Utilisateur:Qkh/Grândola, Vila Morena

Grândola, Vila Morena est un poème et une chanson composés et chantés par José Afonso, choisis par le Mouvement des Forces Armées (MFA) comme deuxième signal pour lancer la rebellion des militaires, déclenchant le début de la Révolution des Œillets le 25 avril 1974. La chanson, révolutionnaire avant l'heure, devient l'hymne de la Révolution. Elle a été écrite et enregistrée en octobre 1971, après une visite à la Sociedade Musical Fraternidade Operária Grandolense de Grândola, dans l'Alentejo. La chanson est parue sur l'album Cantigas do Maio réalisé par José Mário Branco, enregistré à Hérouville en France et sorti en décembre de la même année. Bien qu'elle n'ait pas été initialement conçue comme une chanson de protestation, les modifications apportées au moment de l'enregistrement lui ont conféré un message hautement politique dans le contexte de la dictature de l'Estado Novo. Grândola, Vila Morena est devenue un symbole de lutte populaire et un patrimoine national, amplement connu dans la société portugaise.

Histoire

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Contexte

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Depuis la fin des années 1960 existe au Portugal un mouvement d'artistes populaires et engagés, majoritairement de gauche, souhaitant contribuer au développement de la conscience politique à travers la chanson.[1] La culture de la chanson populaire en général revêt une importance et un essor particuliers au Portugal pour plusieurs raisons : Le Portugal, en tant que pays largement agraire, peu industrialisé et peu affecté par la culture de masse moderne, possédait une culture musicale populaire riche et intacte dont les compositeurs pouvaient s'inspirer.[1] D'autre part, la forme de chanson considérée comme typique du Portugal urbain est le fado, rendu internationalement célèbre par Amália Rodrigues, une musique de lamentation plutôt sombre et mélancolique, qui évoque le bonheur du passé et dont la posture fataliste s'oppose à tout engagement politique orienté vers l'avenir.[1] La chanson, qui a une tradition populaire, se prête à être un support artistique rassembleur, dans un pays où, au milieu des années 1970, plus de 30 % de la population ne savait encore ni lire ni écrire.[1] Contrairement à la « littérature » au sens traditionnel, réservée à une élite, la chanson touche l'ensemble des couches de la population.[1] Toutefois, l’occasion décisive provient de la situation politique d’oppression contre laquelle les jeunes artistes portugais ont élevé la voix dans les années 1970[1]. Pendant quarante ans, le pays a été gouverné par la dictature fasciste d'António de Oliveira Salazar, qui a dilapidé le potentiel économique et humain du pays, sérieusement affaibli par une guerre coloniale en Afrique.[1] L'expression ouverte d'opinions critiques, par exemple dans des livres et dans la presse, n'était pas autorisée par la censure et par l'omniprésence de la police secrète du PIDE .[1] L’un des rares moyens d’exprimer son mécontentement et d’exprimer son espoir de changement fut une chanson chantée spontanément ici et là.[1] Dans le processus qui a conduit à la Révolution des Œillets du 25 avril 1974, la chanson politique a joué un rôle important.[1] José Afonso, aussi connu sous le nom de Zeca Afonso, a passé plusieurs années dans les prisons politiques de l'Estado Novo et, une fois sa peine accomplie, a écrit, chanté et donné des concerts, tout en enregistrant des disques clandestins ou fortement censurés.[2] Son nom a été interdit dans les journaux et, pour échapper à la censure, son nom épelé à l'envers, "Esoj Osnofa", a été utilisé.[2]

Création

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La chanson a été composée en 1964, après un petit concert de José Afonso dans le petit village de Grândola, dans l'Alentejo, où il a été bien accueilli par la Sociedade Musical Fraternidade Operária Grandolense, qui incarnait l'opposition locale à la dictature.[3] Le mouvement des chanteurs d’intervention est devenu, au fil des années, un élément important de l’opposition à la dictature du début des années 1960.[3] Le « Printemps Marceliste », soutenu par les secteurs les plus conservateurs et réactionnaires, aboutit à un fort durcissement de l'appareil répressif, dans un contexte de radicalisation du mouvement ouvrier et un climat international influencé par Mai 1968 en France, la Révolution cubaine et la Révolution chinoise, et le PCP – principal et plus ancien parti d’opposition – voit son hégémonie dans l’opposition dans une certaine mesure contestée.[4] Le poème ne devient une chanson qu'en octobre 1971, étant le cinquième morceau de l'album Cantigas do Maio, avec des arrangements et la direction musicale de José Mário Branco, enregistré à Hérouville, en France, et sorti en décembre de la même année.[5] Même si elle n’a pas été initialement conçue comme une chanson contestataire, les modifications apportées au moment de l’enregistrement lui confèrent un message éminemment politique dans le contexte dictatorial.[6][5] Zeca Afonso commencé à écrire la chanson à Saint-Jacques-de-Compostelle (capitale de la Galice, en Espagne) le 10 mai 1972.[5] En 1973, elle est publiée chez Orfeu.[7]

