Volksmarinedivision

La Volksmarinedivision, terme traduit par division de la marine populaire, division de la marine du peuple ou division navale populaire, est une unité irrégulière de l'armée allemande formée pendant la révolution allemande de 1918-1919 par les marins mutinés de la flotte de Kiel, rejoints par d'autres éléments révolutionnaires. En , elle est appelée par le gouvernement provisoire pour défendre les nouvelles institutions. Elle occupe le palais impérial de Berlin et participe aux troubles politiques sous la république de Weimar avant d'être dissoute à l'issue de la grève générale de . Il convient de ne pas la confondre avec la division de marine (de) allemande, unité d'infanterie de marine de la Première Guerre mondiale.

Matelot de la marine impériale, dessin vers 1910.

Contexte modifier

 
Manifestation des matelots à Wilhelmshaven le 10 novembre 1918
 
Soldats et marins en camion brandissant le drapeau rouge devant la porte de Brandebourg à Berlin, novembre 1918.
 
Congrès des soldats républicains au Reichstag, décembre 1918.
 
Marinehaus de Berlin en 1909.

Après la coûteuse bataille du Skagerrak (-), la flotte de surface allemande ne fait plus que de rares sorties hors de ses ports, sachant qu'elle ne survivrait pas à une nouvelle confrontation avec la Royal Navy. L'inaction forcée s'accompagne d'une détérioration du moral des matelots et certains sont condamnés pour avoir critiqué le système impérial. Les officiers durcissent encore la discipline et, au moindre motif, injurient les matelots et les condamnent à des exercices épuisants. Les rapports entre supérieurs et marins sont tendus et à la limite de l'hostilité. Le journal clandestin de la Ligue spartakiste, socialiste et pacifiste, circule parmi les équipages. En , une mutinerie éclate à bord des cuirassés SMS Prinzregent Luitpold et SMS Friedrich der Große : elle est rapidement réprimée[1].

En , alors que l'armée allemande épuisée bat en retraite sur le front de l'Ouest, l'amiral Reinhard Scheer, commandant en chef de la marine impériale, décide une sortie de la flotte pour livrer une dernière grande bataille contre les Britanniques. La flotte de haute mer refuse cet ordre suicidaire et se mutine le 1er novembre. La mutinerie de Kiel s'étend rapidement aux autres unités de la marine, aux ouvriers et aux troupes stationnées sur place. Le premier conseil de marins rassemble 20 000 hommes. Les matelots arborent le drapeau rouge et arrêtent des officiers. L'amiral Wilhelm Souchon doit accepter les conditions des mutins : libération des matelots détenus, abolition du salut militaire , allègement du service. Le député social-démocrate Gustav Noske est nommé gouverneur de Kiel. Cependant, le mouvement insurrectionnel s'étend aux autres ports, puis aux villes et garnisons de l'intérieur[2].

La révolution du 9 novembre entraîne l'abdication et la fuite de l'empereur Guillaume II. La « République allemande » est proclamée. Le gouvernement provisoire, le Conseil des commissaires du peuple dominé par le Parti social-démocrate (SPD), présidé par Friedrich Ebert, met fin aux hostilités par l'armistice du 11 novembre 1918 mais est vite confronté à une agitation de l'extrême-gauche, représentée par la Ligue spartakiste et le Parti social-démocrate indépendant (USPD). Il cherche le soutien de l'armée[3]. Le , Otto Wels, ministre de l'Intérieur de l'État libre de Prusse, crée un Corps des soldats républicains ( Republikanische Soldatenwehr), recruté parmi les éléments modérés de la social-démocratie, pour s'opposer aux spartakistes[4]. Le , Ebert demande l'envoi à Berlin d'une force de 700 marins de la base de Cuxhaven pour protéger les nouvelles institutions. Cette « division de marine » passe rapidement de 700 à 1 800 hommes[5]. Les éléments contre-révolutionnaires de l'armée s'organisent eux aussi : les 5 et , 2 000 militaires, principalement des sous-officiers de la division de tirailleurs de cavalerie de la Garde, défilent dans Berlin et se rassemblent devant la chancellerie du Reich pour demander à Ebert d'établir une dictature et de réprimer les spartakistes. Ils appellent à tuer Karl Liebknecht, chef de la Ligue spartakiste[6]. Le soir même, des affrontements opposent la Ligue des soldats rouges à des mitrailleurs de la garnison de Berlin[7].

