Cycle des quintes

relation entre les tonalités en théorie de la musique

En théorie de la musique, le cycle des quintes est une représentation géométrique montrant la relation entre les douze degrés de l'échelle chromatique, leurs altérations correspondantes et la tonalité majeure ou mineure associée.

Cycle des quintes (sens horaire) et des quartes (sens antihoraire)

Histoire

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Fondements introductifs

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Le signal périodique se reproduit à intervalles réguliers. Pour le LA 440Hz, T=2.2 millisecondes

Le concept de son repose sur les propriétés physiques de la matière qui comme l'air ou la corde propage le son comme une surface d'eau propage une vague. Les scientifiques parlent d'onde ou de signal périodique, et en particulier d'onde sonore.

Pour les scientifiques, le concept de notes de musiques repose sur la fréquence du signal c'est-à-dire le nombre de variation par unité de temps. Par exemple, la note La 440 a une fréquence de 440 Hz, ce qui signifie que son signal se répète 440 fois par seconde[1].

La notion d'accord musical repose sur ce que les musiciens appellent "intervalle" qui sont en science des rapports particuliers de fréquences entre deux notes. Les intervalles les plus simples reposent sur les rapports ou fractions les plus simples. En particulier l'intervalle appelé octave repose sur un rapport de 2 entre les fréquences, tandis que l'intervalle appelé quinte repose sur un rapport de 3/2[note 1]. Par exemple, un La 440 (dont la fréquence est 440 Hz) formera un intervalle d'octave avec une autre note dont la fréquence sera 440×2=880 Hz tandis qu'elle formera un intervalle de quinte avec une autre note dont la fréquence sera 440×3/2=660 Hz.

Découvertes antiques

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Les premiers textes décrivant l'utilisation d'accords remontent aux Babyloniens, vers le IIe millénaire av. J.-C.[2] Le fait d'accorder par quintes (dit accordage pythagoricien) date de la Mésopotamie antique[3] (voir Théorie musicale mésopotamienne), bien que les gammes mésopotamiennes étaient limitées à sept notes, et non étendues à des gammes de 12 notes. La méthode de superposition des quintes est ainsi la plus ancienne manière d'accorder les instruments à sons fixes[4].

Pythagore a fondé les bases de l’harmonique en découvrant que la musique s’articule autour de rapports algébriques[5]. Il a mis en évidence le principe des quintes, grâce auquel on élabore les gammes pythagoriciennes. Certaines sources laissent entendre que le cercle des quintes était connu dans l'antiquité par Pythagore[6],[7]. C'est une mécompréhension anachronique[8].

Le comma pythagoricien fut calculé par Euclide et des mathématiciens chinois (dans l' Huainanzi). Il était donc connu dans l'antiquité qu'un cycle de douze quintes ferait presqu' exactement sept octaves. Mais cette connaissance théorique ne fut pas utilisée pour construire une gamme de douze notes se répétant d'octave en octave, ni pour moduler. Cela ne vint qu'avec le tempérament mésotonique et le tempérament égal. Ces nouveaux tempéraments permirent la modulation tout en restant accordé, mais ils ne se développèrent pas en Europe avant l'an 1500 environ.

Formalisation

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Le cercle des quintes de Nikolaï Diletsky dans Idea grammatikii musikiyskoy, Moscou, 1679
Majeur
Mineur
Do♯
Sol♯
Ré♯
Si♭
Fa
Do
Sol
La
Mi
Si
Si♭
Fa
Do
Sol
La
Mi
Si
Fa♯
Do♯
Sol♯
Ré♯
Cercle musical de Heinichen (en allemand: Musicalischer Circul) (1711). Les gammes majeures (notés dur) et mineures (notés moll) sont adjacentes (Do majeur à côté du Ré mineur) selon une logique désuète[note 2]

Le cercle des quintes a été développé vers la fin du XVII et du XIIIème siècle, pour théoriser les modulations de l'époque Baroque.

Le premier cercle des quintes apparaît dans Grammatika (1677) du compositeur et théoricien Nikolay Diletsky, qui présente la théorie musicale comme un outil de composition[9]. Il s'agit du premier ouvrage de théorie musicale destiné à enseigner à une audience russe comment écrire des compositions polyphoniques de style occidental.

Un diagramme en cercle de quintes a été indépendamment développé par le compositeur et théoricien allemand Johann David Heinichen dans son Neu erfundene und gründliche Anweisung (1711)[10], qu'il appela "cercle musical" (en allemand: Musicalischer Circul)[11],[12]. Ce diagramme fut aussi publié dans son Der General-Bass in der Composition (1728). Sur ce cercle musical de Heinichen, les gammes mineures sont placées entre les gammes majeures, ce qui ne reflète pas les proximités réelles entre les gammes.

