Willi Pape, également connue sous les noms de Willy Pape, Voo-Doo et Selma Brügge[1], est une célèbre propriétaire et artiste de cabaret dans le Berlin de la république de Weimar, née le 7 octobre 1891 et morte le 20 février 1940. À l'époque elle est qualifiée de « travesti ».

Willi Pape
Photographie de Willi dans Les Travestis.
Biographie
Naissance
Décès
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Activités
Artiste de cabaret, artiste, danseur, patronne de barVoir et modifier les données sur Wikidata

Biographie modifier

Enfant, Willi Pape préfère les vêtements féminins et souhaite travailler dans un cirque ou sur scène[2].

Vers 1909, Pape porte des vêtements de femme en public et apparaît sur les registres de plusieurs hôtels sous le nom de Selma Brügge. Le 21 septembre 1909, le personnel d'un hôtel de Hambourg trouve « Selma » dans sa chambre, inconsciente, les poignets ouverts. Après que sa réelle identité est découverte, l'histoire de cette tentative de suicide est largement diffusée par voie de presse, au point d'attirer l'attention du sexologue allemand Magnus Hirschfeld, qui rend une visite à « Selma ». Il écrit plus tard, en légende d'une photographie de Pape parue en 1912 dans son livre Les Travestis:

Le jeune travesti Willy Pape, dont la propension à s'habiller en femme devint publique à l'occasion d'une tentative de suicide [en 1909]. Ses parents ont été informés de cette condition particulière par l'auteur et lui ont alors permis d'entrer à la Variété, où il se produit depuis avec beaucoup de succès en tant que danseur à serpents[3].

Après cette tentative de suicide, le nom de « Selma Brügge » n'est plus jamais utilisé[4]. Conscrite dans l'armée en 1914, Pape se présente vêtue en femme[4]. Selon Hirschfeld, qui désigne Pape en employant des pronoms masculins, Pape n'est pas attirée par les hommes lors de leur première rencontre; Pape reconnaît avoir été amoureuse de, et fiancée à, une femme, et plus tard avoir eu un amant[4].

Willi Pape reste en contact avec Hirschfeld pendant une grande partie de sa vie ; nous savons qu’une photographie de Pape était affichée à l’Institut des Sciences Sexuelles, dans la catégorie des « artistes sexuellement anormaux » (« sexuell anormale Künstler »)[1].

Pape devient célèbre en tant qu'artiste de cabaret et danseuse de variétés. Elle se produit initialement sous le nom de « Sura VooDoo », [5] (abrégé par la suite en « Voo-Doo »/« Voo Doo »), arborant des versions orientalisées de tenues féminines de danse du ventre, au cours de numéros portant des noms comme « La mort par l'opium » et « Héliogabale »[2],[6]. Au début, Voo-Doo n'apparait pas à l'affiche comme artiste transformiste; c'est seulement plus tard qu'elle emploie la « révélation sexuelle » (c'est-à-dire le fait d'enlever sa perruque à la fin du numéro pour que les spectateurs comprennent qu'elle était un homme). En juillet 1927, le magazine lesbien allemand Die Freundin publie des photographies de Pape sous-titrées : « Le travesti Voo-Doo, l'une des plus célèbres stars internationales de la danse ». Entre 1917 et 1928, Pape se produit à Berlin, Zurich, Paris, Vienne et dans d'autres grandes villes européennes[2].

En 1928, la danseuse décide de se retirer du monde du spectacle, une décision qui est probablement influencée par son propre âge, ainsi que par la baisse de popularité des spectacles de variétés, concurrencés par le cinéma.

En septembre 1928, le couple constitué de Pape et Emil Schmidt ouvre un bar baptisé « Zum Kleinem Löwen » (« la petite lionne », mais les clients se contentent souvent du nom « Voo-Doo ») au 7 de la rue Skalitzer, à Berlin. [7] Il se veut « lieu de rencontre pour les travestis »[8]. Dans le Guide illustré du Berlin « dépravé » (1931), Curt Moreck (pseudonyme de l'auteur allemand Konrad Haemmerling (de)) décrit « Voo-Doo » comme un sympathique lieu de vie nocturne pour les « couples bien amicaux » à la recherche d'une « nuit exotique »[9],[10]. Klaus Mann et Christopher Isherwood s'y rendent régulièrement[2].

La « Petite Lionne » ferme en 1933, en même temps que la plupart des bars gays de la capitale. L’établissement de Pape et Schmidt ne fait pas partie des bars dont la fermeture est décrétée par le Reich, et nous ne savons pas dans quelle mesure des pressions ont été exercées par les autorités nazies[1].

