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François Clarac et Jean-Pierre Ternaux font une synthèse de la question des rapports entre inconscient et neuroscience dans la conclusion de leur ouvrage Encyclopédie historique des neurosciences[1].

Avec les progrès technologiques, les neurosciences sont devenus plus ambitieuses, elles ne cherchent plus seulement à expliquer et à soigner les maladies neurologiques mais veulent expliquer les fonctions psychiques les plus complexes, dont l'inconscient[2]. Bien que ce projet ne fasse pas l'unanimité dans le champ de la neurobiologie, certains auteurs comme Changeux[3] ou Buser[4] considèrent cela comme une révolution[2]. Le champ des neurosciences s'élargit constamment, et bien que de nombreuses années seront encore nécessaire pour déterminer le rôle fonctionnel des espaces du cerveau déterminant les fonctions cognitives, une ère nouvelle est annoncée selon Fodor[5],[6]. La légitimité de traiter scientifiquement des questions relatives à la conscience se pose, notamment selon Edelman[7] et Varela[8] pour savoir si elle possède un substrat biologique et si elle peut être abordée en terme de réseaux neuroniques. Le risque serait de verser dans le réductionnisme[9].

Le domaine de l'inconscient, exploré par Freud et la psychanalyse, semble aujourd'hui concerner les neurosciences[9]. Selon certains neurobiologistes, comme Eric Kandel, la psychanalyse serait compatible avec les neurosciences et pourrait s'en nourrir[10],[11]. D'autres pensent y avoir accès comme Ramachandran avec les anosognosies typiques des lésions pariétales droites en relation avec le déni, qui confirme selon lui la théorie psychanalytique du refoulement ou des expériences sur le membre fantôme[12], Reilly et Sirigu ont fait des recherches semblables[13],[14]. Si les oppositions entre psychanalystes et neuroscientistes transparaissent dans les médias, certains parmi ces derniers, comme Mettens[15] voient les deux domaine comme un même ensemble de paradigmes, dans une filiation historique commune, et qu'elles rencontrent des questionnements et des difficultés identiques[14].

Ce n'est pas pour autant la position générale : Buser[16] montre la diversité des inconscients cognitifs[14]. Naccache[17] d'après une expérience montre qu'il y a une perception subliminale inconsciente d'un mot avant qu'il ne parvienne à la conscience[14]. Dehaene, Naccache et Changeux ont proposé un modèle scientifique de la conscience visuelle, selon lequel nous avons plus conscience de la représentation d'un objet telle qu'établie par notre cerveau que de l'objet lui-même[18]. Dans son ouvrage, Naccache aborde Freud et explique que l'inconscient freudien et cognitif sont incompatibles : selon l'un les représentations inconscientes sont pérennes dans l'autre elles sont évanescentes ; le refoulement serait un phénomène conscient[18]. Selon Buser, à partir du postulat d'une explication des comportements par les réseaux de neurone, il y a deux positions : ceux qui pensent que l'on pourra cerner les contour de la conscience et de l'inconscient, faire la synthèse entre neurone et esprit, et d'autres qui croient que cela ne sera pas possible[18].

François Clarac et Jean-Pierre Ternaux, Encyclopédie historique des neurosciences : Du neurone à l'émergence de la pensée, Bruxelles, De Boeck Supérieur, coll. « Neurosciences & cognition », (ISBN 9782804158989, présentation en ligne)

Inconscient et neuroscience : version +/- TI

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Lionel Naccache : "Nous sommes [...] passés en moins de quarante ans d'une conception scientifique d'un inconscient archaïque du point de vue de ses fondements anatomiques cérébraux, d'un inconscient stupide automatique et réflexe du point de vue de ses fonctions mentales, à celle d'un inconscient autrement plus riche et élaboré sur les plans fonctionnel et anatomique."[19]

Selon Lionel Naccache, « les réflexions de brillants mathématiciens, cybernéticiens, linguistes, psychologues tels John von Neuman, Alan Turing, Norbert Weiner, Marvin Minsky, Noam Chomsky ou George Armitage Miller » qui affirment que « les processus mentaux peuvent être décrits comme des processus de traitement de l’information, au sens mathématique et statistique du terme »[20], ainsi que sur les développements techniques comme l’imagerie cérébrale fonctionnelle[21].

Selon cette conception, le système nerveux reçoit et traite de très nombreuses informations provenant du corps et du monde qui l'environne, mais seulement une infime portion de ces informations parviennent à notre conscience[22].

Pendant de nombreuses années, c'est le paradigme de l'arc réflexe et d’une distribution hiérarchique des fonctions cérébrales de John Hughlings Jackson qui dominera les neurosciences. Selon Jackson, la vie consciente est issue de processus mentaux prenant leur origine dans le néocortex cérébral, tandis que la vie inconsciente est issue du fonctionnement des régions sous-corticales.

