Utilisateur:Gerard-emile/Brouillon Heidegger Dasein II

La Finitude du Dasein

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Comme pour l'être chez Aristote, la Finitude, Endlichkeit se dit de multiples manières, la plupart d'entre elles apparaissent chez Heidegger comme une transposition d'origine religieuse. Dans la pensée chrétienne, la Finitude désigne chez les Pères grecs, ce qui dans la création est marqué par l’imperfection radicale de ne pas être Dieu. Plus tard, chez Luther, la corruption assimilée au péché et au néant, qui pour Heidegger constitue le pendant religieux du concept existential de la « déchéance », Verfallen , occupe une place exorbitante[1]

Comme le remarque Christian Sommer[2], tout Être et Temps est imprégné de motifs néotestamentaire; ainsi dans toute l'analytique du Dasein, le thème de la Finitude, d'origine paulinienne, y tourne autour du même constat de la « Nihilité » du vivant humain qui s'expose à travers des thèmes fondamentaux, notamment celui d'Être-en-faute .

Les thèmes classiques fondamentaux de la Finitude

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Le concept de « finitude » reprend plus ou moins, jusqu'à Être et Temps l'idée traditionnelle d'imperfection déclinée selon les thèmes suivants :

 
Le Cri dAuguste Rodin (musée Rodin) (6215583946)

L'entente

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L'entente, qui d'un côté ouvre le monde et le possible mais qui aussi, en son sens primordial, dévoile à l'homme, qui sait à tout moment, dans un esprit augustnien, « où il en est avec lui-même », son insécurité fondamentale et le danger que court « son pouvoir être ».

L'angoisse

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L'angoisse ordinaire révèle l': insignifiance du monde et la futilité de tous les projets de la préoccupation quotidienne. Par contre-coup, cette impossibilité amène au jour, la possibilité d'un « pouvoir-être propre », dégagé des préoccupations mondaines. Emmanuel Levinas[3] note « En faisant disparaître les choses intra-mondaines l'angoisse interdit la compréhension de soi même à partir des possibilités ayant trait à elles et elle amène ainsi le Dasein à se comprendre à partir de lui-même, le ramène à soi-même » . Ramené à soi-même, le « Souci », qui est « compréhension du monde », entend sa possibilité à partir de sa propre possibilité d'exister, c'est-à-dire conformément à sa situation d'« être-jeté », et non plus à partir du maniement des objets extérieurs[4]. Le Dasein angoissé n'en restera pas moins « empêtré » et « empêché » de retrouver son être le plus propre que seule la conscience authentique de la mort lui donnera.

La déchéance ou dévalement

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Le dévalement, Die Verfallenheit, correspond à la vie « facticielle » qui se dissout et s'aliène dans la multiplicité et l'affairement, auquel tente de s'opposer un contre mouvement de retenue et de retour à l'unité. Le Dasein responsable de lui-même souffre d'un « verrouillage » du chemin d’accès à soi-même que lui impose l'opinion moyenne en l'enfermant dans des « évidences » qui se présentent comme un abri construit de fausses théories et d'illusoires sécurités[2].

La mort

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Le "On", l'opinion commune, cherche à surmonter la mort en faisant miroiter le réconfort d'un au-delà ou bien en disant que la mort n'est pas encore là [5]. C'est l'angoisse qui nous délivre de cette pression, qui nous fait passer d'emblée d'un mode d'être déchu à l'autre, au mode "authentique". Une telle angoisse nous projette face au Néant devant lequel le plus intime de nous-même (l'essence de notre être) se trouve définitivement annihilée. Le Dasein promis au Néant, existe de façon finie. Avec le mourir, le Dasein authentique comprend qu'à chaque instant, la vie a un sens et que la seule certitude qui lui reste c'est que ce sens ne sera jamais parachevé. Le sens de l'existence n'est alors plus à penser comme un accomplissement[6].

La Finitude du Dasein s'affirme, sans le dire expressément, de bien d'autres manières que détaille sommairement Maurice Corvez[N 1].

