La Nouvelle Alliance

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La Nouvelle Alliance est un essai coécrit par Ilya Prigogine et Isabelle Stengers en 1979[1].

Une des thèses essentielles du livre est que les sciences et la culture sont en interaction. Les auteurs s'opposent aux philosophies qui parlent des sciences en rupture avec la culture, ou aux préjugés selon lesquels la science doit être protégée de la politique, de l'économie, de la philosophie.

Le sujet principal du livre est que nos idées sur la nature ont changé. Nous sommes passés d'un monde où la nature est comme un automate et où l'homme est placé en dehors, à un monde qui situe l'homme dans le monde. Prigogine et Stengers reprennent la thèse de Koyré selon laquelle c'est le dialogue expérimental qui constitue la pratique originale qu'on appelle « science moderne ». La science classique fut la découverte de la « stupidité » de la nature et engendra le désenchantement. Ses présupposés sont que le microscopique est simple. Le connaissant, on connaît tout l'univers, son passé, son présent, son avenir. Or la science est devenue l'exploration locale et élective d'une nature complexe et multiple. Le temps n'est plus où les phénomènes immuables focalisaient l'attention. Aujourd'hui, ce sont les évolutions, les instabilités qui intéressent.

Idées principales

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L'ouvrage se divise en 3 parties :

Livre 1

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LE MIRAGE DE L'UNIVERSEL

Dans le projet de la science moderne, Galilée, Newton (le nouveau Moïse), « la science apparaît comme un corps étranger à l'intérieur de la culture », « l'homme se retrouve seul devant une nature muette et stupide », etc.

Une des singularités de la science moderne est la rencontre entre la technique et la théorie (Dialogue expérimental), non une observation passive, mais une pratique. L'expérimentation interroge la nature au nom des principes postulés. La réponse de la nature est enregistrée avec la plus grande précision. Sa pertinence est évaluée en référence à l'idéalisation hypothétique qui guide l'expérience (ex. la vitesse de la lumière = constante universelle). La nature sera interrogée par l'homme et sera traitée comme un être indépendant. Il y a une conviction mythique aux origines de la science.

a) La Vérité globale est dans les mathématiques.
b) Le langage est unique et il n'y a pas de place pour d'autres langages
c) L'expérimentation locale mène à la vérité générale.

Le Démon de Laplace est capable d'observer en un instant donné la position et la vitesse de chaque masse constitutive de l'Univers et il en déduit l'évolution -vers le passé ou l'avenir-. Complexité et histoire sont absentes du monde que contemple le Démon de Laplace.

Einstein : le miracle, pour lui, c'est la convergence entre la nature et l'esprit humain telle qu'une structure mathématique librement inventée puisse atteindre la structure même du monde. Or, nous ignorons toujours et totalement le rapport entre ce monde transparent et l'esprit qui connaît, perçoit, crée cette science.

Les deux cultures : quelques éléments.

Diderot : refus de tout dualisme spiritualiste : « la nature matérielle doit être décrite de façon telle qu'elle puisse rendre compte sans absurdité de l'existence foncièrement naturelle de l'homme ».

Le vivant est un être intrinsèquement mécanique (idée reprise par Jacques Monod)

La pensée romantique durcit la philosophie contre la science. On sépare les démarches de pensée. Kant élabore philosophiquement le discours mythique de la science de son temps. Il y a passage du centrage sur Dieu au centrage sur l'être humain : « Nous nous précédons nous-mêmes dans les objets de notre connaissance ». Les objets sont les produits de l'activité synthétique a priori de notre esprit. C'est le sujet qui est au centre. Pour Koyré, la science, selon Kant, ne dialogue pas avec la nature, mais elle lui impose son langage. La philosophie s'assure sur la science une position de domination. Séparation des phénomènes (sciences) et des noumènes (philosophie).

Le point de vue de Prigogine et Stengers est que Kant a raison quant au rôle actif de l'homme dans la description scientifique. Mais il a tort car il nie la diversité des points de vue scientifiques sur la nature. En ce sens, il est tributaire de la science de son temps. Mais, ajoutent-ils, « il n'y a pas de dialogue possible avec une science dont le discours est mythique ».

Aujourd'hui, cette séparation doit prendre fin : les conditions sont réunies. Une culture hostile au dialogue expérimental de la science crée une situation désastreuse. La philosophie se coupe d'une des sources traditionnelles de sa réflexion, la science se coupe des moyens de réfléchir sa pratique.

La philosophie de Hegel peut apparaître comme la recherche d'une cohérence nouvelle contre le réductionnisme scientifique, de l'Esprit devenu conscient de soi : l'Homme. Le temps prend une valeur de plus en plus riche au fur et à mesure de la complexité croissante de la vie. Mais Hegel est un objet de répulsion par excellence pour les scientifiques.

