Multics au Massachusetts Institute of Technology (MIT)[1], le projet Ésope a duré jusqu’en 1972–1973[1].

Histoire modifier

Esope s'inspire du succès rapide en Europe de l'ordinateur américain Sigma 7, mis sous licence depuis la fin 1966 par Scientific Data Systems (SDS). L'une des six Directions de Recherche autonomes de l'IRIA, fondé en 1967 peu après le plan calcul lancé en fin 1966, s'appelle Structure et Programmation des Calculateurs. Son directeur Henri Boucher, débute ses recrutements au début 1968. Elle vise un système de calcul interactif (dit aussi conversationnel) permettant d'associer plusieurs utilisateurs. Il recrute deux ingénieurs de la Marine, Claude Kaiser et Sacha Krakowiak[2].

À la mi-1968, en pleine activité de recherche sur les systèmes d'exploitation, l'IRIA lance le projet Ésope ((Exploitation Simultanée d'un Ordinateur et de ses PEriphériques) autour d'un équipe de 4 personnes, Jacques Bétourné, Claude Boulenger, Claude Kaiser et Sacha Krakowiak, les deux dernières ayant travaillé sur la modélisation du sous-marin nucléaire. Au cours de cet été 1968, Esope travaille sur un ordinateur CAE 90-80 et la CII lui promet le futur 1007 dans au moins un an (ce sera un an et demi). Préférant ne pas attendre, l'équipe décide dès octobre 1968 de proposer à Henri Boucher de développer son propre système d'exploitation sur une maquette du 1007[2], version remaniée par la CII du Sigma 7, mis sous licence depuis la fin 1966 par Scientific Data Systems (SDS).

Au même moment, le CERA (Centre d'Études et de Recherches en Automatique), dépendant de l'école d'ingénieurs Sup'Aéro, tente depuis quelques mois la même chose, sous la direction de Jean-Paul Rossiensky et Vincent Tixier, le projet SAM[2]. Le gouvernement demande alors fusion avec le projet similaire de l'IRIA, mais c'est impossible car chacun des projets a déjà défini son propre langage d'assemblage[2]. Vers fin 1969 ou début 1970, la CII embauche les concepteurs du projet SAM qui ont quitté Sup' Aéro puis renoncé à SAM, afin de se concentrer sur une nouvelle version améliorée du 1007, l'Iris 80, annoncée au Sicob de septembre 1969 et sur laquelle a aussi travaillé l'IRIA, avec des fonctionnalités qui monteront jusqu'à 4 processeurs simultanés.

L'équipe Esope a proposé dès la fin 1968 d'utiliser une mémoire virtuelle, pour pallier le manque de composants[2]. Elle met en route un partage de ressources, avec une pagination à la demande, ce qui a l'avantage de permettre un accès interactif simultanément par plusieurs utilisateurs. Elle capitalise sur les recherches sur les "systèmes d'exploitation en temps réel" de Claude Kaiser, faites d'abord à temps partiel, à la même époque, en 1969 et 1970 avec l'aval du Service Technique des Constructions et Armes Navales pour qui il travaille alors, sous la direction d'Henri Boucher[2].

Toujours en 1969, elle invite le CEA et EDF pour une école d'été à laquelle sont invités des enseignants comme E.W. Dijkstra, B. Randell, H. Whitfield.

Début 1969, l'équipe Esope entre en contact chez Bull avec André Bensoussan, un des concepteurs du système d'exploitation du futur HB 64 rencontrés dans des congrès. Ce dernier rend possible en 1969 une visite auprès de l'équipe de Multics, ancêtre d'Unix, un projet lancé en 1964 par le MIT avec les Laboratoires Bell, qui s'en retirèrent la même année , tandis que le 3e partenaire, General Electric vendit en 1970 son département informatique à Honeywell. En 1969, André Bensoussan, qui travaille pour Bull, alors filiale de GE, accueille au Massachusetts Institute of Technology (MIT) Claude Kaiser et Sacha Krakowiak à l'occasion de la visite aux États-Unis organisée par la délégation générale à l'informatique[3], d'une équipe menée par Alain Montpetit[3], adjoint de Maurice Allègre, et chargée d'étudier les projets des étudiants informatique américains financés par le Ministère de la Défense américain.

