Discussion:Histoire de la rhétorique

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  • Je continue la conversation ici, puisque vous m'avez invité à le faire. Comme je vous l'ai dit, je n'ai guère de temps, mais je peux donner quelques précisions sur mes remarques (au fait, quel est le sujet de votre thèse ?)

Ma critique porte sur les sources utilisées pour rendre compte de la rhétorique grecque : il s'agit de spécialistes de rhétorique moderne, d'info-com' ou de philosophes. Mais ils connaissent très mal ce qui concerne la rhétorique de l'Antiquité : je doute même qu'ils connaissent le grec et le latin, et j'ai l'impression qu'ils se sont contentés d'a-priori tirés soit des philosophes, soit des historiens du XIXe siècle et du début du XXe, dont le point de vue est très daté et très contestable. D'où...

- Ignorance d'une bonne part des textes, en particulier les fragments de Gorgias, la Rhétorique à Alexandre et le corpus hermogénien. Il est vrai que beaucoup de ces textes n'ont été traduits en des langues modernes que récemment, ou sont encore à traduire. Ignorance, par exemple, de ce que seuls deux traités du corpus hermogénien sont d'Hermogène, les autres étant beaucoup plus tardifs.

- Mauvaise évaluation des rapports entre rh grecque et rh latine. On fait comme s'il s'agissait d'un tout et on considère globalement que les Latins ont pris la suite des Grecs. Ainsi, M. Maria Carrhillo, dans l'Histoire de la rhétorique dirigée par Michel Meyer (Livre de Poche) semble-t-il croire qu'Hermogène s'oppose à Cicéron, ce qui est tout à fait absurde, Hermogène n'ayant sans doute jamais lu Cicéron et ne connaissant vraisemblablement pas un mot de latin. Ce n'est pas parce qu'il est postérieur à Cicéron que ses thèses en dépendent. En revanche, les Latins, eux, connaissaient le grec. Mais je trouve excessive l'affirmation de Robrieux qui déclare que la rhétorique latine n'aurait rien apporté de nouveau, d'autant que cette rhétorique a dominé le moyen Âge occidental et, malgré le retour aux Grecs fait par la Renaissance, a fourni l'essentiel de la rh moderne jusqu'au XIXe siècle (ce que je regrette, d'ailleurs, avec mon esprit partisan d'helléniste). C'est la rh latine qui a donné une importance démesurée à la théorie des figures, qui n'est, chez la plupart des Grecs, qu'un point de détail très secondaire. Dans cette rubrique de la confusion, Robrieux fait vraiment très fort ! Lisez la p. 15 : pour exemples d'"écrivains latins", il cite Plutarque et Denys d'Halicarnasse.

- Place excessive accordée à Aristote dans l'histoire de la rhétorique ancienne. Assurément, Aristote a eu de l'influence, mais pas toujours (et surtout pas avant lui-même !) et pas sur tout le monde. Sa Rhétorique est une rhétorique, pas la rhétorique. Il y a eu plusieurs écoles. Ce défaut vient sans doute du fait que les sources sont philosophiques ; il est normal que les philosophes s'intéressent en priorité aux philosophes ;o)

- Place excessive accordée aux catégories définies par Quintilien, comme je vous l'ai déjà dit, je crois.

Vous allez dire que je m'acharne sur Robrieux (et sur sa page 15), mais c'est que la cible est facile. Il évoque un jugement de Tacite (1er siècle) pour affirmer la décdence de la rhétorique. Assurément, Tacite se lamente sur la décadence de la rh et l'attribue à la disparition de la république. Mais il ne faut pas le croire sur parole, car c'est un républicain qui considère que tout va mal depuis qu'il y a des empereurs. En réalité, l'apogée (sur le plan social, du moins) de la rhétorique se situe justement après Tacite, au IIe siècle, ce qu'on appelle "Seconde sophistique" ("période de peu d'intérêt et de peu de valeur", affirme sans preuve Carrilho). Et si la rhétorique épidictique a connu alors un grand prestige, on a aussi continué à pratiquer, abondamment et brillamment, la rhétorique "politique" (au sens que les théoriciens de la rhétorique donnent à cette catégorie, c-à-d dans les tribunaux et les assemblées), puisqu'il y avait toujours des tribunaux et toujours des assemblées locales. La rhétorique était aussi de mise dans les adresses aux empereurs.

Je vous signale enfin deux ouvrages importants : M. Patillon, Hermogène, l'art rhétorique, L'Âge d'Homme, 1997 (contient ce qui n'a pas encore été publié par Patillon dans son édition du Corpus rhetoricum) ; B.P. Reardon, Courants littéraires grecs des IIe et IIIe siècles après J.-C., Belles Lettres, 1971. C'est un ouvrage parfois discutable (et il a été discuté depuis sa parution), mais très riche.

Bonne réussite à vos travaux. PLM

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