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Poétiques de l'anagnorisis (Recognitions: a study in poetics) est un essai d'histoire et de critique littéraire écrit par l'universitaire britannique Terence Cave, publié en 1988 par Clarendon Press[1]. La traduction française, par Luc Sautin, est publiée sous le titre Poétiques de l'anagnorisis, par les Classiques Garnier en 2022[2]. Selon Antoine Compagnon, l'ouvrage est aussi important dans le champ de l'histoire de la critique littéraire que Mimésis d'Eric Auerbach[3].

L'ouvrage porte sur la notion d'anagnorisis (ou reconnaissance), décrite dans La Poétique d'Aristote comme « un renversement qui fait passer de l'ignorance à la connaissance, ou bien à l'alliance ou à l'inimitié[4] ». A partir des définitions et des exemples antiques de ce procédé de dramaturgie et de narratologie, l'auteur analyse la postérité de cette notion dans les corpus critiques et littéraires où elle figure. L'ouvrage est divisé en trois grandes sections indépendantes les unes des autres. La première consiste dans une histoire de l'anagnorisis dans les principales poétiques occidentales, d'Aristote à Roland Barthes. La deuxième est un essai de théorie littéraire autour de la notion d'anagnorisis. La troisième partie étudie la façon dont certains auteurs du canon littéraire occidental ont mis en pratique ce procédé dans leurs oeuvres, tant dramatiques que narratives.

 
Edouard-Aimé Pils, Ulysse reconnu par Euryclée, 1849, collection particulière

A l'issue d'un Prologue qui permet à l'auteur de s'inscrire dans le sillage de Mimésis d'Eric Auerbach tout en se démarquant de sa méthode critique, la première partie de Poétiques de l'anagnorisis étudie la fortune de la notion d'anagorisis dans les ouvrages de poétique occidentaux. Après avoir analysé les différentes facettes de la notion telle qu'elle est présentée dans l'oeuvre d'Aristote et en particulier dans sa Poétique, Terence Cave s'emploie à retracer l'histoire de ses redéfinitions pré-modernes et modernes. Sa thèse, dans cette première partie, est celle d'une très grande malléabilité théorique de la notion de reconnaissance dans les ouvrages critiques de la Renaissance italienne (il s'appuie notamment sur les traductions et commentaires de la Poétique d'Aristote par Francesco Robortello et Lodovico Castelvetro). La notion ne tarde pas, en France en particulier, à attirer la méfiance et les critiques des principaux critiques littéraires de la période néoclassique (à commencer par Pierre Corneille ou Voltaire, pour ne citer que les plus célèbres) avant de disparaître des préoccupations théoriques littéraires en tant qu'élément de poétique (elle reste, sous d'autres noms, une procédure herméneutique importante dans d'autres traditions critiques, philosophiques notamment, comme le montre l'auteur dans un chapitre consacré au traitement réservé par Hegel, Nietzsche ou Freud à la notion). Cette première partie s'achève sur l'évocation des critiques modernes (Northrop Frye ou Roland Barthes) qui ont accordé une place à la notion de reconnaissance dans leur réflexion théorique.

 
Iphigénie reconnaît Oreste et Pylade. Gravure de H. Romberg (1827) pour l’Iphigénie en Tauride de Goethe(1779).

Le chapitre central de l'ouvrage, qui consiste dans un essai personnel de critique littéraire, propose une analyse de la notion d'anagnorisis à l'aune des enseignements historiques tirés des études de la première partie. Cave y examine les problèmes qui résultent des tentatives de classification des scènes et des signes de reconnaissance dans la littérature, en accordant une place particulière à la dimension parodique qui s'attache à cette figure dans de nombreuses productions culturelles, sans oublier de dégager la place du lectorat dans la définition de la notion. Cet essai suggère notamment une démarche critique inspirée du paradigme cynégétique (ou indiciaire) élaboré par l'historien italien Carlo Ginzburg dans son ouvrage Mythes, emblèmes, traces ; morphologie et histoire[5].

