Sociologie du droit

branche de la sociologie

La sociologie du droit (ou sociologie juridique) est la branche (ou sous-discipline) de la sociologie qui étudie les phénomènes juridiques en prêtant attention aux pratiques effectives des acteurs du champ juridique, et non simplement aux textes réglementaires. Cette discipline entretient des rapports complexes avec le droit d'une part, et la théorie ou science du droit d'autre part.

Sociologie du droit
Partie de
Pratiqué par
Sociologue du droit (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Objets

Le juriste italien Dionisio Anzilotti a été le premier, en 1892, à utiliser l'expression « sociologie juridique »[1]. En France, ce n'est cependant qu'après la Seconde Guerre mondiale que la sociologie du droit s'imposa progressivement dans les facultés de droit, en particulier sous l'égide de Henri Lévy-Bruhl, qui en est la figure titulaire de 1926 à sa mort en 1964[2].

En 1966, François Terré affirmait que « (...) la sociologie juridique avait obtenu, en France, droit de cité »[3]. La formule introduit l’ambiguïté fondatrice propre à la discipline. En effet, le droit de cité ne figure pas dans le droit formel.

Sociologie du droit et théorie du droit modifier

En effet, selon la formulation, par Kelsen, des thèses classiques du positivisme juridique, l'étude sociologique du droit ne peut prétendre au statut de « science du droit », au sens où la théorie du droit serait exclusivement concernée par l'aspect formel du droit, ou la validité de la norme, et non par son efficacité. La question des comportements sociaux est ainsi derechef exclue par Kelsen, dans une très large mesure, de l'étude scientifique du droit.

Sociologie du droit et Sociologie juridique modifier

Henri Batiffol, fait une synthèse des thèmes durkheimiens appliqués au droit :

« le phénomène juridique premier est la coutume, dont le caractère social est le plus manifeste en raison de sa formation spontanée, et qui est justiciable au premier chef de la méthode d’observation. (...) La loi apparaît moins directement comme un fait social, parce qu’elle est œuvre volontaire ; mais son objectif doit être de lire dans les faits sociaux les règles qu’elle doit consacrer, au besoin en les aménageant ; il en va de même de la jurisprudence. (...) l’activité du législateur et du juge est à son tour un phénomène social justiciable des mêmes méthodes que le droit spontané. Il résulte de la pression sociale sur la conscience des législateurs ou juges. On doit donc y retrouver l’expression de la conscience collective. (...) Le droit étant le produit de la conscience collective est lié à la société, en ce double sens que tout droit est engendré par la société, mais aussi mène donc à voir le phénomène juridique dans les règles d’organisation de tout groupement humain, qu’il s’agisse de la plus modeste association aussi bien que du plus puissant État, ou de la communauté internationale (...)[4] »

François Chazel fait état d’un véritable programme de recherche élaboré par Émile Durkheim, cependant éparpillé, et fait la description de trois traits essentiels de ce programme[5]. La solidarité a une expression, un symbole visible[6] : le droit et « [e]n effet, la vie sociale, partout où elle existe d’une manière durable, tend inévitablement à prendre une forme définie et à s’organiser, et le droit n’est autre chose que cette organisation même, dans ce qu’elle a de plus stable et de plus précis[7]. » Il fait néanmoins une différence entre les règles relevant du droit et celles qui relèvent de la morale. Il y a deux espèces de droit : celui des sanctions répressives et celui des sanctions restitutives. D’autre part, crime et peine sont indissolublement liés et font du premier un phénomène normal[8].

