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Cahier spécial sur Libération

« Je ne me suis jamais ennuyé avec lui » - Interview de Jean-Jacques Debout modifier

20 février 2001, par Ludovic Perrin

J'ai rencontré Charles Trenet, j'avais 15 ans. Je chantais place du Tertre à un concours organisé par l'Humanité. J'avais repris En avril à Paris: premier prix du jury. Une petite femme s'est approchée de moi: «Je suis l'éditrice de la chanson, voici son auteur.» Madame Breton m'a fixé un rendez-vous aux éditions Raoul Breton, 3, rue Rossini. Et comme j'avais un Vélosolex, monsieur Breton m'a proposé un emploi de coursier.

Le soir, Charles Trenet emmenait madame Breton dîner. Il insistait pour que je vienne. J'étais leur fils, disait-il. A table, Charles entonnait des chansons. La «Marquise» me demandait de retenir la mélodie, elle écrivait le texte sur la nappe, et déposait le tout aux éditions Breton. Ainsi ai-je vu naître les Relations mondaines au Petit Saint-Benoît.

Infatigable conteur modifier

Pour ses 40 ans, la Marquise avait invité Trenet au Grand Véfour. Il y avait Cocteau, Kessel, Mireille et Emmanuel Berl. Colette était même descendue pour le dessert. Charles Chaplin se trouvait dans le restaurant. Chaplin s'est approché de Trenet: «Vous voyez, Charles, ce soir au Grand Véfour, il y a les deux grands Charles.» Ils se sont revus avec, en projet, une chanson reprenant une phrase d'Hemingway: «Paris est une fête.» Elle parlait de ces écrivains qui avaient aimé la ville. Je revois cette tablée. A 15 ans, je mesurais ma chance.

Je ne me suis jamais ennuyé une seconde lors de ces dîners. Avec Trenet, merveilleux conteur, on en oubliait de manger. La seule chose dont on avait envie, c'était de boire. Il adorait le rosé. Une nuit, il m'avait dit: «Bois l'orage qui est dans le ciel, c'est l'orage qui est dans notre verre.» Charles aimait la nuit. Jusqu'à il y a trois ans, il sortait tous les soirs. Il rentrait à 4 ou 5 heures du matin, chaussait ses baskets et marchait durant deux heures dans le bois. Il m'appelait à 6 heures: «Viens marcher sous cette cathédrale de feuilles.» Ces derniers temps, il rejoignait Renaud, Higelin, Roda-Gil à La Closerie des Lilas... de 13 à 21 heures, pour un «déjeuner dînatoire».

Poète des rues modifier

Selon Cocteau, Trenet a mis la poésie dans la rue. Du jour au lendemain, il est devenu une idole, avec un fan-club, les trénetistes. En 1936, monsieur Breton l'avait fait passer en première partie de Lys Gauty au théâtre de l'ABC. Le public connaissait déjà ses chansons. Jean Nohain passait J'ai ta main, Fleur bleue, Y a d'la joie, sur Radio Cité. «Et demain, je vous ferai écouter la version de Maurice Chevalier.» A sa première représentation à l'ABC, il a eu un trou de mémoire sur Fleur bleue. La salle chanta à sa place. Son succès fut tel que le public le réclama. Au milieu de son tour de chant, Lys Gauty annonça: «A la demande générale, je rappelle Charles Trenet, car ce soir une étoile est née.»

Éclipse partielle modifier

Trenet m'a souvent dit: «Un artiste ne fait pas ses adieux, c'est le public qui se retire.» A partir de 1958, il pensait faire un dernier tour du monde et arrêter sa carrière. La décennie suivante, les yéyés l'avaient mis au rancard. Il était alors revenu au cabaret, à la Tête de l'art, au Don Camillo. Une nuit, nous vîmes un jeune sortir de la Tête de l'art avec son étui à guitare. «Tu vois, je suis maintenant remplacé par les guitares électriques, ce garçon marche sur mon passé», m'avait-il dit. Georges Benson a repris la Mer et, quelques années plus tard, Jack Lang demandait aux Victoires de la musique à ce qu'il chante l'Ame des poètes. Cette soirée marqua, avec le Printemps de Bourges, son retour.

Beaucoup de choses fausses ont été écrites sur ses moeurs. Deux affaires l'ont conduit jusqu'au tribunal. A Aix-en-Provence, deux jeunes avaient voulu lui soutirer 40 000 francs à la fin d'un dîner bien arrosé. On savait qu'il était très riche. Et il lui arrivait d'être victime de chantage. Je n'ai jamais rien constaté de pervers chez lui. Il ne m'a jamais rien demandé, alors que je l'avais rencontré à l'adolescence. J'ai connu les relations de Trenet; elles étaient suivies. Plusieurs de ses amis ont eu un destin tragique. L'un s'est tué à moto, un autre s'est noyé. Il les a beaucoup pleurés.