Le gouvernement Ebert réagit en faisant venir à Berlin une force de 10 divisions venues du front. Mais les soldats, gagnés par la propagande révolutionnaire, se débandent et refusent d'intervenir contre le mouvement populaire[7]. Le , se réunit un congrès des conseils d'ouvriers et de soldats de toute l'Allemagne ; les sociaux-démocrates y sont largement majoritaires mais, malgré les appels d'Ebert, la masse des délégués refuse la restauration de l'ancien ordre militaire[6]. Le lieutenant Heinrich Dorrenbach (de), de la division de marine, se fait le porte-parole de la garnison de Berlin. Le congrès vote les « sept points de Hambourg » : abolition des insignes de grade, du port de l'uniforme et de la discipline en dehors du service, des marques extérieures du respect, élection des officiers par les soldats et remise du commandement par les conseils de soldats. Les chefs de l'armée accueillent ce vote avec consternation[7]. Cependant, le désordre des débats permet à Ebert de disperser le congrès sans être lié par ses décisions[6].

Organisation à Berlin modifier

 
La gare de Lehrte à Berlin en 1929.
 
Palais impérial et Marstall de Berlin, carte postale de 1922.

La division est d'abord commandée par un officier d'aviation de marine, Paul Wieczorek (de), qui est assassiné le par un officier de marine[8]. Il est remplacé par le syndicaliste Otto Tost (de), qui avait été un des meneurs de la grève de janvier 1918 avant d'être mobilisé dans la flotte de Cuxhaven[9] puis par un officier monarchiste, Hermann von Wolff-Metternich, qui ne reste en poste que quelques jours et quitte ses fonctions après le « putsch » du , puis par Fritz Radtke[7]. Le lieutenant Heinrich Dorrenbach fait figure de leader[4] mais n'a jamais été commandant en titre[10].

L'effectif de cette unité a beaucoup varié au cours de son existence : de 600 hommes à l'origine, elle passe à 1 500 au , 3 200 à la fin de novembre, et redescend à 1 800 en décembre[11]. Beaucoup de ses hommes n’appartenaient à aucun parti, les autres étaient affiliés au SPD, à l'USPD ou à la Ligue spartakiste. Elle comprend les unités suivantes :

Combats de Noël modifier

 
La division de marine en position devant le château de Berlin, novembre 1918.
 
Combats dans le château de Berlin, 23-24 décembre 1918.
 
« Activités ennemies - Cercueils de soldats et marins spartakistes tués dans le célèbre salon blanc du palais impérial de Berlin », fiche du War Department américain, 1919.

La division de marine pose des problèmes croissants de discipline : des objets précieux sont pillés dans le palais. Les marins réclament le paiement de leur solde en retard et refusent d'évacuer le palais tant qu'ils n'auront pas reçu les 80 000 marks qui leur sont dus. Le ministre Otto Wels fait savoir qu'à partir du , la solde ne sera plus payée qu'à 600 hommes. Le , les marins remettent les clés du château à Emil Barth (en), le seul socialiste USPD du gouvernement, et retiennent Wels et deux de ses adjoints prisonniers au Marstall. Puis les marins occupent le central téléphonique et bloquent les accès de la chancellerie, empêchant le gouvernement de communiquer avec l'extérieur. Ebert parvient à contacter des troupes fidèles par une ligne secrète[5].