Weber et la sociologie du droit modifier

Dans Économie et société[9], Max Weber, juriste de formation, a appliqué sa méthode compréhensive à la sociologie juridique. Sa réflexion s’articule d’abord autour de la validité légitime que donnent les acteurs sociaux à un ordre. Il distingue quatre causes à cette reconnaissance de validité : la tradition, la croyance affective, la croyance rationnelle (distincte de la précédente parce qu’elle est teintée d’idée de justice) et la disposition positive dont le caractère est légal soit du fait d’une loi, soit du fait d’une entente des intéressés. Le critère entre droit et non droit se situe dans l’existence ou non de contraintes physiques ou psychiques exercées par des personnes spécifiques, qu’il appelle le personnel du droit. La convention violée n’entraîne que la désapprobation efficace sans l’intervention de personnes sanctionnantes. Dans son ouvrage, il définit aussi une loi d’évolution du droit dont il décrit les quatre étapes : la révélation charismatique du droit par les prophètes juridiques, la création et l’application du droit par des notabilités judiciaires, l’octroi du droit par des pouvoirs théocratiques ou des pouvoirs profanes et l’élaboration systématique du droit par les juristes professionnels. Il remarque une renaissance, de son vivant, du pluralisme juridique qui s’oppose au positivisme moniste où les juristes se rangent du côté du pouvoir politique.

Pour Max Weber, la sociologie du droit doit s’intégrer à celle du politique puisqu’il est question de domination de l’homme par l’homme. Ces quelques lignes relèvent les seuls points marquants et résumés de ce texte riche et parfois difficile d’accès. D’autre part, « La sociologie du droit est consacrée à la rationalisation du droit moderne dont le caractère propre est d’être rationnel en divers sens à la fois : généralisation, systématisation, construction de concepts juridiques, solution logique des problèmes par application de principes. Il suit à travers l’histoire l’opposition fondamentale d’une justice matérielle qui, directement appliquée au cas particuliers, est conforme au sens de justice mais livrée à l’arbitraire, et d’une légalité formelle qui juge selon la norme (Kadi-Justiz d’une part et justice selon les textes d’autre part) »[10]. « Mais cette rationalisation, qui est un des traits de la société moderne à l’âge industriel, n’est acquise qu’au prix d’un désenchantement qui peut être douloureux.[11]

Weber pose les bases de la sociologie de l’autorité mais qui est incluse dans la sociologie du politique. On a comme un cercle fermé de l’autorité au politique en passant par les règles juridiques. Cette circularité est d’ailleurs concomitante à une volonté d’inscrire le droit dans une typologie d’ordre historique. Cependant la « construction idéaltypique» n’est pas ici achevée. L’accentuation d’une globalisation du fait juridique dont le critère généralisé se rapporte à l’autorité validée, bien que pertinent, ne rend pas bien compte de l’arbitrage juridique moderne entre les simples particuliers (droit du divorce et de l’adoption par exemple) ou encore relatif à la préservation de la nature (droit rural et de l’environnement). Dans ces types de situation, la régulation juridique ne s’appuie pas sur une question de pouvoir détenu et utilisé entre les protagonistes sinon par l’intermédiaire de la société qui aurait « mis en place» un certain type de conception dans un domaine concerné (la nationalité par exemple). On peut avancer comme critère déterminant alors, une certaine idéologie au substrat naturel, coutumier ou culturel.

Weber montre que l'unification du droit et sa monopolisation par l'État sont le résultat d'un processus historique. Au Moyen Âge, le droit local primait sur le droit général ; mais, à l'époque moderne, c'est le droit général, le droit de l'État, qui prime sur le droit local. Notre manière de comprendre le droit est un des résultats de ce processus historique. Reconnaître les différentes étapes de ce processus, c'est se donner la possibilité de mieux influer sur ce qu'est le droit. Par exemple il montre que les états princiers brisèrent par leur bureaucratie les associations traditionnelles et la Révolution Française a interdit les corporations. Toutefois, cet état moderne n'a pas supprimé ces forces locales, reconnaissant même souvent leur autonomie, mais il les a enserrées et soumises à ses propres lois. Elles ont perdu leur qualité d'ordre et la faculté de créer une légitimité d'elles-mêmes, alors que cette faculté était, selon Max Weber, à l'origine du développement occidental[12].

Les thèses marxistes sur le droit modifier

Les thèses marxistes considèrent que « le droit est l’expression exclusive de la domination d’une classe — classe capitaliste ou classe ouvrière, selon les époques de l’histoire, (...) »[13].