L'une des expériences fondatrice selon Naccache[23] concerne la capacité de vision d'un humain ou d'un singe malgré l'absence de cortex occipital (région du cerveau qui traite les informations visuelles), appelée vision aveugle. Avant cette expérience en 1974[24], on aurait prédit que l'absence de cortex visuel pour traiter les informations visuelles, induirait une cécité totale. Or ces expériences montrent que malgré la perte de « vision focale » (c'est-à-dire que l'individu se dit lui-même aveugle), une certaine vision persiste : l'individu cligne les yeux à la menace, évite certains obstacles, témoignant d'une « vision d'ambiance ». Mais cette vision d'ambiance est non consciente. Les individus peuvent ainsi deviner l'expression émotionnelle d'un visage sans en avoir la moindre conscience[25]. Le domaine de l'inconscient vu par les neurosciences apparaît ainsi comme tous les processus mentaux et performances d'un individu dont il n'a pas conscience, créant une dissociation entre les faits objectifs et les capacités d'introspection du sujet.

Mais ce type d'expérience restera selon Naccache dans un premier temps prisonnier de la vision de Jackson d’ères du cerveau spécialisées, car l'origine neurologique de cette vision non consciente était considérée sous corticale, et à juste titre[26]. Mais c’est grâce notamment à l’expérience de l’hémi-négligence que l’hypothèse d’une localisation de processus inconscients dans les zones les plus complexes du cerveau émergera, découverte déjà faite par Freud qui était neurologue de formation, rapporte Guillaume Surena[21]. Cette expérience montre en effet que des patients dont certaines régions cérébrales sont lésées mais dont les voies visuelles (notamment corticales) sont respectées, ne voient pas consciemment : les informations visuelles ne parviennent pas jusqu'à l'attention. Ceci qui explique que les patients ont des performances visuelles correctes (barrer des segments) mais sans qu'il puissent en témoigner[27]. Il semble donc que des aires hautement spécialisées comme le cortex visuel, que l'on pensait jusque là dévolu à la vision consciente (selon la théorie de Jackson), puisse opérer de façon inconsciente.

Ainsi selon Lionel Naccache, « élaborer un discours contemporain sur l’inconscient et faire l’économie d’une discussion de la pensée freudienne relèverait, je crois, du mépris ou de l’ignorance, bref d’une barbarie intellectuelle »[28].

Dès lors l’inconscient cognitif est caractérisé par trois propriétés, qui sont autant d’hypothèses selon Naccache[29] :

1) les processus inconscients ne sont pas seulement cantonnés aux émotions mais peuvent tenir à des processus complexes et abstraits. Par exemple la prise de décisions où l'on sait que dans certaines conditions, les décisions prises sans réflexion consciente sont meilleures que celles prises après réflexion consciente[30].

2) il existe une multiplicité de circuits neuronaux et donc d'inconscients différents

3) ces processus entretiennent des relations avec la conscience.

Dès lors, il existe une série de correspondances entre l’inconscient des neurosciences et celui de Freud : la richesse des représentations ; l'opposition à la conscience ; le processus de prise de conscience repose sur la notion d’attention ; la division de l’espace inconscient en plusieurs catégories quantitativement distinctes[21]. Naccache identifie également trois oppositions  : l’immortalité des représentations inconscientes qui ne peuvent mourir ou disparaître qu’en devenant conscientes ; les interprétations et les désirs inconscients ; le refoulement[21],[n 1].

Ainsi l'inconscient d’après les neurosciences est désignés selon certains chercheurs sous les expressions d'« inconscient cognitif » ou d'« opération non consciente »[31],[32],[33] qui sont selon Stanislas Dehaene plus clairs et plus neutres pour éviter une confusion avec l'inconscient "freudien"[34]. En effet, l'inconscient freudien ne s'y assimile pas exactement d'après John F. Kihlstrom, Stanislas Dehaene : « de nombreux aspects de la théorie freudienne de l’inconscient ne trouvent pas d’échos dans la recherche contemporaine[34]. », ou encore Lionel Naccache : « À l'image de Colomb qui explorait les Amériques en étant persuadé de découvrir les Indes, Freud commit lui aussi une erreur. L'"erreur de Freud" fut de croire découvrir l'"inconscient", alors qu'il nous dévoilait l'essence profonde de notre conscience ! »[19]. Cependant selon Guillaume Surena, « ce n’est donc pas Freud qui ne savait pas où il allait, c’est Naccache qui, comme Amerigo Vespucci et les cartographes de son temps, ne s’est pas rendu compte qu’il n’est que là où Freud a été entre 1895 et 1900 »[21], Freud ne nie pas le soubassement cérébral ou neuronal de la vie psychique, il en propose une explication à partir d'une topique abstraite, non réaliste puisque les mêmes activités neuronales peuvent représenter aussi bien les processus conscients qu'inconscients[21]. Par ailleurs, divers acteurs voient un possible rapprochement et une compatibilité entre les découvertes des neurosciences et la psychanalyse dont le neuroscientifique, prix Nobel de médecine, Eric Kandel[35].

