Curtana

épée légendaire du chevalier Ogier le Danois

Curtana, également connue sous le nom d'épée de Miséricorde, est une épée de cérémonie utilisée lors du couronnement des rois et reines britanniques. Elle fait partie des joyaux de la Couronne du Royaume-Uni. Sa pointe est émoussée et carrée pour symboliser la miséricorde.

Curtana

Si l'épée actuelle a été fabriquée au XVIIe siècle, on lui prête des antécédents légendaires : elle aurait pour certains été ceinte par le dernier roi d'Angleterre anglo-saxon Édouard le Confesseur, pour d'autres été l'épée de Tristan puis d'Ogier dans la Matière de France.

Description

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L'épée mesure 96,5 cm de longueur et 19 de large au niveau de la poignée. Quelque 2,5 cm manquent à l'extrémité. Curtana a une pointe carrée. Son extrémité était autrefois dentelée comme le serait une lame brisée, mais a été rectifiée[a][3]. La lame, en acier, est décorée d'un « loup courant » qui tire son origine de la ville de Passau, en Basse-Bavière, en Allemagne[4]. La poignée est en fer doré, avec une fusée de bois entourée de fil. Le fourreau est en cuir rehaussé de velours cramoisi à broderie dorée[5] ; il a été changé à plusieurs reprises depuis le XVIIe siècle, l'actuel datant de 1937[6].

Dans les cortèges elle côtoie deux autres épées, qui ont elles conservé leur pointe : l'une très pointue symbolise la justice temporelle ; l'autre plus obtuse la justice spirituelle[b],[9].

Histoire

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Dynastie angevine

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Le nom Curtana ou Curtein (du latin Curtus, qui signifie « court »[10],[11]) apparaît pour la première fois dans les récits du couronnement de la reine Éléonore de Provence en 1236, lors de son mariage avec Henri III d'Angleterre. Sous le nom de Curtana elle est mentionnée dans le Livre rouge de l'Échiquier (Red Book of the Exchequer) comme l'une des trois épées utilisées dans les services[12]. La Chronique de Matthew Paris la nomme Curtein et l'identifie à l'épée d’Édouard le Confesseur[13].

Curtana est peut-être la même que l'épée dite « de Tristram », conservée dans le regalia selon les premiers registres de la dynastie angevine (en)[14] : un brevet de 1207 atteste que le roi Jean sans Terre délivre cette année-là un reçu pour deux épées, « à savoir l'épée de Tristram » ( scilicet Tristrami ) et une autre[14],[15]. Toute relique crédible prétendant être l'épée de Tristram devait nécessairement être cassée, puisque dans la légende Tristan brise la pointe de son arme en la logeant dans le crâne de Morholt[13]. Bien que cette arme n'ait pas de nom dans les premiers romans de Tristan et Iseult, dans le Tristan en prose (1230-1235 et 1240[16]), l'épée brisée de Tristan échoit à Ogier le Danois (l'un des paladins de Charlemagne), qui la nomme Cortain. Cette ressemblance est considérée comme probante[c] par ceux qui comme Roger Sherman Loomis soutiennent que Curtana a appartenu à Tristan[19], mais d'autres historiens comme Edith Ditmas contestent la pertinence de l'argument[20],[d],[24].

Il a également été suggéré que le nom de l'épée du régalia Curtana aurait pu être emprunté directement à l'épée d'Ogier Cortain, qui est également orthographiée Cortana ou Curtana dans les interprétations italiennes[25].

Datation

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L'épée originale ne peut être datée et les opinions des commentateurs diffèrent. Selon Matthew Paris et après lui James Planché[26], l'épée est déjà celle d'Édouard le Confesseur (qui règne de 1042 à 1066). D'autres comme Edith Ditmas écartent cette hypothèse : il est exact que des objets du trésor d'Angleterre proviennent de la tombe d’Édouard, mais aucune épée ne figure dans cette liste[19][e].

Martin Aurell suggère dans sa New Interpretation que l'épée a été offerte par Henry II à son fils Jean sans Terre, lors de son investiture à la seigneurie d'Irlande (1177)[23]. Matthew Strickland estime qu'elle sert lors des couronnements d'Henri le Jeune en 1154 et 1170[28]. On sait qu'au couronnement de Richard Cœur de Lion « trois épées royales (...) du trésor du roi », aux fourreaux recouverts d'or, sont portées par trois comtes dans le cortège[f],[30].