Georges Gurvitch et la sociologie du droit modifier

Georges Gurvitch[14], sans nier les apports de Émile Durkheim, Max Weber, des juristes sociologues (Léon Duguit, Emmanuel Lévy, Maurice Hauriou), des écoles américaines du « social control » (Thomas M. Cooley), fait une critique systématique de la sociologie du droit. Il remarque, par exemple, que « la définition du droit par Durkheim est à la fois trop large et trop étroite ». Le droit ne peut être défini par des sanctions organisées, car ces dernières présupposent déjà du droit pour organiser les sanctions. Les genres du droit sont différentes des contraintes. Il écrit que « Weber a réduit la tâche de cette branche de la sociologie à l’étude de la mesure de probabilité, des "chances" des conduites sociales, effectués d’après les schémas cohérents de règles juridiques qui sont élaborées par les juristes d’un type particulier de société. mais il n’a pas été fidèle à cette base étroite»[15]. Il s’étonne que ce dernier finisse son œuvre sur une « loi tendancielle du droit» qui va à l’encontre de ses principes méthodologiques[16].

Georges Gurvitch définit la sociologie juridique comme « l’étude de la plénitude la réalité sociale du droit, qui met les genres, les ordonnancements et les systèmes de droit, ainsi que ses formes de constatation et d’expression, en corrélations fonctionnelles avec les types de cadres sociaux appropriés ; elle recherche en même temps les variations de l’importance du droit, la fluctuation de ses techniques et doctrines, le rôle diversifié des groupes de juristes, enfin les régularités tendancielles de la genèse du droit et des facteurs de celle-ci à l’intérieur des structures sociales globales et partielles »[17]. Il définit et fonde le fait juridique en s’appuyant sur l’expérience juridique qui « consiste en la reconnaissance collective des faits normatifs réalisant un des multiples aspects de la justice dans un cadre social donné qu’il s’agit de protéger »[18].

La définition de cet auteur a une volonté globalisante remarquable dont la complexité efface celle qu’il a écrite en 1940 : « la sociologie juridique systématique a pour tâche d’étudier le rapport fonctionnel entre la réalité sociale et les espèces du droit »[19] beaucoup plus simple mais qui insiste dès l’intitulé sur la nécessité, semble-t-il, d’études nombreuses et sans exclusive et d’une sociologie systématique.

Par contre, dans la définition citée plus haut, le critère de l’« expérience juridique» apparaît opératoire bien que peu explicité. En effet, les expressions utilisées « aspects de la justice» et « cadre social qu’il s’agit de protéger» ouvrent à ce sur quoi doit porter l’observation et l’analyse, et donne une orientation pratique qu’il faut soumettre à la critique : la protection d’un certain ordre. Nous ne devons pas comprendre cette dernière expression comme « conservatisme» au sens politique attribué généralement. L’interprétation juste nous semble être « régulation d’un certain ordre».