Plusieurs théoriciens de la musique, notamment Johann Mattheson (1735), ont proposé des représentations alternatives pour résoudre ce problème de proximité. David Kellner (de) (1737) propose de représenter les gammes majeures sur un cercle, et les mineures relatives sur un autre, à l'intérieur. Les relations entre les gammes ont ensuite été développées dans des espaces harmoniques (en) qui théorisent également les relations entre gammes majeures et mineures[13].

Terminologie

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L'intervalle de quinte pure était considéré comme le plus consonant après l'octave, en raison de son rapport numérique simple (2/3) sur le monocorde, durant l'Antiquité[4]. On parle de cycle de quinte dans la mesure ou, dans une gamme tempérée la succession de quintes permet de construite une gamme pour atteindre l'octave.

Le quinte pure ou quinte exacte pour l'intervalle entre deux notes dont le rapport des fréquences est trois demis 3/2. Par opposition, dans les gammes tempérées, une quinte est formée par l'intervalle de 7 demis-tons ou trois tons et demi présents entre deux notes, et le rapport de fréquences entre ces deux notes n'est pas forcément de 3/2.

On parle d'intonation juste, système d'intonation musicale dans lequel, en principe, tous les intervalles, en particulier toutes les consonances, sont justes. Cet idéal est cependant utopique et l'expression « intonation juste » désigne plutôt un système d'intonation vocale ou instrumentale (ou un système d'accordage) combinant des quintes justes et des tierces justes en nombre nécessairement limité. Le mot « juste », utilisé dans ce sens depuis le début du XVIIIe siècle au moins, désigne des consonances parfaites, correspondant en théorie à des rapports de fréquence simples, 2/1 pour l'octave, 3/2 pour la quinte, 4/3 pour la quarte, 5/4 pour la tierce majeure et 6/5 pour la tierce mineure – appelées communément consonances « pures ». On notera qu'il s'agit de tous les rapports qui peuvent se construire avec les nombres de 1 à 6.

La méthode de superposition des quintes permet de construire une gamme chromatique[14]. Elle a été en usage jusqu'à la fin du Moyen Âge[15]. Depuis, la gamme utilisée dans la musique occidentale est principalement la gamme tempérée, qui n'a aucune quinte pure mais qui évite ainsi de comporter une quinte du loup dissonante et inutilisable en musique tonale.

Les noms des intervalles sont construits à partir des distantes entre les notes dans une gamme diatonique telle que do, , mi, fa, sol, la, si, do. En particulier la quinte, dont le nom vient du latin quintus signifiant "cinquième", est l'intervalle entre la première note de la gamme, do, et la cinquième note, sol. De même l'octave, dont le nom vient du latin octavus signifiant huitième, est l'intervalle entre la première note de la gamme, do, et la huitième note, do[note 3].

Le nom de quinte vient donc de la gamme diatonique, elle-même construite à partir du cycle des quintes. Historiquement c'est d'abord la gamme diatonique qui a été construite à partir d'intervalles consonants, et cette gamme a ensuite été utilisée pour donner à ces intervalles le nom de quinte.

Structure

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Dans la gamme tempérée, en commençant par une note quelconque et en montant par intervalles de quintes justes, on passe par toutes les notes de la gamme chromatique tempérée avant de retomber sur une octave de la note initiale[note 4].

Comme cet espace est circulaire, il est aussi possible de le parcourir en sens inverse : l'intervalle entre chaque note est alors une quarte juste (le renversement de la quinte juste). Le cycle des quintes est donc aussi un cycle de quartes.

Construction et utilisation

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Où se situe l'altération ajoutée à l'accord suivant ? Dans le sens horaire, le dièse supplémentaire est placé sur la quarte ; dans le sens antihoraire, le bémol supplémentaire est placé sur la septième.

Ce cercle est souvent utilisé pour représenter les relations entre les échelles diatoniques. Sur le schéma à droite, en choisissant une note pour tonique, le chiffre indiqué sur le cercle correspond au nombre d'altérations (de dièses ou de bémols) de l'armure correspondante.

En haut du cercle, indiquées par un bécarre ( ) sont situées les gammes de do majeur et la mineur ; elles n'ont ni dièse ( ), ni bémol ( ) à l'armure (pas d'altération). À chaque rotation dans le sens horaire, on ajoute un dièse à l'armure, selon le cycle des quintes, soit dans l'ordre fa, do, sol, ré, la, mi, si. Par contre, à chaque rotation dans le sens antihoraire, on ajoute un bémol à l'armure dans l'ordre inverse, soit le cycle des quartes, ce qui donne, si, mi, la, ré, sol, do, fa. Le nom des gammes correspondantes suit également ces deux ordres.

Exemple :

  • pour les gammes suivant le do majeur et la mineur dans le sens horaire, soit le sol majeur et mi mineur, sur le cycle des quintes, on ajoute la première altération, soit un fa   ;
  • dans le sens antihoraire, on décale selon le cycle des quartes, soit fa majeur et ré mineur, on ajoute, toujours suivant ce même cycle, en partant de la première note, un si  .