Porte-épée officiel

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Jusqu'au XIVe siècle, la charge de porter l'épée devant le monarque lors des couronnements échoit au comte de Chester. Aujourd'hui, ce privilège revient à un pair de haut rang choisi par le roi[3]. Lorsqu'elle n'est pas utilisée, l'épée est exposée avec les autres joyaux de la couronne dans la Tour de Londres[4].

Épée de miséricorde

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La signification attribuée à Curtana et aux deux autres épées de couronnement britanniques a changé au fil du temps. Les premières sont attribuées sous Henri IV[g] : Curtana représente alors « l'épée de justice »[h],[32]. Plus tard — en tout cas avant le couronnement de Henri VI (roi d'Angleterre) — on évoque sa pointe émoussée pour en faire le symbole de la miséricorde[i],[32],[4].

Reproduction de Curtana au XVIIe siècle

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Longtemps, une nouvelle épée est fabriquée pour chaque couronnement[4],[j]. L'actuelle est fabriquée entre 1610 et 1620, probablement par Robert South, membre de la Worshipful Company of Cutlers, et est utilisée quand Charles Ier monte sur le trône en 1626[34]. Sa lame a été forgée dans les années 1580 par les forgerons italiens Giandonato et Andrea Ferrara et importée d'Italie en Angleterre[k].

Avec les autres objets symboliques de ce couronnement, elle est conservée à l'abbaye de Westminster[6] et c'est, avec deux épées de justice et la cuillère de couronnement, l'une des rares pièces des joyaux de la couronne à avoir survécu à la guerre civile anglaise, après avoir été vendue à Roger Humphreys pour 5 £ en 1649. Ces épées sont utilisées pour tous les couronnements depuis celui de seur Jacques II en 1685 (mais on ignore si son prédecesseur Charles II s'en sert).

Notes d'explication

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  1. Comparer le croquis par Edward Walker de l’épée originale utilisée pour la réplique de Charles II[1] à la gravure de Francis Sandford[2].
  2. Legg crédite H.A. Wilson pour la compréhension de l'angle "obtus". La différence d'angles est très clairement visible sur les gravures de Francis Sandford[2]. En comparaison, voir les photographies actuelles de la lame nue[7],[8].
  3. Loomis soutient que l'auteur de la Prose sait à l'évidence que l'épée anglaise est celle de Tristan[17],[18] alors même que les Anglais l'auraient oublié, aveuglé par la connexion de l'épée avec celle d'Édouard le Confesseur[17] ce même si ce lien avec l’épée d’Édouard était fallacieux, puisqu’il n’y avait aucune trace de l’épée de celui-ci ait jamais été récupérée[19].
  4. Ditmas ne considérait pas les Anglais comme si oublieux. Elle estimait que les auteurs anglais, comme le chroniqueur Matthew Paris, avaient sûrement entendu parler de l’épée d’Ogier Cortain[21], et que l'épée anglaise avait été nommée Curtana en adoptant la tradition que l’épée de Tristan est devenu la Cortain d’Ogier[22]. De son point de vue, c'est la tradition du regalia qui a racheté la légende, et non l'inverse.
  5. Quand la tombe de Saint Édouard est ouverte en 1102, sa couronne, sa bague, son sceptre et ses sandales en sont retirés et confiés à l'abbaye de Westminster[27].
  6. La chronique de Roger de Hoveden évoque les tres gladios Regios (trois épées royales). Hoveden est « plus complet » et « presque contemporain » comparé aux autres chroniqueurs, produisant le « premier compte-rendu détaillé » d'un couronnement anglais[29].
  7. Henri IV, comme comte de Derby, a aussi porté l'épée[31].
  8. Elle était employée avec « lespee de leglise » d'après les Chroniques de Jean de Wavrin, selon Legg.
  9. Legg (p. xxv, note 2) rapporte un récit du couronnement de Henri VI par Ms. Harg. (497, folio 30), mais celui-ci ne clarifie pas si Curtana est ou non l'Épée de miséricorde. Page 193 il indique que cette signification est mentionnée dans le folio 29 du même manuscrit mais n'en recopie pas le texte.
  10. Aux temps de Richard II l'épée était partie intégrante du regalia[33].
  11. Au moins depuis 1950 on a remarqué que la lame de Curtana porte une marque en forme de loup, tout comme l'épée de la Justice temporelle. On pouvait distinguer sur l'épée de la Justice spirituelle une inscription à demi-effacée qui pourrait être « Andrea Ferrara »[35],[36].