Bergson se tourne lui vers l'intuition (non romantique) pour pénétrer les choses dans leur singularité. Il veut juger la science en bloc. En effet, lorsqu'il s'agit de comprendre la durée elle-même, la science est impuissante. Il faut l'intuition de la « vision directe de l'esprit par l'esprit ». Malheureusement, disent Prigogine et Stengers, la métaphysique fondée sur l'intuition de Bergson n'est pas née car il a jugé la science classique à son apothéose.

Merleau-Ponty constate le partage stérile entre l'objet de la Nature dédié à la science et la subjectivité confiée à l'histoire et à la philosophie. Il renvoie à la réflexion de Whitehead qui propose une démarche résolument pré-kantienne. La Cosmologie de Whitehead est une tentative ambitieuse de construire une philosophie de la nature qui ne soit pas dirigée contre la science (œuvre d'un mathématicien). Son ambition est de formuler l'ensemble minimal des principes nécessaires pour caractériser toute existence physique, depuis la pierre jusqu'au penseur. Chaque théorie scientifique sélectionne et abstrait dans la complexité du monde un ensemble particulier de relations ; la philosophie ne peut quant à elle privilégier aucune région de l'expérience humaine. Le piège tendu à toute la philosophie est de « se complaire à l'exploit brillant d'expliquer, en niant ce qui est à expliquer ». Whitehead articule une philosophie de la relation et une philosophie du devenir vivant. La physique d'aujourd'hui découvre la nécessité d'affirmer à la fois la distinction et la solidarité des unités et des relations : « Que prenne fin le règne de l'abstraction qui aboutit à figer l'objet en face du sujet ».

La science du complexe est née avec la thermodynamique.

Livre 2

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LA SCIENCE DU COMPLEXE (La thermodynamique et la découverte de phénomènes irréversibles)

L'énergie et l'ère industrielle, la chaleur, la chimie « science du feu », sont rivales de la gravitation. "La question dont est née la thermodynamique ne concerne pas la nature de la chaleur, ou son action sur les corps, mais l'utilisation de cette action.

1811 : naissance de la science de la complexité. Une théorie physique apparaît étrangère au monde newtonien. La loi de Fourier (flux de chaleur proportionnelle à la différence de température) est aussi universelle que la gravitation. Cela conduit à deux univers opposés : chaleur et gravitation. Auguste Comte et le positivisme désirent une classification des sciences, mises sous le signe commun de l'ordre et de l'équilibre. En Angleterre, on insiste en revanche sur l'irréversibilité.

Les conséquences, non seulement sur les théories scientifiques mais sur l'image de la science, ont des résonances culturelles : l'homme est une machine énergétique (Freud). La société est conçue comme un moteur. Nietzsche voit dans la nouvelle science de l'énergie un écho assourdi d'une nature créatrice et destructrice : « La conversion de l'énergie n'est rien d'autre que la destruction d'une différence, la création d'une autre différence ». Bref: la nature n'est pas un système en ordre, mais l'éternel déploiement d'une puissance productrice d'effets antagonistes.

Le cycle de Carnot ne décrit plus une « idéalisation », mais la nature même, « y compris les pertes ». La cosmologie montre que le monde est une machine avec gaspillage et évolue vers l'homogénéité et vers la mort. L'entropie indique une « flèche du temps » : tous les systèmes en état de non-équilibre évoluent vers le même état d'équilibre.

Apparaît donc une irréductibilité entre « énergistes » et « atomistes ». Boltzmann introduit les probabilités dans la physique, non à titre descriptif, mais à titre explicatif. Mais la physique de Boltzmann est considérée comme incomplète à cause de l'introduction de la probabilité et à cause de l'incapacité à expliquer les superstructures (systèmes vivants, etc.). Les systèmes macroscopiques (ouverts) vivent de leur ouverture. On peut isoler un cristal, mais pas une cellule ou une ville.

Par ailleurs, il y a le paradoxe d'opposition entre Darwin et Carnot - le devenir singulier (et complexe) et le devenir général. « Alors que les réactions non linéaires dont l'effet réagit en retour sur la cause sont relativement rares dans le monde inorganique, la biologie moléculaire a découvert qu'elles constituent pratiquement la règle dans les systèmes vivants » (autocatalyse, auto-inhibition).

Loin de l'équilibre, l'homogénéité du temps est doublement détruite : par les structures spatio-temporelles actives, par l'histoire qu'implique l'apparition des structures dissipatives (structures qui apparaissent au cœur des fluctuations chaotiques). Loin de l'équilibre, l'explication est historique. «Lorsque par suite d'une instabilité apparaît une direction privilégiée, l'espace cesse d'être isotrope.»

Une pensée de l'organisation complexe est nécessaire qui distingue et articule les niveaux de description.

La biologie oppose les anti-réductionnistes et les réductionnistes.

Or, la loi est violée par les « structures dissipatives ». Ce phénomène est fréquent en biologie. La question s'étoffe dans les modèles écologiques : «Le calcul montre que plus un système est complexe, plus sont élevées les chances que pour tout état, certaines fluctuations soient dangereuses.»

