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Zosima était un moine russe du XVe siècle et l’auteur du Ksenos (aussi orthographié Xenos), qui raconte son pèlerinage à Constantinople et à Jérusalem de 1419 à 1422 et qui contient la dernière description connue de Constantinople par un voyageur russe avant sa prise par les Turcs ottomans en 1453. Si le style littéraire de l’oeuvre laisse à désirer et que ses descriptions topographiques sont parfois confuses, elle est cependant très utile pour combler certains manques à l’histoire byzantine.

Le Ksenos ainsi que son auteur sont étudiés par l’historien américain George P. Majeska dans son livre Russian Travelers to Constantinople in the Fourteenth and Fifteenth Centuries[1] paru en 1984 et dans lequel il compare le voyage effectué par Zosima et les descriptions qu’il nous a laissées avec les oeuvres d’auteurs qui l’ont précédé comme Prior Diacre, Stephen de Novgorod ou encore Ignatius de Smolensk.

Étant donné que l’existence même de Zosima — et par conséquent son statut, sa proximité avec le Grand Prince moscovite Vassili Ier et sa fille Anne ainsi que les deux voyages qu’il prétend avoir accomplis à Constantinople — ne nous sont connus aujourd’hui qu’à travers l’unique texte qu’il a rédigé lui-même et que ce texte semble en partie avoir été recopié à partir d’autres textes prééxistants et contient de nombreuses informations erronées qui indiquent que l’auteur ne se trouvait pas physiquement sur place lorsqu’il les a notées, il s’agit d’une source à traiter avec prudence.

Le pèlerinage effectué par Zosima au XIVe siècle fut similaire à celui de Prior Daniel au XIIe siècle.

Les pèlerinages à Constantinople

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Comme l’explique Majeska, bien qu’ils soient naïfs, les textes qu’ont produit les pèlerins visitant la capitale byzantine entre les années 1349 et 1422 se montrent très utiles non seulement pour notre compréhension de la topographie de Constantinople mais aussi pour la résolution d’autres problèmes dans l’histoire russe et byzantine. En effet, puisque nous n’avons que très peu de documentation concernant la civilisation byzantine, ces récits nous offrent des informations particulièrement précieuses. Pendant longtemps, les chercheurs n’avaient d’autres choix que de travailler à partir de piètres traductions françaises puisque les byzantinistes suffisamment compétents pour lire les textes originaux se faisaient rares. C’est cela que le livre de Majeska est venu changer.

Alors que le pèlerinage à Jérusalem devenait de plus en plus coutume, Constantinople devenait une deuxième Terre Sainte. Certes, elle n’avait pas été fondée par un apôtre et n’avait pas hébergé de célèbres martyrs, mais en tant que « Nouvelle Rome », elle avait bénéficié des efforts fournis par l’empereur Constantin et ses successeurs pour la décorer d’anciennes colonnes et statues ainsi que pour y rassembler des reliques saintes. Le pèlerinage vers de tels symboles de la chrétienté était une caractéristique fondamentale du christianisme byzantin et à la fin du dixième siècle, les Russes avaient commencé à être animés du même désir.[2]

C’est alors que naquit en Russie la tradition du récit de pèlerinage[3], sans qu’il soit descendant d’un genre littéraire byzantin comme c’était le cas pour la majorité des autres genres littéraires russes. On peut voir dans le « Pèlerinage de Prior Daniel », rédigé au début du XIIe siècle, le tout premier exemple de ce type de récit

Dans leurs descriptions de la capitale byzantine, les pèlerins russes ne se contentent pas seulement d’énumérer des immeubles et des monuments. Ce sont davantage les reliques saintes que l’on préservait dans les autels qui retenaient leur attention. Bien sûr, des édifices incontournables comme la cathédrale de Sainte-Sophie y figuraient également.