La deuxième partie de l'ouvrage propose une série de coups de sonde dans un corpus d'oeuvres littéraires qui appartiennent au canon littéraire occidental. Sont ainsi analysées au prisme de l'anagnorisis des pièces comme Cymbeline de William Shakespeare, Rodogune de Pierre Corneille, Athalie de Jean Racine ou Iphigénie en Tauride de Goethe. Puis, prenant acte du basculement du champ d'application de l'anagnorisis de la fiction dramatique vers la fiction narrative qu'il a dégagé dans la première partie, Terence Cave se penche sur des nouvelles et des romans du XIXe siècle, comme Le Colonel Chabert de Balzac ou Les Grandes espérances de Charles Dickens.

Chapitres[2]

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# Titre du chapitre Titre des principaux auteurs, ouvrages ou faits historiques analysés
Introduction
Prologue La cicatrice d'Ulysse L'Odyssée d'Homère; Les Ethiopiques d'Héliodore; l'histoire de Martin Guerre
Première partie La reconnaissance

dans l'histoire de la poétique

1 L'anagnorisis dans l'Antiquité Poétique d'Aristote
2 Commentaires de la Renaissance Francesco Robortello; Ludovico Castelvetro
3 Le déclin de la reconnaissance: le néoclassicisme français Sarasin; La Mesnardière; Corneille; Racine; Norville; Boileau
4 Le déclin de la reconnaissance: variantes du XVIIIe siècle Dacier; Voltaire; Métastase; Marmontel; Diderot; Lessing
5 Intrigues de la psyché Hegel; Schopenhauer; Nietzsche; Freud; James George Frazer
6 Commentaires et critiques modernes Northrop Frye; Roland Barthes;
Transition Aristote; Carlo Ginzburg; Plaute; Henri James
Deuxième partie Pratiques de la

Reconnaissance

1 Prologue shakespearien Shakespeare (La Nuit des rois; Cymbeline; Périclès)
2 Corneille: le héros versus Oedipe Corneille (Rodogune; Héraclius; Don Sanche; Oedipe), Rotrou (Venceslas)
3 Entre Corneille et Racine: La Thébaïde Corneille; Racine
4 Racine: après Oedipe Roi Racine (Bajazet; Athalie)
5 Du dramatique au narratif Goethe (Iphigénie en Tauride) ; Kleist (Histoires)
6 Raconter la reconnaissance Balzac (Adieu; Le Colonel Chabert) ; Dickens (Les Temps difficiles; Les Grandes espérances)

Perspective critique

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Réception

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Dans son Démon de la théorie, Antoine Compagnon écrit que "..."

Michel Jeanneret: "On ne croise pas souvent, dans le champ de la théorie et de la critique littéraires, des livres d'une telle envergure. Le sujet est vieux comme le monde, mais on en mesure pour la première fois la portée. Il exige une érudition considérable, mais inspire aussi une réflexion fondamentale sur la chose littéraire et sur l'interprétation"

Voir aussi

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Références

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  1. Terence Cave, Recognitions: a study in poetics, Clarendon Press ; Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-815849-3)
  2. a b et c Terence Cave et Luc Sautin, Poétiques de l'anagnorisis, Classiques Garnier, coll. « Théorie de la littérature », (ISBN 978-2-406-13234-9)
  3. Antoine Compagnon, Le démon de la théorie: littérature et sens commun, Ed. du Seuil, coll. « Points Série essais », (ISBN 978-2-02-049094-8), p. 154
  4. Aristote, Odette Bellevenue, Séverine Auffret et Laurence Bériot, Poétique, Éd. Mille et une nuits, coll. « Mille et une nuits », (ISBN 978-2-84205-117-4)
  5. Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes, traces: morphologie et histoire, Verdier, coll. « Verdier poche », (ISBN 978-2-86432-617-5)