Le 17 mai 1937 (une date symbolique pour la communauté homosexuelle, parce que 17/ 5 renvoyait au Paragraphe 175 du code pénal allemand), Willi Pape, ivre, tente de séduire un soldat du nom de Wilhelm Späth. Le soldat, incommodé, demande de l’aide à un officier de la Gestapo, ce qui mène à l’arrestation de Pape. Le 6 septembre 1937, il est condamné au titre du § 185 (injure) à 200 Marks d’amende. Le jugement indique qu’il évite la prison seulement parce qu’il n'a jamais rencontré la justice auparavant[1].

En 1939/ 1940, Pape et Schmidt ouvrent un nouvel établissement au 25, rue Joachim-Friedrich dans le quartier de Wilmersdorf ; ils y habitent avec le père de Willi, Ernst Pape[1].

Il se peut que Pape ait aussi été une artiste graphique, car des dessins signés « Voo-Doo », « une Danseuse », ont été conservés[11].

 
Autoportrait de Voo-Doo fourni à Magnus Hirschfeld pour publication, entre 1912 et 1928.

Pape mourut le 21 février 1940 des suites du paludisme[12].

Héritage modifier

Voo-Doo est célèbre à son époque, et a laissé sa trace dans des œuvres contemporaines.

  • Voo-Doo est le titre et la destinataire d’un poème d’Alfred Richard Meyer (alias Munkepunke) paru en 1932 dans l’anthologie Munkepunkes törichte Jungfrauen ;
  • L’établissement de Voo-Doo et Schmidt est mentionné dans le livre de Charles-Louis Royer, L’amour en Allemagne (Paris, 1930)[1].

Comme la plupart des stars de variétés, Voo-Doo est rapidement oubliée lorsque le spectacle de variété perd sa popularité au profit du cinéma. Ce personnage a été redécouvert par la communauté LGBT moderne : ainsi, le magazine Siegessäule inclut la photo de Voo-Doo dans un numéro de 1987 consacré aux « 750 Berlinois gay » et la maison d'édition Rosa Vinkel réédite Berlins Drittes Geschlecht (« Les travestis de Berlin ») de Magnus Hirschfeld en 1991. [13]

Le chercheur allemand Jens Dobler, qui a reconstitué la plus grande partie de la biographie de Pape, décrit « Willi Pape, alias Voo-Doo » comme une « drag queen » homosexuelle (en allemand : Travestiekünstler) que ses contemporains désignaient par les pronoms « il » ou « elle »; il explique également comment la vie de Pape remettait en question les normes de genre de son époque, et ajoute les termes que lui-même emploie (Travestiekünstler) peuvent être soumis à débat[2],[14]. Il n'existe aucun document conservé susceptible de nous permettre de connaître les mots que Pape aurait employés pour décrire sa propre identité sexuelle ou de genre.

Notes et références modifier

  1. a b c d e et f Jens Dobler, You have never seen a dancer like Voo Doo: das unglaubliche Leben des Willy Pape, Verlag fur Berlin-Brandenburg, (ISBN 978-3-96982-046-9)
  2. a b c d et e (de) Dobler, « Der Travestiekünstler Willy Pape alias Vo-Doo », Invertito, vol. 6,‎ , p. 110–121
  3. (de) Hirschfeld, « Die Transvestiten: Die Transvestiten, [2], Der erotische Verkleidungstrieb », Humbold-Universität zu Berlin Universitätsbibliothek, (consulté le ), Tafel XVI [Table XVI]
  4. a b et c Zagria, « Willi Pape/Voo Doo (1893–1967) performer », A Gender Variance Who's Who, (consulté le )
  5. Dobler 2022, p. 18.
  6. Prickett, « Locating El Dorado: Berlin's GBLT Topography, Revisited », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, vol. 12, no 1,‎ , p. 159 (ISSN 1064-2684, DOI 10.1215/10642684-12-1-158, S2CID 145412247, lire en ligne)
  7. Dobler 2022, p. 124.
  8. Tigers, « On the Clinics and Bars of Weimar Berlin », www.trickymothernature.com (consulté le )
  9. Smith, « Challenging Baedeker Through the Art of Sexual Science: an Exploration of Gay and Lesbian Subcultures in Curt Moreck's Guide to 'Depraved' Berlin (1931) », Oxford Art Journal, vol. 36, no 2,‎ , p. 236 (ISSN 0142-6540, DOI 10.1093/oxartj/kct018)
  10. (en-GB) MacKay, « Democratic depravity: Curt Moreck's Berlin », Peter Harrington Blog, (consulté le )
  11. (en) Mel Gordon, Voluptuous Panic: The Erotic World of Weimar Berlin, Expanded, , 125 p. (ISBN 978-1-932595-97-0, lire en ligne)
  12. Dobler 2022, p. 148.
  13. Dobler 2022, p. 149.
  14. (de) « Publikationen von Jens Dobler (Auswahl) », Magnus-Hirschfeld-Gesellschaft (consulté le )

Liens externes modifier