Un exemple récent illustre cet aspect de régulation sociale. Il nous est donné par les interprétations de la Cour de cassation à propos des dispositions légales relatives aux licenciements collectifs. Il s’agit notamment des arrêts dits Samaritaine. La haute cour (Cour de Cassation française) a dit qu’il fallait réintégrer des salariés plus de deux ans après leur licenciement. Ces nouvelles interprétations de l’amendement Aubry pour le contrôle des licenciements collectifs et des plans sociaux (les arrêts Samaritaine 13/02/1997 sont ceux qui ont suscité le plus de débats[20], auparavant, il y a eu les arrêts Sietam, du 16/04/1996, Majorette et Framatome, du 03/12/1996,...) sont vécues dans les milieux patronaux comme une « insécurité juridique renforcé »[21]. Dans les milieux syndicalistes, on perçoit les positions du grand tribunal comme une justice aux aides importantes offertes aux entreprises sans que le nombre d’emplois n’évolue favorablement. Nécessairement, on observe que la Cour de cassation prend nettement position en faveur des salariés (dans un contexte grandissant de pauvreté et d’exclusion) comme si elle tenait à faire peser la balance de leur côté. De cette façon, sans jamais que ça soit explicite, elle aurait apporté, à son niveau, comme une contribution de type humanitaire aux revendications de l’opinion publique. En tout cas, il y a bien eu remise en cause d’un système légal du congédiement collectif favorable aux employeurs. Au-delà du contrôle de l’ensemble des juridictions sur l’ensemble du territoire national, on peut remarquer la recherche d’un équilibre nouveau à une certaine tendance perçue, semble-t-il comme néfaste. C’est le débat qui s’est ensuivi qui permet une telle extrapolation mais on ne peut pas focaliser tout sur cette seule vison des choses. On sait par exemple que les hauts magistrats sont débordés par de nombreux recours. Leur réaction peut être tout simplement défensive en protestant d’une certaine façon par rapport aux plans sociaux des entreprises. En d’autres occasions, en gardant l’exemple de la Cour de cassation, il y aura bien « conservatisme» dans les arrêts préservant un certain type de droit.

La notion de régulation a toutefois une importance relative dans le domaine de la sociologie du droit. Elle est issue ou générée par l’idée de démarche tendancielle de la société relevant d’une sorte de modélisation. Ce « dessein supérieur» demande bien plus qu’une simple affirmation, il faut, nous semble-t-il, un très grand nombre de démonstrations.

La sociologie du droit, à l'ombre de la sociologie générale? modifier

L’objectif de l’ouvrage dirigé par Renato Treves[22] est de constater le développement de la sociologie juridique. Afin de mettre en œuvre une véritable collaboration internationale dans ce domaine, un panorama par pays est présenté pour la discipline : Scandinavie, Hollande, Japon, URSS, Hongrie, Yougoslavie, Pologne, Amérique Latine, États-Unis d’Amérique, France, Italie et Allemagne de l’Est. François Terré a exposé un bilan pour la France.

François Terré[23], dans son bilan, place la sociologie juridique française « à l’ombre de la sociologie générale »[24]. Il traite d’abord des « précédents », puis de la « situation actuelle » de la sociologie juridique dans ses rapports avec les autres sociologies (générale, politique, du travail de la famille,...), enfin, il fait un bilan de l’orientation des travaux en cours. Il cite Montesquieu comme précurseur. Citant le Manuel de sociologie de Cuvillier (Paris, 1950, p. 9), Terré rapporte l’idée d'Auguste Comte selon laquelle « les faits sociaux sont assujettis aux lois » mais qu’ « ils ne requièrent pas d’observation spécifique » puisqu’ils sont reliés à d’autres faits sociaux plus globaux. Pour sa part, Durkheim a orienté la recherche plus vers une sociologie du droit qu’une sociologie juridique comme si le droit devait profiter des recherches sociologiques. Les disciples de Durkheim ont fait évoluer la recherche vers des champs plus disparates[25]. Terré rappelle les velléités globalisantes de la sociologie juridique naissante[26] ainsi que les typologies complexes de Georges Gurvitch. Une autre orientation consistait à construire une nouvelle théorie générale du droit (Duguit et Hauriou) avec les apports de la sociologie du droit. Les attirances, soit vers la sociologie générale, soit vers le droit, créèrent une certaine confusion. Le « pionnier » de la sociologie juridique est un « disciple en voie indirecte » de Durkheim : Lévy-Bruhl.

Il reste deux problèmes à traiter : la définition et la méthode. Le droit constitutionnel relève de la sociologie politique. Le développement incontestable de la sociologie du travail doit être signalé. La convergence avec la sociologie juridique concerne le droit du travail et la compétence des conseils de prud’hommes (consigli di probiviri). Mais force est de constater que la sociologie du travail s’intéresse peu au droit du travail. Le front principal de la sociologie juridique semble être face à la sociologie de la famille. Reste encore la confrontation avec le droit, le droit comparé et l’histoire du droit. On a parfois considéré la sociologie juridique comme une branche de la philosophie du droit mais c’est parce que la sociologie juridique ne peut pas se passer par exemple de « comparaison spatio-temporelle ». Enfin reste le problème du théorique et de l’empirique. Page 323, Terré aborde la question des sources de la sociologie juridique : les archives et les statistiques, l’analyse de la jurisprudence. Les problèmes méthodologiques relèvent d’abord de l’appréhension des techniques du droit et son langage, ensuite la mise à la portée des « profanes » des recherches.