Les Russes possédaient aussi un avantage par rapport aux autres pèlerins. Puisqu’ils étaient initiés aux rites et coutumes de l’Église byzantine russe, ils connaissaient et comprenaient déjà toutes ses particularités. Cela faisait donc d’eux de parfaits reporters pour expliquer ce qu’ils avaient vu et pour identifier les reliques. Les objets et les histoires auxquels ils étaient mis en contact, ils ne les découvraient pas; ils les reconnaissaient. Les Russes de l’époque médiévale et les Byzantins étaient issus de la même communauté culturelle car la Russie avait fortement appuyé sa culture sur celle de la civilisation byzantine. Par conséquent, ce que les pèlerins russes rapportaient dans leurs récits encourageait encore plus la valeur de la culture byzantine en Russie. Plutôt que d’y voir simplement une énumération de faits concernant la métropole du Bosphore, les Russes qui lisaient ces témoignages voyaient le statut sacré de Constantinople être confirmé. La capitale byzantine hébergeait le patriarche de l’Église orthodoxe, la foi nationale adoptée par les Russes. Elle était donc à la fois la cité la plus riche qu’ils avaient connue mais également la plus sacrée, presque mythique. Comme Majeska l’indique, Constantinople n’était pas seulement la « Nouvelle Rome », mais aussi la « Nouvelle Jérusalem ». La plupart des évêques et des métropolitains en Russie provenaient de Constantinople et effectuaient l’aller-retour entre la Russie et la métropole du Bosphore, apportant en Russie les nouvelles directives ecclésiastiques et des livres qui influençaient le développement de la culture et des goûts russes. De plus, les Russes faisaient venir des artistes byzantins pour peindre des icônes et décorer des églises. Il était communément admis que l’art byzantin était supérieur à tous les autres et que c’est en comparaison à celui-ci que toutes les oeuvres étaient jugées. Or, elle n’avait pas été uniquement une source d’inspiration culturelle ou religieuse pour les Russes, c’est elle qui avait entraîné l’établissement de l’État Rus’ par ceux qui voyageaient sur la route des Varègues aux Grecs durant le IXe siècle.

Cependant, la Constantinople que les pèlerins russes du XIVe et du XVe siècle découvraient en arrivant n’avait plus rien à voir avec celle qu’elle avait été jadis. En effet, celle-ci ne détenait plus le même pouvoir sur le monde méditerranéen de l’est comme c’était le cas au XIIe siècle. Elle était devenue la capitale d’un état balkanique parmi tant d’autres et ne cessait de perdre du territoire.

Les origines

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Très peu de choses nous sont connues de Zosima. Ce que nous savons de lui provient du Ksenos, le récit de son pèlerinage à Constantinople et à Jérusalem qu’il effectua de 1419 à 1422. Si l’on se fie aux titres qu’il se donne au sein même de son texte, Zosima aurait été un hiéromoine — un moine ordonné prêtre — ou un hiérodiacre — un moine ordonné diacre — de la laure de la Trinité-Saint-Serge, un monastère orthodoxe situé à 75 km au nord-est de Moscou, dans la ville de Serguiev Possad. Cependant, il se peut aussi que le terme russe « ieromonah » signifie tout simplement qu’il fut un moine au sein de l’Église orthodoxe, comme l’explique l’historien américain George P. Majeska dans son livre Russian Travelers to Constantinople in the Fourteenth and Fifteenth Centuries. Quoiqu’il en soit, Zosima devait sans doute jouir d’un statut particulier à Moscou puisqu’il prétend avoir fait parti de l’ambassade qui escorta Anne de Moscou, fille du Grand Prince Vassili 1er, jusqu’à Constantinople pour son mariage avec Jean VIII Paléologue, fils aîné de l’empereur byzantin Manuel II, entre 1411 et 1413.

De plus, comme le souligne Majeska, il fallait que Zosima soit plutôt bien nanti pour voyager ainsi durant trois ans, tout en payant son passage sur les navires marchands, des pots-de-vin (baksheesh) en Palestine et en distribuant des aumônes. Tout ceci, de même que la façon dont il était reçu dans les différents monastères où il s’arrêtait, nous fait penser qu’il devait appartenir à une importante famille de l’État moscovite.