Dans son jardin de La Varenne, il y avait des arbres fruitiers. Charles n'aimait pas voir un jardin sans vie. Un jour, il m'a emmené acheter pour 30 000 francs de fruits et fleurs synthétiques. Je montais à l'arbre pour les accrocher. Dans son jardin extraordinaire, un arbre pouvait avoir plusieurs fruits différents... Lorsque sa mère, qui vivait avec lui le week-end, est décédée, il a quitté la maison pour un dernier étage d'immeuble à Nogent-sur-Marne, en face de Chez Gégène.

Disques, romans, biographies, recueils modifier

Disques modifier

  • 1933-1936. Charles et Johnny, compilation de dix-huit 78 tours avec Johnny Hess (EMI, 2 CD).
  • 1952. Récital de l'Etoile, première partie (Columbia, 25 cm).
  • 1955. Récital de l'Etoile, seconde partie (Columbia, 25 cm).
  • 1956. Le Tour de chant de Charles Trenet à l'Olympia (Columbia, 33 tours).
  • 1960. Je rechante mes anciennes chansons en stéréo (Columbia, 33 tours).
  • 1961. Récital 1961 (Columbia, 33 tours).
  • 1963. Les Vacances de Poly (Columbia, 25 cm).
  • 1968. Chansons sans époque (Columbia, 33 tours).
  • 1971. Fidèle (CBS, 33 tours, réédité en CD).
  • 1972. Joue-moi de l'électrophone (CBS, 33 tours, réédité en CD).
  • 1973. Chansons en liberté (CBS, 33 tours, réédité en CD).
  • 1975. Récital Olympia 75 (CBS, 33 tours, réédité en CD par Columbia/Sony).
  • 1976. Il vend des téléviseurs aux paysans (CBS, 33 tours, réédité en CD Morceaux choisis par Columbia-Sony).
  • 1983. Récital au théâtre Saint-Denis à Montréal (SEC, 33 tours).
  • 1986. Florilège 86 (CBS, 33 tours).
  • 1988. Récital (Columbia, double 33 tours, réédité en CD par EMI).
  • 1992. Mon coeur s'envole (Rozon/WEA, CD).
  • 1994. Le Récital (Rozon/WEA, CD).
  • 1995. Fais ta vie (Rozon/WEA, CD).
  • 1999. Les poètes descendent dans la rue (Rozon/WEA, CD).

Coffrets modifier

  • Anthologie (EMI, 8 CD).
  • Anthologie II, Raretés et inédits (EMI, 6 CD).
  • Intégrale Charles Trenet (FA/Night & Day; déjà sortis: cinq volumes de 2 CD).

Romans modifier

  • Dodo manières, Albin Michel, 1939.
  • La Bonne Planète, préface de Jean Cocteau, éditions Brunier, 1949.
  • Pierre, Juliette et l'automate, éditions Robert Laffont, 1983.
  • Œuvres d'éternelle jeunesse, Michel Lafon éditions, 1988.
  • Un noir éblouissant, Grasset 1965, puis Lattès 1989.

Biographies modifier

  • Marie-Claire Caussat-Trenet et Charles Trenet, Mes jeunes années racontées par ma mère et moi, Robert Laffont, 1978.
  • Charles Trenet, La Route enchantée, préface de Serge Gainsbourg, éditions Le Temps singulier, 1981.
  • Richard Cannavo, Trenet, le siècle en liberté, illustrations de Cabu, Hidalgo éditeur, 1989.

Recueils modifier

  • Tombé du ciel, l'intégral (Plon, 1993).
  • Le Jardin extraordinaire, les chansons de toute une vie (Le Livre de poche, 1993).

