Bonjour. La notice sur la quarte augmentée ou triton est truffée d'erreurs et d'approximations. J'ai recherché (grâce à la recherche plein texte) dans les traités de musique du XIIIe au XVIe siècle l'expression "diabolus in musica" sans jamais la trouver. Les auteurs modernes qui la citent à satiété se gardent bien d'en donner l'origine. Je finis donc par douter qu'elle ait jamais existé. Le triton aurait été interdit mélodiquement parce que le gosier humain ne serait pas capable de le chanter. Cela n'empêche pas Guillaume de Machaut (XIVe siècle) de l'utiliser, par exemple, dès le début de sa très belle ballade "Amours me fait désirer". Loin de chercher à déstabiliser les auditeurs, nous pouvons supposer qu'avec cet intervalle, qui génère une grande tension mélodique, le poète-compositeur à chercher à évoquer la puissance du désir amoureux. Il est vrai que le triton était interdit dans l'ancien contrepoint mais ni plus ni moins que les autres dissonances et tout autant employé qu'elles en tant que notes ornementales. J'ajouterai que le triton - qui, comme son nom l'indique, est composé de trois tons - n'est pas du tout la même chose que son renversement la quinte diminuée - qui contient deux tons et deux demi-tons. Il ne faut donc pas écrire : "le triton ou quinte diminuée" comme nous le lisons trop souvent. Bien entendu, l'accord de triton n'était pas interdit dans la musique religieuse baroque puisque cet accord figure dans les traités de basse continue de cette époque. Pour les harmonistes, je rappellerai qu'il est le troisième renversement de l'accord de 7e de dominante. Mieux encore, le triton, au même titre que les autres intervalles augmentés et diminués, est de plus en plus utilisé dès le XVIIe siècle pour exprimer avec force des sentiments poignants. Dans ce domaine, la musique française reste en retrait par rapport à la musique italienne et allemande. Par exemple, le choral luthérien Es is genug, composé au XVIIe siècle par Ahle et repris, entre autres, par J. S. Bach, commence avec un triton. Quant au fameux accord de Tristan, s'il contient bien le triton fa-si, il n'est pas perçu comme tel puisque Wagner utilise justement les appogiatures (ré#-sol#) pour qu'on l'entende enharmoniquement comme l'accord fa-dob-mib-lab (écrit fa-si-ré#-sol#), un accord appartenant à mi b mineur mais se résolvant sur la dominante de... la mineur. On n'y a vu, en effet, les prémisses de l'atonalité mais ce point de vue me paraît tout à fait faux parce que Wagner joue sur des attractions harmoniques totalement disparues dans la musique atonale.