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La Conversion de saint Paul du Caravage présente le saint, à terre, et son cheval vus en raccourci.

Le terme raccourci, dans les arts graphiques figuratifs, en peinture notamment, le raccourci est une technique de perspective appliquée à la figure et aux autres formes mouvantes, dont le spectateur connaît les proportions. Représentés vus « du bout », ils sont plus courts que ce qu'ils paraissent habituellement[1].

Fonction modifier

Le raccourci sert à donner à la représentation plate d'objets en volume l'apparence de la profondeur ; il témoigne de la virtuosité de l'artiste dans l'observation[2]. Il permet également de rectifier l'image par rapport au positionnement du spectateur.[3]

 
La lamentation sur le Christ mort d'Andrea Mantegna présente le Christ allongé vu en raccourci, forçant ainsi la perspective pour mettre en valeur les stigmates de la crucifixion.
 
La chambre des époux d'Andrea Mantegna présente une utilisation du raccourci permettant de donner une impression de hauteur.
 
L'assomption de la vierge du Corrège , ou le raccourcissement permet de donner une impression d'ascension vers les cieux.
 
Les Ambassadeurs, d'Hans Holbein le Jeune, présente, au premier plan, une anamorphose figurant un crâne si le spectateur regarde la toile de coté.

Certains styles ou courants recherchent des points de vue donnant des raccourcis exagérés, qui constituent un effet visuel étonnant. L'artiste infléchit la perception des volumes et de la profondeur qu'ont les spectateurs de l'image lorsqu'ils la regardent[3].

Histoire modifier

L'utilisation de ce procédé visuel s'observe dès l'Antiquité, sur les céramiques grecques et les fresques murales gréco-romaines[3]. Il atteste de l'intérêt particulier que portent les artistes de ces époques à la représentation spatiale d'après l'imitation de la nature.

Durant l'époque médiévale, les artistes s'émancipent des représentations mimétiques et des formules illusionnistes. Pour composer leurs images peintes et y suggérer l'effet de la profondeur, ils construisent des représentations en plans et superposent les sujets représentés les uns sur les autres.

Renaissance modifier

Les artistes de la Renaissance renouent avec la représentation mimétique et exaltent la perspective axiale rationnelle, bifocale (centralisée ou latéralisée), monofocale ou convexe, qui suppose un espace peint homogène disposé sur une surface plane. Les intellectuels et érudits de la première moitié du XVe siècle découvrent l'approche qui était faite de la perspective pendant l'Antiquité romaine grâce aux collations et aux traductions des manuscrits du traité De architectura de Vitruve[4]. Le rapport culturel et conceptuel du spectateur à l'image change profondément à cette période. L'image peinte devient une sorte d'illusion. Dans son traité De pictura, Leon Battista Alberti théorise l'espace pictural : le tableau est un monde, dans lequel l'espace spatial de la scène représentée est construit, et son cadre est entendu comme une fenêtre sur ce monde. Cette nouvelle pensée figurative, humaniste, et le développement du dessin d'observation[3] permettent aux artistes d'expérimenter de nombreuses techniques de perspective, dont le raccourci - qui permet de renforcer l'effet de profondeur de leurs compositions peintes. La perspective doit être dès lors naturelle (car la représentation peinte imite le réel), mais aussi artificielle (car la représentation peinte est construite grâce à un trame géométrique)[4].

Cette recherche d'effets visuels, de truchements et d'illusions optiques, s'observe par exemple avec La Lamentation sur le Christ mort, peinte par Andrea Mantegna vers 1480. L'artiste utilise une perspective bifocale centralisée pour composer et construire l'effet de la profondeur dans sa peinture. Le corps du Christ mort, vu en raccourci, constitue un axe qui relie l'espace réel depuis lequel le spectateur observe à l'espace illusionniste de la peinture.

L'expression italienne Di sotto in sù, traduite de dessous vers le haut en français, désigne la réduction des corps vus en perspective de dessous (ou depuis le dessous). Il s'agit d'un effet de perspective très accusé. Le peintre représente ses sujets en contre-plongée, donnant ainsi l'illusion d'une grande verticalité et d'une échappée céleste vertigineuse à sa composition[5].