Le cerveau inconscient peut non seulement effacer certaines données visuelles, ce qui falsifie l'image qui apparaît au cerveau conscient, mais aussi il peut remplir cet espace avec de fausses données et ainsi remplacer les données manquantes[36].

On oppose souvent les traitements conscient et non conscient par leur caractéristiques respectives[37],[34],[38] :

traitement conscient traitement inconscient
plus lent plus rapide
capacité limitée (traitement exclusif de l'information) capacité moins limitée (traitement non exclusif de l'information)
à partir de moins d'informations à partir de plus d'informations
plus forte dépense métabolique plus faible dépense métabolique
  1. Sur ce dernier point on peut toutefois noter que selon le neurobiologiste Yoram Yovell, le refoulement est réel et peut constituer un cadre conceptuel du dialogue entre psychanalyse et neuroscience cf. Jacques Boulanger, « La mémoire, de Freud à Kandel », L'information psychiatrique, John Libbey Eurotext, vol. 91, no 2,‎ , p. 145-162 (ISSN 0020-0204, lire en ligne)
  1. Clarac et Ternaux 2008, p. 591-607.
  2. a et b Clarac et Ternaux 2008, p. 591.
  3. « Changeux, JP, (1984). La révolution des neurosciences. Colloque du XXe anniversaire de l’INSERM.« Recherche médicale, santé société »
  4. « Buser, P, (2005). L’inconscient aux milles visages. Paris, Odile Jacob »
  5. « Fodor, JA, 1983. Modularity of Mind : An Essay on Faculty Psychology. Cambridge, Mass., éd., MIT Press. »
  6. Clarac et Ternaux 2008, p. 601.
  7. « Edelman G.M. 1992.Biologie de la conscience. Paris, éd.,Odile Jacob »
  8. Varela, FJ, (1989). Autonomie et connaissance. Essai sur le vivant. Paris, éd., Le Seuil
  9. a et b Clarac et Ternaux 2008, p. 605.
  10. Kandel, E, (1999). « A new intellectual framework for psychiatry. » American Journal of Psychiatry, 155, 457-469 »
  11. Clarac et Ternaux 2008, p. 605-606.
  12. Ramachandran, VS, and Hirstein, W, (1998). « The perception of phantom limbs : The D. O. Hebb lecture. » Brain, 121, 1603-1630
  13. Reilly, KJ, Sirigu, A, (2008). « The motor cortex and its role in phantom limb phenomena ». Neuro-scientist, 14 (2), 195-202
  14. a b c et d Clarac et Ternaux 2008, p. 606.
  15. Mettens, P, (2006). Psychanalyse et sciences cognitives, un même paradigme ? Paris, Bruxelles, Oxalis, De Boeck Université
  16. Buser, P, (2005). L’inconscient aux milles visages. Paris, Odile Jacob.
  17. Naccache, L, (2006). Le Nouvel Inconscient. Paris, éd., Odile Jacob
  18. a b et c Clarac et Ternaux 2008, p. 607.
  19. a et b Lionel Naccache, Nouvel inconscient (Le): Freud, le Christophe Colomb des neurosciences, Editions Odile Jacob, (ISBN 9782738199713, lire en ligne)
  20. Lionel Naccache, Le Nouvel Inconscient. Freud, Christophe Colomb des neurosciences, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 63 cité dans Guillaume Surena, « Le temps des Amérigo ou Les cartographes du nouvel inconscient de Lionel Naccache », Revue française de psychanalyse, Presses Universitaires de France, vol. Vol. 71, no 3,‎ , p. 893-905 (DOI 10.3917/rfp.713.0893)
  21. a b c d e et f Guillaume Surena, « Le temps des Amérigo ou Les cartographes du nouvel inconscient de Lionel Naccache », Revue française de psychanalyse, Presses Universitaires de France, vol. Vol. 71, no 3,‎ , p. 893-905 (DOI 10.3917/rfp.713.0893)
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  23. Lionel Naccache, Le Nouvel Inconscient. Freud, Christophe Colomb des neurosciences, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 19 cité dans Guillaume Surena, « Le temps des Amérigo ou Les cartographes du nouvel inconscient de Lionel Naccache », Revue française de psychanalyse, Presses Universitaires de France, vol. Vol. 71, no 3,‎ , p. 893-905 (DOI 10.3917/rfp.713.0893)
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  28. Lionel Naccache, Le Nouvel Inconscient. Freud, Christophe Colomb des neurosciences, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 13 cité dans Guillaume Surena, « Le temps des Amérigo ou Les cartographes du nouvel inconscient de Lionel Naccache », Revue française de psychanalyse, Presses Universitaires de France, vol. Vol. 71, no 3,‎ , p. 893-905 (DOI 10.3917/rfp.713.0893)
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