François Terré distingue des contributions à la « sociologie juridique spéciale » et à la « sociologie juridique générale ». Par spéciale, il entend ce qui concerne l’individu et son environnement et l’individu et son activité (p. 329). Il s’agit principalement des questions relatives à la famille, la place de la femme, le divorce et la filiation, c’est-à-dire l’individu personne juridique dans sa vie privée (hors la criminologie et la sociologie criminelle) et la vie professionnelle. La sociologie juridique générale se rapporte à une recherche plus théorique : la « spécificité du juridique » notamment dans ses aspects historiques et ethnologiques, l’explication sociologique de la « diversité du phénomène juridique », l’étude de la « caste des juristes » et le comportement des non-juristes quant à la « genèse particulière de la norme juridique », et le « vécu de la norme juridique », le « dialogue » entre le fait et le droit. Terré conclut en exposant que les recherches empiriques vont plus vite que les recherches théoriques.

Henri Lévy-Bruhl modifier

Dans sa Sociologie du droit, Henri Lévy-Bruhl propose sa propre définition du droit : « Le droit est l’ensemble des règles obligatoires déterminant les rapports sociaux imposés à tout moment par le groupe auquel on appartient »[27] Il conteste la doctrine et affirme que « les règles juridiques, pour le sociologue, n’ont pas de caractère stable et perpétuel»[28]. Il distingue le droit et la religion par la prééminence de sanctions surnaturelles, et le droit de la morale dont le domaine est la conscience individuelle et dont la sanction est la désapprobation. Il signale que la frontière entre droit et morale est cependant floue, en effet, il existe des « obligations naturelles» écrites en aucun endroit mais que le juge peut faire appliquer. Il s’intéresse aux sources du droit en en distinguant les différentes catégories. Il dégage les principes d’une « science du droit ou juristique »[29], son histoire, sa méthode et son objet propre sans toutefois aborder cette dernière question. Enfin, il expose ce qui sont pour lui « les problèmes d’aujourd’hui et de demain »[30], par exemple « l’acculturation juridique » qui s’intéresse aux transferts juridiques entre groupes sociaux ou États, « l’unification du droit» c’est-à-dire l’idée selon laquelle les mêmes règles régiraient tous les hommes.

La définition « juristique » (le mot choisi lui-même par cet auteur est révélateur) du droit apparaît assez restreinte : le droit ne se limite pas à des règles obligatoires, beaucoup de textes légaux font état de possibilités simples ou de grands principes qui n’imposent rien. La notion de personnel du droit wéberienne n’apparaît pas clairement sauf dans l’idée de « rapports sociaux imposés». Le « juristicien» semble pouvoir prendre parti : sur le cas du militaire à qui l’on confie une mission contradictoire avec sa conviction religieuse, Lévy-Bruhl écrit : « La règle juridique devra-t-elle céder devant la règle morale, ou doit-on préconiser la solution contraire ? Pour le sociologue, la réponse ne fait pas de doute : c’est la règle de droit qui doit être obéie, (...)»[31]. Ainsi, à notre sens, la « juristique» qui centre son activité sur le droit tel que défini plus haut et recherche des solutions à des problèmes juridiques est plus proche des travaux des juristes classiques praticiens ou théoriciens que de ceux des sociologues. Pour situer mieux cette question de la prise de position, il est nécessaire de citer Émile Durkheim : « La sociologie n’a pas à prendre parti entre les grandes hypothèses qui divisent les métaphysiciens. Elle n’a pas plus à affirmer la liberté que le déterminisme. Tout ce qu’elle demande qu’on lui accorde, c’est que le principe de causalité s’applique aux phénomènes sociaux. Encore ce principe est-il posé par elle, non comme une nécessité rationnelle, mais seulement comme un postulat empirique, produit d’une induction légitime »[32].