Références

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  1. Loomis, 1922, Fig. C.
  2. a et b Sandford (1687), p. 36.
  3. a et b George Younghusband et Cyril Davenport, The Crown Jewels of England, Cassell & Co., (ASIN B00086FM86, lire en ligne), p. 38
  4. a b c et d Kenneth J. Mears, Simon Thurley et Claire Murphy, The Crown Jewels, Historic Royal Palaces, (ASIN B000HHY1ZQ, lire en ligne), p. 9
  5. (en) « Zandona Ferrara (active c. 1600) - The Sword of Mercy », sur www.rct.uk (consulté le )
  6. a et b Anna Keay, The Crown Jewels, Thames & Hudson, , 204 p. (ISBN 978-0-500-51575-4, lire en ligne), p. 30
  7. (en) « Zandona Ferrara (active c. 1600) - The Sword of Spiritual Justice », sur www.rct.uk (consulté le )
  8. (en) « Zandona Ferrara (active c. 1600) - The Sword of Temporal Justice », sur www.rct.uk (consulté le )
  9. Legg, 1902, page XXV
  10. Concise English Dictionary, Wordsworth Editions, , 1093 p. (ISBN 978-1-84022-497-9, lire en ligne), p. 221
  11. Sir James Augustus Henry Murray, Henry Bradley, Sir William Alexander Craigie et Charles Talbut Onions, Oxford English Dictionary, vol. 2, (lire en ligne), p. 1277
  12. Legg (1901), p. xxiii, 58, 62 (trans.).
  13. a et b Loomis (1922b).
  14. a et b Loomis (1922a).
  15. Ditmas (1966a).
  16. Curtis, Renée L. (trans.), ed. (1994), The Romance of Tristan, Oxford, p.xvi (ISBN 0-19-282792-8).
  17. a et b Loomis, 1922a, page 29 et Loomis, 1922b, page 59
  18. Emma Mason, The Hero's Invincible Weapon : an Aspect of Angevin Propaganda, Christopher Harper-Bill et Ruth Harvey, , 180 p. (ISBN 978-0-85115-265-3, lire en ligne)
  19. a b et c Ditmas (1966a), p. 92–93.
  20. Ditmas (1966b).
  21. Ditmas (1966b), p. 125.
  22. (en) Mark Pearce, « The Spirit of the Sword and Spear », sur PDF, Cambridge Archaeological Journal. 23 (1): 56,
  23. a et b Aurell, Martin (2007). Harper-Bill, Christopher; Vincent, Nicholas (eds.). Henry II and Arthurian Legend. Henry II: New Interpretations. Boydell Press. p. 373. (ISBN 9781843833406).
  24. Cf. aussi Martin Aurell[23].
  25. Arthur Taylor, The Glory of Regality : An Historical Treatise of the Anointing and Crowning of the Kings and Queens of England, R. and A. Taylor, , 72–74 p. (lire en ligne)
  26. James Robinson Planché, A Cyclopaedia of Costume Or Dictionary of Dress, Chatto and Windus, , 157–158 p. (lire en ligne)
  27. Matthew Strickland, Henry the Young King, 1155-1183, Yale University Press, , 416 p. (ISBN 978-0-300-21955-5, lire en ligne), p. 57
  28. Strickland (2016).
  29. Legg (1901), p. 46.
  30. Legg (1901), p. xxv, 51, 52; 48, 49.
  31. Legg (1901), p. 132, 146, 150, 167.
  32. a et b Legg (1901), p. xxv, 193.
  33. Legg (1901), p. xli–xlii.
  34. Roy Strong, Coronation : From the 8th to the 21st Century, Harper Perennial, , 556 p. (ISBN 978-0-00-716055-6, lire en ligne), p. 268
  35. Office of Works and Public Buildings, Ancient monuments and historic buildings, vol. 2, (lire en ligne)
  36. Bruce Stirling Ingram, Coronation Number, Queen Elizabeth II, , 22, 24

Bibliographie

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