Les Premières Funérailles

sculpture d'Ernest Barrias

Les Premières Funérailles est un groupe en plâtre mesurant 220 × 135 × 110 cm, réalisé en 1878 par Louis-Ernest Barrias. Il est conservé au musée des Beaux-Arts de Lyon.

Les Premières Funérailles
Louis-Ernest Barrias, Les Premières Funérailles .
Artiste
Date
Type
Sculpture
Hauteur
220 cm
No d’inventaire
B837
Localisation

L'œuvre modifier

Historique modifier

Louis-Ernest Barrias (1841-1905) expose le plâtre original de ses Premières Funérailles au Salon des artistes français de 1878, où il est considéré comme « la manifestation la plus haute des sentiments que peut exprimer la sculpture », ce qui lui vaut une médaille d'honneur. Il enverra le marbre[1] de ce groupe au Salon de 1883[2].

Description modifier

Dans une composition pyramidale, le groupe est composé de trois figures : Adam, Ève et leur fils Abel. Adam tient les jambes de son fils, son buste est tendu en arrière. Malgré un visage impassible, son regard est protecteur et bienveillant.

La posture d'Ève est, quant à elle, à l'opposé de celle d'Adam : elle est penchée sur son fils, elle l'embrasse sur la tête, les yeux baissés.

Abel est représenté en position allongée, soutenu par ses parents. Ses yeux sont clos, sa bouche est ouverte et sa tête est renversée. Son visage révèle une expression sereine.

Analyse modifier

L'œuvre met en scène une certaine hiérarchie entre les personnages, Adam, par sa position droite, semble dominer la situation tandis qu'Ève, penchée sur son fils semble beaucoup plus attristée. Enfin, la position d'Abel, ressemblant a une position fœtale, semble traduire une forme de retour à la nature, à l'origine, et donc à Dieu.

Le titre de l’œuvre nous indique qu'il s'agit d'un événement génétique, un mythe fondateur des pratiques funéraires. En cela, il s'agit d'un événement qui suit une rupture, illustrée ici par la construction même de la sculpture qui nous présente deux personnages verticaux, les vivants, et un personnage horizontal, en décalage, en rupture, le mort. Cette structure cruciale figure le point d'arrêt que constitue le traumatisme, la stupéfaction qu'il cause, et le décalage entre le corps musculeux et tendu du vivant Adam d'avec le mort laisse transparaître la dissociation qui suit l'événement traumatique. C'est ce traumatisme qui crée le nouveau rituel, qui lui donne sa symbolique et qui en assied la pérennité.

Le motif des funérailles est donc très présent, que ce soit du point de vue du traumatisme auquel elles succèdent, dans le marbre qui est utilisé pour la statue et rappelle les pierres tombales faites du même matériau, ou encore du point de vue de la symbolique profonde de ce rite, qui constitue un retour à la terre, au divin. Ce retour à la nature constitué par l'ensevelissement, est figuré par la posture d'Abel, qui s'apparente à une position fœtale et révèle par là même un retour au créateur, à la bonté et à la justice divine après avoir fait l'épreuve de l'injustice humaine.

La féminité de la figure d'Abel, tout en rondeur et courbes, appelle à la vie et à la fécondité, alors même qu'il s'agit du personnage frappé par la mort. Sa bouche ouverte semble appeler à une inspiration vitale. Le décès n'est plus un mal pour la victime, mais bel et bien seulement pour celui qui cause le mal. On retrouve ici la fameuse thèse de Platon, exposée au début du livre II de La République[3], et qui occupera Socrate et ses interlocuteurs jusqu'à la fin du dialogue : la justice est toujours préférable à l'injustice, même si celui qui agit, le fait en toute impunité.

La scène de Barrias proclame cette vérité de façon brillante : par son hommage, l'enterrement fait paraître le crime, en contraste, dans toute sa réalité et son horreur. La tendresse de la scène sculptée, imagée par le baiser d'Ève sur la tempe d'Abel et le regard bienveillant et protecteur d'Adam, est en totale opposition avec le texte biblique qui se concentre principalement sur le sort atroce que subira Caïn en châtiment de son acte[4].

Le mythe modifier

Le récit du mythe modifier

Dans le récit biblique[5], le mythe d'Abel et Caïn retrace l'histoire des deux premiers fils d'Adam et Ève. Abel et Caïn décident de faire chacun une offrande à Dieu : toutefois, l'offrande d'Abel est reçue par l’Éternel avec plus de faveurs, ce qui attise la jalousie de son frère. Se croyant victime d'une injustice, il devient amer. Malgré la mise en garde de Dieu, Caïn cède à la colère et tue son frère afin de faire justice lui-même. Mais son action est sanctionnée par Dieu qui, outré de ce premier meurtre de l'histoire de l'humanité, le condamne à l'errance éternelle dont même la mort ne pourrait le sauver, et à devoir porter le fardeau de son crime sans repos indéfiniment.

L'analyse philosophique du mythe modifier

Ce mythe traduit bien un affrontement de deux conceptions de la justice : une représentation du droit naturel, et une représentation du droit positif. Caïn est face à un choix : soit obéir à la justice positive divine, qui lui interdisait de tuer son frère par un interdit clair, direct et impératif, ou bien d'obéir à ce qui lui semblait être le plus juste, une justice « naturelle » : il préfère désobéir à l'autorité supérieure pour faire sa « propre justice ». Nous pouvons retrouver cette situation dans Antigone de Sophocle: Antigone décide de défier l'autorité de son oncle Créon et d'offrir une sépulture à son frère. Caïn et Antigone, malgré le fait d'avoir obéi à une justice naturelle, furent condamnés. Le parallèle entre ces deux œuvres a pour but de mettre en avant le caractère arbitraire du droit positif, en tant qu'il est un impératif indémontrable, dont l'autorité s'apparente au décret divin. Mais sans une justification divine, la justification du droit positif appelle à de nombreux problèmes.

Le titre de l’œuvre, Les Premières Funérailles, renvoie au corps d'Abel qui s'apprête à être enterré. Cela peut être interprété comme une forme de récompense, de retour à la nature et de retour à Dieu. En effet, les traits des personnages révèlent une jeunesse et une beauté inattendue. La confusion possible entre les âges d'Adam, de son épouse et de son fils, révèle leur fraternité humaine comme un lien familial privilégié sur celui qui les lie physiquement. Ils sont tous fils de Dieu, et tous touchés par ce meurtre fratricide et cette jeunesse révèle également un retour à l'état initial, à la nature et à sa beauté, telle que créée par Dieu.

Par ailleurs, la composition de la sculpture forme un escalier entre ses trois figures, commençant par la plus haute, tendue, figure d'Adam, puis Ève, penchée et enfin le visage tombant d'Abel. Ce mouvement vers le sol vers la terre, c'est un mouvement de refuge vers Dieu qui a créé cette terre, contrairement à Caïn qui en est banni, « maudit, chassé loin du sol » (Genèse, 4-10, 12)[6],[7].

Notes et références modifier

  1. Conservé à Paris au Petit Palais.
  2. « Les premières Funérailles », notice du groupe en marbre de 1883 par Amélie Simier, sur petitpalais.paris.fr.
  3. « PLATON : la république - livre II », sur remacle.org (consulté le ).
  4. penseesauvage.com.
  5. mythologica.fr.
  6. saintebible.com.
  7. saintebible.com.

Bibliographie modifier

Articles connexes modifier