Le droit pénal modifier

La sociologie juridique connaît un essor particulier pour ce qui concerne le crime et la délinquance en général. Elle trouve quelques prolongements concrets ou, du moins, concomitants dans les politiques publiques de prévention et de répression. Accessoirement, on sait par ailleurs l’intérêt porté par nos concitoyens au roman noir. Philippe Robert, pour définir le crime, veut l’étudier « sur la scène de sa création (incrimination) et sur celle de sa mise en œuvre (criminalisation), les acteurs sociaux qui s’affairent, avec des moyens inégaux, des enjeux différents et des stratégies variables, autour de cette ressources sociale que constitue le droit pénal »[33]. Il s’oppose à une définition qui verraient le crime selon une double face : normative (juridique) et comportementale. Sans aller au-delà dans la présentation des investigations de la criminologie et des débats qui l’animent, on retiendra l’idée selon laquelle certains faits sociaux évoluent vers le judiciaire. L’objet changeant se prête donc à une analyse de type sociologie juridique.

Analyse sociologique des contrats et du droit du travail modifier

Les contrats font l’objet de plus en plus d’études. En témoigne, par exemple, la typologie des contrats d’approvisionnement pour une multinationale de production d’acier au Canada[34]. Distinguant le contrat légal, du contrat bureaucratique, du contrat normalisé, du contrat communautaire et du contrat moral, l’auteur définit, pour son analyse empirique une approche spécifique et pourtant plurielle de la sociologie juridique qu’il distingue de la science du droit et de la science économique, disciplines qui s’intéressent aussi aux contrats, soit d’un point de vue normatif, soit du point de vue de l’efficacité de l’action. Pour lui, la sociologie juridique « se donne pour mission principale d’élargir la connaissance des comportements pour compenser l’intérêt quasi exclusif que les juristes portent à l’étude des règles de droit dans leur formulation officielle »[35].

La spécificité du fait sociologique de type juridique réside, semble-t-il, dans l’attention portée à des relations sociales où serait mêlées directement ou indirectement des normes formelles c’est-à-dire légales. Les règles nombreuses et relativement contraignantes qui régissent le conseil de prud’hommes comme d’autres tribunaux en font un espace privilégié pour observer comment ces règles sont intégrées et « utilisées». Ce qui met en évidence la notion de résistance sociale. Toute norme amenant un changement imposé selon le paradigme de la diffusion de Henri Mendras, serait transformée par son public au point parfois, d’en pervertir la finalité technique.

Les outils conceptuels et notionnels de la sociologie juridique s’appliquent naturellement à l’objet d’étude choisi. Avec Alain Chouraqui, on peut dire que « Dans le domaine du travail, les contacts entre système juridique et la régulation sociale sont depuis toujours très étroits»[36].

Subdivision d'après les acteurs du droit modifier

« Max Weber a mis en relief le rôle de ce qu'il appelle l'état-major du droit (Rechtsstab), c'est-à-dire les professions juridiques. On peut aussi parler, à ce sujet, des acteurs du droit. Autour de deux d'entre eux le législateur, mais surtout le juge tendent à se former des sociologies particulières. À la vérité, la sociologie législative a d'abord été conçue comme une sociologie appliquée à la législation (cf. infra, p. 392). C'est une fonction pratique de la sociologie qui a été érigée en sociologie distincte.