La radicalisation du thème de la Finitude chez Heidegger

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Dans ses œuvres tardives, la pensée de la « finitude » se trouve mis en rapport avec celle de « liberté »

Parce que nous « avons à être », que l'être dont nous avons à répondre n'est jamais définitivement acquis, la finitude devient notre espace de liberté, en l'exerçant, en nous y « ap-propriant » à l'être, nous faisons l'épreuve de notre condition humaine. Devenant le garant de notre liberté, notre « finitude » essentielle, prend une toute autre signification, comme le note Dominique Saatdjian[7]. À travers la « conscience authentique de la mort » la « voix de la conscience » va être l'instrument qui va se charger de ramener l'existant perdu dans le « On » à son être même, en l'invitant à s'assumer dans sa finitude radicale d'être sans fondement et sans lieu, c'est-à-dire dans sa vérité[8].

Ce qui est remarquable et proprement révolutionnaire dans cette approche c'est le rôle attribué à cette Finitude. En effet, note Hans-Georg Gadamer, ce n'est pas malgré, mais à cause de la Finitude et de son historicité, que le Dasein incarne le sol authentique à partir duquel pourront être compris tous les modes dérivés de la métaphysique classique le Monde, le Temps, l'Objectivité, le Sujet[9].

Dans les années 1930, Heidegger en arrive à dire que l’homme est plus grand qu’aucun dieu ne pourra jamais être, thème qu'il confirmera dans les Beitrage ; disant cela on ne voit plus comment il pourrait continuer à définir la Finitude comme une imperfection[10].

« Plus originelle que l'homme est la Finitude du Dasein en lui. »

— Heidegger, Questions I & II, p. 32

Références

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  1. Le problèmes du péché dans Le jeune Heidegger1909-1926, notes4-5-6
  2. a et b Sommer 2005, p. 122 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « Sommer2005p122 » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  3. Levinas 1988, p. 74
  4. Levinas 1988, p. 75
  5. Grondin 1987, p. 85-86
  6. JL Nancy, dans Les Nouveaux chemins de la connaissance, France Culture, 17 mai 2011.
  7. Article Finitude,Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 490
  8. Christian Dubois, op cité, 2000, page 80.
  9. Gadamer 2002, p. 151
  10. Franz-Emmanuel Schürch Heidegger et la Finitude KLĒSIS –– Revue philosophique : SPÄTER Heidegger/ 2010 = 15 http://www.revue-klesis.org/pdf/1-F-Schurch.pdf page 9
  1. ainsi citées en vrac : le fait que tout pro-jet se trouve jeté, c'est-à-dire déterminé par le déjà existant, la négativité lui étant constitutive ; le constat que la temporalité mise en œuvre est circulaire et finie ; la position d'écoute du Dasein vis-à-vis des injonctions de l'Être ; le fait que pour s'entendre le Dasein ait besoin du monde ; c'est l'histoire de la « vérité » de l'Être qui commande sa propre compréhension ; le constat que toute possibilité existentielle de l'être-jeté implique le retrait d'autres possibilités ; enfin et en toute rigueur la « Die Unheimlichkeit », le à jamais « ne pas être chez Soi » examiné plus haut est un des traits les plus caractéristiques de la finitude humaine-Corvez 1961

