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Fiodor Dostoïevski - Une maison morte-vivante

Notre maison de force se trouvait à l’extrémité de la citadelle, derrière le rempart. Si l’on regarde par les fentes de la palissade, espérant voir quelque chose, — on n’aperçoit qu’un petit coin de ciel et un haut rempart de terre, couvert des grandes herbes de la steppe. Nuit et jour, des sentinelles s’y promènent en long et en large ; on se dit alors que des années entières s’écouleront et que l’on verra, par la même fente de palissade, toujours le même rempart, toujours les mêmes sentinelles et le même petit coin de ciel, non pas de celui qui se trouve au-dessus de la prison, mais d’un autre ciel, lointain et libre.[...] Derrière cette porte se trouvaient la lumière, la liberté ; là vivaient des gens libres. En deçà de lapalissade on se représentait ce monde merveilleux, fantastique comme un conte de fées : il n’en était pas de même du nôtre, — tout particulier, car il ne ressemblait à rien...

Fiodor Dostoïevski (1821―1881) - Souvenirs de la maison des morts (1862) (incipit)

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s:février 2011 Invitation 1

André Gide - Nathanaël, je te parlerai des attentes

J'ai vu le ciel frémir de l'attente de l'aube. Une à une les étoiles se fanaient. Les prés étaient inondés de rosée : l'air n'avait que des caresses glaciales. Il sembla quelque temps que l'indistincte vie voulût s'attarder au sommeil, et ma tête encore lassée s'emplissait de torpeur, je montai jusqu'à la lisière du bois : je m'assis : chaque bête reprit son travail et sa joie dans la certitude que le jour va venir, et le mystère de la vie recommença de s'ébruiter par chaque échancrure des feuilles. Puis le jour vint.

J'ai vu d'autres aurores. - J'ai vu l'attente de la nuit...

Nathanaël, que chaque attente, en toi, ne soit même pas un désir, mais simplement une disposition à l'accueil. Attends tout ce qui vient à toi : mais ne désire que ce qui vient à toi. Ne désire que ce que tu as.

André Gide (22/11/1869-19/02/1951) - Les Nourritures terrestres (1897) (éditions Gallimard)

s:février 2011 Invitation 2

Mary Shelley - Création

Ce fut par une sinistre nuit de novembre que je parvins à mettre un terme à mes travaux. Avec une anxiété qui me rapprochait de l’agonie, je rassemblai autour de moi les instruments qui devaient donner la vie et introduire une étincelle d’existence dans cette matière inerte qui gisait à mes pieds. Il était une heure du matin et la pluie frappait lugubrement contre les vitres. Ma bougie allait s’éteindre lorsque tout à coup, au milieu de cette lumière vacillante, je vis s’ouvrir l'œil jaune stupide de la créature. Elle se mit à respirer et des mouvements convulsifs lui agitèrent les membres.

Comment pourrais-je décrire mon émoi devant un tel prodige? Comment pourrais-je dépeindre cet être horrible dont la création m’avait coûté tant de peines et tant de soins? Ses membres étaient proportionnés et les traits que je lui avais choisis avaient quelque beauté. Quelque beauté! Grand Dieu! […] la beauté de mon rêve s’évanouissait et j’avais le cœur rempli d’épouvante et de dégoût.

Mary Shelley (1797-1er/02/1851) - Frankenstein ou le Prométhée moderne (chap. V) - 1818

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s:février 2011 Invitation 3

Amanda Sthers – Je suis un enfant

J'ai une pomme d'amour dans les mains ; je mets tout mon cœur à la croquer. Elle est dure pour mes dents de lait. Quand les policiers me retrouvent, ils me demandent mon nom : « Boo-Loo », je dis. Je ne connais pas le nom de mon père, c'est papa, maman. Je ne connais pas encore mon nom de famille. Je ne suis pas Liberace. Je suis un enfant. J'ai le droit de me tromper, j'ai temps de devenir quelqu'un qui a un nom à lui. On a fini par me ramener dans le side-car de la police. C'est mon jour de gloire. Je rentre à la maison. C'est aujourd'hui, me voilà de retour ! Les années ont passé. Là-bas, rien n'a changé. Les arbres ont un peu poussé, les maisons sont moins propres. J'entends du piano dans l'une d'elles. Je m'approche. C'est un petit garçon et son frère jumeau. Leurs pieds ne touchent pas les pédales mais leurs mains se baladent sur les notes. Ça a l'air simple, comme la vie, au début.

Amanda SthersLiberace (éd. Plon, 2010 - dernière page)

s:février 2011 Invitation 4

John Keats - Ode à un Rossignol

Dans le noir, j’écoute ; oui, plus d’une fois
J’ai été presque amoureux de la Mort,
Et dans mes poèmes je lui ai donné de doux noms,
Pour qu’elle emporte dans l’air mon souffle apaisé ;
À présent, plus que jamais, mourir semble une joie,
Oh, cesser d’être – sans souffrir – à Minuit,
Au moment où tu répands ton âme
Dans la même extase !
Et tu continuerais à chanter à mes oreilles vaines
Ton haut Requiem à ma poussière.

John Keats (1795-24/02/1821) - Ode à un Rossignol (strophe VI) (trad. Alain Suied, Éditions Arfuyen, 2009)

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texte original [1]

s:février 2011 Invitation 5

Fiodor Dostoïevski - Une maison morte-vivante

Notre maison de force se trouvait à l’extrémité de la citadelle, derrière le rempart. Si l’on regarde par les fentes de la palissade, espérant voir quelque chose, — on n’aperçoit qu’un petit coin de ciel et un haut rempart de terre, couvert des grandes herbes de la steppe. Nuit et jour, des sentinelles s’y promènent en long et en large ; on se dit alors que des années entières s’écouleront et que l’on verra, par la même fente de palissade, toujours le même rempart, toujours les mêmes sentinelles et le même petit coin de ciel, non pas de celui qui se trouve au-dessus de la prison, mais d’un autre ciel, lointain et libre.[...] Derrière cette porte se trouvaient la lumière, la liberté ; là vivaient des gens libres. En deçà de lapalissade on se représentait ce monde merveilleux, fantastique comme un conte de fées : il n’en était pas de même du nôtre, — tout particulier, car il ne ressemblait à rien...

Fiodor Dostoïevski (1821―1881) - Souvenirs de la maison des morts (1862) (incipit)

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