Mais il est rationnel de généraliser la notion et d'y inclure tous les aspects sociologiques de l'activité législative : les forces anonymes qui, à l'œuvre dans la société, déterminent l'apparition de la règle de droit (le législateur sociologique, dit-on quelquefois, par opposition au législateur juridique, le ministre qui a pris l'initiative ou les parlementaires qui ont voté) ; les groupes de pression ; les phénomènes de connaissance et d'ignorance, d'effectivité ou d'ineffectivité de la loi. La sociologie judiciaire est plus franchement reconnue comme une discipline distincte. On s'explique qu'elle ait rencontré aux États-Unis un terrain de prédilection, si l'on réfléchit à l'importance du juge dans la société américaine et dans le droit de la Common Law. Dans un premier volet, elle se présente comme une sociologie des professions : les magistrats, les avocats sont pris pour objet d'étude, sous l'angle de leur recrutement, de leurs opinions, de leurs comportements envers les justiciables, de l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes dans le grand public, etc. Mais c'est le jugement qui est au cœur de la sociologie judiciaire, la formation du jugement, le sentencing.

Le phénomène pourrait sembler relever de la psychologie : psychologie des petits groupes quand le tribunal est collégial, ou même psychologie individuelle quand le juge est unique. De fait, la sociologie judiciaire ne peut ici se passer de la psychologie judiciaire ; mais elle affirme sa spécificité en cherchant à établir des corrélations entre le contenu de la sentence et les données proprement sociales qui environnent le juge. »

— Extrait de Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Thémis-PUF, 1978.

Citations littéraires modifier

« Le droit et la loi, telles sont les deux forces : de leur accord naît l'ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. »

— Victor Hugo.

« Le droit ne domine pas la société, il l'exprime »

— Jean Cruet, De l'impuissance des lois, éd. Flammarion, 1912.