Les concepts d'ordre et d'harmonie proviennent d'univers différents des mathématiques. Le hasard est un "miracle statistique". En biologie, il n'y a aucune place pour un concept du vivant en tant que tel. Le Hasard et la Nécessité de Jacques Monod est le point de vue de la biologie dans le contexte de la physique classique, où s'opposent la particularité des conditions initiales et l'universalité déterministe des lois d'évolution.

Or, en physique, le vivant fonctionne loin de l'équilibre. Il n'y a plus nécessité de l'alternative entre le monde animiste (attente de l'homme et clé de l'évolution) et le monde silencieux (où l'homme est étranger). «Les processus de la nature complexe et active, notre propre vie, ne sont possibles que parce qu'ils sont maintenus loin de l'équilibre par les flux incessants qui les traversent.»

  • Question : comment franchir l'abîme entre le temps des processus complexes et le temps ramené à l'identité de la loi ?

Livre 3

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DE L'ÊTRE AU DEVENIR

Heurt des doctrines : Boltzmann, physique quantique, déterminisme et indéterminisme, etc.

Deux fois, la conviction que le microscopique est simple a été battu en brêche :
1/ La simplicité dynamique appartient au monde macroscopique.
2/ Les évolutions dynamiques sous forme de trajectoire simple sont rares.

La mécanique quantique établit une relation d'incertitude entre p (quantité de mouvement) et q (référentiel spatial), alors que dans la mécanique classique, il n'y a pas d'incertitude pour p et q. «La physique classique était dominée par un idéal, celui d'une connaissance maximale, complète, qui réduisait le devenir à la répétition tautologique du « même ». C'était le mythe fondateur de cette science. Aujourd'hui, la physique des trajectoires n'apparaît plus que comme un îlot cerné par les flots de l'instabilité et de la cohérence quantique.» Alors, le temps ?

Le réenchantement du monde

Fin de l'omniscience : là où s'arrêtent les lois générales de la thermodynamique, peut se révéler le rôle constructif de l'irréversibilité.

La multiplicité des temps retrouvée. On a voulu éliminer le temps (Einstein contre Bergson). Mais il y a pluralité des temps en chaque être complexe. Acteurs et spectateurs.
Pour Merleau-Ponty, les découvertes philosophiques de la science proviennent souvent de découvertes négatives. La description est une communication. Notre double rôle d'acteur et de spectateur est de partir de l'observateur. Son activité est orientée dans le temps. Même la définition d'un appareil de mesure nécessite un "avant" et un "après". Il y a un "fait cosmologique" : l'univers est capable de maintenir certains systèmes loin de l'équilibre. Les "sciences exactes" redeviennent par conséquent des "sciences de la nature". Toute science est "'science humaine"...

La situation de l'homme dans le monde : "Un tourbillon dans la nature turbulente" (Lucrèce)

Y a-t-il place pour une 3e représentation ? Les unités complexes qui participent à des processus dissipatifs naissent des interactions irréversibles entre ces unités et le monde. Leur existence physique est définie par le devenir auquel elles participent.

La science est devenue ouverte. Un panorama de la diversité des disciplines montre leurs rapports houleux. Prigogine et Stengers s'opposent toutefois à Kuhn et à sa vision de l'univers scientifique, un monde où les chercheurs "silencieux" creusent leur spécialité à l'abri des influences générales. C'est le "paradigme" pour Kuhn de la recherche scientifique normale. Or, l'histoire de la science est un processus complexe, vivant, fait de joie et de déception, loin de ce comportement "conservateur" des scientifiques de Kuhn.

L'ouvrage de Prigogine et Stengers avait pour but de parler du monde "sans passer par le tribunal kantien" qui voulait mettre au centre du système le sujet défini par ses catégories intellectuelles. Il ne faut pas craindre de se servir de penseurs "pré-critiques" ou "a-critiques" (Bergson, Michel Serres, Leibniz, etc.), parce que pour ces philosophes, la philosophie est une démarche "expérimentale" sur les concepts et leur articulation.
Pour Whitehead, expérimentation scientifique et philosophie ne s'opposent pas comme on opposerait concret et abstrait. Deleuze observe que les intuitions des philosophes ont bien souvent précédé les résultats physiques. Il attaque alors les idées qui font de nous des larves.

Les métamorphoses de la nature. La métamorphose n'est pas rupture. Nous découvrons la nature en tant que physis, c'est-à-dire qu'elle l'admet comme autonome, comme transformation autonome. Bref notre monde est un monde naturel, dont nous faisons partie.

D'anciennes certitudes ont disparu. L'ancien monde de l'alliance animiste est mort (Monod), mais ce n'est pas non plus le monde de l'horloger. «Le temps est venu de nouvelles alliances, depuis toujours nouées, longtemps méconnues, entre l'histoire des hommes, de leurs sociétés, de leurs savoirs, et l'aventure exploratrice de la nature.»

Références

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  1. Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, La nouvelle alliance. Métamorphose de la science, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines », , 312 p. (ISBN 9782070287505, présentation en ligne)