Le fou chantant : Boum modifier

En octobre, il rejoint la caserne d'Istres. Très vite, il s'ennuie de Paris. Pour tuer le temps, il écrit "Y'a d'la joie" que bientôt le célèbre Maurice Chevalier crée sur la scène du Casino de Paris, à cette époque, on peut aussi le voir au cinéma dans deux films où il tient le premier rôle, "La route enchantée" et "Je chante". Il en signe les chansons. Dans la foulée, Yves Montand, qui débute à Marseille, intègre "C'est la vie qui va" à son répertoire.Son coup d'envoi date du 25 mars 1938, à l'ABC, et ce sera un coup de tonnerre. Il a 24 ans. Pour la première fois, il est seul sur une scène mythique. Jusqu'à son entrée, les complaintes de fille mère, les roucoulades carabinées et les chansons de pétomane font la loi sur le répertoire. Ce soir-là, le petit Charles passe en première partie de la grande Lys Gauty. Il a "droit" à trois chansons. Il attaque alors Je chante, et ses mains, ses pieds, ses yeux partent dans tous les sens. Dans la salle, à la seconde même, c'est plus que du délire. Cette fraîcheur, cette modernité, ce tonus... Derrière, il leur envoie Fleur bleue, Boum, La Polka du roi, Tout est au duc, J'ai ta main et Y a d'la joie. Le rythme. L'écriture. La voix. Et plus rien ne sera jamais comme avant.Le chanteur s'est inventé une image en forme de bulles de champagne : chapeau rond rabatu en arrière comme une auréole (" pour casser un visage trop rond "), œillet rouge à la boutonnière, complet-veston et sourire éclatant - le modèle en serait un Mercure, portant casque relevé et petites ailes aux pieds, qui ornait la façade de l'hôtel de Noailles sur la Canebière, où Charles se promenait. 
Tassé dans un fauteuil, il n'y en a qu'un qui tire la gueule. Maurice Chevalier. La star absolue. Il vient de comprendre. Quoi donc? Cette langue française, si simple, si belle, swingue à merveille sur des syncopes harmoniques. Ce mélodiste est génial. La tessiture du petit morveux est un battement de coeur. Bref, c'est un objet chantant non identifié, qui vient d'apparaître dans la Voie lactée du music-hall. A compter de ces heures, l'immense Momo comprend qu'il va devoir partager..
Pour l'éternité, Maurice Chevalier n'en restera pas moins celui qui a créé Y a d'la joie, que l'aspirant "Fou chantant" a composée en 1936, en balayant la cour de sa caserne. A la base, le Momo n'était pas très chaud pour l'essayer - on sait que c'est Mistinguett qui lui a mis le revolver sur la tempe. Mais il suffit d'un peu d'imagination pour se mettre à sa place: qu'est-ce que c'est que ce truc où un métro "court vers le bois à toute vapeur", où "la tour Eiffel part en balade" et "saute la Seine à pieds...

Des succès innombrables modifier

Malgré ses «tubes» planétaires, il est difficile d'estimer les ventesde ses disques. PEIGNE-GIULY ANNICK Sur près de mille chansons écrites, Charles Trenet a fait plus de 550succès, dit-on à la Sacem (Société des auteurs-compositeurs et éditeursde musique). Ce qui signifie que ses chansons ont été très productrices dedroits. On ne peut pas vous dire combien, mais c'est énorme.» Dans cesconditions, il est bien hasardeux de vouloir mesurer le poids financier exactde l'auteur-compositeur- interprète Trenet. Mais à la Sacem comme à EMIqui fut l'éditeur principal de Trenet , on reprend le même refrain: «Pourvous donner une idée, sachez que sa chanson la Mer a sans doute généréplus de droits que les Feuilles mortes». Or, les Feuilles mortes se trouventdans le Top 10 des titres de la Sacem depuis dix ans. La Mer, non.«Il ne faut pas oublier que le sommet de la carrière de Trenet se situedans les années 50», explique Gérard Davoust, PDG des Editions RaoulBreton qui ont, entre autres, édité la Mer (1947). Une période donc, oùsortent les premiers microsillons. «Charles Trenet fait partie de ces artistesqui ont surtout fait leur carrière par la scène ou la radio, poursuit-il.Aujourd'hui, un album de Louise Attaque peut se vendre à 2 millionsd'exemplaires, alors qu'en 1960, par exemple, une vente de 100 000disques était un formidable succès.»Les éditions EMI annoncent un chiffre de vente global des albums Trenettournant autour de 1,5 million. Des chiffres à prendre avec des pincettes,donc, pour mesurer l'ampleur d'une carrière que l'on compare volontiers àcelle d'Edith Piaf. «520 000 partitions de la Romance de Paris vendusdepuis 1941, c'est l'équivalent de Padam, padam!», dit Sarah Baldassari,des éditions Salabert. On compte près de 4 000 versions de la Mer dans le monde. Aujourd'hui, Trenet reste l'un des cinquante premiers auteurs de la Sacem. A.-P. G.

Seize titres éternels modifier

  • Je chante (1937)
  • Y'a de la joie (1938)
  • Boum! (1938)
  • Le Soleil et la Lune (1939)
  • La Romance de Paris (1941)
  • Que reste-t-il de nos amours? (1943)
  • La Mer (1946)
  • Douce France (1947)
  • L'âme des poètes (1951)
  • Vous qui passez sans me voir (193?, 1954)
  • A la porte du garage (1955)
  • Route nationale 7 (1955)
  • Moi, j'aime le music-hall (1955)
  • Le Jardin extraordinaire (1957)
  • Fidèle (1971)