Sur la voûte du plafond de La Chambre des Époux, à Mantoue, Andrea Mantegna a représenté un oculus ouvert sur un ciel illusionniste ; la perspective est ici construite selon un axe vertical ascendant, pour que le spectateur ait une vision verticale ascensionnelle. Les corps des putti sont représentés, non pas parallèles à la surface de la voûte (support de l'illusion), mais quasiment perpendiculaires à celle-ci. Leurs corps sont ainsi vus en raccourcis, c'est-à-dire que la représentation des corps a subi une modification, une certaine réduction, de la part de l'artiste pour donner la sensation au spectateur qui les regarde qu'ils se tiennent debout et qu'ils sont vus en contre-plongée. Cette expérience, l'utilisation de la perspective verticale, menée par Mantegna dans le troisième quart du XVe siècle, reste assez restreinte puisque cet oculus ne fait qu'environ 2 m de diamètre.

Une utilisation plus conséquente de cette formule s'observe au XVIe siècle, dans les œuvres du Corrège notamment.

L'emploi du raccourci ménage, durant cette période, de nouvelles possibilités optiques pour les artistes, telles que l'anamorphose. On peut l'observer chez H. Holbein le Jeune dans son oeuvre Les Ambassadeurs, où un crâne n’apparaît que lorsque le spectateur se situe à un endroit bien précis vis-à-vis de la toile[3].

Époque moderne modifier

Le XVIIe siècle verra le thème plastique du raccourci largement repris par les artistes décorateurs, majoritairement par les artistes italiens qui acquièrent une solide maîtrise dans la réalisation de plafonds et de coupoles. Un exemple typique est celui du Triomphe de saint Ignace et la mission des jésuites peint par Andrea Pozzo au plafond de l'église Saint-Ignace de Loyola de Rome, qui est à présent considéré comme le manifeste de l’illusionnisme baroque. Au XVIIIe siècle, on retrouve d'autres exemples de l'emploi du raccourci, notamment dans l’œuvre de Giambattista Tiepolo dans la Villa Pisani, l'apothéose de la maison Pisani. Au XIXe siècle, la technique est utilisée dans la création de plafonds des théâtres et des opéras[5].

Cependant, le classicisme, en réaction contre les excès du maniérisme, réprouve le raccourci, et préconise de montrer, autant que possible, les figures dans leurs proportions idéales, dans une vue frontale.

Paul Souriau impute cette option, à l'époque où l'opposition entre l'avant-garde artistique et l'académisme structure l'esthétisme, à une déficience de l'esprit ; « dans le tableau », écrit-il, le raccourci « ne pourra choquer qu'un spectateur dépourvu d'imagination, et qui ne sait pas voir une figure dans l'espace[6] ». À la même époque, Jules Adeline met en garde les élèves : « les raccourcis désagréables d'aspect ou incompréhensibles sont des écueils à éviter[7] ».

Époque contemporaine modifier

 
Raccourcis dans une revue de comics.

À l'époque moderne, la peinture se détache de la figuration dont la critique d'art dénonce l'illusionnisme ; mais la bande dessinée, dont surtout les comics basés sur les super-héros utilisent fréquemment le raccourci à des fins dramatiques.

L'historien de l'art Jean Rudel remarque que, dès les années 1950, des courants artistiques et des artistes contemporains se saisissent à nouveau de la question du raccourci en l'adaptant dans leurs pratiques artistiques. Le courant de l'art cinétique, qui produit des œuvres en mouvement, se sert notamment de cette technique afin de générer des illusions d'optique. Certains artistes de ce mouvement, tels que Gianni Colombo et Davide Boriani, ont expérimenté avec les angles de photographie et des installations en suspension dans l'espace. Cette adaptation du raccourci permet de créer un nouvel ensemble de jeux optiques entre l’œuvre et le spectateur[3].

Bibliographie modifier

Notes et références modifier

  1. André Béguin, Dictionnaire technique de la peinture, (1re éd. 1990), p. 633
  2. Anne Souriau, Vocabulaire d'esthétique : par Étienne Souriau (1892-1979), Paris, PUF, coll. « Quadrige », (1re éd. 1990), 1493 p. (ISBN 9782130573692), p. 1267.
  3. a b c d e et f Jean Rudel, « Raccourci, peinture », sur https://www.universalis.fr/ (consulté le )
  4. a et b Gérard Legrand, L'art de la Renaissance, Paris, Éditions Larousse, , 143 p. (ISBN 978-2-03-587637-9), p. 54
  5. a et b Jean Rudel, « Di sotto, peinture », sur https://www.universalis.fr/ (consulté le )
  6. Pau Souriau, L'imagination de l'artiste, Paris, (lire en ligne), p. 66.
  7. Jules Adeline, Lexique des termes d'art, nouvelle ed., (1re éd. 1884) (lire en ligne)

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