1ère Rencontre de la Chanson Portugaise

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Presque n mois avant le 25 avril 1974, le 1er Rendez-vous de la chanson portugaise a lieu au Coliseu dos Recreios, le 29 mars 1974, pour protester et dénoncer la dictature[8]. Son organisation a été mise en difficulté; la rencontre fut initialement interdite et l'évènement n'avait toujours pas démarré plusieurs heures avant le moment prévu pour l'ouverture.[8] Cependant, le Colisée fit finalement salle comble et une foule de six à sept mille personnes se rassembla dans la rue, la participation étant un acte de protestation contre la dictature.[8] La censure de l'Estado Novo mit un mois à analyser les paroles des chansons et des poèmes présentés et, après plusieurs retouches et censures, 30 chansons et poèmes furent interdits.[8] La Polícia de Segurança Pública (PSP) et la Garde Nationale Républicaine (GNR), prêtes à disperser la foule, ne reçurent pas l'ordre de dispersion, car le nombre de personnes était immense, et les autorités décidèrent finalement qu'il valait mieux laisser le spectacle se dérouler, mais avec toute la censure mise en place.[8]

L'impatience envahissait le public, tandis que l'indignation montait parmi les chanteurs, et même si certains pensaient qu'il valait mieux refuser de jouer dans de telles conditions, après mûre réflexion, ils décidèrent de se produire malgré tout par respect pour le public.[8] Avec une qualité sonore médiocre et des positionnements politiques variés, le début du spectacle est difficile.[8] Après la première représentation, qui n'a pas recueilli la ferveur du public, la chanson Canta, canta amigo, d'António Macedo, connue dans les milieux de l'opposition au régime, fut entonnée dans un chœur épars et dut être brusquement interrompue par les musiciens.[8] Avec la performance de Carlos Alberto Moniz et Maria do Amparo, et la guitare profonde de Carlos Paredes, le public se calma.[8] Cependant, la performance de José Carlos Ary dos Santos captiva le public, avec son art déclamatoire puissant : "SARL, SARL, SARLa pança do patrão não lhe cabe na pele/a mulher do gerente não lhe cabe na cama/ /S .AR.L., SARL, SARL/o cabedal estoira/e o capital derrama..."; qui fut reçu par de chalereux applaudissements.[8] Le poète appartenait à l'opposition depuis les années 60 et avait rejoint le Parti communiste portugais (PCP) en 1969, se faisant connaître pour ses paroles audacieuses dans des environnements difficiles, comme les festivals de télévision, en travaillant avec la jeunesse musicale, dont "l'irrévérence et le volontarisme compensaient une conscience antifasciste inégale", comme Fernando Tordo ou Tonicha .[8] Le spectacle s'accéléra avec la performance de Manuel Freire, José Barata Moura, Fernando Tordo, Intróito, Adriano Correia de Oliveira et José Afonso.[9] Dans les lieux, implicitement ou explicitement, tout le monde faisait partie d'un mouvement informel qui, en chantant, combattait le fascisme et la guerre coloniale portugaise.[10]

 
Peinture murale faisant allusion aux événements à Grândola.

Avec la mort du dictateur Oliveira Salazar quelques années plus tôt, Marcello Caetano prit le pouvoir, et le régime se poursuivit, avec censure, traques policières, emprisonnemenets, torture, tribunaux pléniers, guerre coloniale, etc.[10] Dans le public, la chanson Os Vampiros de José Afonso est fredonnée, mais sans paroles puisque, lors de sa sortie en 1963, elle avait été aussitôt interdite ; dès lors la police ne parvint plus à contenir l'effervescence des lieux.[10] La police politique du PIDE/DGS, les agents de la censure et les officiels du PSP regardaient et surveillaient, identifiaient des chanteurs, prenaient des notes sur ce qui se passait, notaient les noms des personnalités les plus connues du public, en majorité des jeunes.[10] Tout était utilisé pour affronter le régime et les forces de police présentes, comme, par exemple Manuel Freire affirmant avoir "oublié les paroles de certaines chansons en chemin", ce qui suscita de vives réactions dans le public, applaudissements et sifflets dans le public complice, qui savait bien à quoi il faisait référence.[10] José Jorge Letria déclara "J'aimerais chanter, si je pouvais...", ce qui suscita davantage encore d'applaudissements et de rires.[10] Lors de la cérémonie de remise des prix, Adelino Gomes, déclara que "cette distinction ne récompense pas le travail individuel d'une personne, mais ce que certains d'entre nous ont essayé de dire et qu'il leur a été interdit de dire. Elle honorait également ce que beaucoup d'entre vous souhaiteraient avoir entendu et que vous n'avez pas eu le droit d'entendre", ce à quoi le public répondit en criant à plusieurs reprises : " fascistes, fascistes ! ".[10]

José Afonso chanta et chanta encore Grândola, Vila Morena, l'une des rares chansons qui put échapper à la censure, dont les paroles furent reprises par les milliers de personnes présentes.[10]

Révolution d'Avril

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[[Catégorie:Chanson de 1971]] [[Catégorie:Révolution des Œillets]] [[Catégorie:Chanson en portugais]] [[Catégorie:Chanson portugaise]]

  1. a b c d e f g h i et j Lustig 1992, p. 1.
  2. a et b Ciccia 2013, 3.
  3. a et b Madeira 2015, p. 170.
  4. Madeira 2015, p. 170-171.
  5. a b et c Ciccia 2013, 4.
  6. Ciccia 2013, 5.
  7. Abreu 2020.
  8. a b c d e f g h i j et k Madeira 2015, p. 168.
  9. Madeira 2015, p. 168-169.
  10. a b c d e f g et h Madeira 2015, p. 169.