Pour passer d'une gamme majeure à la gamme homonyme mineure, il faut tourner de 3 notes dans le sens antihoraire, et donc, pour passer d'une gamme mineure à la gamme homonyme majeure, de trois notes dans le sens horaire. Cela fait trois altérations de différence entre les deux gammes: dièses en plus ou bémols en moins pour passer à la gamme majeure ou bien bémols en plus ou dièses en moins pour passer à la gamme mineure.

Exemple :

  • la gamme de sol majeur comporte un dièse dans son armure, tourner de trois crans dans le sens antihoraire donne le sol mineur, comportant deux bémols et le dièse devient bécarre ;
  • la gamme de ré mineur comporte un bémol à son armure, tourner de trois crans dans le sens horaire donne le ré majeur, comportant deux dièses et le bémol devient bécarre.

Il n'est pas rare dans les compositions classiques et même dans les chansons contemporaines d'avoir cette modulation entre tonalités homonymes mineures et majeures à l'intérieur d'un même morceau.[16]

Autres systèmes

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Dans les systèmes d'accord non tempérés, la suite des quintes ne forme pas un cycle, on utilise alors une spirale plutôt qu'un cercle pour la représenter.

Dans le système de musique tonale, le cycle de quintes est à même la structure de base et est essentiel à son fonctionnement. L'enchaînement dominante-tonique en est le couple moteur et le reste du cycle de quintes est issu de son imitation. L'enchaînement des degrés I-IV-VII-III-VI-II-V-I parcourt le cycle de quintes dans un geste tonal, tandis que l'enchaînement inverse, rétrograde représente le cycle plagal.

Notes et références

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  1. Les noms de ces intervalles viennent de la gamme diatonique, prépondérante en musique occidentale, et n'ont pas de relation directe avec ces rapports de fréquences; voir la section Terminologie.
  2. La notation utilisée est la notation germanique, dans laquelle le si♭ est noté b tandis que le si♮ est noté h
  3. Le fait que deux notes formant une octave portent le même nom, par exemple ici do, peut prêter à confusion. Il s'agit bien de deux notes différentes, la fréquence de la seconde note étant 2 fois plus grande que celle de la première note.
  4. Si le rapport de fréquences entre les quintes est bien d'exactement 3/2, alors ce principe est faux, résultant en une dissonance entre la douzième quinte et la septième octave appelée quinte du loup. C'est pour résoudre cette dissonance et permettre au cycle de retomber exactement sur une octave de la note initiale que plusieurs méthodes d'accordage, appelées tempéraments, existent.

Références

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  1. Commission électrotechnique internationale, « Acoustique et électroacoustique : Termes généraux - Son pur », dans IEC 60050 Vocabulaire électrotechnique international, 1987/1994 (lire en ligne), p. 801-21-05
  2. (en) M.L. West, « The Babylonian Musical Notation and the Hurrian Melodic Texts », Music & Letters, vol. 75, no 2,‎ , p. 161-179 (lire en ligne).
  3. Richard J. Dumbrill, The archaeomusicology of the Ancient Near East, Victoria, B.C., , 18 p. (ISBN 978-1412055383)
  4. a et b (fr) Frédéric Platzer, Abrégé de Musique, Ellipses, 1998, (ISBN 2-7298-5855-5), p. 63-65.
  5. Pilhofer, Michael. et Jollet, Jean-Clément., Le solfège pour les nuls, Éditions First, (ISBN 978-2-7540-0586-9 et 2-7540-0586-2, OCLC 496004629, lire en ligne)
  6. « The Circle of Fifths Complete Guide! »,
  7. « Dummies - Learning Made Easy »
  8. Peter A. Frazer, The Development of Musical Tuning Systems, , 9, 13 (lire en ligne [archive du ])
  9. Jensen 1992, p. 306–307
  10. Johann David Heinichen, Neu erfundene und gründliche Anweisung (1711), p. 261
  11. Barnett 2002, p. 444.
  12. Lester 1989, p. 110-112.
  13. Fred Lerdahl, Tonal Pitch Space., New York, Oxford University Press, , 42 p. (ISBN 0195178297, lire en ligne)
  14. (fr) Ulrich Michels, Guide illustré de la musique, Fayard, 1988, (ISBN 2-213-02189-9), p. 89.
  15. https://www.physinfo.org/chroniques/modalite.html - Modalité musicale et arithmétique modulaire in MATHS & PHYSIQUE DIGITALES, MUSIQUES RARES ET/OU CONTEMPORAINES, La Théorie de l'Information, langage de la Science, Musiques hors des sentiers battus
  16. La Mazurka de Chopin opus 67 n°4 est en la mineur et a un développement en la majeur, les couplets de "Chanson populaire" de Claude François sont en fa mineur tandis que le refrain est en fa majeur.

Voir aussi

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Articles connexes

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Lien externe

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