Clavier à lumières

Le clavier à lumières, ou « Luce », tel qu'il apparaît dans la partition, est un instrument de musique inventé par Alexandre Scriabine pour l'exécution de son œuvre Prométhée ou le Poème du feu. En pratique, une seule version de cet instrument a été construite, pour l'interprétation de Prométhée à New York, en 1915[1]. L'instrument devait être un clavier, chaque note correspondant à une couleur selon le système synesthésique de Scriabine, indiqué dans la partition[2]. Cependant, de nombreux chercheurs en synesthésie ont émis des doutes quant au fait que Scriabine était réellement synesthète[3],[4].

Organisation modifier

La partition du « Luce » est notée sur une portée en clé de sol en deux parties, l'une suivant l'échelle chromatique, l'autre suivant le cycle des quintes.

Scriabine assigna les couleurs aux touches de la façon suivante:

 
Associations touches-couleurs.
Selon l'échelle chromatique
note couleur
do rouge vif
do # violet ou pourpre
jaune
ré # chair
mi azur
fa rouge sombre
fa # bleu clair ou violet
sol orange
sol # violet ou lilas
la vert
la # lie de vin
si bleu nacré

Lorsque les notes sont ordonnées selon le cycle des quintes, l'ordre des couleurs forme un spectre, ce qui a conduit de nombreux chercheurs en synesthésie à avancer que Scriabine n'a pas expérimenté la condition physiologique de la synesthésie (synesthésie neurologique, de naissance)[5]. De plus, il a été argumenté que ces associations de couleurs ont été influencées par ses lectures théosophiques[6] et fondées sur l'ouvrage "Opticks" d'Isaac Newton, cité par Louis Bertrand Castel[7].

 
Les tons réordonnés selon un cycle des quintes forment un spectre.
Selon le cycle des quintes
note couleur
fa rouge sombre
do rouge vif
sol orange
jaune
la vert
mi azur
si bleu nacré
fa # bleu clair ou violet
do # violet ou pourpre
sol # violet ou lilas
ré # chair
la # lie de vin

Scriabine était un ami de Nikolai Rimsky-Korsakov, qui était lui-même synesthète. Les associations couleurs-notes de Scriabine n'étaient pas les mêmes que celles que Rimsky-Korsakov percevait, ce qui n'indique cependant pas que Scriabine n'était pas synesthète, dans la mesure où chaque synesthète utilise ses propres associations. Scriabine était également fortement influencé par la théosophie, qui associe également notes et couleurs (en parcourant le spectre visible du fa au la, plutôt que par quintes).

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Kenneth John Peacock, Alexander Scriabin's Prometheus: Philosophy and Structure, Ph. D. University of Michigan, 1976.

Sources modifier

Liens externes modifier

Références modifier

  1. (en) Henry Chapin Plummer (avril 1915), « Colour Music - A New Art Created With the Aid of Science: The Colour Organ Used in Scriabine's Symphony Prometheus ». Le scientifique américain Plummer décrit en détail le design et la technologie utilisés pour produire l'instrument.
  2. (en) Robert Cummings, « Symphony No. 5 in F sharp major for piano, organ, chorus & orchestra (Prometheus, Poem of Fire), Op. 60 » : « dans la partition, il indique que certaines couleurs doivent inonder la salle de concert lors de l'interprétation de la pièce ».
  3. (en) John Harrison (2001), Synaesthesia: The Strangest Thing, (ISBN 0-19-263245-0). « En fait, il y a un doute considérable quant à la légitimité de l'affirmation de Scriabine, ou plutôt des affirmations faites à son égard » (p.31-32).
  4. (en) B.M. Galeyev, I.L. Vanechkina (2001), Was Scriabin a Synesthete?. « Les auteurs concluent que la nature des analogies notes-couleurs de Scriabine était associative, c'est-à-dire physiologique ; par conséquent, la croyance existante que Scriabine était un synesthète particulier, unique, qui voyait réellement les sons produits par la musique - qui avait véritablement une capacité pour les sensations coordonnées - est mise en question. »
  5. (en) Richard E. Cytowic, David M. Eagleman (2009), Wednesday Is Indigo Blue: Discovering the Brain of Synesthesia (avec une postface de Dmitri Nabokov), Cambridge: MIT Press, (ISBN 978-0-262-01279-9), p.309.
  6. (en) Kevin T. Dann (1998), Bright colors falsely seen: synaesthesia and the search for transcendental knowledge, New Haven, Conn: Yale University Press, (ISBN 0-300-06619-8).
  7. (it) Benedetta Saglietti (2012), « Dal Clavecin Oculaire di Louis Bertrand Castel al Clavier à Lumières di Alexandr Skrjabin » in Metamorfosi dei Lumi 6, p.187–205. « En Europe, Scriabine rencontra le peintre Jean Delville, qui lui suggéra d'étudier les écrits de Castel. »