Bibliographie

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  • Martin Heidegger (trad. Kōstas Axelos, Jean Beaufret, Walter Biemel et al.), Questions I et II, Paris, Gallimard, coll. « Tel » (no 156), , 582 p. (ISBN 2-07-071852-2, BNF 35067451)
  • Martin Heidegger (trad. François Vezin), Être et Temps, Paris, Gallimard, , 589 p. (ISBN 2-07-070739-3)
  • Martin Heidegger (trad. Kōstas Axelos, Jean Beaufret, Walter Biemel et al.), Questions I et II, Paris, Gallimard, coll. « Tel » (no 156), , 582 p. (ISBN 2-07-071852-2, BNF 35067451)
  • Martin Heidegger, Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie, Gallimard,
  • Martin Heidegger, Phénoménologie de la vie religieuse, Gallimard,
  • Martin Heidegger et Eugen Fink, Héraclite, Séminaire du semestre d'hiver - 1966-1967
  • Martin Heidegger et Jean Beaufret, Lettre sur l'humanisme - édition bilingue -, Aubier,
  • Martin Heidegger et Jean Beaufret, Lettre sur l'humanisme - édition bilingue -, Aubier,
  • Martin Heidegger, De l'herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein : actes du colloque (1919-1929), J. Vrin, coll. « Problèmes et Controverses », (ISBN 2711612732)
  • Martin Heidegger (trad. Alain Boutot), Ontologie. Herméneutique de la facticité, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie », , 176 p. (ISBN 978-2-07-013904-0)
  • Sophie-Jan Arrien, « Vie et histoire (Heidegger, 1919-1923) », Revue Philosophie, Les Éditions de Minuit, no 69,‎ , p. 51-69 (ISSN 1968-391X, DOI 10.3917/philo.069.0051)
  • Jean Beaufret, En chemin avec Heidegger, Cahiers de L'Herne, Le Livre de poche
  • Cristian Ciocan, collectif Le jeune Heidegger 1909-1926, J. Vrin, coll. « Problèmes et controverses »,
  • Maurice Corvez, La philosophie de Heidegger, PUF,
  • Françoise Dastur, Heidegger et la question du temps, PUF, coll. « Philosophies »,
  • Françoise Dastur, Heidegger et la pensée à venir, J. Vrin, (ISBN 2711623904)
  • Christian Dubois, Heidegger, Introduction à une lecture, Paris, Seuil, coll. « Points Essais » (no 422), , 363 p. (ISBN 2-02-033810-6)
  • Didier Franck, Heidegger et le problème de l'espace, Éditions de Minuit, coll. « Arguments », (ISBN 2-7073-1065-4)
  • Jean Greisch, L'Arbre de vie et l'arbre du savoir, le chemin phénoménologique de l'herméneutique heideggérienne (1919-1923), Éditions du Cerf,
  • Jean Greisch, Ontologie et temporalité. Esquisse systématique d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit, PUF,
  • Jean Greisch, « La «tapisserie de la vie», le phénomène de la vie et ses interprétations dans les Grundprobleme des Phänomenologie (1919/20) de Martin Heidegger », dans Jean-François Courtine (dir.), Heidegger 1919-1929 : De l'herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein, Paris, J. Vrin, coll. « Problèmes et controverses », (ISBN 978-2-7116-1273-4), p. 131-152
  • Dominique Janicaud, Heidegger en France, Paris, Hachette Littérature, coll. « Pluriel », (ISBN 2-01-279185-9 et 2-01-279282-0)
  • Servanne Jollivet et Claude Romano, Heidegger en Dialogue (1912-1930), J. Vrin, coll. « Problèmes et Controverses », (ISBN 2-7116-2203-7)
  • Servanne Jollivet, Heidegger, Sens et histoire (1912-1927), PUF, coll. « Philosophies », , 160 p. (ISBN 978-2-13-056259-7)
  • Annie Larivée et Alexandra Leduc, « Saint Paul, Augustin et Aristote comme sources gréco-chrétiennes du souci chez Heidegger », Revue philosophie, Éditions de Minuit, no 69,‎ , p. 30-50 (ISSN 1968-391X, DOI 10.3917/philo.069.0030)
  • Emmanuel Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, J. Vrin, coll. « Bibliothèque d'histoire de la philosophie », (ISBN 2-7116-0488-8)
  • Christian Sommer, Heidegger, Aristote, Luther - Les sources aristotéliciennes et néo-testamentaires d'Être et temps, PUF, coll. « Épiméthée », (ISBN 978-2130549789)
  • Marlène Zarader, Heidegger et les paroles de l'origine, J. Vrin, (ISBN 978-2711608997)
  • Hans-Georg Gadamer Les Chemins de Heidegger Textes Philosophiques VRIN 2002
  • Martin Heidegger Introduction à la métaphysique TEL Gallimard trad Gilbert Kahn 1987
  • Michel Haar Heidegger et l'essence de l'homme Coll Krisis éd Jerome Millon 2002

Voir aussi

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Articles connexes

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Liens externes

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