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Jean Racine - C'en est fait, Néron est amoureux

(...) Excité d'un désir curieux,
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,
Belle, sans ornements, dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.
Que veux-tu? Je ne sais si cette négligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs,
Relevaient de ses yeux les timides douceurs,
Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue,
J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue:
Immobile, saisi d'un long étonnement,
Je l'ai laissé passer dans son appartement.

Jean Racine (22/12/1639 - 21/4/1699) – Britannicus (1669 ) (acte II, sc. 2)

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s:décembre 2009 Invitation 1

Robert Browning - La vérité est en nous

Savoir consiste plutôt à dégager, en lui ménageant une issue, cette lumière emprisonnée qu'à donner accès aux prétendues clartés du dehors. Guettez de près la démonstration, la naissance d'une vérité : vous remonterez aisément à cette source intime où se cache la lumière amoncelée, que le hasard en extrait rayon par rayon. Le hasard, dis-je, car si nous ignorons encore d'où ces rayons viennent, de même nous méconnaissons ce qui leur ouvre les portes du cachot obscur. Bien des hommes ont vieilli parmi les livres, et sont morts endurcis dans leur ignorance aveugle, dont l'insouciante jeunesse avait promis ce que n'ont pas tenu leurs labeurs presque séculaires. Et tout au contraire, il est arrivé souvent à tel promeneur d'automne, aussi libre d'esprit que les insectes bourdonnant au soleil, d'émettre une sublime vérité, - produit mystérieux, spontané, tel que le promontoire de nuages sorti tout à coup des vapeurs invisibles.

Robert Browning (1812 - 12/12/1889) - Paracelsus, 1835 - (td. E.-D. Forgues, Revue des Deux Mondes, 1847)

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s:décembre 2009 Invitation 2

Samuel Beckett – Bonheur d'aimer

(Il écoute la bande ancienne) : "J'ai dit encore que ça me semblait sans espoir et pas la peine de continuer. Et elle a fait oui sans ouvrir les yeux. (Pause) Je lui ai demandé de me regarder et après quelques instants - (pause) - et après quelques instants, elle l'a fait, mais les yeux comme des fentes à cause du soleil. Je me suis penché sur elle pour qu'ils soient dans l'ombre et ils se sont ouverts. (Pause) M'ont laissé entrer. (Pause) Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s'est coincée. Comme elle se pliait avec un soupir devant la proue, je me suis coulé sur elle, mon visage dans son sein et ma main sur elle. Nous restions là couchés. Sans remuer. Mais sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, du haut en bas, et d'un côté à l'autre."

- Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. La terre pourrait être inhabitée. (FIN)

Samuel Beckett (1906 - 22/12/1989) - La Dernière Bande (1960 – éd. De Minuit)

s:décembre 2009 Invitation 3


Jean Racine - C'en est fait, Néron est amoureux

(...) Excité d'un désir curieux,
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,
Belle, sans ornements, dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.
Que veux-tu? Je ne sais si cette négligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs,
Relevaient de ses yeux les timides douceurs,
Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue,
J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue:
Immobile, saisi d'un long étonnement,
Je l'ai laissé passer dans son appartement.

Jean Racine (22/12/1639 - 21/4/1699) – Britannicus (1669 ) (acte II, sc. 2)

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s:décembre 2009 Invitation 4

Louis Pergaud – Conte de Noël : la chasse maudite

Le malheureux (le comte, chasseur enragé) ne résista plus et, malgré les regards suppliants de sa dame, il partit suivi de ses valets. Bientôt on perçut au loin les abois de la meute et pendant toute la durée de la messe on entendit comme un blasphème la chasse hurlante qui tournait dans la campagne. Et tous avaient des larmes dans les yeux et priaient avec ferveur. Cela dura toute la nuit, puis soudain la chasse se tut. Mais le seigneur ne reparut point au château ; il disparut avec sa meute infernale et ses valets serviles et il expie durement en enfer ce sacrilège pour lequel Dieu l'a condamné tous les cent ans à revenir la nuit de Noël chasser avec ses chiens à travers la nuit. La malheureuse comtesse mourut dans un couvent ; quant à l'inconnu qui avait entraîné son époux, personne ne le revit jamais non plus et chacun pensa bien que c'était le diable.

Louis Pergaud (1882 - 1915) - De Goupil à Margot (1910) (La tragique aventure de Goupil)

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s:décembre 2009 Invitation 5

Jacques Brel - Il neige sur Liège

Il neige il neige sur Liège
Que le fleuve traverse sans bruit
Il neige il neige sur Liège
Et tant tourne la neige entre le ciel et Liège
Qu’on ne sait plus s’il neige s’il neige sur Liège
Ou si c’est Liège qui neige vers le ciel.
Et la neige marie
Les amants débutants
Les amants promenant
Sur le carré blanchi
Il neige il neige sur Liège
Que le fleuve transporte sans bruit
Ce soir ce soir il neige sur mes rêves et sur Liège
Que le fleuve transperce sans bruit

Jacques Brel (1929 - 1978) – album Les Bourgeois (Vol.7) (éd. Barclay 1963)