L'état-major général, basé à Cassel, ordonne au général Arnold Lequis (de), chef de la division de tirailleurs de cavalerie de la Garde, de faire entrer ses troupes dans Berlin[12]. Des coups de feu sont échangés près de l'université et deux soldats sont tués mais les deux camps parviennent à éviter l'affrontement général[5].

Le soir du 23, les négociations entre le gouvernement et les marins semblent sur le point d'aboutir mais le 24, entre 1h et 2h du matin, Fritz Radtke, commandant de la division de marine, fait savoir qu'il ne contrôle plus ses hommes et ne peut garantir la vie de Wels. Ebert et les autres commissaires présents ordonnent au général Heinrich Schëuch, ministre de la guerre, de délivrer Wels par tous les moyens. Vers 7h30, le général Lequis envoie un ultimatum aux marins, leur ordonnant de hisser le drapeau blanc et d'évacuer le palais et le Marstall dans les dix minutes : ce délai écoulé, il fait ouvrir le feu de l'artillerie et des mitrailleuses. La fusillade dure de 8h30 à 9h30. Des manifestants civils et des soldats du corps républicain se rassemblent autour du château pour s'opposer aux troupes de Lequis[13]. Des femmes de la classe ouvrière entrent dans les rangs des soldats de Lequis pour les exhorter à arrêter le combat. Au total, les affrontements durent jusqu'à midi et font 11 morts parmi les marins, 56 parmi les troupes de la Garde[12].

Les marins évacuent le château, trop difficile à défendre, mais restent maîtres du Marstall. Le major Bodo von Harbou (de), représentant de l'état-major général, fait savoir à ses chefs qu'il n'est plus possible d'emporter la décision par la force. Le général Wilhelm Groener, chef d'état-major général, propose à Ebert d'évacuer son gouvernement à Cassel, ce que celui-ci refuse[6].

Combats de mars et dissolution modifier

 
Alexanderplatz vers 1908.
 
Tir de mortier sur Alexanderplatz, Berlin, 1919.

Les « combats de Noël » (« Weihnachtskämpfe ») viennent aggraver la rupture entre le SPD et l'USPD : les socialistes indépendants, partagés entre une aile gauche proche des spartakistes et une aile droite soutenant le gouvernement, veulent trouver des excuses aux marins mutinés, reprochent à Ebert de les avoir tenus à l'écart des négociations et d'avoir laissé les mains libres à des militaires réactionnaires. Le , les spartakistes occupent par la force les locaux du quotidien Vorwärts, le principal journal social-démocrate. L'USPD quitte alors la coalition gouvernementale et, le , le gouvernement démet de ses fonctions Emil Eichhorn, préfet de police de Berlin et membre de l'aile gauche de l'USPD. Le gouvernement social-démocrate, ne pouvant plus compter sur les forces armées républicaines, doit s'appuyer de plus en plus sur les généraux monarchistes et les corps francs (Freikorps) d'extrême-droite pour faire face à la révolte spartakiste de Berlin en . Les spartakistes, isolés, sont écrasés par les corps francs qui assassinent Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg[14]. Après les événements de Noël, la division touche son arriéré de solde et, intégrée au Corps des soldats républicains, se tient en retrait de la vie politique. Contrairement aux attentes ou aux craintes des différents acteurs, elle reste pratiquement neutre pendant les événements de [15].

Cependant, une nouvelle vague de troubles éclate en avec la grève des ouvriers de la Ruhr, qui s'étend, à partir du à l'Allemagne centrale[16]. Le , l'assemblée des conseils ouvriers de Berlin propose de rejoindre la grève générale : les socialistes indépendants et les communistes y sont favorables mais les délégués sociaux-démocrates du comité exécutif parviennent à bloquer le processus[17]. Le , le Parti communiste, minoritaire, appelle à la grève. Les ouvriers de plusieurs grandes entreprises reprennent le mot d'ordre. Le gouvernement de Prusse proclame l'état d'urgence et des tirs opposent ouvriers et policiers[17].

