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Théodore de Banville - La Cithare

L'homme désespéré ne voit devant ses yeux
Qu'un voile noir cloué sur la porte des cieux,
Et, muré tout vivant dans la nuit ténébreuse,
Ne sait plus rien, sinon que sa douleur affreuse
Doit à jamais rester muette, et qu'il est seul.
Mais moi, baisant les pas sacrés du grand aïeul,
J'entends, j'entends encor l'âme de la Cithare
Exhaler ses premiers cris vers le Ciel avare
Que sa voix frémissante essayait d'apaiser,
Et soupirer avec la douceur d'un baiser !

Théodore de Banville (1823-13/1891) - La Cithare (recueil Les Exilés, Édition de 1890)

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s:mars 2011 Invitation 1

Nicolas Boileau - Je chante les combats...

 
Je chante les combats, et ce prélat terrible
Qui par ses longs travaux et sa force invincible,
Dans une illustre église exerçant son grand cœur,
Fit placer à la fin un lutrin dans le chœur.
C'est en vain que le chantre, abusant d'un faux titre,
Deux fois l'en fit ôter par les mains du chapitre :
Ce prélat, sur le banc de son rival altier
Deux fois le reportant, l'en couvrit tout entier.

Muse redis-moi donc quelle ardeur de vengeance
De ces hommes sacrés rompit l'intelligence,
Et troubla si longtemps deux célèbres rivaux.
Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévots !

Nicolas Boileau (1636-13/02/1711) - Le Lutrin (1672-1683)

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s:mars 2011 Invitation 2

Théodore de Banville - La Cithare

L'homme désespéré ne voit devant ses yeux
Qu'un voile noir cloué sur la porte des cieux,
Et, muré tout vivant dans la nuit ténébreuse,
Ne sait plus rien, sinon que sa douleur affreuse
Doit à jamais rester muette, et qu'il est seul.
Mais moi, baisant les pas sacrés du grand aïeul,
J'entends, j'entends encor l'âme de la Cithare
Exhaler ses premiers cris vers le Ciel avare
Que sa voix frémissante essayait d'apaiser,
Et soupirer avec la douceur d'un baiser !

Théodore de Banville (1823-13/1891) - La Cithare (recueil Les Exilés, Édition de 1890)

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s:mars 2011 Invitation 3

Virginia Woolf – Et voilà tout...

La paix descendait sur elle, le calme, la sérénité, cependant que son aiguille, tirant doucement sur le fil de soie jusqu'à l'arrêt sans brutalité, rassemblait les plis verts et les rattachait, en souplesse, à la ceinture. C'est ainsi que par un jour d'été les vagues se ressemblent, basculent, et retombent ; se rassemblent et retombent ; et le monde entier semble dire : "Et voilà tout", avec une force sans cesse accrue, jusqu'au moment où le cœur lui même, lové dans le corps allongé au soleil sur la plage, finit par dire lui aussi : "Et voilà tout" Ne crains plus dit le cœur. Ne crains plus, dit le cœur, confiant son fardeau à quelque océan, qui soupire, prenant à son compte tous les chagrins du monde, et qui reprend son élan, rassemble, laisse retomber. Et seul le corps écoute l'abeille qui passe ; la vague qui se brise ; le chien qui aboie, au loin, qui aboie, aboie.

Virginia Woolf (25/01/1882 - 28/3/1941)- Mrs Dalloway (1925) (éd. Folio/Gallimard)

s:mars 2011 Invitation 4

Roger Martin Du Gard – Adolescence

J’aurai quatorze ans demain. L’an dernier je murmurais : quatorze ans… — comme dans un beau rêve insaisissable. Le temps passe et nous flétrit. Et, au fond, rien ne change. Toujours nous-mêmes. Rien n’est changé, si ce n’est que je me sens découragé et vieilli.

Hier soir, en me couchant, j’ai pris un volume de Musset. La dernière fois, dès les premiers vers, je frissonnais, et parfois même des larmes s’échappaient de mes yeux. Hier, pendant de longues heures d’insomnie, je m’exaltais et ne sentais rien venir. Je trouvais les phrases bien coupées, harmonieuses… sacrilège ! Enfin le sentiment poétique s’est réveillé en moi, avec un torrent de pleurs délicieuses, et j’ai vibré enfin.

Ah ! pourvu que mon cœur ne se dessèche pas ! J’ai peur que la vie m’endurcisse le cœur et les sens. Je vieillis. Déjà les grandes idées de Dieu, l’Esprit, l’Amour, ne battent plus dans ma poitrine comme jadis, et le Doute rongeur me dévore quelquefois. Hélas ! pourquoi ne pas vivre de toute la force de notre âme, au lieu de raisonner ? Nous pensons trop !

Roger Martin du Gard (23/03/1881-1958)- Les Thibault - Le Cahier gris (1920) (éd. Gallimard).

s:mars 2011 Invitation 5

Jacques Attali - Walt Whitman ou Le meilleur de l'Amérique


Nul ne peut comprendre l'hyperpuissance américaine sans bien connaître la façon dont s'est élaboré le rêve américain. Et nul n'incarne mieux ce rêve que Walt Whittman à la trajectoire si émouvante et dont l'œuvre , si difficile à embrasser et à apprécier autrement qu'en anglais, parle de l'Amérique que j'aime, celle de la créativité, de la liberté et de l'universalité, de l'audace et de l'utopie, de la démocratie et des droits de l'homme.

Qui aurait jamais pu penser qu'un poète marginal, sans relations ni fortune, sans famille ni éclat, qui n'a écrit et sans cesse réécrit qu'un seul recueil, incarnerait de son vivant et de nos jours encore l'identité américaine ; et que, mieux que personne, il dirait l'image idéalisée qu'elle a d'elle-même, ce mélange d'orgueil devant les capacités créatrices de l'homme et d'humilité devant l'omnipotence de la nature ?

Jacques AttaliPhares. 24 destins (éd. Fayard, 2010, page 353)