Les chercheurs d'Esope ont ensuite participé à la deuxième conférence sur les principes des systèmes d'exploitation avec ceux de Multics, comme Fernando Corbató et Jack Dennis, à l'Université de Princeton[1].

L'effectif d'Esope est toujours au complet et renforcée quand est annoncé le 3 août 1971 le second plan Calcul. Son travail se concentre sur les problèmes découlant de l'augmentation de puissance et de quantités de données traitées. Il fait rapidement l'objet de plusieurs publications internationales de Claude Kaiser en 1970 et 1971 puis de la thèse d'État du même Claude Kaiser en 1973.

À partir de 1971-1972, la CII oppose cependant un refus courtois à toute collaboration approfondie avec Esope, malgré les bonnes relations personnelles ave l'équipe Esope de ses concepteurs de systèmes, comme Alan Woodcock. En 1971-1972, la CII est en effet à la fois très impliquée dans les projets Cyclades et Unidata, qui peuvent lui faire réaliser à moyen terme d'importantes économies d'échelle et met l'accent sur la propriété industrielle de son premier ordinateur 100% CII, l'Iris 80.

Alan Woodcock est la passerelle entre les deux équipes, car il est occupé à la conception de la version C10 du système Siris 8 de l'IRIS 80[2],[4], en vue relever les limitations d'adressage du Siris 7 de la 10070, limité à des programmes de moins de 128 Kmots de mémoire virtuelle. Les résultats obtenus par les recherches d'Esope lui ont été transférés. Début 1972, le système Ésope servait 16 terminaux[1].

L'équipe a eu pratiquement carte blanche pendant 3 ans, pour travailler à plein temps sur Esope, sans guère de contraintes administratives mais elle est ensuite dispersée après le changement de direction à l'IRIA de juillet 1972 : départ en octobre 1972 de Bétourné et de Mossière, même si une certaine activité se poursuivit pendant un an autour d'Esope. À la mi-1973 Sacha Krakowiak part rejoindre Jacques Mossière[1], son équipier d'Esope à l'Université de Grenoble où dès 1967 avait été créé un centre scientifique IBM[1], fermé en 1974, qui avait été entre temps remplacé par un centre CII comptant une quinzaine d’ingénieurs[1].

En 1974, l'arrêt du projet Esope est décidé sans consultation ni expertise sérieuse[réf. nécessaire], malgré le succès du symposium sur les systèmes d'exploitation qui réunit 200 personnes à l'IRIA en avril 1974, dont de nombreux ingénieurs et chercheurs étrangers. Cette décision a soulevé des doutes sur la péréNnité des objectifs du Plan Calcul, alors lui aussi supprimé par l'autorité politique, en matière de transfert de résultats de recherche vers l'industrie[2]. Les années 1974-80 voient ensuite aussi le gel des postes et des bourses doctorales, tout comme l'arrêt des acquisitions de matériel indispensables aux chercheurs.

Notes et références modifier

  1. a b c d e f et g D'Ésope à Sirac, de Paris à Grenoble - Entretien avec Sacha Krakowiak [1]
  2. a b c d e f g et h Ésope : une étape de la recherche française en systèmes d'exploitation (1968-72) par Jacques Bétourné, Jean Ferrier, Claude Kaiser et Sacha Krakowiak
  3. a et b Le Réseau Cyclades et Internet : quelles opportunités pour la France des années 1970 ?, par Valérie Schafer. Professeur agrégée, doctorante à l'Université de Paris IV-Sorbonne, Comité d'histoire du Ministère des Finances, Séminaire Haute Technologie du 14 mars 2007, pages 2–4 [2]
  4. Le parcours et les travaux de recherche de Claude Kaiser ? Compléments au curriculum viate de C. Kaiser (Synthèse) sur le site internet du CNAM