Le matin du , Noske fait entrer dans Berlin les corps francs du général Walther von Lüttwitz : l'affrontement sur la place Alexanderplatz tourne au massacre de manifestants. Le , les marins repoussent une tentative des corps francs de s'emparer de la gare de Lehrte. Ils envoient une délégation pour demander à occuper la préfecture de police de Berlin et garantir sa sécurité mais le général von Lüttwitz refuse et un délégué des marins est abattu. Les marins prennent alors parti pour les grévistes, distribuent des armes à la foule et engagent le combat contre les corps francs. Le , les troupes de von Lüttwitz, avec artillerie et blindés, prennent d'assaut le Marstall et le Marinehaus. Le Parti communiste, par tracts, appelle les ouvriers à refuser toute solidarité avec les marins qui ont trahi le mouvement révolutionnaire en janvier : « Entre eux et nous n'existe aucune solidarité politique ». Entre le 6 et le , tandis que les syndicats votent la reprise du travail, les corps francs achèvent d'écraser le mouvement insurgé, fusillant entre 1 200 et 3 000 personnes. 29 marins sont capturés et exécutés à la mitrailleuse alors qu'ils se présentaient pour toucher leur solde. Les combats de mars (de) marquent la fin de la division de la marine populaire et du Corps des soldats républicains qui sont dissous[17].

La loi du instaure une force armée nationale, la Reichswehr provisoire, qui intègre les forces contre-révolutionnaires des corps francs et des milices d'habitants (Einwohnerwehren). Les unités républicaines sont dissoutes ou intégrées dans des unités plus conservatrices[18].

Fiction modifier

Notes et références modifier

  1. Christoph Regulski, Lieber für die Ideale erschossen werden, als für die sogenannte Ehre fallen, marixverlag, Wiesbaden, 2014, 4. Das Früjhjahr 1917.
  2. Broué 1971, p. ch. VIII, « Une vague venue de Kiel ».
  3. Möller 2011, p. 52-57.
  4. a et b Harman 2015, p. Les nouvelles forces de défense.
  5. a b et c Möller 2011, p. 58-59.
  6. a b c et d Fischer 1948, p. 34.
  7. a b c et d Broué 1971, p. ch. XII, « Un mois de décembre agité. ».
  8. Günter Schmitt, "Der revolutionäre Marineflieger Paul Wieczorek" in Horst Schädel (dir.): Fliegerkalender der DDR 1988, Militärverlag der DDR, Berlin 1987, p. 41–45.
  9. Gerhard Engel: Groß-Berliner Arbeiter- und Soldatenräte in der Revolution 1918/19, Akademie Verlag, 1997, p. 7.
  10. Heinz Oeckel, Die revolutionäre Volkswehr 1918/19, Berlin 1968, p. 85.
  11. Ulrich Kluge, "Soldatenräte und Revolution. Studien zur Militärpolitik in Deutschland 1918/19", Kritische Studien zur Geschichtswissenschaft. Bd. 14, Vandenhoeck und Ruprecht, Göttingen, 1975.
  12. a et b Harman 2015, p. Les premiers affrontements.
  13. Möller 2011, p. 59-60.
  14. Möller 2011, p. 61-65.
  15. Heinrich August Winkler, Von der Revolution zur Stabilisierung. Arbeiter und Arbeiterbewegung in der Weimarer Republik 1918 bis 1924 (= Geschichte der Arbeiter und Arbeiterbewegung in Deutschland seit dem Ende des 18. Jahrhunderts. Bd. 9), Dietz, Berlin, 1984, p. 121 et 124.
  16. Broué 1971, p. ch. XIII, « Les mineurs de la Ruhr entrent en grève ».
  17. a b et c Broué 1971, p. ch. XIII, « La grève générale ».
  18. Hans Mommsen, The Rise and Fall of Weimar Democracy, University of North Carolina, 1996 [1]

Sources et bibliographie modifier