Bibliographie modifier

Notes modifier

  1. André-Jean Arnaud, « note 9 »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?) du texte « Critique de la raison juridique. 1) Où va la sociologie du droit? », sur le site du Réseau européen Droit et Société.
  2. André-Jean Arnaud, « Critique de la raison juridique. 1) Où va la sociologie du droit? »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur le site du Réseau européen Droit et Société
  3. «  (...) la sociologia giuridica ha ottenuto, in Francia, diritto di cittadinanza» in Renato Treves (a cura di), La Sociologia del diritto, Milan : Edizioni di Comunità, Diritto et cultura moderna, 1966, p. 316.
  4. Henri Batiffol, La Philosophie du droit, Paris, P.U.F. (no 857), (1re éd. 1960), p. 34-35.
  5. François Chazel, « Émile Durkheim et l’élaboration d’un « programme de recherche» en sociologie du droit », dans François Chazel et Commaille Jacques, Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, coll. « Droit et société », , p. 27-38.
  6. Durkheim 1960, p. 28.
  7. Durkheim 1960, p. 29.
  8. Durkheim 1960, p. 64-75.
  9. Max Weber, Économie et société, Paris : Plon, 1965 (1re éd. 1922), pages
  10. Raymond Aron, La Sociologie allemande contemporaine, Paris : PUF, 1981 (1re éd. 1935), collection Quadrige, p. 122.
  11. Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris : PUF, collection Quadrige, 1994 (1re éd. : 1978), p. 121.
  12. Otto Oexle et Florence Chaix, « Les groupes sociaux du Moyen Âge et les débuts de la sociologie contemporaine », Annales, vol. 47, no 3,‎ , p. 751–765 (DOI 10.3406/ahess.1992.279071, lire en ligne, consulté le )
  13. Carbonnier Jean, Sociologie juridique, Paris : PUF, collection Quadrige, 1994 (1re éd. : 1978), p. 125.
  14. Gurvitch Georges, Problèmes de sociologie du droit in Traité de sociologie, tome II, Paris : P.U.F., 1968 (1re éd. : 1960), p. 173-206.
  15. Georges Gurvitch, Problèmes de sociologie du droit in Traité de sociologie, tome II, Paris : P.U.F., 1968 (1re éd. : 1960), p. 151.
  16. Gurvitch Georges, Problèmes de sociologie du droit in Traité de sociologie, tome II, Paris : P.U.F., 1968 (1re éd. : 1960), p. 184.
  17. Gurvitch Georges, Problèmes de sociologie du droit in Traité de sociologie, tome II, Paris : P.U.F., 1968 (1re éd. : 1960), p. 191.
  18. Gurvitch Georges, Problèmes de sociologie du droit in Traité de sociologie, tome II, Paris : P.U.F., 1968 (1re éd. : 1960), p. 189.
  19. Gurvitch Georges, Éléments de sociologie juridique, Paris : Aubier., 1940, p. 141.
  20. Par exemple Tiennot Grumbach, Encore une fois sur les arrêts La Samaritaine in Droit social, no 4, avril 1997, p. 331-340.
  21. Bruno Platel, Plan social et nullité des licenciements : vers un durcissement de la jurisprudence, in L’H Judiciaire et Commercial, 13 mars 1997, p. 62.
  22. Renato Treves (a cura di), La Sociologia del diritto, Milan : Edizioni di Comunità, Diritto et cultura moderna, 1966, 413 p.
  23. François Terré, La sociologia giuridica in Francia, in Treves Renato (a cura di), La Sociologia del diritto, Milan : Edizioni di Comunità, Diritto et cultura moderna, 1966, p. 305-343.
  24. « La sociologia giuridica si è sviluppata, in Francia, all’ombra della sociologia generale », in Treves Renato (a cura di), La Sociologia del diritto, Milan : Edizioni di Comunità, Diritto et cultura moderna, 1966, p. 305.
  25. « I discepoli, abbandonando il dogmatismo talvolta eccessivo del maestro, ne proseguono le ricerche nei campi più disparati ». in Renato Treves (a cura di), La Sociologia del diritto, Milan : Edizioni di Comunità, Diritto et cultura moderna, 1966, p. 310
  26. « E sopprattutto a proposito della sociologia giuridica che è vero dire che, in un certo senso, essa è tutta la sociologia. Non perché il fatto giuridico, ma piuttosto perché il fatto giuridico, inteso sociologicamente, si allarga fino ad identificarsi con il fatto sociale o, in termini più esatti, fino a rappresentare il fatto sociale nella sua totalità. », R. Hubert, Science du droit, sociologie juridique et philosophie du droit, in Archives de philosophie du droit, 1931, no 1-2, p. 56, in Treves Renato (a cura di), La Sociologia del diritto, Milan : Edizioni di Comunità, Diritto et cultura moderna, 1966, p. 311
  27. Henri Lévy-Bruhl, Sociologie du droit, Paris : P.U.F., no 951, 1981, 6e éd. (1re éd. : 1961), p. 21.
  28. Lévy-Bruhl Henri, Sociologie du droit, Paris : P.U.F., no 951, 1981, 6e éd. (1re éd. : 1961), p. 31.
  29. Lévy-Bruhl Henri, Sociologie du droit, Paris : P.U.F., no 951, 1981, 6e éd. (1re éd. : 1961), p. 86.
  30. Lévy-Bruhl Henri, Sociologie du droit, Paris : P.U.F., no 951, 1981, 6e éd. (1re éd. : 1961), p. 116.
  31. Lévy-Bruhl Henri, Sociologie du droit, Paris : P.U.F., no 951, 1981, 6e éd. (1re éd. : 1961), p. 38.
  32. Émile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, Paris : P.U.F., 1983, 21e éd. (1re éd. : 1894), p. 139.
  33. Qu’est-ce que le crime ? Rencontre avec Philippe Robert in Sciences Humaines, no 48, mars 1995, p. 38.
  34. Jean-Guy Belley, Une typologie sociojuridique du contrat in Sociologie du Travail, no 4, 1996, p. 465-486.
  35. Belley Jean-Guy, Une typologie sociojuridique du contrat in Sociologie du Travail, no 4, 1996, p. 466.
  36. Alain Chouraqui, Quelques difficultés actuelles d’articulation du juridique et du social in Chazel François et Commaille Jacques (sous la direction de), Normes juridiques et régulation sociale, Paris : LGDJ, collection Droit et société, 1991, p. 285.

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Bibliographie modifier

Liens externes & sources modifier