Le premier voyage à Constantinople

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Dans le récit qu’il fait de son pèlerinage entre 1419 et 1422, Zosima prétend s’être déjà rendu une première fois à Constantinople entre 1411 et 1413 pour accompagner Anne de Moscou, fille du Grand Prince Vassili Ier. Du côté de sa mère. celle-ci était également la petite-fille du Grand Prince Vitovt de Lituanie, ce qui fait en sorte qu’elle représentait les familles royales des deux parties de la Russie. Comme l’exprime Majeska, le mariage d’Anne de Moscou avec le futur empereur byzantin Jean VIII Paléologue, fils aîné de Manuel II a dû faire une grande impression auprès du peuple russe puisque la tradition veut que c’est à Moscou que le mariage a eu lieu et donc que le futur empereur byzantin est venu à Moscou. Il n’est donc pas étonnant, pour reprendre les mots de Majeska, que Zosima raconte son passage au monastère de Lips, que l’on connaît aujourd’hui sous un autre nom, c’est-à-dire celui de la mosquée Fenâri îsâ. En effet, c’est là que fut enterrée Anne, l’« impératrice russe », apparemment morte peu de temps après son mariage, soit en 1417, de la peste bubonique.

Le pèlerinage de 1419 à 1422

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Le pèlerinage pour lequel Zosima est connu aujourd’hui fut accompli entre le début de l’été 1419 et le mois de mai 1422. Partant de Moscou, Zosima s’est arrêté à Kiev, l’ancienne capitale de la Russie avant l’invasion des Mongols, où il resta jusqu’au début de l’automne avant de voguer sur le fleuve Dniester en direction de Constantinople. Il visita la capitale byzantine durant dix semaines. Puis, il fit voile vers la Palestine où il arriva juste un peu avant Pâques en 1420. Il y resta une année entière avant de retourner à Constantinople, où il passa l’hiver, et ne repartit qu’en mai 1422 pour la Russie. Au cours de ce voyage, il fut supposément attaqué par des bandits en Palestine et son navire fut abordé par des pirates alors qu’il revenait vers Constantinople.

Le Ksenos

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Le Ksenos, aussi orthographié Xenos et signifiant « errant », raconte le pèlerinage à Constantinople et à Jérusalem que Zosima a accompli entre 1419 et 1422. Il s’agit de la dernière description de Constantinople par un voyageur russe avant sa prise par les Turcs ottomans en 1453.

Dans son livre Russian Travelers to Constantinople in the Fourteenth and Fifteenth Centuries, l’historien américain George P. Majeska dresse une liste des manuscrits du Ksenos qui existent toujours aujourd’hui et fournit une petite étude codicologique de ceux-ci. Il souligne notamment que la première publication du Ksenos était celle de Pavel Stroev, qui prétend que son édition reproduisait le texte original tel qu’il était préservé dans un manuscrit appartenant à un paysan du XVIIe siècle, mais c’est le manuscrit de Tolstoj que Majeska choisit d’inclure dans son ouvrage, puisqu’il offre selon lui, la meilleure et la plus ancienne lecture.

D’un point de vue purement littéraire, et encore une fois selon Majeska, les descriptions de Constantinople qui y sont offertes par Zosima sont faibles, sans saveur et remplies de slavonicismes démodés. Ses piètres orientations topographiques suggèrent non seulement que Zosima, plutôt que de les rédiger durant son séjour dans la capitale byzantine, les a écrites de mémoire par la suite, mais aussi ses descriptions sont-elles difficiles à interpréter. Par ailleurs, certains des incidents racontés par Zosima comme l’attaque des bandits dont il fut la cible en Palestine et celui de l’abordage par des pirates alors qu’il revenait vers Constantinople sont également présents dans Le Pèlerinage de Prior Daniel, rédigé au XIIe siècle et dans Voyage à Constantinople, rédigé vers la fin du XIVe siècle par Ignatius de Smolensk, dans lesquels ils sont bien mieux décrits. C’est également vrai en ce qui concerne la description que fait Zosima de la descente du feu sacré dans l’Église du Saint-Sépulcre à Pâques, très pâle, selon Majeska, en comparaison avec celle que fait Prior Daniel 300 ans plus tôt. Pour couronner le tout, la très grande similitude entre les termes utilisés par Zosima pour décrire la Palestine et ceux que l’on trouve dans Le Pèlerinage de Prior Daniel fait croire à Majeska que le moine russe s’en est fort probablement inspiré lors de la rédaction de son propre ouvrage. En fait, certains auteurs vont même plus loin en disant que Zosima s’est également inspiré de L’Errant de Stephen de Novgorod et de la Description anonyme de Constantinople, mais selon Majeska, ces similitudes reflètent probablement plus la tradition par laquelle les pèlerins arrivant à Constantinople se faisaient leur visite et se faisaient montrer les monuments par les guides et la population byzantine.

À cette critique du style littéraire de Zosima, Majeska ajoute une nuance. Selon lui, certaines sections de son récit sont rédigées avec davantage de dynamisme, comme celle de son voyage au mont Athos, à Thessalonique, en Palestine, son voyage autour de la Terre Sainte et celui de son retour vers Constantinople.

Il en est autrement de la valeur du texte en tant que source historique. Celui-ci nous éclairent certaines portions souvent délaissées de l’histoire russe et de l’histoire byzantine. Par exemple, le Ksenos de Zosima, tout comme les descriptions d’Ignatius de Smolensk dans son propre ouvrage, contient des références très précises pour connaître les artères importantes de communication entre la Russie et Byzance au Moyen Âge. D’autres passages, comme la liste que produit Zosima des fils de l’empereur byzantin Manuel II, peuvent compléter le peu que nous savons de la chronologie et de l’histoire politique byzantine, qui nous vient trop souvent de chroniques monastiques auxquelles il manque certaines informations documentaires fondamentales.

La controverse entourant le monastère Apolikaptii

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C’est probablement, comme Majeska l’explique, parce que Zosima n’a pas rédigé le Ksenos pendant son séjour à Constantinople que certaines de ses descriptions topographiques sont très imprécises et par conséquent, peu fiables. Mais alors que la majorité des lieux visités par Zosima nous sont connus, il en est un qui reste encore aujourd’hui mystérieux car les historiens ne s’entendent pas sur son identification. Il s’agit du monastère Apolikaptii. Zosima n’y consacre que deux phrases.

Dans son livre Les églises et les monastères[4] paru en 1953, l’historien français Raymond Janin propose d’associer le monastère Apolikaptii au monastère de Christ Akatalèptos, que l’on connaît de certaines sources byzantines, probablement, comme Ayse Pamir Dietrich le suppose dans son article 13th-15th Century Russia Accounts of Constantinople and Their Value as Historical Sources[5], en se basant sur la similitude entre les deux noms. Janin poursuit alors son enquête en associant le monastère Christ Akatalèptos à la mosquée Kalenderhane qui se trouve actuellement près du centre d’Istanbul, au sud-sud-est du monastère Pantokrator, et qu’on l’on connaissait anciennement sous le nom de Sainte-Marie-Diaconissa lorsqu’elle était une église grecque orthodoxe sans doute dédiée à la Vierge Marie. Se faisant, Janin va dans le même sens que V. Laurent.

Quant à l’historien américain George P. Majeska, celui-ci situe à la fois le monastère Philanthropos et le couvent Kecharitomenè dans la section nord-ouest de Constantinople. Il serait donc logique d’assumer que le monastère Apolikaptii se trouve également dans les mêmes environs.

Or, lorsqu’elles sont examinées avec plus d’attention, ces deux propositions sont problématiques, d’abord à cause de la distance entre le monastère Apolikaptii et le monastère Pantokrator et ensuite à cause de la direction du monastère Apolikatpii depuis le monastère Pantokrator. Dans leur livre Kalenderhane in Istanbul: The Buildings, Their History, Architecture, and Decoration[6], Striker et Kuban avancent que Zosima faisait référence à un lieu hypothétique qu’ils nomment le monastère Apokalypseos.

  1. (en) George P. Majeska, Russian Travelers to Constantinople in the Fourteenth and Fifteenth Centuries, Washington, Dumberton Oaks, , 463 p. (ISBN 9780884021018)
  2. (en) Yoshikazu Nakamura, « Some aspects of the Russian pilgrimage to the Mediterranean Sacred Places », Studies in the Mediterranean World,‎ , p. 25-35 (lire en ligne)
  3. Michel Kaplan, Byzance, Paris, Les Belles Lettres, (ISBN 9782251410357)
  4. Raymond Janin, Les églises et les monastères, Paris, Institut français d'études byzantines, , 605 p. (ISBN 9782901049289)
  5. (en) Ayse Pamir Dietrich, « 13th-15th Century Russia Accounts of Constantinople and Their Value as Historical Sources », Russian Literature,‎ (lire en ligne)
  6. (en) Cecil L. Striker et Y. Dogan Kuban, Kalenderhane in Istanbul: The Buildings, Their History, Architecture, and Decoration, Verlag Philipp von Zabern, , 150 p. (ISBN 9783805320269)